Parashat Vayéshev – 5775 – Yéhouda Moshé Charbit
Parashat Vayéshev Charbit
בס״ד
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PARACHAT VAYÉCHÉV
La paracha de vayéchev raconte principalement les mésaventures de Yossef, l’aîné de Rahel Iménou et préféré de Yaakov. La torah raconte que les frères de Yossef nourrissaient un fort sentiment de haine vis-à-vis de lui. Cela s’expliquait par l’amour particulier que lui portait Yaakov, ainsi que par certaines attitudes de Yossef, entre autres, le fait qu’il rapportait à son père chacun des méfaits de ses frères. À cela, s’ajoutent les deux fameux rêves de Yossef dans lesquels toute sa famille se prosterne devant lui. Tout cela conduit les frères à la rancune au point de vouloir sa mort ! Un jour, alors que les frères font paître le troupeau de Yaakov, Yossef est chargé par ce dernier d’aller s’enquérir d’eux. Le voyant les rejoindre, les frères décident d’abattre Yossef et de masquer leur crime en faisant croire qu’une bête féroce était responsable du massacre. Sur intervention de Réouven, frère aîné, il est finalement décidé de jeter Yossef dans un puits. Suite à cela, voyant des marchands passer, Yéhouda suggère de sauver Yossef en leur vendant, plutôt que d’attenter à sa vie, tout en faisant croire à leur père que Yossef était effectivement mort. Yossef est donc vendu de marchand en marchand pour enfin arriver chez Potiphar, boucher de pharaon. La paracha raconte ensuite, la fameuse histoire de Tamar, qui risque sa vie pour ne pas faire honte à son beau-père Yéhouda de qui elle attend un enfant. Effectivement, Yéhouda n’était pas au courant qu’il était le père de l’enfant et soupçonnait Tamar d’attitude immorale. Pour ne pas l’humilier, Tamar lui transmet ses effets personnels qui témoignaient de sa bonne conduite. Lorsqu’il comprend qu’il est le père, et que Tamar n’a commis aucune faute, il empêche l’exécution de cette dernière. La paracha se conclut par la mise au cachot de Yossef, suite à son refus d’avoir des relations avec la femme de son maître. Là-bas, Yossef rencontre deux des officiers de pharaon à qui il donne l’interprétation de leur rêve.
Dans le 37ème chapitre de Béréchit, la torah dit :
:כג/ וַיְהִי, כַּאֲשֶׁר-בָּא יוֹסֵף אֶל-אֶחָיו; וַיַּפְשִׁיטוּ אֶת-יוֹסֵף אֶת-כֻּתָּנְתּוֹ, אֶת-כְּתֹנֶת הַפַּסִּים אֲשֶׁר עָלָיו
23/ Et ce fut lorsque Yossef arriva vers ses frères, et ils déshabillèrent Yossef de sa tunique, de la tunique de laine fine qui était sur lui.
:כד/ וַיִּקָּחֻהוּ–וַיַּשְׁלִכוּ אֹתוֹ, הַבֹּרָה; וְהַבּוֹר רֵק, אֵין בּוֹ מָיִם
24/ Ils le prirent, et le jetèrent dans le puits ; et le puits était vide, il n’y avait pas d’eau dedans.
כה/ וַיֵּשְׁבוּ, לֶאֱכָל-לֶחֶם, וַיִּשְׂאוּ עֵינֵיהֶם וַיִּרְאוּ, וְהִנֵּה אֹרְחַת יִשְׁמְעֵאלִים בָּאָה מִגִּלְעָד; וּגְמַלֵּיהֶם נֹשְׂאִים, נְכֹאת וּצְרִי וָלֹט–הוֹלְכִים, לְהוֹרִיד מִצְרָיְמָה׃
25/ Ils s’assirent pour manger du pain, ils levèrent les yeux et virent : et voici, une caravane d’Yichmaëlim venait de Guiléad.
