Parashat Vaét’hanane – 5776 – Yéhouda Moshé Charbit
Parashat Vaét’hanane
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בס״ד
Pour l’élévation de l’âme de ‘Hanna bat Esther.
La paracha de Vaét’hanan débute par la prière de Moshé qui tente de briser le décret l’empêchant d’entrer en terre d’Israël. Malgré toutes ses tentatives, le Maître du monde refuse d’accéder à la requête de Moshé. Toutefois, Il lui accorde tout de même la possibilité d’observer la splendeur de la terre promise. C’est ensuite que Moshé doit encourager Yéhochoua son successeur dans la lourde tâche de faire entrer le peuple en Israël. Moshé poursuit ensuite avec un rappel de l’importance et de la justesse des lois qu’Hachem nous a transmises au Mont Sinaï, lorsqu’Il nous a légué, les dix commandements après nous avoir sortis d’Égypte. Ces dix commandements seront même intégralement répétés à la suite des différentes lois que Moshé rappelle au peuple. Notre paracha cite également le premier paragraphe du chéma Israël, qui constitue l’acte de foi basique que nous devons dire matin et soir. La paracha se conclut par des rappels des fautes passées et un appel de Moshé à ne pas renouveler l’attitude négative que leurs ancêtres ont eu durant les quarante années dans le désert.
Dans le chapitre 3 de Dévarim, la torah dit :
:כג/ וָאֶתְחַנַּן, אֶל-יְהוָה, בָּעֵת הַהִוא, לֵאמֹר
23/ J’implorai Hachem à cette époque, en disant:
כד/ אֲדֹנָי יְהוִה, אַתָּה הַחִלּוֹתָ לְהַרְאוֹת אֶת-עַבְדְּךָ, אֶת-גָּדְלְךָ, וְאֶת-יָדְךָ הַחֲזָקָה–אֲשֶׁר מִי-אֵל בַּשָּׁמַיִם וּבָאָרֶץ, אֲשֶׁר-יַעֲשֶׂה כְמַעֲשֶׂיךָ וְכִגְבוּרֹתֶךָ׃
24/ Seigneur Hachem déjà tu as rendu ton serviteur témoin de ta grandeur et de la force de ton bras; et quelle est la puissance, dans le ciel ou sur la terre, qui pourrait imiter tes œuvres et tes merveilles?
:כה/ אֶעְבְּרָה-נָּא, וְאֶרְאֶה אֶת-הָאָרֶץ הַטּוֹבָה, אֲשֶׁר, בְּעֵבֶר הַיַּרְדֵּן: הָהָר הַטּוֹב הַזֶּה, וְהַלְּבָנֹן
25/ Laisse-moi, s’il Te plait, traverser, que je voie ce bon pays qui est au delà du Jourdain, cette belle montagne, et le Liban! »
:כו/ וַיִּתְעַבֵּר יְהוָה בִּי לְמַעַנְכֶם, וְלֹא שָׁמַע אֵלָי; וַיֹּאמֶר יְהוָה אֵלַי, רַב-לָךְ–אַל-תּוֹסֶף דַּבֵּר אֵלַי עוֹד, בַּדָּבָר הַזֶּה
26/ Mais Hachem, irrité contre moi à cause de vous, ne m’exauça point; et Hachem me dit: « Assez! Ne Me parle pas davantage à ce sujet.
כז/ עֲלֵה רֹאשׁ הַפִּסְגָּה, וְשָׂא עֵינֶיךָ יָמָּה וְצָפֹנָה וְתֵימָנָה וּמִזְרָחָה–וּרְאֵה בְעֵינֶיךָ: כִּי-לֹא תַעֲבֹר, אֶת-הַיַּרְדֵּן הַזֶּה׃
27/ Monte au sommet du Pisga, porte ta vue au couchant et au nord, au midi et à l’orient, et regarde de tes yeux; car tu ne passeras point ce Jourdain.
