Pourim: retour au bien ontologique comme au commencement
Rav Moshé Shapira
Traduit et adapté par Rav Michael Smadja
« Ils ont reçu de nouveau la Torah à l’époque de Ah’achvéroch[1] et ceci par amour pour le miracle qui s’est passé«
Cela veut dire que le miracle ne s’est pas accompli parce qu’ils ont fait Téshouva « un retour à D-ieu » et ont reçu de nouveau la Torah. La réception de la Torah ne s’est faite qu’après que le miracle ait eu lieu. Le fait même de faire Téshouva (retour vers D-ieu) a été le déclencheur du Miracle. La Téshouva normale est mentionnée dans la prière, c’est un retour à la Torah: « Fais nous revenir notre père à ta Torah et rapproche nous notre roi de ton service et fait nous retourner à la Téshouva ». C’est un retour au niveau du don de la Torah car nous nous sommes séparés d’elle et donc nous retournons vers elle par le principe de la Téshouva. Ici dans le miracle de Pourim, cela ne se passe pas ainsi. Et malgré cela, la Téshouva a été acceptée et est arrivé le miracle sans avoir besoin de recevoir de nouveau la Torah. Nous devons comprendre sur quel point a été accomplie la Téshouva.
Dans le Talmud, le Rabbi Eliézer enseigne que si Israël fait Téshouva, revient vers D-ieu, alors il sera délivré et sinon, il ne sera pas délivré. Rabbi Yéhochoua dit que dans tous les cas, il sera délivré car s’il ne fait pas Téshouva de lui-même, D-ieu dressera devant lui un roi dont les décrets seront aussi durs que les décrets de Haman et Israël fera Téshouva, reviendra dans le bon chemin et sera délivré. Mais sans Téshouva, il ne sera pas délivré. Les deux maîtres sont d’accord que sans Téshouva, nous ne serons pas délivrés.
« Un roi dont ses décrets seront aussi durs que ceux de Haman » il faut comprendre ces mots jusqu’à son paroxysme: « Pour exterminer pour tuer et pour abandonner depuis je jeune jusqu’au vieux du bébé aux femmes en un seul jour« . C’est ce qui nous ai promis à la fin des temps et ceci afin que nous revenions à la Téshouva. Donc cette Téshouva qui nous est réclamée est la même que celle du temps de Ah’achvéroch. Donc ce n’est pas une Téshouva afin de recevoir la Torah qui nous est réclamée. Quelle est cette Téshouva qui nous est réclamée? Une Téshouva qui en elle-même amène le miracle.
« Mon D-ieu mon D-ieu, pourquoi m’as-tu abandonnée, est éloignée de ma délivrance les paroles de mes rugissements« .
C’est Esther qui a dit ces paroles lorsqu’elle était au palais de Ah’achvéroch. Elle est comparée à une biche de l’aurore et tout ce qui est écrit dans ce psaume est une allusion à tout ce qui est arrivé à Esther. Ses souffrances dans la maison de Ah’achvéroch et sa délivrance. Le principal point de délivrance de Amalek s’est fait par la prière. La guerre contre Amalek s’est faite en priant avec les mains levées. Dans le verset, il est écrit: « la voix est la voix de Yaacov et les mains sont les mains de Essav« . Nos sages déduisent de cette exclamation de Ytsh’ak au moment de bénir Yaacov ainsi: « Dans le temps où la voix est celle de Yaacov, alors les mains de Essav ne sont pas fortes« . C’est-à-dire que la voix se renforce grâce à Essav. La levée des mains était un dévoilement qui fait que nous associons la force de nos mains à la force de notre voix. Lorsque nous prions nos mains sont en haut, elles sont puissantes et gagnent. Lorsqu’une royauté domine Israël, cela veut dire que les mains de Essav sont puissantes et gagnent. C’est la royauté de Edom. Et si les mains de Essav dominent le monde, alors nous ne pouvons utiliser que la voix de Yaacov. Associer les mains tendues à notre prière, cela veut dire, que nos mains se renforcent par la confrontation avec Essav qui serait une révolte contre le décret divin qui veut que les mains de Essav dominent le monde. Pour cela, nous ne prions plus avec les mains levées comme au temps de Moshé. Le seul homme dans le peuple d’Israël sur qui n’est pas tombée la royauté de Edom était Rabbi shimon bar Yoh’aï. Les romains l’ont cherché, l’ont condamné à mort mais ne l’ont pas trouvé. Il s’est caché et il s’est sauvé. Du ciel il n’a pas été décrété sur lui la domination de Edom. Et c’est le seul qui priait avec les mains levées, nous enseignent nos maîtres. Et ainsi Moshé a vaincu Amalek, avec les mains levées. Les mains s’associant à la voix.
