Pourim – Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
POURIM
Une des quatre mitsvot de Pourim est celle du Michté, ce festin que doit faire chaque juif pour célébrer la joie inhérente à ce jour miraculeux. Le michté, en plus de sa consistance, doit se faire autour du vin qui doit nous plonger dans l’ivresse en référence à l’enseignement de la guémara (traité Méguila, page 7b) : « Rava a dit : un homme est tenu de s’enivrer à Pourim jusqu’à ce qu’il ne sache plus distinguer entre »maudit soit Haman » et »béni soit Mordékhaï » ».
Que signifie cette règle établie par nos sages ? Pourquoi est-il nécessaire de chercher l’ivresse ? Certes nous sommes heureux du miracle qui nous a sauvés, cependant, pourquoi plus qu’ailleurs devrions-nous célébrer cette joie ? Plus encore, est-il réellement possible de confondre deux notions tellement opposées et d’en arriver à bénir Haman et maudire Mordékhaï ?
D’autant qu’un tel état d’ivresse peut s’avérer dangereux comme le montre la suite du texte que nous avons cité, qui relate l’incident suivant : « Rabba et Rav Zeira ont pris le repas de Pourim ensemble. Ils se sont enivrés. Rabba s’est levé et a égorgé Rav Zeira. Le lendemain, il a imploré la miséricorde d’Hachem et il l’a ressuscité. L’année suivante Rabba a demandé à Rav Zeira : »Que vienne le maître et nous ferons le festin de Pourim ensemble. » Rav Zeira lui a répondu : »ce n’est pas à tout moment qu’un miracle à lieu. » »
Cette histoire paraît folle. Comment un maître de la grandeur de Rabba a-t-il pu concevoir un meurtre ? Plus encore, comment une mitsvah peut-elle conduire à une telle attitude ? Est-ce vraiment là, l’objectif à atteindre durant Pourim ?
Tentons de comprendre les enjeux de ce qui s’est passé à l’époque de Mordékhaï et de la reine Esther, et de ce qui se produit encore à chaque année durant cette fête.
Le ‘Hidouché Harim évoque une idée aussi surprenante qu’incroyable sur l’ivresse de Pourim : « ne plus distinguer entre »maudit soit Haman » et »béni soit Mordékhaï » signifie s’élever plus que l’arbre de la connaissance du bien et du mal »
Que signifie cet enseignement ? De quoi parle le maître lorsqu’il demande de dépasser l’arbre de la connaissance ? En quoi tout cela est-il lié à la fête de Pourim ?
Une réponse peut être avancée en vue de ce que la guémara enseigne. Le talmud, dans le traité houline (page 139b), demande où trouve-t-on une allusion à Haman dans la torah ?
Avant d’aller plus loin apportons une précision importante. Il faut avoir à l’esprit que tout est contenu dans la torah. La torah étant la source de tout ce qui existe, elle contient en son sein, chaque élément passé ou à venir. Ainsi, avant qu’une chose n’apparaisse dans le monde, son essence doit la précéder et être inscrite dans la torah. Or, nos sages enseignent que l’essence la plus profonde de l’individu est inclue dans son nom. Ainsi la question de la guémara est à comprendre de façon moins superficielle. En demandant où le nom d’Haman se trouve dans la torah, la guémara cherche à retrouver l’essence même d’Haman, celle qui l’a précédée et qui est inscrite dans la torah. L’objectif de cette recherche est impératif. Déterminer l’essence d’Haman permet de saisir exactement ce qu’il est et tout ce qu’il engendre. À plus large échelle, rappelons qu’Haman est le descendant d’Amalek. Identifier l’essence d’Haman dans la torah, c’est révéler la menace d’Amalek au grand jour.
À la question que nous avons posée, la guémara apporte une réponse saisissante ! La trace d’Haman se trouve dans les versets qui font suite à la faute d’Adam Harichone, lorsque la torah dit : (Béréchit, chapitre 3, verset 11)
הֲמִן-הָעֵץ, אֲשֶׁר צִוִּיתִיךָ לְבִלְתִּי אֲכָל-מִמֶּנּוּ–אָכָלְתָּ
Cet arbre dont je t’ai interdit de manger, en as-tu mangé ?
Le premier mot du verset, « הֲמִן », se prononce « hamine ». Cependant, la torah est écrite sans voyelle, c’est pourquoi, il peut se lire « Haman ». Ainsi nos sages situent l’apparition des forces négatives inhérentes à Haman durant la faute du premier homme au premier jour de son existence.
Justement, cette faute est indicatrice de la requête de boire du vin. En effet, la guémara enseigne (traité bérakhot, page 40a) : « il est enseigné : « l’arbre dont a mangé Adam Harichone », Rabbi Méir dit : c’était une vigne, car il n’y a rien d’autre qui cause autant de gémissements à l’homme que le vin »
Ainsi, il s’avère que nos sages nous demandent de revivre en quelque sorte, l’ivresse qui a causé la faute d’Adam. Tentons de comprendre quel est le but de l’objectif.
