Parachat Ytro (2)
Rav Moshé Shapira
Malheur aux créatures qui font honte à la Torah
Traduit et adapté par Rav Michael Smadja
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Le Midrash rapporte l’enseignement de Rabbi Yéhochoua ben Lévi qui dit que chaque jour une voix céleste s’élève du mont Sinaï et proclame: « malheur aux créatures qui font honte à la Torah. Car tout celui qui n’étudie pas la Torah est appelé ‘abandonné’« . Ici, il est écrit que cela arrive tous les jours. Et puisque cela est une voix céleste qui sort du mont ‘Horev, endroit d’où est sortie la Torah, il est certain que cela est lié à ce qui s’est passé au mont Sinaï. Il y a quelque chose qui découle obligatoirement du mont Sinaï lui-même. Cette même voix céleste qui est une conséquence des voix qui sont descendues sur le mont Sinaï. C’est-à-dire que des voix du mont Sinaï, a été engendrée automatiquement une voix céleste qui proclame « malheur à celui qui fait honte à la Torah« . Ce qu’il faut comprendre est que puisque cela s’entend tous les jours, comment se fait son cheminement? Quelle est la raison qui engendre cette voix céleste qui du mont Sinaï sort chaque jour et qui proclame ainsi: « malheur aux créatures qui font honte à la Torah ».
Dans le premier chapitre du Shéma, il est écrit « et devront être ces paroles que je t’ordonne aujourd’hui gravées dans ton cœur« . Nos sages apprennent du mot « aujourd’hui » que les paroles de Torah doivent être à tes yeux comme si elles sont données maintenant. Et on apprend aussi: « ces paroles de Torah doivent être tous les jours comme si elles sont nouvelles à tes yeux ». Nous apprenons donc que c’est une chose qui vient obligatoirement. Le fait de les considérer comme si elles sont données aujourd’hui est partie intégrante du don de la Torah. L’acceptation de la Torah nous oblige à l’appréhender comme si nous la recevions aujourd’hui.
Selon cela, il faut a priori comprendre que celui qui comprend, qui entend, celui qui tend son oreille qui s’intéresse aux voix elles-mêmes du mont Sinaï, alors les voix elles-mêmes lui disent ce qu’elles disent. Mais celui qui ne tend pas son oreille aux paroles de Torah, alors il reçoit sur lui, ce que ces paroles engendrent car ce que les paroles elles-mêmes ne peuvent faire, ne peuvent traverser, la voix céleste, elle, y arrive, atteint cette oreille. Et puisque la voix sort chaque jour, c’est-à-dire comment nous devons la recevoir, la manière dont nous devons recevoir la Torah. Nous devons tous les jours ressentir, nous mettre dans la dimension dans la réalité qu’aujourd’hui, la Torah nous a été donnée et que si nous nous éloignons de cette dimension de cette réalité qui est de ressentir que ces paroles sont données aujourd’hui, alors la voix du ciel est engendrée automatiquement car elle est issue de cette dimension et descend dans notre dimension de la matière où tout est régie par une réalité spatio-temporelle et proclame « malheur ». Tout celui qui ne reçoit pas sur lui chaque jour les paroles de Torah, ne se réalise pas alors sur lui la réception de la Torah et tombe dans la dimension de la voix céleste. La seule raison pour laquelle la voix céleste parle c’est parce que la voix de la Torah elle-même ne s’entend pas.
« Le troisième mois de la sortie d’Egypte, ce jour-ci, ils sont arrivés au mont Sinaï » Il n’y avait pas besoin d’écrire « ce jour-ci » mais « ce jour« ? Cela vient nous apprendre que les paroles de Torah doivent être sur nous comme si aujourd’hui elles sont données. Ce même jour où il est dit « ce jour-ci » aucune parole n’a été dite par D-ieu aux enfants à cause de la fatigue du chemin. Apprendre que les paroles de Torah doivent être perçues comme si elles nous sont données aujourd’hui, de ce jour même où aucune parole de Torah n’a été dite est très étonnant.
« Ils ont voyagé de Réfidim et sont arrivés au désert de Sinaï ».
Pourquoi était-il nécessaire de répéter d’où ils étaient partis? Voici qu’il est déjà mentionné auparavant qu’ils étaient partis de Réfidim ! Seulement cela vient relier le départ de Réfidim à l’arrivée au mont Sinaï, ce que leur arrivée était avec un retour vers D-ieu, même leur départ de Réfidim était avec un retour vers D-ieu.