Que font les mains? Elles se tendent vers le créateur. Quelle est la limite de la prière que l’ont atteint par l’expression des mains tendues vers le ciel? Lorsqu’un homme parle pour demander quelque chose, nous comprenons sa démarche. Mais qu’est-ce cet acte de lever les mains apporte dans cette démarche de supplication?
» Et toute pousse du champ avant qu’elle soit sur terre et toute herbe du champ avant qu’elle ne pousse car il n’y avait pas encore l’homme pour travailler la terre ». Rashi explique: avant que l’homme n’ait été créé, les plantes étaient restées sous la surface de la terre car les pluies n’étaient pas encore tombées. Et pourquoi il ne pleuvait pas? Car l’homme n’était pas encore créé et il n’aurait pas reconnu la bonté de la pluie. Et lorsque l’homme est venu au monde, et a reconnu le bien-fondé de la pluie pour le monde, il a prié pour elle. Alors les pluies sont tombées et les plantes sont sorties à la surface de la terre ». La pluie ne descend que par la prière de l’homme.
« Et une vapeur s’éleva de la terre et abreuva toute la terre » « et D-ieu a créé l’homme«
Rashi explique que cette vapeur est montée de la terre pour créer l’homme. Une vapeur d’eau est montée des abîmes jusqu’aux nuages afin d’en abreuver la poussière de la terre et l’homme a été créé comme l’on pétrit une pâte en versant de l’eau puis en pétrissant la pâte. Ici aussi il est écrit « et elle abreuva » puis il est écrit « et il créa« . Pour créer l’homme, il a fallu faire tomber la pluie mais à partir de ce moment, elle ne descend que si l’homme la demande mais s’il ne la demande pas, elle ne tombe pas. Pour la création de l’homme, il fallait que la pluie tombe d’elle-même. Cette pluie fait partie intégrante de l’homme. C’est une partie de l’essence même de sa réalité. L’homme est manquant sans la pluie, il lui est impossible de vivre. Cela est et comme pour toute chose, afin que l’homme puisse prier, il faut qu’il ressente qu’il est manquant. Et pour que la chose lui soit manquante, il a fallu qu’elle soit une partie de lui-même. Toute la Torah qu’un fœtus étudie dans le ventre de sa mère, pourquoi lui avoir fait étudier s’il doit l’oublier au moment où il vient au monde? Pour créer en lui ce besoin de l’étudier car elle fait partie intégrante de sa réalité. Ce manque va être l’élément moteur toute sa vie pour la réintégrer en lui. Job se lamente sur les mois qu’il a passé en gestation dans le ventre de sa mère où il a étudié la Torah. Car à ce moment, la Torah a été enracinée en lui et par cela a été implanté en lui ce besoin de Torah afin qu’il se sente manquant toute sa vie sans la Torah. Et de ce manque, lui vient cette terrible envie de la Torah qui se traduit chez un homme normal en envies de futilité. Cette énergie, il la transforme en combien de désirs étrangers. Mais la réalité est qu’un homme est rempli d’une volonté et veut toujours et toujours. Et ceci vient de la Torah qui a été implantée en lui, sans limite sans fin qui le transforme en personne imparfaite afin de revenir à cette même situation d’avant la naissance. Le Talmud dit que sur la tête de l’embryon est posée une lumière et qu’il peut voir grâce à elle d’un bout à l’autre de la création, rempli de lumière. Tout est clair, il va en grandissant et en comprenant de plus en plus. C’est la situation basique profondément ancrée dans l’âme de l’homme. Mais il se trompe et transforme cette envie, ce manque, en une attirance vers les futilités de la matière. Il se rassasie de choses sans valeur. Il doit réaliser que cette envie est beaucoup plus intérieure qui a beaucoup plus de valeur que cette attirance vers le matériel. Il faut unir cette envie à quelque chose qui est beaucoup plus élevée de ce que je peux comprendre, de ce que je peux appréhender. C’est une attirance vraie qui se trouve au plus profond du cœur de chacun de nous. Lorsqu’une envie naît, bien qu’elle va se transformer, se matérialiser dans des bêtises, en fait elle vient d’une réalité très profonde, de notre être de notre réalité vraie. Une pulsion qui essaie de s’élever pour s’unir au divin. L’homme a été créé manquant. La réalité même de son existence est au-delà de ce qu’il croit être. La réalité de l’homme vient de son lien avec la pluie, aux eaux qui viennent des cieux. Et son existence même est en jeu et donc sur cela, il prie car il est tout le temps manquant de ces gouttes d’eau qui viennent d’en-haut, de cette abondance qui se déverse d’en-haut. Pour cela, il prie et uniquement de cette façon, les pluies descendent sur terre car cette pluie est sa nature même.
