»Toute langue jurera devant toi » c’est le jour de la venue au monde de l’homme
Rav Yéhésquiel Lévinstein
Traduit et adapté par Rav M. Smadja
Il est écrit dans le Talmud: »au moment où l’enfant vient au monde, un ange vient et lui tape sur la bouche pour lui faire oublier toute la Torah et il ne sort qu’après avoir juré comme il est dit : »car devant toi, se prosternera tout genoux et jurera toute langue » c’est le jour de la venue au monde ». Et quelle est le serment qu’on lui fait jurer? »Que tu sois juste et non mécréant et même si le monde entier dit de toi que tu es un juste, considère toi comme un mécréant ».
Ce serment est constitué de deux parties.
1/ que tu sois juste et non mécréant
2/ et même si le monde entier dit de toi que tu es un juste, considères toi comme mécréant c’est-à-dire: n’ai jamais confiance en toi et scrute à tout moment la moindre de tes pensées même les plus insignifiantes.
Il faut essayer de comprendre en vérité quelle est la profondeur de cette deuxième partie du serment. Car pourquoi la première partie du serment ne suffirait-elle pas. A priori par le fait de jurer d’être un juste et non un mécréant, englobe le fait de se considérer soi-même comme un mécréant ? Rabbénou Yona écrit: »les hommes justes et droits dans leur cœur rugissent comme des lions sur leurs fautes et sur le fait de s’être affaiblis dans le service divin ».
Des hommes justes et droits c’est-à-dire des hommes qui ont atteint des niveaux de perception extrême, même eux n’ont pas le droit de s’appuyer sur leur mérite et sont obligés à chaque instant d’être aux aguets de peur de fauter. Premièrement, le juste doit s’imprégner de cette pensée que peut-être il a en lui des fautes (ils rugissent comme des lions sur leurs fautes) et deuxièmement il doit se soucier de savoir s’il a accompli les Mitsvot positives qui lui sont ordonnées (et sur le fait de s’être affaibli dans le service divin). Car il n’y a pas de différence entre ces deux obligations l’une négative et l’autre positive. L’action (positive) doit être accomplie avec autant de précaution que pour la retenue d’un interdit. Et cela est une nouveauté dans le service divin. Car c’est dans la nature de l’homme de s’impliquer de toutes ses forces et de développer une attention accrue afin de ne pas transgresser des interdits mais cela est éloigné de lui de mettre autant d’intensité, autant d’attention pour accomplir un commandement positif. Une retenue est obligatoirement gérée par une attention soutenue au contraire d’un acte positif qui peut et qui est souvent effectué sans réelle conscience, de manière instinctive tout en déconnectant son attention de cet acte. Cette vérité est tellement éloignée de nous et de la perception que nous avons de notre réalité que nous ne pouvons même pas imaginer ce que cela veut dire: »mettre notre attention sur un acte ». Que veut dire exactement »mettre son attention » ? Qu’est-ce exactement »l’attention » ? Jusqu’à ce que Rabbénou Yona s’exprime ainsi sur le sujet: »car par ceci, l’homme cause sa perte et fait de nombreuses fautes aussi grave qu’en transgressant des interdits ». C’est ainsi que nous enseigne le Talmud: »D-ieu pardonne sur les fautes telles la dépravation et l’assassinat mais ne pardonne pas sur le fait de s’empêcher d’étudier la Torah. Voici que l’étude est un commandement positif et son manquement n’est qu’un manque dans un acte et cela est plus important que le fait d’avoir des rapports interdits ou un assassinat ? Comment cela est-il possible si ce n’est que la plus grande des fautes est ce manque d’attention au moment d’agir, cette dislocation de la conscience qui devient le serviteur du corps.
Le Talmud enseigne qu’il y a une obligation de se considérer non pas comme un juste ni comme un mécréant mais comme un homme entre les deux. Alors pourquoi faire jurer l’homme qu’il doit se considérer comme un mécréant ? En vérité, la sensation qu’un homme doit ressentir tout au long de sa vie dans ce monde qu’il est un homme moyen, ni juste ni mécréant, mais lorsqu’il s’agit de sa crainte devant D-ieu, il doit ressentir au plus profond de lui qu’il est mécréant. Un homme même le plus juste et le plus droit, doit craindre qu’il a, tapi en lui, une faute et qu’il s’est refroidi dans sa recherche de de vérité.
Qu’est-ce que réellement la crainte divine ? Le »Rosh » explique l’obligation de de crainte divine ainsi: »souviens-toi à tout moment du jour de la mort et prépare des provisions pour le chemin et place ces deux axiomes devant tes yeux et qu’ils soient tes avocats le jour de ta séparation d’avec la matière ». Ces paroles qui sont les principes de base de notre obligation dans ce monde, doivent réveiller en nous une grande réflexion: »combien nous sommes éloignés de ces obligations qui nous incombent. Nous nous suffisons de quelques bonnes actions mais nous n’avons aucune connexion avec ce qu’est véritablement la crainte du jour de la mort car nous ressentons en nous une incroyable sensation d’éternité et que rien ne peut nous arriver. L’ego faisant un extraordinaire travail de sape.
