Parachat Chofétim – 5776 – Yéhouda Moché Charbit
Parachat Chofétim
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בס״ד
Pour l’élévation de l’âme de ‘Hanna bat Esther.
La parachat chofétim enjoint le peuple à la création d’un système judiciaire par la nomination de juges et d’officiers chargés de faire régner l’ordre dans le peuple. Bien évidemment, la torah précise l’importance pour le juge de s’éloigner de toute forme de corruption afin de ne pas déformer la justice. La suite du texte se poursuit par un rappel contre l’idolâtrie et les punitions qu’encourent ceux qui la pratiquent. La torah énonce ensuite les règles pour la nomination d’un roi lorsque les bné-Israël seront installés dans le pays. Ce dernier, ainsi que tout le peuple devra se soumettre intégralement à la loi juive et ne devra jamais dévier de la torah en prenant garde de s’éloigner de toute forme de sorcellerie pour ne se référer qu’aux prophètes. Vient ensuite la loi concernant la création de villes de refuge pour les personnes ayant commis un meurtre involontaire afin d’éviter de subir la vengeance de la famille du défunt. La paracha se conclut avec quelques règles concernant la guerre.
Dans le chapitre 16 de Dévarim, la torah dit :
:יח/ שֹׁפְטִים וְשֹׁטְרִים, תִּתֶּן-לְךָ בְּכָל-שְׁעָרֶיךָ, אֲשֶׁר יְהוָה אֱלֹהֶיךָ נֹתֵן לְךָ, לִשְׁבָטֶיךָ; וְשָׁפְטוּ אֶת-הָעָם, מִשְׁפַּט-צֶדֶק
18/ Tu institueras des juges et des policiers dans toutes les villes qu’Hachem, ton Dieu, te donnera, dans chacune de tes tribus; et ils devront juger le peuple selon la justice.
:יט/ לֹא-תַטֶּה מִשְׁפָּט, לֹא תַכִּיר פָּנִים; וְלֹא-תִקַּח שֹׁחַד–כִּי הַשֹּׁחַד יְעַוֵּר עֵינֵי חֲכָמִים, וִיסַלֵּף דִּבְרֵי צַדִּיקִם
19/ Ne fais pas fléchir le droit, n’aie pas égard à la personne, et n’accepte point de présent corrupteur, car la corruption aveugle les yeux des sages et fausse la parole des justes.
:כ/ צֶדֶק צֶדֶק, תִּרְדֹּף–לְמַעַן תִּחְיֶה וְיָרַשְׁתָּ אֶת-הָאָרֶץ, אֲשֶׁר-יְהוָה אֱלֹהֶיךָ נֹתֵן לָךְ
20/ C’est la justice, la justice seule que tu dois rechercher, afin que tu vives et que tu prennes possession du pays qu’Hachem, ton Dieu, te destine.
:כא/ לֹא-תִטַּע לְךָ אֲשֵׁרָה, כָּל-עֵץ: אֵצֶל, מִזְבַּח יְהוָה אֱלֹהֶיךָ–אֲשֶׁר תַּעֲשֶׂה-לָּךְ
21/ Ne plante chez toi ni bosquet ni arbre quelconque auprès de l’autel que tu devras ériger à Hachem, ton Dieu;
:כב/ וְלֹא-תָקִים לְךָ, מַצֵּבָה, אֲשֶׁר שָׂנֵא, יְהוָה אֱלֹהֶיךָ
22/ et n’érige pas de stèle chez toi, chose odieuse à Hachem, ton Dieu.