La racine de la puissance de la prière se trouve dans le verset: « et toute offrande de farine, dans le sel tu le tremperas« . Une alliance a été contractée avec le sel depuis la création du monde: que les eaux d’en-bas se rapprochent des eaux d’en-haut par le sel et les libations d’eau à Souccot. Il est rajouté dans le Midrash que les eaux d’en-bas sont appelées « des eaux qui pleurent » car au moment où D-ieu a partagé les eaux par la création du firmament, les eaux supérieures générant alors l’abondance spirituelle et les eaux inférieures générant des pulsions basses, les envies, les désirs matérielles. La matière est l’association de quatre agrégats: le vent qui génère l’orgueil, le feu qui génère la colère, la poussière qui génère la paresse et l’eau qui génère l’envie. C’est le partage des qualités que le corps génère. Donc les eaux inférieures sont le principe le plus bas de la création, le désir. Les eaux supérieures ont été séparées d’elles et déversent une influence extrême et suprême sur le monde. Alors les eaux inférieures demandèrent pourquoi avoir été jetées aussi bas dans la matière? Alors elles ont voulu remonter vers les mondes supérieurs jusqu’à ce que D-ieu crie sur elles et il leur a promis que les eaux supérieures ne diront de louanges uniquement avec votre permission et que plus tard vous allez être approchées sur l’autel par le moyen du sel et des libations de Souccot. En fait, dans ces eaux inférieures est enfouie la puissance de la prière. Et nous voyons cela dans le principe de la création de l’homme. L’eau n’arrive à l’homme que par le moyen de la prière. Et l’homme lui-même a été créé de la vapeur d’eau qui est montée de la terre. Sur cette même pluie, il faut prier. Mais pour les besoins de sa création, les eaux sont descendues sans prière afin qu’elles soient l’essence même de l’homme, afin de prier sur elles tout le temps. Le Gaon de Vilna explique que si nous sommes méritants, nous recevons des eaux supérieures l’abondance générée par elles. Mais si nous sommes moins méritants alors nous recevons des pluies issues des eaux inférieures qui viennent de la force de cette envie qui monte pour s’associer à l’abondance des eaux de pluie. Mais cette vapeur qui monte de la terre vient de la force des eaux inférieures qui puisent leur énergie du fait de vouloir s’unir aux eaux supérieures. Et cette envie de s’élever pour s’unir au divin ne peut s’obtenir que par la prière. L’homme est né des eaux inférieures, de cette vapeur d’eau et non des eaux supérieures. Dans ces eaux, n’est pas insufflée la notion de prière. Dans les eaux inférieures sont implantées les pleurs, l’envie, la volonté de s’élever, de s’unir à l’au-delà, il est implantée la puissance de la prière. La prière la plus intérieure qui ne peut naître que du plus profond du cœur. Cette prière qui est la réalité même de l’homme, n’est pas la prière que j’exprime pour assouvir mes envies. Dans la véritable prière je ne demande rien, car ce n’est qu’une envie de m’élever pour m’unir au divin. Lorsque nous prions, nous nous trouvons devant le Maître du monde, nous demandons ce qui fait que nous pouvons exister: la connaissance, la guérison, la délivrance…un homme ne peut vivre sans que D-ieu le veuille. Cette prière est la prière de base que nous connaissons. Mais la racine de la prière est beaucoup plus profonde. Je ne demande dans la prière que de m’unir à ma réalité vraie, je demande à me relier à la source d’où je viens. De là-bas, nous venons et là-bas nous reviendrons plus tard. Je ne demande pas quelque chose de précis je demande ce que les eaux ont demandé. Ces même eaux qui sont une part de ma réalité, ces mêmes eaux qui pleurent