Cette paracha de la prière de Moshé est riche en enseignements. Une question fondamentale ressort de ce passage. Nos sages enseignent que Moshé a prié 515 téfilot avant de se voir stopper par Hachem. La valeur 515 est déduite du premier mot de notre paracha, »ואתחנן et j’ai imploré » de par sa valeur numérique. Une lecture simpliste de ce passage nous pousserait à croire que ces 515 prières ont été récitées simultanément, à la veille de la mort de Moshé. Seulement, une telle compréhension semble aberrante, car même pour un homme de l’envergure de Moshé, prier autant en une journée serait difficile, sans parler des conséquences de perte de temps sur son étude de torah ou pour toutes les autres mitsvot qu’il aurait dû accomplir dans la journée. C’est pourquoi, sa prière ne s’est clairement pas concentrée sur cette si courte durée, comme nous allons le voir. La question qui se pose sur ce premier passage consiste à comprendre la valeur dont nos sages nous font l’enseignement. Comment par une simple valeur numérique, nos sages ont-ils affirmé que Moshé a prié 515 téfilot ? Certes, le raisonnement est cohérent car le mot »ואתחנן et j’ai imploré » fait référence à la prière. Toutefois, il semble dur d’admettre que cette simple valeur numérique suffise pour attester du nombre de prières prononcées par Moshé, car en découvrant un résultat si grand, nos sages auraient pu se dire que c’est un bien trop grand nombre pour que Moshé ait pu le faire en une journée. C’est ce qui nous a poussés à expliquer que la prière de Moshé s’étend sur une plus longue période et que le décompte de nos sages ne se fait pas sur une simple guématria.
Un autre point attire notre attention, celui de la réponse d’Hachem. En effet, Rachi (sur le traité brakhot, page 32b) fait l’enseignement suivant : « Rabbi Él’azar a dit : la prière est supérieure aux bonnes actions. Car tu n’as pas plus grand que Moshé en ce qui concerne les bonnes actions et malgré tout, il n’a obtenu de réponse que par sa prière, comme il est dit »ne continue pas à me parler » et ensuite il est juxtaposé le verset suivant »monte au sommet du Pisga » ». Ce texte nous expose clairement que Moshé a eu une réponse à sa demande lorsqu’il a eu le droit de monter sur le sommet de Pisga pour contempler la terre d’Israël. Ceci est difficile à comprendre, en quoi le fait de pouvoir observer la terre sainte constitue une réponse à la requête de Moshé qui souhaite entrer dans la terre ?
Nous comprenons que le débat entre Hachem et Moshé n’est pas une simple demande naïve d’un enfant à son père, il s’agit d’un débat en réalité très profond que nous allons tenter d’éclaircir.
Le Pné Yéhochou’a (sur le traité brakhot, page 32a) apporte des réponses édifiantes à nos interrogations. La première chose qu’il avance va dans le sens de ce que nous avons souligné plus haut comme quoi, nos sages ne se sont servis de la valeur numérique du mot »ואתחנן et j’ai imploré » qu’à titre d’allusion, mais la valeur 515 est en réalité déduite d’un calcul concret. Le premier verset lui-même nous indique la période du début des prières, lorsqu’il est écrit « בָּעֵת הַהִוא en ce temps-là », sur quoi Rachi explique : « Après que j’ai conquis le pays de Si’hon et de ‘Og, j’ai pensé que le vœu [d’interdiction d’entrer en Erets Yisrael] avait peut-être été annulé ». C’est donc suite aux guerres en question que Moshé commence à implorer le Maître du monde.
Le Pné Yéhochou’a explique que la remarque de Rachi se base sur ce qui est écrit dans le deuxième chapitre de Dévarim, lorsque la torah dit :
:כד/ קוּמוּ סְּעוּ, וְעִבְרוּ אֶת-נַחַל אַרְנֹן–רְאֵה נָתַתִּי בְיָדְךָ אֶת-סִיחֹן מֶלֶךְ-חֶשְׁבּוֹן הָאֱמֹרִי וְאֶת-אַרְצוֹ, הָחֵל רָשׁ; וְהִתְגָּר בּוֹ, מִלְחָמָה
24/ Allez, mettez-vous en marche, et passez le torrent de l’Arnon. Vois, je livre en ton pouvoir Si’hon, roi de ‘Hechbon, l’Amorréen, avec son pays; commence par lui la conquête! Engage la lutte avec lui!
:כה/ הַיּוֹם הַזֶּה, אָחֵל תֵּת פַּחְדְּךָ וְיִרְאָתְךָ, עַל-פְּנֵי הָעַמִּים, תַּחַת כָּל-הַשָּׁמָיִם–אֲשֶׁר יִשְׁמְעוּן שִׁמְעֲךָ, וְרָגְזוּ וְחָלוּ מִפָּנֶיךָ
25/ D’aujourd’hui, je veux imprimer ta crainte et ta terreur à tous les peuples sous le ciel, tellement qu’au bruit de ton nom, l’on frémira et l’on tremblera devant toi. »
Sur ces versets, le midrach enseigne qu’à cet instant Hachem a mis l’ange des Émoréens aux pieds de Moshé accordant à Moshé une ouverture pour prier et tenter d’annuler le décret d’interdiction d’entrer en Israël.
