Se tenir dans un chemin qui n’est pas bon
Cours de Rabbi Yérou’ham
(Mashguia’h de la Yéshiva de Mir)
Traduit et adapté par Rav Michael Smadja
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Rabbi Eliézer dit au nom de Rabbi Yohanan: « l’argumentation après un acte rabbinique, est considéré comme non-recevable ». Alors rabbi hanina ben Rabbi elazar demanda à Rabbi Yohanan: » n’est-ce pas que cela a déjà été enseigné clairement dans une Michna? « Celui qui sort un acte de divorce et l’acte de mariage ne l’accompagnant pas, la femme a le pouvoir d’exiger que le mari lui paie la Kétouba. Alors Rabbi Yohanan lui répond: si je n’avais pas creusé la terre, tu n’aurais pu trouver la perle qui se cache dessous ». À priori, Rabbi Yohanan ne lui a rien enseigné de nouveau car la vérité est que c’est un enseignement de la Michna. Et cette Michna était connue même auparavant et malgré cela, Rabbi Yohanan dit: »si ce n’est que j’ai déblayé la terre tu n’aurais pu trouver son véritable sens »!
Voici qu’il est possible qu’un homme soit doué de connaissance tout en n’ayant pas de connaissance. Connaissant le texte de la Michna mais ne connaissant pas ce qui découle de ce texte c’est-à-dire « celui qui argumente après un acte rabbinique est considéré comme non-recevable ». Et puisqu’il ne connaît pas cette loi, il ne connaît pas la Michna elle-même. Et cette constatation est dite sur un de nos grands sages. Ce n’est que lorsque Rabbi Yohanan lui enseigne cette loi qu’il peut la trouver dans la Michna car à ce moment il sait quoi chercher. Et ainsi en est-il de l’étude du Moussar, la véritable raison du non-intérêt de son étude est du même degré de réflexion: « et n’est-ce pas que cela a déjà été enseigné ? » Tout Moussar est d’un niveau basique simple que tout le monde connaît: un enseignement clair. Et que tout le monde peut se permettre de discuter. Qui n’a pas son opinion sur les valeurs spirituelles de la Torah? Pour cela, il est très difficile de percevoir dans le Moussar des nouveautés car pour appréhender des nouveautés dans des enseignements qui sont très clairs, il faut beaucoup d’abnégations et de peines en vérité.
Par cette réflexion, nous voulons montrer comment nous pouvons avoir l’illusion de connaitre un enseignement par cœur et ne pas pouvoir expliquer comment nous le l’avons pas compris jusqu’à présent.
Il est écrit dans le livre « les portes de la pénitence » [Shaarey Téshouva] de Rabbénou Yona: « le deuxième principe est l’abandon de la faute……et sache que celui qui faute d’une manière fortuite…cependant l’homme qui se trouve dans un chemin qui n’est pas bon continuellement…et à chaque instant il aime le mal et l’obstacle de sa faute se dresse devant sa face. C’est-à-dire l’envie et l’attirance…et l’exemple par cela est celui d’un homme qui tient dans sa main un reptile mort et va se tremper dans le Mikvé pour se purifier, car en premier, il doit enlever de sa main le reptile puis se tremper et par cela, il se rendra pur. Et tant que le reptile est dans sa main, l’impureté est sur lui et le Mikvé ne peut agir« . Comment interprétons-nous cet enseignement? Est-ce que réellement un homme aime fauter ? Comment peut-il se complaire dans la faute ? Et de plus comment peut-il vouloir continuer à fauter! Comment peut-on définir cette situation comme étant un réveil au repentir ? Comment peut-on associer la notion de repentir avec cette envie continuelle de fauter ? Se tremper en tenant un reptile dans sa main n’est qu’un acte dérisoire sans aucun sens ! Est-ce que cela s’appelle « aller au Mikvé pour se purifier » ? Pourtant Rabbénou Yona parle de quelqu’un qui se repent réellement ! D’un homme qui va se tremper pour se purifier réellement ! Par cela en fait, il nous dévoile un grand principe car lorsque nous examinons minutieusement ses paroles, nous remarquons qu’il ne parle absolument pas de l’acte de la faute mais seulement de quelqu’un qui se tient dans un chemin qui n’est pas le « bon chemin ». Il y a des choses qui sont appelées « chemin » qui sont déjà complètement en dehors de ce qui est défini comme « fautes occasionnelles ». Il se peut qu’il y ait des fautes extrêmement graves et qui se multiplient mais qui sont toujours dans les limites de « l’occasionnel ». Du fait qu’à chaque fois qu’il trébuche, cela est