Le midrach rabba enseigne : « rabbi A’ha a dit : Viens et vois ; six escaliers étaient disposés sur le trône de Chlomo hamelekh. D’où le sait-on ? Car il est écrit » six escaliers sur le trône » et dans cette section, six interdits sont mentionnés et les voici : »ne fais pas fléchir pas un jugement », »tu ne feras pas de favoritisme », »tu n’accepteras pas de bien corrupteur », »tu ne planteras pas d’arbre achéra (consacré à l’idolâtrie) », »tu n’érigeras pas de stèle » et »tu ne sacrifieras pas à Hachem ton Dieu, de taureau ou de mouton ayant un défaut… ». Il y avait une personne qui se tenait devant le trône de Chlomo et lorsqu’il montait la première marche, il proclamait »tu ne pervertiras pas un jugement », lorsqu’il montait le seconde marche, il proclamait »tu ne feras pas de favoritisme », à la troisième, il proclamait »tu n’accepteras pas de bien corrupteur », à la quatrième il disait »tu ne planteras pas d’arbre achéra (consacré à l’idolâtrie) », à la cinquième il disait »tu n’érigeras pas de stèle » et à la sixième il annonçait »tu ne sacrifieras pas à Hachem ton Dieu, de taureau ou de mouton ayant un défaut… » ».
La question qui se pose sur ce midrach concerne le rapport entre les six interdits que Chlomo se voyait rappeler chaque fois qu’il siégeait sur son trône. Les trois premiers semblent parfaitement reliés entre eux et parlent de la nécessité d’établir des jugements droits et honnêtes. Par contre, les trois autres concernent l’interdit d’idolâtrie et le rapport avec Hachem. Pourquoi ces deux sujets sont-ils corrélés ? Quel lien les unis ?
Pour comprendre cela, il nous faut définir la première catégorie d’interdits, celle de la corruption, dans son essence. De quel type d’interdiction s’agit-il ? Comme chacun le sait, la torah contient deux grandes catégories d’interdits, il s’agit des michpatim (lois), à savoir les règles dont le sens est évident comme ne pas voler ou ne pas tuer ; et des ‘houkim (décrets) dont l’explication nous échappe totalement et que nous ne comprenons pas comme l’interdit de mélanger le lait et la viande. Si nous devions attribuer une catégorie à l’interdiction de la corruption, nous serions tentés de le placer parmi les lois intelligibles. Toutefois, comme le souligne le ‘Hazon Ich (émounah oubita’hone, chapitre 3, paragraphe 30) cette loi présente certaines incohérences. En effet, puisque nous ne devons pas juger en fonction de nos intérêts ou de nos sentiments, pourquoi alors est-il permis à tout un chacun d’évaluer l’état d’une bête (dans la mesure de ses compétences) pour savoir si elle est cachère ou pas ? Dès lors, lorsqu’il s’agira de notre propre bête, nous serions naturellement tentés d’accorder un jugement qui nous est favorable et il s’agirait d’une forme d’inclinaison du jugement. Ceci devrait être interdit en vertu des interdits que nous avons cités et pourtant la torah tolère parfaitement ce genre de comportement. Le seul endroit où le favoritisme ou encore la corruption sont prohibés est celui des jugements. Certes, les enjeux peuvent paraître plus important et semblent justifier plus de limites, mais les lois de la cacherout sont toutes aussi importantes et il n’y a pas lieu de hiérarchiser les commandements de Dieu. Plus encore, c’est seulement le fait de recevoir un bien corrupteur que la torah interdit, toutefois, elle n’empêche pas un juge de traiter les affaires des gens qu’il connait personnellement, bien qu’il semblerait humain d’être enclin à aider ses amis au détriment des personnes à qui ils s’opposent. C’est pour ces raisons que le ‘Hazon Ich établit ces lois comme des ‘houkim (des lois que nous ne pouvons pas comprendre).