Nos sages (traité baba batra, page 121a) nous dévoilent la date à laquelle a eu lieu cet événement : il s’agissait du 15 av, lorsque tous bné-Israël présents lors de la révolte des explorateurs, ont rendu l’âme. C’est justement à ce moment que Moshé a eu de nouveau le droit de parler avec Hachem, car durant les quarante ans où les bné-Israël périssaient, de par le deuil que cela imposait, la parole divine ne s’est pas manifestée devant Moshé. C’est donc ce jour là, où Moshé débute sa tentative de convaincr Hachem. Cette tentative se termine le jour de la mort de Moshé, soit le 7 Adar. En comptant le nombre de jours qui sépare ces deux périodes, (d’un mois plein sur deux) nous obtenons 200 jours. À base de trois prières par jours, nous atteignons 600 téfilot. Cependant, nos sages enseignent que le chabbat, il est interdit pour le particulier de faire ses demandes, c’est pourquoi il faut retirer les 28 chabbatot qu’il y a eu durant cette période, ce qui fait 74 prières en moins, ne laissant plus que 516 prières à l’actif de Moshé. Toutefois, il faut prendre en considération un détail : Hachem ne s’adressait à Moshé que durant le jour et pas la nuit qui est le moment où le mal s’épaissit, ce qui signifie que, le 15 av, lorsque Moshé entend à nouveau Hachem, la prière d’arvit de la veille est déjà passée, et Moshé n’est donc pas encore au courant qu’il peut implorer Hachem dans la mesure où l’ange des Émoréens n’est pas encore à ses pieds. En clair, Moshé n’a commencé à prier que le lendemain matin, ne comptant alors que 515 téfilot ! C’est suite à ce calcul que nos sages ont appuyé ce résultat sur la valeur numérique du mot »ואתחנן et j’ai imploré » !
C’est alors, qu’à la veille de sa mort, juste avant la 516ème prière, Hachem interrompt Moshé et l’empêche de faire cette ultime demande, qui aurait été exaucée si elle avait été formulée. Cela nous amène à une question pertinente. Le résultat nous prouve que la décision d’Hachem était prise et qu’Il ne comptait pas en changer. Pourquoi alors est-ce seulement au terme d’une si longue période qu’Hachem stoppe Moshé ? Pourquoi cette 516ème bénédiction était-elle si cruciale et capable de changer les choses, plus que toutes les autres ?
Le Pné Yéhochou’a explique que justement la tentative de Moshé allait aboutir, car ce chiffre n’est pas anodin. Comme nous le savons, le nom de Dieu qui renvoie à la rigueur est « אלהים Dieu ». Or, le maître explique au nom de la guémara qu’il existe six tribunaux célestes chargés d’appliquer cette rigueur. Moshé tente donc d’adoucir chacun de ces tribunaux afin d’annuler le décret à son encontre. Ainsi, par six reprises, il tente d’annuler la rigueur, le nom « אלהים Dieu » dont la valeur numérique est 86, ce qui correspond bien à 516 téfilot ! C’est pour cette raison qu’Hachem l’arrête juste avant, à la 515ème prière et pas avant car jusque là, la rigueur est maintenue et il n’y a pas lieu d’empêcher Moshé de prier.
Dans cette optique, le ‘Hatam Sofer (sur notre paracha) écrit ce que nos sages enseignent comme quoi, lorsqu’Hachem a créé le monde, Il souhaitait initialement le baser uniquement sur la rigueur. Cependant, le monde tel qu’il est créé, ne peut supporter d’être si strict, c’est pourquoi il y a associé l’attribut de miséricorde. Toutefois, Il n’a pas retiré l’ambition de n’appliquer que la rigueur et a fini par l’appliquer sur Moshé Rabbénou. Ceci explique une chose intéressante que rapporte le ‘Hatam Sofer. En effet, nos sages précisent qu’Hachem a juré à Moshé qu’à chaque fois qu’il invoquerait les treize attributs de miséricorde, ce ne serait pas en vain. Et pourtant, le Maharam chif stipule que Moshé a usé de ces attributs pour annuler son décret, mais en vain, puisqu’il n’est pas entré en Israël. Car en réalité, l’application de ces attributs ne concerne que les bné-Israël dans leur ensemble, mais à titre individuel, Moshé a compris qu’avec lui, ils n’avaient pas d’emprises dans la mesure où Hachem lui exprime Son désir de n’appliquer que la rigueur avec Moshé.
Cela met en relief notre seconde question. Puisque Moshé n’a pas été exaucé, que signifie donc la réponse qu’Hachem lui donne en lui demandant de monter au sommet de Pisga pour contempler la terre ?