la conséquence de son penchant qui se réveille et le terrasse. Mais à un moment l’habitude de chuter crée en lui une conduite, une seconde nature programmée génétiquement, une situation psychologique où l’acte n’est plus remis en cause car ainsi cela doit se faire. Ce penchant devenant sa nature et on ne lutte pas contre sa nature. Par exemple la nourriture et la boisson qui sont le contraire du but de la vie qui est le détachement de toute matérialité. Cette envie de manger est devenue tellement habituelle et naturelle qu’elle en est devenue une loi primordiale jusqu’à ne plus ressentir de dégoût lorsque cette envie apparaît en nous. Car combien de maladies sont engendrées par le surplus de nourriture et de boissons ? Et pourtant lorsque l’envie apparaît, rien ne peut nous retenir car l’ego qui est créé en nous à ce moment fait que nous avons la terrible sensation que c’est notre être, notre réalité, notre essence qui produit cette sensation de manque. C’est cela toute la terrible épreuve qui se dresse devant nous. Lorsque nous nous installons dans une quelconque conduite, celle-ci nous dirige sans avoir besoin que nous y mettions notre attention jusqu’à ne plus ressentir que ce sont nos envies qui nous dirigent, ces envies se transformant en nature »égotique » comme le fait de respirer ou de manger. Une sorte de drogue comme l’accoutumance à la nicotine qui fait que le corps lui-même ressente cette envie comme un besoin.
C’est ce que Rabbénou Yona écrit: « car celui qui faute d’une manière occasionnelle » même sur des fautes extrêmement graves malgré cela, il a toujours la possibilité de faire Téshouva « par contre s’il se tient dans une conduite erronée continuellement » si la faute devient chez lui une seconde nature, « à chaque instant, il aime le mal » car c’est une des conséquences de cette « nature ». Alors il se peut que lorsqu’il se rend compte que son comportement est honteux et qu’en vérité il ne veut pas de cet acte, le regrette profondément et fait Téshouva jusqu’à en pleurer et se dégoûter de ce qu’il fait c’est-à-dire « qu’il va pour se tremper au Mikvé » mais qu’en vérité, il est toujours sous l’emprise de cette faute et même au moment où il pleure et où il se morfond il se peut être déjà dans un processus qui va l’amener à fauter de nouveau. C’est cela le principe de « il se trempe avec un reptile dans sa main« . « Et l’obstacle de sa faute se place devant sa face » cependant, il ne veut pas de la faute mais » l’obstacle de sa faute » l’attire inexorablement.
L’orgueil tourne autour de combien de fautes ? Il se peut que la personne veuille s’écarter de l’orgueil de manière pragmatique et veuille réellement s’écarter de ce défaut d’un réel repentir mais au moment de passer à l’acte, il est encore sous l’emprise de celle-ci qui le conduit à fauter d’une manière plus forte encore. Que peut faire le repentir lorsqu’un homme est dans cet engrenage?
Rabbénou Yona explique et donne une raison à la création de cette nature: « l’envie et le penchant ». Qu’est-ce que le penchant ? Nous disons dans la prière de Rosh hachana: « sur la faute que nous avons fauté avec le mauvais penchant« . Se peut-il qu’il y ait un penchant sans faute pour avoir besoin de préciser que nous avons fauté avec notre mauvais penchant? En fait est ainsi le principe: il y a un penchant sans faute! Lorsque la conduite du mauvais penchant devient une nature fondamentale dans l’équilibre psychique de l’homme. L’amour-propre est en soit une nature qu’a construite le penchant dans l’homme. Et pour celui-ci, il ne peut y avoir de réalité sans cet amour-propre, sans cet ego ! A tel point qu’il ne peut avoir la moindre pensée de pouvoir vivre sans cet « ego », ce « je » qui s’approprie toutes les sensations que le corps produit par sa perception du monde extérieur et intérieur. Les qualités sont des natures que le mauvais penchant a construites dans l’homme. Et ce qui est engendré par elles, nul ne connait ! Et la différence est très claire entre une faute occasionnelle, lorsque l’envie est trop forte mais qui ne crée en l’homme aucune nature et une faute qui est la conséquence d’une construction psychique issue du mauvais penchant qui a créé en nous une seconde nature et qu’il est impossible à détruire sans un travail extrême et de longue haleine.