Le Arizal (cha’ar hakavanot, pourim, page 109, tour 4) dit : « Ce que nos sages ont dit qu’un homme est tenu de s’enivrer à Pourim jusqu’à ce qu’il ne sache plus distinguer entre »maudit soit Haman » et »béni soit Mordékhaï » concerne le fait que dans l’écorce du mal, il y a une étincelle de sainteté qui l’éclaire de l’intérieur et la fait vivre. C’est pourquoi il est nécessaire de bénir Haman afin d’insuffler la lumière sur cette étincelle. D’où la nécessité d’être ivre pour le faire, afin que cela soit fait de façon inconsciente car dans le cas contraire, nous éclairerions également les forces du mal »
Comme chacun le sait, la conséquence de la faute d’Adam, a été de mélanger la bien et le mal, rendant le bien prisonnier du mal. Dans chaque force négative se trouve maintenant une source positive qui l’alimente. C’est cette dernière que nous bénissons en disant »béni soit Haman » car ainsi, sans trop de concentration, nous parvenons à acheminer la bénédiction vers les étincelles captives dans les forces d’Haman. Il apparaît donc que l’objectif profond de notre ivresse vise à supprimer les forces qui alimentent Haman. De sorte, lorsque nous buvons du vin, nous revivons le moment de la faute d’Adam afin de parvenir à contrecarrer les effets de cette transgression. Puisque l’erreur d’Adam a transféré la sainteté vers l’impureté, nous cherchons à atteindre cette lumière prisonnière du mal afin de la libérer.
Il est d’ailleurs remarquable de souligner qu’Haman désirait pendre Mordékhaï sur un arbre de cinquante coudées. Ce passage de la méguila fait référence, pour beaucoup de nos maîtres, à l’arbre duquel Haman puise toute sa force : l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Haman a donc voulu rejouer la scène de la faute d’Adam afin de mettre les hébreux en péril. C’est d’ailleurs pour cela que la faute des juifs se situe dans leur participation au festin fait par le roi, et justement ce festin est appelé « le festin du vin », car c’est cette faute qui est ici mise en avant. Haman cherche donc à réveiller les forces négatives présentent lors de la faute d’Adam, afin de faire trébucher le peuple à nouveau et le conduire à sa perte.
Et cela nous conduit à la réponse de nos premières questions. À savoir, le but même de l’ivresse requise à Pourim. À savoir que nous cherchons à suivre le même cheminement qu’Haman dans le sens opposé, nous désirons revivre la faute d’Adam sans succomber au mauvais penchant, nous tentons ainsi de récupérer la pureté prisonnière de l’impureté. À ce titre, nous buvons du vin jusqu’à l’ivresse, pour, comme le précise le Arizal, atteindre un état nous permettant de bénir ces étincelles de sainteté contenues dans les forces du mal.
Sur cela, le Chlah Hakadoch (sur paracha tétsavé, pourim) explique que la mort de Rav Zeira s’est produite par le niveau exceptionnel qu’a atteint Rabba au cours du festin qu’ils ont réalisé ensemble, au point que Rabba a atteint des niveaux de compréhension de la torah titanesque, supprimant la place à toute forme de matérialité. Rav Zeira n’a pas pu supporter un tel dévoilement, et son âme l’a quitté, d’où sa mort ! Ainsi, Rabba n’a pas commis d’acte meurtrier, au contraire, il s’est investi de toute sa sainteté, il a dépassé le niveau usuel des hommes.
La conséquence de ce niveau, bien qu’elle nous semble triste dans cette histoire, puisqu’elle a provoqué la mort de Rav Zeira, est finalement positive. Car ainsi, Rabba est parvenu à revivre l’événement qu’à connu Adam, sauf qu’il est parvenu plus haut, il n’a pas fauté, il a anéanti, à titre personnel, les forces conséquentes à la faute d’Adam. Ce qui amène le ‘Hidouché Harim à dire qu’ayant atteint un tel niveau, Rabba est alors devenu capable de ressusciter les morts !
Et cela nous permet sans doute de comprendre son premier enseignement dans lequel il expliquait que le but de l’ivresse était de dépasser le niveau de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. À savoir que, lorsque nous vivons intensément Pourim, nous pouvons atteindre des sphères de dévoilement telles qu’elles remettent en cause la faute d’Adam. De sorte, nous pouvons parvenir à annuler la faute et rendre la mort obsolète ! Et c’est ce dont parvient Rabba, qui parvient à vivre un tel niveau de dévoilement, que même un maître du niveau de Rav Zeira ne peut le supporter. Dans une telle dimension, il devient capable de mettre la mort en échec et réussit à ramener son collègue à la vie.
Et en ce sens, nous comprenons comment il est possible d’en arriver à un tel niveau d’ivresse, au point de confondre Haman et Mordékhaï. En réalité, l’objectif n’est pas de les confondre, mais de parvenir à les séparer définitivement. Car, comme nous l’avons dit, Haman, tire ses forces de la faute d’Adam qui a mélangé le bien et le mal. Et, l’ivresse de Pourim vise à réparer cette faute, et à acheminer la lumière vers ces parcelles de lumière enfouies dans le mal. Le vin qui nous permet de rejouer le premier acte du monde, nous permet de dépasser l’état de cette faute, de parvenir à éclairer le bien qui est caché dans le mal, au point de l’extraire, et nous élever au stade où, comme pour Rabba, la mort ne domine plus !
Yéhi ratsone, que bientôt, nous puissions vivre une libération aussi fulgurante que celle que nous avons connue à Pourim, afin de nous affranchir définitivement, du mal et de nous connecter enfin à Hakadoch Baroukh Hou.
Pourim Saméa’h.