« Place les cieux comme refuge »
עליון תשים מעונך
Cours de Rabbi Yérou’ham (Mashguia’h de la Yéshiva de Mir)
Traduit et adapté par Rav Michael Smadja
La mitsva de la Soukka est expliquée par nos maîtres ainsi: « sors de ta résidence « fixe » « דירת קבע » et installe toi dans une résidence « précaire » « דירת ארעי » en souvenir des nuées de gloire ». Pendant tous les 40 ans pendant lesquels les enfants d’Israël voyageaient dans le désert, ils étaient guidés par les nuées. Là où elles les conduisaient, ils allaient. Les nuées s’arrêtaient, ils campaient, elles partaient, ils déménageaient. Quelques fois deux jours et une nuit, ils s’installaient puis décampaient, dès fois une seule nuit, dès fois plusieurs jours, plusieurs mois ou même plusieurs années mais chaque fois qu’ils s’installaient, ils ne savaient jamais pour combien de temps, ils devaient se fixer. Le Ramban précise que pendant ces 40 ans, ils étaient dans un état d’extrême difficulté, dans un état psychologique d’instabilité totale. Et par cela, ils ont pu acquérir toutes leurs perfections spirituelles et en vérité, cela était la preuve de leur stabilité, de leur « קבע« , de leur état éternel qu’ils avaient atteint dans le sacré, dans la קדושה. Car ils ont placés leur refuge dans les mondes supérieurs et ceci est la preuve de leur qualité de pureté et de sincérité envers D-ieu comme le verset l’exige: « תמים תיהי עם הי אלהיך » » intègre tu seras avec Hachem ton D-ieu ».
Explication: il faut remarquer qu’il y a trois étapes dans le texte.
1/ l’instabilité matérielle
2/ stabilité spirituelle
3/ intégrité- confiance absolue jusqu’à la naïveté.
Comment ces trois étapes s’imbriquent parfaitement sera le sujet de notre cours (avec l’aide de D-ieu ou plutôt si cela est la volonté de D-ieu).
1/ l’instabilité matérielle représente un état spirituel où l’ego n’a plus d’existence.
La matérialité n’est pas uniquement ce que nous comprenons superficiellement, c’est-à-dire l’envie d’abondance de biens matériels mais cela est beaucoup plus pernicieux que cela. Ressentir la permanence de ce monde, que le monde a une réalité dans le temps est déjà une preuve que notre perception est affectée, que nous sommes attachés à la matière et que nous nous y installons. Car en réalité, le temps n’est que pure fractionnement, le tic-tac d’une horloge nous montre bien que le temps s’échappe et n’est pas éternel. Il nous montre l’impermanence de la matière car la première création que D-ieu a créée, a été le temps par les mots « au commencement D-ieu créa le ciel et la terre »: « le commencement » étant la création du temps. Et donc vu que le temps physique est dans sa nature l’impermanence même, il en va de même pour la matière qui est créé par cette imbrication dans le temps.
Qu’est-ce qui fait que la matière va s’épaissir jusqu’à devenir une réalité qui perdure dans le temps? Cette envie de vouloir se l’accaparer. Le serpent primordial va essayer d’exister en nous, de se diffuser dans tout notre être et s’approprier tout ce que nos sens perçoivent et par cela le temps va devenir une réalité illusoire et la matière va se figer devant nous, en nous, jusqu’à ce que nous ne ressentions plus l’impermanence du temps et de la matière. Cela va se matérialiser par un ego surdimensionné qui va surgir dans toutes nos perceptions. Le fait que nous donnions simplement une définition à tout ce que nous percevions est une matérialisation de notre ego qui veut exister et donc cela va automatiquement donner une permanence à la matière. Ma vision perçoit une chaise, automatiquement mon ego va se l’accaparer. Comment? En la définissant, c’est une chaise dont l’utilité est de pouvoir s’asseoir, se reposer. Tiens je me sens fatigué, je voudrais bien m’asseoir dessus. Ça y est, j’ai accaparé ce que j’ai perçu. Je me suis imbriqué dans la matière, celle-ci est devenue mon monde, j’ai transformé l’impermanent en permanent. Comment le stress apparaît si ce n’est par le fait de vouloir s’accaparer le temps et la matière! Au lieu de vivre le temps tel qu’il est, fragmentation de l’énergie divine, nous le faisons perdurer. D’un passé, il devient un futur alors qu’en réalité, le passé et le futur n’existent pas ou n’existent plus. Seul le temps présent est réel. Mais ce moment présent, je le renvoie dans mon passé pour le prolonger dans mon futur.