כו/ וַיֹּאמֶר יְהוּדָה, אֶל-אֶחָיו: מַה-בֶּצַע, כִּי נַהֲרֹג אֶת-אָחִינוּ, וְכִסִּינוּ, אֶת-דָּמוֹ׃
26/ Yéhouda dit à ses frères : Quel profit y a-t-il, si nous tuons notre frère et si nous couvrons son sang ?
כז/ לְכוּ וְנִמְכְּרֶנּוּ לַיִּשְׁמְעֵאלִים, וְיָדֵנוּ אַל-תְּהִי-בוֹ, כִּי-אָחִינוּ בְשָׂרֵנוּ, הוּא; וַיִּשְׁמְעוּ, אֶחָיו׃
27/ Venez, vendons-le aux Yichmaëlim et que notre main ne soit pas contre lui car il est notre frère, notre chair ; et ses frères écoutèrent.
כח/ וַיַּעַבְרוּ אֲנָשִׁים מִדְיָנִים סֹחֲרִים, וַיִּמְשְׁכוּ וַיַּעֲלוּ אֶת-יוֹסֵף מִן-הַבּוֹר, וַיִּמְכְּרוּ אֶת-יוֹסֵף לַיִּשְׁמְעֵאלִים, בְּעֶשְׂרִים כָּסֶף; וַיָּבִיאוּ אֶת-יוֹסֵף, מִצְרָיְמָה׃
28/ Il passa des gens de Midiane, des marchands, ils tirèrent et firent remonter Yossef du puits, ils vendirent Yossef aux Yichmaëlim pour vingt pièces d’argent et ils amenèrent Yossef en Égypte.
Le midrach Pirké déRabbi Éliézer enseigne que la vente de Yossef aux Yichmaëlim s’est faite contre vingt pièces d’argents. Cette somme a servi à chacun des dix frères à acheter des chaussures. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous lisons la haftara dont le verset six dit « עַל-מִכְרָם בַּכֶּסֶף צַדִּיק, וְאֶבְיוֹן בַּעֲבוּר נַעֲלָיִם parce qu’ils vendent le juste pour de l’argent et le pauvre pour une paire de sandales ».
Ce midrach est énigmatique dans la mesure où nous ne voyons pas l’intérêt de son enseignement. Pourquoi s’arrêter sur un détail si négligeable ? Quel lien relie l’achat de chaussures à la vente de Yossef ?
Pour tenter d’aborder ce sujet, il convient de s’arrêter un instant sur l’action de couvrir nos pieds. Pour beaucoup il peut s’agir là d’un acte parfaitement anodin et dénuer d’explication profonde. Seulement, chaque matin nous récitons la bénédiction « שעשה לי כל צרכי qui m’a fait tout ce dont j’ai besoin » qui correspond à l’étape d’enfiler des chaussures. Pourquoi remercier Hakadoch Baroukh Hou pour une action si simpliste ? D’autant que dans le texte de cette bénédiction, le lien avec les chaussures semble nous échapper. En quoi, couvrir nos pieds représente t-il l’ensemble de nos besoins ?
Nous voyons bien que cette action si banale est finalement plus complexe qu’elle n’y paraît. À ce titre, nos sages enseignent dans le traité de talmud chabbat (page 129a) « Un homme devrait aller jusqu’à vendre les poutres de sa maison afin d’obtenir des chaussures pour ses pieds ». Sur cela, Rachi ajoute : « Il n’y a pas plus grande honte que de marcher pieds nus ».
