Divré Torah Parashat Tazria – 5776
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
PARACHAT TAZRIA
La parachat Tazria traite des différents moyens de devenir impur et des règles à suivre, en fonction des différents cas, pour retourner à l’état de pureté. Ainsi, la paracha débute par l’impureté liée à l’accouchement en fonction du sexe de l’enfant. Après la période d’impureté qu’elle contracte lors de sa délivrance, la Torah définit l’offrande que devra apporter la mère. La paracha poursuit en parlant du cas de tsaraat. Souvent traduit par lèpre, la tsaraat est en réalité une maladie divine très particulière qui atteint une personne qui aurait dit du lachon hara (médisance). La tsaraat est une tâche qui apparaît en premier lieu sur les murs de la maison, puis sur les habits de son propriétaire et qui finit par atteindre son corps. La Torah octroie exclusivement au Cohen la capacité de déterminer si la tâche qui est survenue est une tâche de tsaraat ou pas. C’est pourquoi le texte définit les différents types de tâches qui peuvent apparaître, en les classant en fonction des différents endroits où elles peuvent survenir sur la personne, ainsi que les règles à suivre en cas de doute. À savoir que, si la tâche est clairement une tsaraat, alors le Cohen déclare l’individu impur et il devra suivre le processus de purification qui consiste à se retirer du camp des bné-Israël jusqu’à ce qu’il guérisse. Cependant, en cas de doute, le Cohen consigne la personne atteinte dans sa demeure pour une période de sept jours au terme desquels il reviendra examiner l’individu. La paracha de Tazria se conclut par les critères déterminant la tsaraat qui atteint les vêtements. Ainsi en cas de doute sur la plaie, les règles sont quasiment les mêmes que la tsaraat qui atteint le corps, en cas de certitude, l’habit doit être brûlé.
Dans le chapitre 12 de Vayikra, la torah dit :
:א/ וַיְדַבֵּר יְהוָה, אֶל-מֹשֶׁה לֵּאמֹר
1/ Et Hachem parla à Moshé en disant :
:ב/ דַּבֵּר אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, לֵאמֹר, אִשָּׁה כִּי תַזְרִיעַ, וְיָלְדָה זָכָר–וְטָמְאָה שִׁבְעַת יָמִים, כִּימֵי נִדַּת דְּוֹתָהּ תִּטְמָא
2/ Parle aux bné-Israël: lorsqu’une femme, ayant conçu, enfantera un mâle, elle sera impure durant sept jours, comme lorsqu’elle est isolée à cause de sa souffrance.
:ג/ וּבַיּוֹם, הַשְּׁמִינִי, יִמּוֹל, בְּשַׂר עָרְלָתוֹ
3/ Au huitième jour, on circoncira l’excroissance de l’enfant.
:ד/ וּשְׁלֹשִׁים יוֹם וּשְׁלֹשֶׁת יָמִים, תֵּשֵׁב בִּדְמֵי טָהֳרָה; בְּכָל-קֹדֶשׁ לֹא-תִגָּע, וְאֶל-הַמִּקְדָּשׁ לֹא תָבֹא, עַד-מְלֹאת, יְמֵי טָהֳרָהּ
4/ Puis, trente-trois jours durant, la femme restera dans le sang de purification: elle ne touchera à rien de consacré, elle n’entrera point dans le saint lieu, que les jours de sa purification ne soient accomplis.
Avant de traiter de son sujet principal, notre paracha évoque le cas de la femme qui enfante. Ce qui attire notre attention c’est l’agencement des sujets que la torah propose. Il s’agit en premier lieu de parler de l’enfantement d’un garçon, pour lequel, il faudra pratiquer la brit mila au bout de huit jours, puis ensuite d’aboutir au cas de la personne qui dirait du lachon hara et se verrait frapper de la tsaraat. Pourquoi la mitsvah de la mila est-elle insérée au milieu de ces sujets ? Quel lien les relie ? Pourquoi la torah s’arrête sur cette mitsvah en l’introduisant au milieu de notre paracha par un simple verset ?
Pour comprendre cela, penchons-nous sur une remarque de Rabbénou Bé’hayé (chapitre 12, verset 7). Au terme du processus de purification de la femme suite à son accouchement, la torah préconise un sacrifice pour lequel elle emploie le mot « וכפר et il réparera ». Par définition, la nécessité de réparer une chose insinue la présence d’une faute. Quelle est la faute dont la femme est accusée ?