Que vient nous apprendre cet enseignement ? Que nous apporte le fait de savoir à quel moment ils étaient en Téchouva? Le principal est qu’ils aient été en Téchouva au moment de la réception de la Torah.
« Réfidim » est un langage « rafouï » qui indique une faiblesse dans le service divin. Nous avons l’obligation de mentionner la sortie d’Égypte tous les jours. Nous avons le besoin de vivre, de mentionner, de se rappeler la sortie d’Égypte deux fois par jour, être rattaché à la sortie d’Égypte tous les jours et toutes les nuits. Ce qui est étonnant c’est qu’a priori ce qui serait le plus important de mentionner deux fois par jour serait plutôt le don de la Torah ! Mais la Torah ne nous a pas donnés cette obligation. Nous mentionnons la sortie d’Egypte dans la lecture du Shéma mais pas le don de la Torah ! Mentionner les Mitsvot, oui nous avons l’obligation de mentionner mais le moment, l’endroit où nous nous sommes tenus pour les recevoir, non !
En fait, il semble que nous nous trompons dans l’appréhension du souvenir de la sortie d’Égypte. Nous n’accomplissons pas cette Mitsva comme il se doit car l’appréhension de la sortie d’Égypte est en fait l’appréhension de sortir d’Égypte pour aller à la rencontre de la réception de la Torah. C’est une sortie qui a un but. Aller vers….c’est-à-dire aller vers le service divin et cela passe par le don de la Torah. La raison pour laquelle il nous est interdit d’oublier la sortie d’Égypte, la raison de la Mitsva est afin de recevoir la Torah. Le lien qu’il y a entre le Shéma et la sortie d’Égypte est que dans le chapitre de la sortie d’Egypte, sont mentionnées toutes les Mitsvot et par la sortie d’Égypte nous nous souvenons de toutes les Mitsvot. Nous associons le souvenir de la sortie d’Égypte au souvenir de toutes les מצוות [Mitsvoth].
L’accomplissement de la Mitsva de se rappeler de la sortie d’Égypte, nous l’accomplissons dans la lecture du Shéma, dans le temps où nous recevons sur nous le joug divin. C’est-à-dire qu’au moment où je me souviens de la sortie d’Égypte, je reçois automatiquement le joug des Mitsvot. C’est-à-dire que je mentionne deux fois par jour la sortie d’Égypte pour me souvenir où je dois aller, quel est mon but dans la vie et où devons-nous nous diriger. Vers où tourner notre esprit. La sortie d’Egypte est la sortie d’une dimension vers une autre dimension. Elle a pour but de changer de réalité. Le chapitre qui mentionne « la bénédiction du nouveau mois » est le départ de la délivrance dans son fondement. C’est la Paracha de la sortie d’Égypte. L’exil d’Egypte est la racine de tous les exils et la sortie d’Egypte est la racine de toutes les libérations. L’exil a commencé par « et un nouveau roi s’est levé » et le Talmud explique que « nouveau » cela veut dire « ses décrets se sont renouvelés« .
Pourquoi un nouveau roi s’est-il levé? Car nous avons abimé cette notion de nouveauté qui est en nous, ce « temps nouveau ». Pour cela ses décrets se sont réinventés. L’exil est exprimé dans la Torah par ce verset: « Lorsque vous engendrerez des enfants et des petits enfants et vous vous endormirez« . Cela veut dire que l’exil est cet engourdissement, cette somnolence de l’expression de notre vie. Cette impression de continuation « d’horizontalité » de notre vie. Alors que la libération est représentée par le verset « ce mois sera pour vous« . Cette impression de « verticalité » de notre vie. Le même point qui se renouvelle à chaque moment. L’exil et la libération, sont un point qui se reflète dans un miroir: une chose et son contraire. La somnolence et l’éveil. Nous pouvons à tout moment nous réveiller, retourner à un état d’éveil et atteindre cet état de « ce mois sera pour vous ». La somnolence, la non-remise en question est l’exil. La libération c’est l’éveil, le renouveau de chaque moment.
