Règles relatives aux bénédictions du matin – N°5
(selon le Hala’ha Béroura sur Shoul’han ‘Arou’h O.H chap.46)
« Ha-Noten La-Ya’ef Kowa’h »
Résumé
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Parmi les bénédictions du matin, nous récitons celle de « Ha-Noten La-Ya’ef Kowa’h » (« Qui donne la force à celui qui est fatigué »).
Par opposition aux autres bénédictions du matin, celle-ci ne figure pas dans le Talmud, et sa récitation était à l’origine discutée parmi les décisionnaires.
Même si MARAN l’auteur du Shoul’han ‘Arou’h ne semble pas être favorable à sa récitation, nous avons malgré tout de nombreux arguments très forts pour maintenir sa récitation (comme vous pourrez le constater en consultant notre développement).
L’un de ces arguments repose sur le fait que face à une tradition, nous n’appliquons pas le principe selon lequel on ne récite pas une bénédiction en cas de doute (« Safek Béra’hot Lé-Hakel »).
Or, de nombreux décisionnaires attestent que la tradition de réciter cette bénédiction est répandue depuis de nombreuses générations.
Mais attention !! Tout tradition n’a pas systématiquement de valeur Hala’hique.
Pour avoir une valeur Hala’hique, une tradition doit avoir une traçabilité remontant à la décision d’une autorité rabbinique officielle. (voir la fin de notre développement sur ce point).
Développement
Plusieurs de nos maitres les décisionnaires médiévaux rapportent la bénédiction de « Ha-Noten La-Ya’ef Kowa’h » (« Qui donne la force à celui qui est fatigué ») parmi les bénédictions du matin.
Voici les propos du TOUR (O.H 46) :
« Il existe une bénédiction supplémentaire dans les rituels de prière d’Allemagne : Barou’h Ata … Ha-Noten La-Ya’ef Kowa’h ». Cette bénédiction a été instaurée pour le fait que l’homme confie chaque soir son âme à Hashem, lorsqu’elle est fatiguée d’un dur labeur quotidien, et au matin, Hashem lui restitue son âme apaisée et revigorée. Le Midrash Sho’har Tov (sur Téhilim 25) commente un verset de E’ha (3-23) :
Elles se renouvellent chaque matin, infinie est ta bienveillance.
Lorsqu’un être humain confie un objet à son ami, celui-ci lui restitue froissé et abimé. Mais lorsque l’homme confie chaque soir son âme à Hashem lorsqu’elle est fatiguée, mais Hashem lui restitue neuve et fraiche. » Fin de citation du TOUR
Cependant, MARAN écrit dans le Beit Yossef (Ibid.) :
« Même si cette bénédiction possède un joli fondement, malgré tout, puisqu’elle ne figure pas dans le Talmud, j’ignore comment quelqu’un s’est autorisé à l’instaurée. J’ai même trouvé le Egour (règles relatives aux bénédictions chap.87) qui cite des opposants à la récitation de cette bénédiction. De plus, le RAMBAM, le Samag et le Rokéya’h ne la mentionnent pas, et c’est donc cette opinion que nous retenons. » Fin de citation de MARAN.
C’est ainsi que tranche MARAN dans le Shoul’han ‘Arou’h (O.H 46-6) en ces termes :
« Certains ont l’usage de réciter la bénédiction de « Ha-Noten La-Ya’ef Kowa’h », mais leur arguments ne semblent pas justes. »
Le RAMA atteste sur place que les Ashkénazim ont l’usage de la réciter.
Similairement, le ROSH écrit (dans ses décisions Hala’hiques sur Kiddoushin chap.1 sect.41 et sur Bé’horot chap.8 sect.8) qu’il ne faut pas réciter une bénédiction qui ne figure pas dans le Talmud.
Cependant, le ROSH lui-même écrit (dans ses commentaires sur Kétoubot chap.1 sect.15) qu’il faut réciter avec Shem Ou-Mal’hout (la mention du nom d’Hashem) la bénédiction de « Asher Tsag Egoz » (bénédiction que le jeune marié avait l’usage de réciter durant la nuit de noce, après avoir pratiqué l’acte conjugal et constaté la virginité de son épouse. Cette bénédiction n’est plus en vigueur de notre époque.)