À cette question, nos sages expliquent que devant l’intensité des douleurs de l’accouchement, la femme en arrive à maudire, ou encore à regretter d’être tombée enceinte, la poussant à ne plus vouloir revivre l’expérience. De telles pensées sont incompatibles avec l’esprit de la torah et requièrent une réparation, d’où le sacrifice.
Rabbénou Bé’hayé avance une idée plus profonde, qui lorsque nous l’analysons rejoint finalement celle que nous venons d’évoquer. D’après lui, il faut attribuer ce sacrifice à la faute de ‘Hava, qui est la mère de toute la planète. Sans cette transgression, les êtres humains auraient procréé sans la nécessité de ressentir une pulsion sexuelle. Comme nous le savons, le désir au sens le plus primaire, provient de notre expression matérielle, et celle-ci est la conséquence du mauvais penchant présent en tout homme. Le désir tire donc son essence du mal. Cela ne signifie pas que le désir que des époux ressentent mutuellement est mauvais, il est seulement une conséquence qui n’aurait jamais du voir le jour. C’est pourquoi, avant qu’Adam et ‘Hava ne commettent leur faute, ils ne ressentaient pas de gêne face à la nudité, car ils ne concevaient pas le désir. La reproduction était pour eux un acte simple, dénué de toute expression du mal. Lorsque ‘Hava prend la décision de manger du fruit, elle change la nature du regard que se porte le couple, dorénavant, le rapport qui unit l’homme à sa femme est motivé par un désir. De sorte, chaque naissance, exprime un souvenir de cette notion dans la mesure où elle ne se fait qu’à cause d’une pulsion initiale qui pousse les humains à s’unir et donc à donner la vie. La faute a donc dénaturé le don de la vie jusque dans ses racines : d’un acte de sainteté absolue, ce miracle devient le passage obligatoire par l’envie que le mal fait germer en nous. En ce sens, il convient que chaque femme présente une offrande pour expier ce changement dont nous parlons.
À juste titre, ce désir primaire dont est dorénavant issue la relation conjugale provient d’une lecture attentive du texte de béréchit, plus précisément le dernier verset du chapitre 2, et le premier du chapitre suivant. En effet, Rachi y dévoile la raison profonde pour laquelle le serpent s’en prend à ‘Hava : « Que vient faire ce sujet ici (celui du serpent) ? Le texte aurait dû poursuivre directement sur le passage dans lequel Hachem confectionne à Adam et sa femme une tunique de peau et les vêtit? Seulement la torah vient nous apprendre la raison pour laquelle le serpent a jailli sur eux, car ils les a vus nus entrain de cohabiter aux yeux de tous, et les a désirés. »
Et justement, sur le dernier verset du chapitre deux, le Sforno précise que l’homme et la femme ne sont pas gênés par la nudité « car alors, tous leurs actes et tous leurs membres ne se consacraient qu’à la volonté d’Hachem, sans viser l’atteinte d’un plaisir… ». Pourtant de façon tout à fait surprenant, nous trouvons que la torah écrit quelque ligne plus loin (verset 6) : « La femme vit que l’arbre était bon à manger, qu’il était attrayant pour les yeux, que l’arbre était précieux pour l’intelligence, elle prit de son fruit et en mangea… » En clair nous voyons de façon flagrante que la motivation de ‘Hava est le désir, l’envie !
Que s’est-il passé entre le commentaire du Sforno et la discussion entre ‘Hava et le serpent, pour que subitement s’éveille en elle une notion étrangère, celle de la tentation ? Le Zohar ‘Hadach (sur chir hachirim, 140) explique que le serpent est parvenu à avoir une relation avec ‘Hava. Par cela, il a inséminé son venin en elle. Cela nous laisse comprendre le changement qui s’est opéré sur ‘Hava, le mal, la tentation la transforme, elle voit dorénavant les choses sous un autre angle! D’où la punition qu’elle se voit infliger par Hachem, celle des douleurs de la grossesse. Il est clair qu’Hachem ne punit pas sans que la sanction ne soit liée à la faute ! Dès lors, puisque’Hava implante le désir chez l’humain et que dorénavant c’est par ce dernier que nous devons passer pour nous unir, alors la conception de la vie en est dépendante. C’est donc sur cette dernière que la femme est frappée, chaque grossesse sera maintenant douloureuse.
Ceci trouve un écho remarquable dans ce que nos sages enseignent (traité ‘érouvin, page 18b) : « Rabbi Méïr dit : Adam est un homme d’une grande piété, car lorsqu’il a vu qu’il a inséminé la mort dans le monde, il s’est assis et a jeûné 130 ans, s’est séparé de sa femme 130 ans, et a noué des figues sur sa peau 130 ans. »
Il ressort que suite à sa faute, Adam ne conçoit la réparation qu’en s’éloignant du désir, car c’est bien de là que provient la faute.