« Ce mois sera pour vous » a été une révolution dans la conception du temps, une véritable révolution dans l’ordre temporel. L’ordre naturel du temps s’organise, se matérialise par l’intermédiaire du soleil. Le monde est sous l’influence du soleil. Le temps, les jours, les mois sont placés sous l’influence du soleil, les saisons la chaleur le froid….tout dépend du soleil. Nous avons reçu l’ordre, au moment de la sortie d’Égypte, de sortir de l’ordre du temps qui dépend de l’influence du soleil, une conduite immuable. Il y a une conduite de la création qui est dépendante de la lune. Elle se renouvelle une fois par mois. La sortie d’Égypte a fixé le temps selon les mois, selon la lune. Notre conduite temporelle se fait selon les mois. C’est contre nature. L’ordre naturel est sous l’influence du soleil. Même notre année est associée avec les mois. Nous n’avons pas d’années, nous avons douze mois. Si nous voulons associer l’ordre des années avec l’ordre des mois, nous devons alors rajouter un mois tous les trois ans environs. Mais nous n’avons pas réellement une année. Soit elle est moins qu’une année ou plus qu’une année. Et ceci est la conséquence de la Paracha de la libération.
La libération se dévoile par ces mots « ce mois sera pour vous« . Le changement du temps, il passe de l’influence du soleil à l’influence de la lune. Et c’est cela la véritable réalité de la libération. Ce temps que nous vivons tout le temps, qui déverse sur nous son influence est un temps qui a une continuation, une suite linéaire, c’est-à-dire un passé qui perdure qui se perpétue, un passé qui devient un présent. C’est cela le temps que nous vivons, un passé qui perdure qui crée le présent. La libération nous apprend que notre réalité repose sur une autre base. Nous ne sommes pas des gens qui vivions sur un passé qui se perdure. Notre réalité ne se crée pas du passé, de notre vécu. Nous ne sommes plus sous l’influence du soleil. Notre réalité est de nous projeter dans le futur. Le transpondeur, le moyen de changer de dimension est ce point qui va transformer l’information. Au lieu de l’analyser selon mon passé, mon vécu, je vais la renvoyer dans le futur. Cette impulsion électrique qui se transforme en pensée, vais-je la tourner vers le passé ou vers le futur. Le passé crée une impression de réalité, conduite naturelle universelle. C’est la construction temporelle que tous les passants de ce monde traversent. Le temps est un flux qui perdure et nous espérons qu’il continue à se projeter jusqu’à cent vingt ans.
La libération est de réajuster la réalité de ce temps et de le diriger vers le futur. Le temps n’est qu’en fait qu’une création créée par le futur et non par le passé. La différence est que nous allons vers quelque chose qui n’existe pas encore alors que la continuation est de faire perdurer ce qui existe déjà. Et donc nous comprenons que cette nouvelle perception du temps crée alors une nouvelle perception de la vie, une autre réalité. Le futur est quelque chose qui n’existe pas encore et lorsqu’il va apparaître, deviendra réellement une nouveauté. Nous nous tenons sur la base que nous allons à la rencontre de la nouveauté. Donc il y a une différence existentielle entre cette dimension de « et ils s’endormaient » et la dimension de « aller à la rencontre de la nouveauté ». Cela est une révolution: se transporter d’une existence basée sur la continuation à la réalité d’aller vers une naissance, une nouveauté. Lorsque nous mentionnons la sortie d’Égypte deux fois par jour, il faut se relier automatiquement à ce temps de la réception de la Torah. Nous devons vivre dans ce temps qui nous a été dévoilé à la sortie d’Égypte. Vivre dans une réalité qui n’existe pas encore. De même que les mots « chana » « année » » et « h’odech » « mois » montrent une réalité différente et contraire de la perception du temps.