Le ROSH précise que cette bénédiction fut instaurée par les Guéonim (sages de la génération postérieure au Talmud).
Qui plus est, MARAN lui-même fait mention de cet usage dans le Shoul’han ‘Arou’h (E.H 63-2).
Le Gaon Rabbi David YOSSEF Shalita propose une explication à cette apparente contradiction entre les propres propos du ROSH, ainsi que ceux de MARAN, en supposant que lorsqu’une bénédiction ne figure pas dans le Talmud, et qu’elle fait aussi l’objet de contestations parmi les décisionnaires, il ne faut pas la réciter. Mais lorsqu’elle bénéficie d’une source dans les enseignements des Guéonim, même si elle ne figure pas dans le Talmud, on peut la réciter.
Le Kénesset Ha-Guédola (sur O.H 46 notes sur le Beit Yossef) cite les propos d’un érudit qui atteste avoir entendu que MARAN serait revenu sur son opinion vers la fin de sa vie, et aurait récité lui-même la bénédiction de « Ha-Noten La-Ya’ef Kowa’h » avec Shem Ou-Mal’hout pour se conformer à l’interprétation Kabbalistique.
Mais le Kénesset Ha-Guédola réfute les propos de cet érudit.
Cependant, à la lueur de l’explication donnée par le Gaon Rabbi David YOSSEF Shalita (citée précédemment), nous pouvons maintenir cette hypothèse, puisque dans la dernière partie du Shoul’han ‘Arou’h (Even Ha-‘Ezer), MARAN fait mention d’une bénédiction qui ne figure pas dans le Talmud (« Asher Tsag »).
Nous sommes donc forcé d’admettre que lorsqu’une bénédiction ne figure pas dans le Talmud mais qu’elle bénéficie d’une source dans les enseignements des Guéonim, il est permis de la réciter.
Mais il reste tout de même un problème dans notre sujet :
La bénédiction de « Ha-Noten La-Ya’ef Kowa’h » ne bénéficie pas d’une source dans les enseignements des Guéonim !
Mais les propos de notre maitre le ‘HYDA viennent résoudre notre problème.
En effet, le HYDA écrit dans son commentaire Birké Yossef sur le Shoul’han ‘Arou’h (Ibid. note 11) que la tradition de réciter cette bénédiction est répandue et prend appui sur les écrits de notre maitre le ARI Zal. Et même si nous avons accepté les décisions Hala’hiques de MARAN l’auteur du Shoul’han ‘Arou’h, il est évident que si MARAN avait eut connaissance des saintes paroles du ARI Zal, il aurait lui aussi tranché qu’il faut réciter cette bénédiction.
Le ‘HYDA fait également mention des propos du Kénesset Ha-Guédola citant une opinion selon laquelle MARAN serait finalement revenu sur son opinion vers la fin de sa vie.
Les propos du ARI Zal sur cette bénédiction figurent dans le livre Sha’ar Ha-Kavanot (sujet du rituel de prière page 2b), ainsi que dans le livre Péri ‘Ets ‘Haïm (Sha’ar Ha-Téfila chap.2).
Dans son livre Tov ‘Aïn (fin du chap.7), le ‘HYDA explique que le ARI Zal a quitté ce monde du vivant de MARAN, et il est probable que MARAN n’ait eu connaissance de l’usage du ARI Zal de réciter cette bénédiction que lorsque le ARI Zal avait quitté ce monde.
Nous pouvons aussi joindre à cela 2 arguments :
- Selon l’opinion du Gaon de LUBAVITSH z.ts.l dans son livre Shou’t Tséma’h Tsédek (chap.3 note 9), la bénédiction de « Ha-Noten La-Ya’ef Kowa’h » a été instaurée par les Guéonim.
- Lorsque la récitation d’une bénédiction fait l’objet d’une divergence d’opinion Hala’hique parmi les décisionnaires, si la tradition est de la réciter, on n’applique pas dans ce cas le principe de « Safek Béra’hot Lé-Hakel » (principe selon lequel on ne récite pas une bénédiction en cas de doute). On peut donc dans un tel cas réciter la bénédiction).