en moi. Nous voulons nous unir à l’endroit d’où nous avons été enlevés. C’est la racine de la prière. Tout ce que nous demandons dans la prière est déjà un niveau moindre. C’est en fait une transformation de ce sentiment primordial, se réunir au divin, tous ces besoins étant une étape pour nous réunir. « mavhé » c’est l’homme dit le Talmud, « celui qui parle ». L’homme prie dans sa réalité vraie. Il n’est venu au monde que pour prier. Sa réalité est de demander. C’est cette prière qui repose dans l’élévation des mains. Par cela, je ne demande rien car les mains ne parlent pas, ne disent rien, ne limitent rien. Elles n’expriment rien. Celui qui voit quelqu’un lever les mains, alors il voit quelqu’un qui demande, qui supplie, qui vient se relier à quelque chose. C’est la prière originale. La prière que nous exprimons par des mots n’est qu’un gargouillement de l’expression de notre réalité. Nous sommes loin de l’endroit d’où nous venons. Cette union au divin vient avant la demande de nos besoins.
Sur les lois de la prière, il est expliqué qu’il y a des pensées qui n’empêchent pas d’être quitte de la prière. Lorsqu’un homme parle devant le maître du monde et il ne sait pas ce qu’il dit car il ne comprend pas les mots, cela n’est pas si terrible sauf dans la première bénédiction. Mais s’il ne sait pas qu’il se tient devant D-ieu, cela ne s’appelle pas un acte de prière. L’essence même de la prière est le fait de me tenir devant D-ieu. Je tends vers lui. Non pas ce que je dis mais cette envie de m’unir à lui, c’est cela l’acte de prière. C’est-à-dire que je ne fais qu’un avec D-ieu. Annuler ma personnalité au profit du divin qui est tapi au plus profond de mon être. Sans dire quoi que ce soit, sans aucune intention, sans aucun autre intérêt que de me fondre dans la réalité. C’est cela la prière dans sa définition originelle. La prière qui a vaincu Amalek est la prière dans son essence représentée par l’élévation des mains. Amalek ne peut dominer celui qui se tient devant D-ieu. Ce n’est pas la supplication « je suis en danger » qui me sauve. L’élévation des mains ne crie pas « sauve-moi ». La génération de Mordékhaï n’a rien reçu par sa prière. On ne leur a rien promis. Ils n’ont fait que se tenir debout et prier du plus profond du cœur. Du cœur qui lui, sait d’où nous venons et où est notre source, notre réalité. C’est ce qui nous est demandé: nous mettre en phase avec notre réalité, avec notre existence vraie.
Lorsqu’un roi va se lever contre nous dont ses décrets seront aussi durs que ceux de Haman, l’existence même nous sera prise à ce moment. L’existence se terminera. Alors à ce moment, du plus profond de notre cœur, s’élèvera notre prière, nous fera exister. C’est ce point de réalité qui va nous amener à la délivrance. Faire Téshouva ne veut pas dire « prendre de nouvelles résolutions״, mais saisir d’une manière vraie l’essence même de l’existence. C’est ce qui s’est passé à Pourim. Et pour cela, il nous a été fait un miracle. Là-bas, nous avons atteint notre point de réalité qui nous uni au divin. C’est ce qui s’appelle: « Se tenir devant D-ieu« . Nous sommes à ce moment reliés au divin. Uniquement par cette force, s’est réalisé le miracle. La racine est dans l’élévation des mains de Moshé. Il nous est réclamé une appréhension de notre réalité la plus haute possible. La racine de la prière est de se tenir devant D-ieu. C’est l’acte à son paroxysme de la prière. Toutes les autres choses ne sont que secondaires. C’est cette prière qui va nous sauver de Amalek. La Téshouva n’est pas de vouloir recevoir de nouveau la Torah mais de se tenir comme il le faut dans la prière. Par la prière, nous vaincrons Amalek.
[1] Assuérus