Le Kémotsé Chalal rav (dévarim, parachat vaét’hanan, page 74) cite la guémara suivante (traité sot, page 14a) : « Rav Simlaï a expliqué : Pour quelle raison Moshé a tant désiré entrer dans la terre d’Israël ? Avait-il besoin de manger de ses fruits ? Avait-il besoin de profiter de son bien ? Seulement, ainsi Moshé a dit : sur beaucoup de mitsvot le peuple d’Israël a reçu des injonctions, et beaucoup d’entres elles ne peuvent s’appliquer qu’en Israël. Je vais entrer en Israël afin de toutes les appliquer de mes mains. »
Cela démontre que l’intention réelle de Moshé est d’accomplir les lois de la torah et non de profiter de la terre. Le fait de pouvoir la regarder en restant à l’extérieur n’est donc pas ce qu’il souhaite. C’est pourquoi nos sages expliquent que, bien qu’étant privé de vivre sur la terre sainte, Moshé se voit tout de même accorder le mérite des mitsvot qu’il souhaitait accomplir, bien qu’il n’ait pas pu le faire de façon concrète.
Où trouvons-nous qu’Hachem lui accorde ce mérite ?
Le Pné Yéhochou’a (traité brakhot, page 32b) apporte trois réponses, nous nous attarderons sur la troisième. Rav Ami enseigne dans la guémara (traité chabbat, page 63a) : « Même s’il a pensé faire une mitsvah mais n’a pas pu la faire, empêché par un cas de force majeur, la torah considère qu’il l’a accomplie ». Toutefois, il existe une différence entre obtenir le mérite d’avoir accompli une mitsvah et le fait de l’accomplir concrètement. Car, la personne qui accomplit une mitsvah reçoit la récompense de cette mitsvah même si elle n’est pas parvenue à en saisir tout le sens. Or, même un homme aussi grand que Moshé n’est pas parvenu à comprendre parfaitement le sens des mitsvot car, sur les cinquante niveaux de compréhension de la torah, Moshé s’est arrêté au 49ème. Toutefois, l’accomplissement d’une mitsvah de façon concrète permet d’atteindre le mérite total de celle-ci, au travers des 50 niveaux de compréhension, car dans les faits, la personne accomplit le décret du Roi !
C’est dans cet objectif que Moshé désirait tant pouvoir pénétrer en terre sainte pour y accomplir les mitsvot. Car, en ne se limitant pas à leur conceptualisation mais en allant jusqu’à leur pratique réelle, Moshé pouvait bénéficier d’un salaire parfait pour ces mitsvot, chose qu’il ne pouvait pas envisager par la simple pensée de ces mitsvot.
Ainsi la réponse d’Hachem prend tout son sens : « עֲלֵה רֹאשׁ הַפִּסְגָּה, וְשָׂא עֵינֶיךָ…וּרְאֵה בְעֵינֶיךָ Monte au sommet du Pisga, porte ta vue … et regarde de tes yeux ». Sur cela, le midrach (Yalkout chimoni, sur notre paracha) explique qu’Hachem lui a fait voir toute la terre. Par cela, Il a donné la force à ses yeux de voir ce qu’aucun œil ne peut voir, car avant sa mort, Moshé a accompli ce qui est dit « aucun œil n’a vu Dieu si ce n’est toi », car Moshé a mérité dans sa vie d’obtenir le plus haut niveau de l’âme, appelé yé’hida, qui constitue la perception du 50ème niveau de compréhension de la torah ! Dès lors, la pensée de Moshé pénètre parfaitement toutes les mitsvot au point de supprimer la différence entre pratiquer et penser une mitsvah ! En ce sens, certes Moshé n’a pas été exaucé comme il l’aurait souhaité, mais a eu le mérite extraordinaire d’accéder à la compréhension absolue des mitsvot avant sa mort !
Cela nous apprend un grand ‘hizouk. Moshé rabbénou, dont la punition paraît extrême au vu de sa faute, a prié Hachem pour implorer Sa miséricorde. Nous pourrions croire qu’un tel homme serait facilement exaucé ou du moins qu’Hachem lui expliquerait rapidement que sa prière ne devait pas être exaucée. Et pourtant, ce n’est pas seulement durant quelques jours que Moshé a prié, mais près de huit mois ! Durant tout ce temps, il n’a eu absolument aucune réponse de la part d’Hachem, alors qu’il Lui parlait tous les jours ! C’est dire combien il faut parfois s’armer de patience et prendre conscience que nos téfilot ne serons pas nécessairement exaucées rapidement. Il faut persévérer et persister car, à l’image de Moshé, peut-être auront nous le mérite d’obtenir une réponse que nous n’aurions jamais envisagée !
Chabbat chalom.
Y.M. Charbit
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