Cela nous permet de comprendre pourquoi la torah introduit le sujet de la brit mila dans les lois de la femme qui donne la vie. Car, puisque le don de la vie est maintenant marqué de la présence du désir, il convient pour l’homme de chercher à supprimer ce dernier. Or, comme l’écrit le Rambam (moré névoukhim), la brit mila a pour objectif d’affaiblir les forces du désir ! Il s’inscrit donc parfaitement dans la cadre de la réparation de la faute. C’est pour cela d’ailleurs que nos sages soulignent qu’Adam est né sans avoir besoin de pratiquer la mila car, à sa naissance, le désir n’affectait pas l’homme et il n’était donc pas utile de faire la brit mila. C’est peut-être cette notion qui amène le Zohar (parachat chéla’h) à dire que c’est lors de la mila que l’enfant reçoit sa néchama. À savoir, que lorsque l’expression négative qui l’accompagne est affaiblie, le corps peut devenir le réceptacle de sa source divine.
Tentons de pousser l’analyse plus loin, afin de comprendre le lien avec la suite de la paracha qui traite de la tsaraat.
Suite à la faute, Hachem fabrique à Adam et ‘Hava une « כתנות עור une tunique de peau ». Rabbi Méïr avait l’habitude du dire « כתנות אור une tunique de lumière », en ce sens que, comme l’enseigne le Tikouné Hazohar (tikoun noa’h, page 92b) : « au début il s’agissait d’une tunique de lumière, mais après qu’ils ne fautent, c’est devenu une tunique de peau faite à partir de la peau du serpent ». La peau est devenue l’expression de ce venin par lequel le serpent a souillé l’homme. À ce titre, le ‘Hatam Sofer (sur parachat lékh lékha, page 55a) écrit que le moyen de se débarrasser de cette tunique provenant du serpent est justement de pratiquer la mila, car elle est l’antidote contre ce venin.
De façon assez remarquable, il s’avère que le mot « mila » a la même valeur numérique que le mot « פה bouche ». Ceci se justifie sans doute par le fait que les deux notions sont créatrices. De même que Dieu nous a crées par la parole, de même l’homme donne la vie au travers de la mila. Ainsi, il s’avère que la bouche détient un pouvoir similaire à celui de la mila et peut parvenir à affaiblir le mal qui infecte l’homme depuis sa faute. Mais évidemment, ce pouvoir est à double tranchant car si une parole positive peut amenuiser le mal, il s’avérera qu’une parole négative, du lachon hara, aura la conséquence opposée et provoquera une expression plus marquée de l’enveloppe du serpent qui nous recouvre. Dans de telles conditions, l’impureté ne sera plus dissimulée et deviendra perceptible par des taches empêchant la cohabitation avec le reste du peuple.
À ce niveau, il est intéressant de souligner le cas édifiant de Pharaon dont les textes attestent qu’il était frappé de la tsaraat. Le mot « פרעה pharaon » est d’ailleurs composé des lettres « פה רע mauvaise bouche », ce qui explique sans doute la provenance du mal qui le rongeait. Pour tenter de guérir ses plaies, il égorgeait les enfants hébreux afin de se tremper dans leur sang. Quelle attitude cruelle mais surtout étrange. Pourquoi espérait-il que le sang puisse le guérir ?
Nos sages enseignent que le sang renferme l’âme ! Peut-être pouvons-nous imaginer que Pharaon cherchait à se débarrasser de l’expression de la tsaraat qui est la conséquence de la présence de l’enveloppe charnelle basée sur la peau du serpent, en se baignant dans une expression de la vie, parfaitement détachée du corps. Il cherchait à ce que la pureté de l’âme, celle qui s’oppose à l’impureté du corps, soit le remède à sa souffrance. Or, comme nous l’avons dit, l’âme ne repose dans le corps que lorsqu’il est exempt des forces du serpent, ainsi, sa nature s’oppose à la notion même de tsaraat.
Avec le recul, nous constatons que toute notre paracha est axée sur le moyen dont le mal agit sur nous. La torah commence par nous expliquer comment l’affaiblir et nous met ensuite en garde sur les conséquences qu’une aggravation du venin aurait sur notre corps. Notre parole est donc sujette à de grands risques, de même qu’elle a le pouvoir d’être particulièrement créatrice. Yéhi ratsone que la surveillance accrue dans ce domaine conduise les bné-Israël à supprimer l’enveloppe de peau pour retourner à un corps lumineux.
Chabbat chalom.