À ce titre, le ‘Hazon Ich explique que la corruption constitue une des choses que la torah déteste au plus haut point car elle entraine littéralement une modification de l’esprit au point d’altérer le jugement de façon radicale. En clair, l’homme corrompu n’est pas simplement une personne qui ment pour favoriser un des protagonistes, c’est une personne qui n’est plus capable de déceler la vérité ! Ceci se justifie par le fait qu’Hachem a placé dans cet interdit une force d’impureté qui empêche le juge d’accéder à la réalité divine et à la compréhension de la torah : son esprit devient limité. Mais ceci n’est le cas que lorsque le sujet est frappé de l’interdit, c’est pourquoi, lorsqu’il s’agira d’une personne que nous connaissons ou encore lorsqu’il s’agira d’évaluer la cacherout d’une bête, le risque n’est plus existant car, l’impureté découlant de l’interdit n’existe pas et la sagesse requise pour juger n’est pas obstruée.
Il est d’ailleurs intéressant de souligner la remarque du Na’hal Kadmonim concernant le mot »שחד corruption ». En effet, les lettres qui suivent celles de ce mot ne sont autres que » תטה fléchir » pour insister sur le fait qu’accepter la corruption entraine inéluctablement de fausser le jugement, non pas de façon occasionnelle, mais plus en profondeur au point de perdre l’objectivité et la compréhension authentique de la loi.
Ceci va dans le sens d’une remarque extraordinaire apportée par l’auteur du Kémotsé Chalal Rav sur le verset 20 que nous avons cité. En effet, la torah
promet la vie à celui qui poursuit la justice lors des jugements. Pourquoi la vie est-elle la conséquence directe de la justice ?
Pour répondre à cette question, il se base sur une analyse du Alchikh Hakadoch concernant le verset suivant (vayikra, chapitre 26, verset 11) :
:וְנָתַתִּי מִשְׁכָּנִי, בְּתוֹכְכֶם; וְלֹא-תִגְעַל נַפְשִׁי, אֶתְכֶם
Je fixerai ma résidence au milieu de vous, et mon esprit ne se lassera point d’être avec vous.
Sur cela, le Alchikh Hakadoch explique que naturellement chaque chose veut retourner à sa source. C’est pourquoi, l’âme juive, la néchama, qui provient du trône de gloire d’Hachem et qui est une part de divinité, lorsqu’elle se retrouve dans le corps humain qui est fait de matière, désire ardemment le quitter pour retourner auprès d’Hachem. Cependant, lorsque, comme nous l’indique le verset que nous venons de citer, elle constate que la présence divine réside sur terre bien que cela constitue une souffrance pour elle, l’âme se console en disant : il est suffisant à l’esclave d’agir comme le maître, de fait, si Hachem dont la sainteté n’a pas de limite, s’efforce de rester loin du ciel et de s’établir sur terre, à plus forte raison l’âme, qui n’est qu’une part de divinité, doit se contraindre à résider dans un corps humain !
Sur ce commentaire du Alchikh Hakadoch, l’auteur du Kémotsé Chalal Rav ajoute l’enseignement suivant :
Il est écrit dans la guémara (traité sanhédrin, page 7a) : « tout juge qui établit un jugement parfaitement juste fait résider la présence divine sur Israël ». À ce titre, la torah dit « צֶדֶק צֶדֶק, תִּרְדֹּף C’est la justice, la justice seule que tu dois rechercher » car ainsi, tu entraineras la présence divine sur Israël « לְמַעַן תִּחְיֶה afin que tu vives » car en constatant la présence divine, l’âme raisonne comme nous l’avons mentionné et accepte de rester dans le corps !
Dans cette suite d’idée, Rav Gabriel Ita’h (dans son livre yérav ‘alav si’hi, page 335) apporte une réflexion passionnante sur la capacité de l’homme à accéder à la vérité dans les jugements. Le midrach enseigne qu’au moment de créer l’homme, les anges ont formé des groupes. Au sens de la bonté, il semblait convenable de créer l’homme car il sera en mesure d’accomplir des actes de bonté, toutefois, au sens de la vérité, il ne fallait pas le créer car il est
empli de mensonges. Qu’a fait Hachem ? Il a saisi la vérité et l’a jetée sur terre. Les anges Lui ont alors demandé pourquoi la méprisait-Il, ce à quoi Il a répondu en citant un verset »la vérité pousse de la terre ».