Les propos de nos sages sont relativement forts et il convient de tenter d’en saisir le sens. Évidement, lorsque Rachi parle d’humiliation, son intention ne se porte pas sur une humiliation basique mais plutôt d’ordre spirituelle. Il faut comprendre qu’au sens de la torah, (cf bné Yissa’har) le fait de porter des chaussures ne répond pas à un besoin mais à une obligation spirituelle. En effet, comme nous l’avons vu à plusieurs reprises, la terre a été maudite lors de la faute d’Adam Harichone. Depuis, il est devenu nécessaire de marquer une séparation entre nous et elle de par l’impureté conséquente à la malédiction. D’où la nécessité de la chaussure. Par contre, dans les lieux extrêmement saints, nous remarquons que la torah demande de retirer les chaussures comme ce fut le cas avec Moshé : la première fois où Hachem s’adresse à lui face au buisson, il lui demande de retirer ses chaussures en précisant que le lieu dans lequel il se trouve est saint. La présence divine donne un caractère béni au lieu où elle se trouve et la terre qui est présente supprime toute trace de l’impureté inhérente à la malédiction d’Adam pour faire place à Hachem. Elle devient sainte et ne nécessite plus d’être éloignée de l’homme. Dans un tel lieu, il convient de marcher pieds nus.
Il est intéressant de souligner que cette notion se retrouve durant la fête de Kippour pour laquelle il est interdit de porter des chaussures (en cuire). Dans l’introduction de certains livres de prières de Yom Kippour, il est rapporté la raison profonde de l’interdiction de porter des chaussures (en cuire) en ce jour. Il s’agit de comprendre que ce jour précis, les bné-Israël font téchouva et élèvent le monde dans des sphères spirituelles extrêmement saintes. Par cela, chaque composant de notre univers se trouve sanctifier et la terre sur laquelle nous marchons est également inclus dans ce processus. La sainteté que revêt alors la terre est telle que la trace de la malédiction s’efface et les chaussures ne trouvent plus leur justification.
Nous comprenons par là, pourquoi nous entamons nos matinées par la récitation de la bénédiction « שעשה לי כל צרכי qui m’a fait tout ce dont j’ai besoin ». Mettre nos chaussures constitue l’essence même de ce que nous avons besoin dans la mesure où cela symbolise la mise à l’écart des forces du mal et de l’impureté qui les caractérise. L’objectif de tout juif étant de s’approcher de la pureté, nous remercions Dieu de nous accorder cette opportunité par le simple fait de mettre des chaussures et de marquer une frontière avec la terre.
Toutes ces raisons expliquent pourquoi à Kippour précisément nous ne mettons pas nos chaussures comme habituellement, et pourquoi Moshé a dû retirer les siennes face à Hachem.
Nos sages expliquent que suite à la faute d’Adam, la mission de l’homme sur terre a changé. Dorénavant tout l’objectif de sa vie doit s’orienter vers la réparation de cette faute et vers la ré-acquisition du statut qu’était le sien avant la faute. La sainteté qui nous a échappé doit retrouver sa place et être rétablie comme partie intégrante de l’homme. Beaucoup de générations sont passées depuis Adam avant d’arriver à Avraham. C’est lors de leur avènement, que les patriarches ont débuté ce travail de retour à l’état originel et que l’essentiel de la tâche a été accomplie. Dans cette action qu’a été la leur, se trouve la raison profonde pour laquelle ces hommes d’exception ont eu le mérite extraordinaire d’être enterrés dans le tombeau de Ma’hpéla, aux côtés d’Adam et ‘Hava. Étant ceux qui ont entrepris de réparer l’erreur des deux premiers êtres de notre monde, il convient que leur repos se fasse dans cet endroit si spécial. De même, nous notons que les trois patriarches sont nés le jour de Roch Hachana, jour où coïncident la naissance et la faute d’Adam. Yaakov avinou qui était le plus choyé des patriarches a entrepris la réparation de la faute d’Adam sous l’égide du « Émeth », de la vérité absolue, et c’est lui qui a achevé la charge de ses deux prédécesseurs.