Exemple: J’ai un rendez-vous professionnel dans une heure, comment le préparer? Je suis dans un temps T, mais je me remémore mon passé pour essayer de revivre les mêmes sensations que j’ai déjà vécues et qui ont été concluantes pour les projeter dans le futur. En fait je ne suis ni dans le passé car il n’existe plus, ni dans le futur car il n’existe pas encore et surtout je ne suis pas dans le moment présent, c’est cela qui va générer le stress. La peur de l’événement va m’empêcher de le vivre tel qu’il doit être vécu, volonté divine. Je suis en train de matérialiser le moment présent par une projection dans le passé et le futur qui le fait perdurer dans le temps. Et par cela, je donne une sensation d’éternité au moment présent, je l’installe dans une permanence illusoire, mon ego veut faire perdurer ce temps afin de pouvoir exister.
2/ stabilité spirituelle
Comment faire pour se sortir de ce cercle vicieux, de cette emprise du serpent? En percevant le temps tel qu’il est, éphémère, la matière devenant de plus en plus impermanente, desserrant l’étreinte du serpent. Percevoir l’impermanence de ce monde me fixera automatiquement dans le sacré, dans la réalité permanente de la nature divine qui nous fait exister, vivre et nous élever vers le divin.
Lorsque je percevrai l’instabilité de ce monde, je rentrerai automatiquement dans une stabilité spirituelle extraordinaire qui va diffuser en mon for intérieur une sérénité impassible qui fera que mes humeurs ne seront plus changeantes au gré des événements extérieurs et au contraire, au lieu d’être dirigé par les événements, je serai imperturbable m’enracinant dans une douce permanence au goût d’éternité.
3/ intégrité- confiance absolue jusqu’à la naïveté.
Cette sérénité, cette impassibilité, cette éternité va créer en moi un état d’intégrité, de confiance en D-ieu et de naïveté car du fait que les événements extérieurs seront perçus tels qu’ils sont réellement, impermanence, la vie la mort de chaque seconde vécue, va faire que je réaliserai la non-réalité de mes perceptions, de mes ressentis, de mes acquis et de mes certitudes qui va engendrer une perception extra-sensorielle de la matière où tout n’est qu’énergie divine impossible à saisir, si ce n’est de se fondre en annulant ses propres volontés devant la volonté divine, devenant un véhicule conduit par la providence divine, n’ayant plus aucun contrôle personnel. C’est cela être intègre, confiant en D-ieu et naïf. Se remettant à D-ieu sans aucun intérêt personnel qui viendrait polluer ma soumission à D-ieu.
רבינו ירוחם continue en donnant un moyen de savoir quelle est la place de ce monde dans ma vie?
Lorsque nous voyageons en train, quel est notre état spirituel? Suis-je déstabilisé par ce changement de situation faisant que mon étude de Torah va en être affectée ou bien je reste le même? Si le voyage me perturbe, c’est le signe que ce monde est mon monde et que mon état d’esprit en sera influencé. La fatigue du voyage se fera sentir. Par contre si la Torah est mon monde, alors peu importe quelle est la situation matérielle du moment, je serais imperturbable car mon monde est la Torah et là où je serais, ma spiritualité ne sera affectée.