Car en vérité, nous n’avons aucune idée de ce qui nous est demandé et l’intensité que nous devons déployer pour accomplir les Mitsvot, donc celui qui n’a pas peur du jour de la mort est un véritable inconscient, vivant dans une illusoire et utopique sensation d’invulnérabilité créée par les pulsions de notre corps, le mauvais penchant. Pour cette raison, nous devons à tout moment ressentir que notre travail est loin d’être parfait car qui peut s’enorgueillir de se sentir exempt de tout reproche devant le roi des rois ?
Le monde étant la propriété exclusive du créateur comme il est dit: » car à moi est toute de terre ». Sa surveillance est sur toute sa création et sur chacun de nous en particulier. Car la création est construite sur l’eau et sans providence divine, il n’y aurait aucune possibilité à l’existence de perdurer.
L’auteur du livre »les obligations du cœur » (Hovot Halévavot) fait remarquer que la véritable preuve que D-ieu surveille à tout moment Sa création et Ses créatures est le fait que l’eau qui est l’élément indispensable à toute existence, se trouve en abondance dans la création: »sur les fleuves, a été construit le monde ».
Cette connaissance extraordinaire, cette chaleur qui peut se développer, de savoir que notre Créateur est en nous à chacune de nos respirations, qu’il est l’élément moteur de notre existence, ne suffit pas pour atteindre la perfection qui nous est réclamée. Le véritable moyen pour arriver à la perfection est de mettre de la pureté et de l’intensité dans ses actions, ses paroles, ses pensées ses émotions et ses sentiments.
L’homme étant dans l’obligation de craindre à tout moment son créateur afin de ne pas en arriver à oublier qu’il n’est qu’une créature qui vient au monde malgré lui et qui partira de ce monde contraint et forcé et qu’entre temps, il doit travailler sa perception de cet état par l’accomplissement des Mitsvot et des bonnes actions. Non pas parce qu’il sent que cela est juste mais parce qu’il est une créature à qui il est ordonné d’agir selon des préceptes fondés sur le bien. Et pour arriver à cet état, il faut de plus en plus développer sa crainte envers D-ieu, une crainte non annihilante mais apaisante qui amène une sérénité car c’est le but véritable de sa venue au monde. »Même si toute la création crie que tu es juste, considères toi comme mécréant » car par cette impression, l’homme peut arriver à ressentir qu’il est une créature et rien d’autre.
Au moment où un homme se considère comme ayant accompli sa tâche, étant un juste parmi les justes, il est certain qu’il n’est que dans l’illusion car d’où lui vient ce sentiment de devoir accompli, si ce n’est de l’ego qui est en train au même moment de s’insinuer en lui ? L’homme étant rempli d’envies et de mensonges diffusés constamment par les pulsions de son corps, par son mauvais penchant. Pour cette raison, il purifie ses mauvaises actions et ressent par cela qu’il n’a aucune faute à son passif. Alors qu’il se peut qu’il n’ait aucun lien avec la véritable pureté et le véritable service qui est exigé de lui. Pour cela, l’homme doit tout faire pour enlever cette impression étrange de pureté et de justice que l’ego développe en lui en se considérant comme mécréant à tout instant.
Il faut aussi ressentir que l’âme qui est en nous est d’une pureté incroyable et qu’elle est le moyen de nous relier à la providence divine. Pour cela, il faut que nous nous connections de façon adéquate et parfaite à cette âme divine qui est en nous. Par cela, nous prendrons conscience de la puissance de cette âme afin de se défaire de cet illusoire ego qui se crée en nous en permanence.
Ce n’est que par la pureté de nos actes que nous arriverons à atteindre cette pureté d’âme qui est exigée de nous. Et cela passe par l’étude du Moussar. Et sans cela, nous n’aurons aucune perception de ce que peut être la pureté de notre âme. Et au contraire, l’homme par ce manque d’attention développée par le Moussar, va descendre de plus en plus bas.
Il est vrai que par l’étude de la Torah aussi, l’homme peut atteindre la pureté de l’âme mais uniquement si la Torah est étudiée de manière complètement désintéressée. Mais qui peut se glorifier d’étudier la Torah de manière complètement désintéressée? Pour cette raison, l’étude du Moussar est primordiale.
Que veut dire exactement »l’étude de la Torah de façon désintéressée » le premier sens est de ne pas étudier pour son propre intérêt personnel ? Car à partir de quand peut-on affirmer que la Torah est notre possession ? Uniquement lorsque nous avons annulé nos propres intérêts. Bizarre ! La Torah devient Mienne uniquement lorsque j’annule mes propres intérêts, lorsque je m’annule à elle ! Lorsque j’annule cet ego illusoire qui me sert de déclencheur.
Nous nous déplaçons dans le chemin qu’est notre vie uniquement pour assouvir nos besoins personnels et de même notre étude de la Torah n’est que pour assouvir nos intérêts, pour devenir de plus en plus important parmi les hommes.
Et voici les propos du Rav lui-même sur sa situation spirituelle: »je vous dévoile qu’avant de dire un enseignement, en général, je crains que peut-être je ne vais pas réussir à m’exprimer de manière adéquate, je crains que mes propos ne soient pas aussi clairs que je l’espère, que le message ne va pas passer. Cette pensée étant une pensée de l’ego, issue de mes pulsions non contrôlées et donc illusoire et fausse ».
Uniquement par ce travail d’annulation de l’ego qui passe par une crainte divine de tout instant, nous pourrons arriver à atteindre le véritable niveau spirituel qu’est l’étude de la Torah désintéressée.