Comment a-t-on pu exiger de nous, d’abandonner l’obligation extrême de mentionner la réception de la Torah pour se concentrer sur l’obligation de mentionner la sortie d’Égypte qui n’est pas le but final, a priori? D’où tire-t-on cette énergie qui nous fait exister ? Du Mont Sinaï ou de la sortie d’Egypte ? En fait mentionner la sortie d’Égypte me transporte d’une dimension linéaire à une autre dimension où le temps n’a pas la même consistance et uniquement dans cette dimension nous pouvons percevoir la réception de la Torah comme quelque chose d’intemporelle et d’immatérielle pour ainsi ressentir qu’aujourd’hui et n’importe où, je suis en train de recevoir la Torah. Car en vérité, notre vie est basée sur la nouveauté à chaque moment nous créons le futur. C’est cela la réalité de notre temps. A tout moment et n’importe où je vis la Torah, je la reçois. Chaque moment est une impulsion nouvelle et différente de la précédente. Si réellement nous nous rattachons à cette réalité, alors nous ne construisons plus un futur basé sur le passé mais nous existons par le futur qui est la réalité extrême. Je construis moi-même ma réalité. Je crée mon don de la Torah. Je crée mon futur. C’est la lune qui est sous mon influence et non moi qui suis sous l’influence du soleil. Chaque pulsion de vie qui se matérialise, n’existe que par sa nouveauté, sans lien avec la pulsion précédente et donc disparaît au moment où elle apparaît car sa réalité n’est basée que sur le futur. En mentionnant la sortie d’Égypte, nous devons apprendre à ressentir que nous créons notre don de la Torah. A chaque moment, nous allons en direction du don de la Torah, à chaque moment que nous étudions, nous devons ressentir que nous sommes en train de recevoir la Torah, notre raison de vivre. Chaque pulsion qui se dégage de notre existence est pour recevoir la Torah. « Car ainsi est notre vie ». Il n’a jamais été occulté dans l’ordre journalier de notre vie ce « moment du don de la Torah ». Dans la sortie d’Égypte se trouve notre futur, notre aspiration, le mont Sinaï. Le Ramban écrit qu’il y a une Mitsva de ne pas oublier le moment où la Torah a été donnée dans ces termes: « mais nos yeux et notre cœur doivent être là-bas tous les jours« . Les yeux sont les organes qui servent à diriger où nous devons aller et le cœur engendre la pensée, ces deux organes doivent toujours être dans cette direction du mont Sinaï.
De même que leur arrivée au mont SinaÏ était en « Téchouva », ainsi leur départ de Réfidim était en « Téchouva ». Cela nous apprend que la véritable « Téchouva » n’est pas uniquement de vouloir recevoir la Torah, mais d’être dans une dimension de sortie d’Egypte, où notre futur est notre présent, je suis déjà au mont Sinaï. Toutes les étapes qui menaient au mont Sinaï devaient être dans cette dimension de la sortie d’Egypte. A Réfidim, ils se sont affaiblis de cette ambition qu’est le don de la Torah, c’est-à-dire la somnolence l’engourdissement, cette impression de traîner son passé et non aller à la rencontre de quelque chose. La Téchouva qui était en sortant de Réfidim c’est-à-dire que notre voyage doit être pour la réception de la Torah.
« Hachamaïm » les « cieux » est un mot qui veut dire que toutes les aspirations de toutes les créatures doivent être dirigées vers là-bas, vers chamaïm, c’est la réunion de tous les les « cham » les « là-bas » de tout l’univers. Le mot « cham » est la réponse à toutes les questions que l’on se pose. Vers quelle direction allons-nous? Vers là-bas. « arets » la terre est appelée ainsi au nom de la course, l’empressement, « ritsa ». Un Israël [Juif] est en réalité un homme qui est toujours empressé, qui provoque toujours l’interrogation: mais où cours tu? Je cours vers les cieux. Si nous comprenons exactement comme il le faut, alors les voix, les paroles qui ont été dites au mont Sinaï sont le concentré de toute la Torah et les deux premières paroles sont le concentré du concentré c’est-à-dire des dix paroles qui sont elles-mêmes le concentré de toute la Torah.
« Je suis Hachem ton D-ieu » est la racine de toutes les Mitsvot positives. « Tu n’auras pas » est la racine de toutes les Mitsvot négatives. Dès que D-ieu a dit « Je suis hachem », les paroles de Torah ont été enracinées dans leur cœur, et au moment où D-ieu a dit « tu n’auras pas« , s’est déraciné le mauvais penchant de leur cœur. Ce sont les deux seules paroles qui nous ont été transmises directement par D-ieu sans l’intermédiaire de Moshé. Chaque fois que nous mentionnons la sortie d’Égypte, cela est pour écouter les deux premières directement de D-ieu.
C’est-à-dire vivre à chaque moment ces paroles au présent. Nous sommes alors réellement au mont Sinaï. Ces deux paroles sont une réalité en nous. Elles sont notre réalité que nous éveillons. Une réalité obligatoire. D-ieu a renversé la montagne sur nous et a dit si vous acceptez la Torah, cela est bien sinon ici sera votre tombeau. Chaque jour, de cette montagne, une voix céleste sort et déclare « malheur à celui qui fait honte à la Torah« . Celui qui entend à chaque moment les voix, les médite. Même cette voix céleste a cette élévation de « ils ont vu les voix« . Sans miracle, nous voyons vraiment les voix. Ces voix qui viennent du mont Sinaï, se transforment en réalité sensitive. Ce ne sont pas des paroles mais des réalités. Nous devons les vivre comme nous vivons le Shabbat. C’est cela la dimension de la Torah.