Au vu de ces explications, Rav David Cohen (cf maassé avot siman labanim, tome 3, page 139) explique que, côtoyant Yaakov avinou, ses fils vivaient dans un espace où la faute d’Adam n’avait plus sa place. Plus encore, comme nous l’avons déjà expliqué ailleurs, la malédiction de la terre est issue de son refus d’obéir à un ordre direct de Dieu. En sommes, cette malédiction est la conséquence de l’existence du yester hara qui pousse le monde à se rebeller et à transgresser les ordres de Dieu. Toutefois, cette notion du yester hara ne trouvait plus sa place face à Yaakov, dans la mesure où, dans la paracha de la semaine dernière, Yaakov a combattu l’ange d’Essav. Cet ange n’est autre que le yetser hara lui-même qui s’est trouvé mis à mal et vaincu par Yaakov. L’ange du mal est donc soumis et ne peut plus faire son effet face à un tel homme. Nous comprenons donc à quel point, Yaakov vivait dans une sphère où toute trace du mal ne trouvait sa place. De facto, les traces de l’impureté de la terre ne trouvent nulle part où se poser en présence de Yaakov. Du coup, ses fils marchaient littéralement pieds nus car la terre qu’ils foulaient était sainte et ne convenait pas à l’utilisation de chaussures !
Mais après la faute de la vente de Yossef, les fils de Yaakov ne peuvent plus prétendre à l’adhésion avec leur père. La malédiction de la terre revient sous leurs pieds pour deux raisons. La première se trouve dans le fait qu’ils ont dû verser le sang d’une bête pour dissimuler la vente de leur frère et faire croire à sa mort. À ce titre, nos sages comparent leur attitude à celle d’un meurtre. Or, lorsque Caïn a tué son frère Ével la torah dit (Béréchit, chapitre 4, verset 11) :
וְעַתָּה, אָרוּר אָתָּה, מִן-הָאֲדָמָה אֲשֶׁר פָּצְתָה אֶת-פִּיהָ, לָקַחַת אֶת-דְּמֵי אָחִיךָ מִיָּדֶךָ
Et maintenant, sois-tu maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recueillir les sangs de ton frère de ta main.
Nous voyons que la terre elle-même transmet sa malédiction à celui qui fait couler le sang. Ainsi, les frères retournent à l’état d’êtres humains normaux et ne peuvent plus prétendre fouler une terre rayonnante de sainteté. Ils doivent dorénavant porter des chaussures et marquer la séparation avec l’impureté de la terre.
Une seconde raison peut être évoquée. Il s’agit de rappeler ce que nous avons dit plus haut, à savoir que l’approche de la réparation entrepris par Yaakov se base sur le Émeth, la vérité absolue. Or, pour camoufler leur crime, les frères ont eu recours au mensonge et n’ont pas avoué à leur père ce qu’ils avaient fait. Par cela, ils se sont éloignés de l’attitude de leur père et ont perdu le mérite de vivre dans une sphère habitée uniquement par la sainteté !
De cette explication nous pouvons comprendre l’attitude requise pour les endeuillés qui doivent rester assis par terre et n’ont pas le droit de porter de chaussures. Peut être que la justification se trouve être l’inverse de celle fournie pour Kippour. À savoir que lorsque nous côtoyons la mort nous saisissons les répercussions de la faute d’Adam qui a apporté la mort dans le monde. Et si un défunt se trouve devant nous c’est bien parce que nous ne sommes pas encore parvenu à réparer cette faute, qu’elle nous imprègne encore. C’est pourquoi nous soulignons cela en nous mettant à terre, car justement nous sommes atteints par le même mal qu’elle. De même pour le jour du 9 av où nous nous rappelons que nos fautes sont la source de la destruction et de la non-reconstruction du beth Hamikdach.
Yéhi ratsone qu’en tant que descendant d’Avraham Yitshak et Yaakov, nous parvenions nous aussi à nous hisser à un niveau nous permettant d’effacer les traces de cette faute, et que cela nous amène à mériter de nous relever du sol et de construire le beth hamikdach biméra béyaménou amen ken yéhi ratsone.
Chabbat Chalom.
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