Le rav explique alors que l’essence de la discussion se base sur la possibilité pour les humains d’accéder à la vérité. Pour une partie des anges, cela semble parfaitement impossible d’où leur objection, car démuni de la vérité, l’homme se trouverait de facto dans le mensonge. Ce à quoi Hachem répond qu’Il n’attend pas de l’homme une vérité parfaite telle que conçue dans le ciel, mais bien une vérité à l’échelle humaine, qui, pour reprendre le verset, »fleurirait de la terre ». Ceci est explicitement écrit dans les propos du Ksot Ha’hochen : « Hakadoch Baroukh Hou nous a choisis et nous a donné la torah en fonction de l’inclinaison de l’esprit humain bien que cela ne soit pas la vérité réelle ». De sorte, toute chose qui nécessite une réflexion qui se base sur l’esprit humain ne s’inscrit pas dans la perfection.
Toutefois, il existe une exception à priori étonnante, celle des jugements de la loi pour laquelle la torah demande une perfection totale. Or, au vu de ce que nous venons d’expliquer, une telle perfection échappe à l’homme. C’est pourquoi, la torah (premier verset de la parachat vayéra) écrit la chose suivante au lendemain de la brit mila d’Avraham :
:וַיֵּרָא אֵלָיו יְהוָה, בְּאֵלֹנֵי מַמְרֵא; וְהוּא יֹשֵׁב פֶּתַח-הָאֹהֶל, כְּחֹם הַיּוֹם
Hachem se révéla à lui dans les plaines de Mamré, tandis qu’il était assis à l’entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour.
Sur cela, Rachi apporte le commentaire suivante : « Le mot yochév est écrit sans vav, et peut donc se lire yachav (« il s’est assis »). Avraham a voulu se lever, mais Hakadoch Baroukh Hou lui a dit : « Assieds-toi, et moi, Je resterai debout. Et tu seras un signe pour tes enfants : Je me tiendrai debout dans l’assemblée des juges, et eux resteront assis, ainsi qu’il est écrit (Tehilim 82, 1) : “Dieu se tient debout dans l’assemblée divine” »
En somme, lors du jugement, les juges siègent en compagnie d’Hachem Lui-même qui leur accorde une assistance particulière leur permettant de dépasser le niveau humain et de pénétrer dans la vérité absolue, telle que conçue dans le ciel. En clair, l’accès à la vérité au cours d’un jugement est dépendante de la présence divine qui accompagne
les juges. De fait, nous comprenons pourquoi cette dernière se retire lorsqu’un des juges est corrompu, car l’impureté que cela engendre s’oppose à la sainteté et la présence d’Hachem n’est plus compatible. Le bien corrupteur est donc une source qui éloigne Dieu et de facto il trouve un lien direct avec l’idolâtrie, qui constitue justement le dénigrement d’Hachem ! C’est en ce sens que les six lois que Chlomo entendait en montant les marches de son trône relient l’idolâtrie à la corruption, car la perte de connexion avec la vérité lorsque nous sommes corrompus nous plonge dans un mensonge inversement proportionnel à la vérité qui aurait dû
nous éclairer dans le jugement. Puisque cette vérité aurait-été totale, alors nous sombrons de facto dans un mensonge total. Il s’agit bien là d’une idolâtrie !
Nous voyons donc combien il convient de rester sur la ligne de la justice parfaite. C’est en ce sens que nous pouvons accorder la plus grande confiance aux décisions de nos sages et être garantis d’une justice parfaite même en ce monde. Yéhi ratsone que cette justice s’étende rapidement à tous les compartiments de nos vies au travers du dévoilement ultime d’Hachem que nous attendons tant amen véamen.
Chabbat chalom.
Y.M. Charbit
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