Cette règle est établie par le Shou’t Téroumat Ha-Déshen (chap.34) et le Shou’t MAHARY KOLON (Shoresh 9).
Cet avis est partagé par de nombreux décisionnaires récents, comme le TAZ (O.H chap.46 note 7) ; le Gaon Rabbi ‘Haïm FALLAG’I dans plusieurs de ses ouvrages dont Mo’ed Lé’hol ‘Haï (chap.10 note 48) ; le Gaon Rabbi Avraham AL KLA’AÏ dans son livre Shou’t ’Hessed Lé-Avraham (sect. O.H chap.18) ; le Gaon Rabbi Avraham Ha-COHEN de Salonique dans son livre Taharat Ha-Maïm (sect. « Same’h » note 9) ; le Gaon Rabbi Yossef ‘HAÏM de Bagdad (Ben Ish ‘Haï) dans son livre Shou’t Rav Pé’alim (tome 2 sect. O.H chap.7) ; le Gaon Rabbi Its’hak ABOUL’AFIYA dans son livre Shou’t Péné Its’hak (sect. bénédictions note 190), et de nombreux autres…
Mais attention !! Tout usage local n’a pas systématiquement de valeur Hala’hique.
En effet, ce que l’on appelle « usage local » (מנהג המקום) doit être une institution émanant de véritables Rabbanim locaux, et non les « caprices » de quelques particuliers qui imposent leurs usages personnels à tout une assemblée.
Pour avoir une valeur Hala’hique, toute tradition locale doit avoir une traçabilité remontant à la décision d’une autorité rabbinique officielle.
Le Gaon auteur du Shou’t Sha’ar Asher (sect. Y.D chap.11 page 21a) écrit que toute tradition adoptée librement par le peuple, sans la validation de l’autorité rabbinique locale, n’a pas la moindre valeur, car nous exigeons qu’une tradition soit instaurée par les anciens. Fin de citation.
Le MAHARSHA AL FANDERI z.ts.l écrit lui aussi dans une lettre d’approbation au livre Koumi Roni que tout usage qui na pas été instauré par les anciens décisionnaires n’a aucun poids. Fin de citation.
Le Gaon auteur du ’Hikré Lev écrit dans son livre Shou’t Sémi’ha Lé-‘Haïm (sect. Y.D chap.4) qu’une tradition ne peut avoir force de loi dans une divergence d’opinion que lorsque cette tradition émane de hautes autorités ayant la compétence nécessaire pour statuer dans une divergence d’opinion Hala’hique. Ce qui n’est plus le cas de notre époque où les connaissances ont diminuées et où nous n’avons plus la compétence pour statuer ce genre de question. Fin de citation.
Le RADBAZ écrit dans l’une de ses Tshouvot manuscrites (chap.140) qu’une tradition qui n’a pas été fixée par les anciens (décisionnaires) n’a pas la moindre valeur, et n’est qu’une tradition…. Fin de citation.
Le Gaon auteur du Shou’t Dévar Moshé (tome 3 sect. Y.D fin du chap.13) écrit qu’il ne faut pas se fier aux traditions répandues parmi le peuple car en général, il s’agit d’usages adoptés par pure ignorance, sans avoir pris conseil auprès d’une autorité Hala’hique compétente. Fin de citation.
Il est donc évident que toute tradition n’a pas systématiquement force de loi, tant qu’elle n’a pas été instaurée par les hauts dirigeants spirituels locaux.
Pour en revenir à notre sujet et le conclure, la majorité des décisionnaires tranchent qu’il faut réciter cette bénédiction.
De plus, il est fort probable que MARAN lui-même soit revenu sur son opinion sur ce point vers la fin de sa vie.
Par conséquent, il faut maintenir la tradition de réciter la bénédiction de « Ha-Noten La-Ya’ef Kowa’h », puisque face à une tradition, nous n’appliquons pas le principe selon lequel on ne récite pas une bénédiction en cas de doute (« Safek Béra’hot Lé-Hakel »).