Parashat Shéla’h Lékha (5776)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
PARACHAT CHÉLA’H
La paracha de Chéla’h parle de l’envoi, par Moshé Rabbénou, d’explorateurs vers la terre d’Israël, chargés d’en vérifier la qualité, de déterminer la puissance des peuples qui l’habitent etc… Ainsi, douze représentants de tribus sont nommés à la charge de cette mission. Malheureusement, chargés d’une mitsvah, les explorateurs se détournent du chemin de Hachem. À leur retour, dix d’entre eux, profèrent des critiques contre la terre promise, incitant avec eux, le peuple à refuser cette terre. Seuls, Yéhochoua Bin Noun et Calev Ben Yéfouné, deux des explorateurs, s’opposent à leurs confrères affirmant que Hachem tiendrait sa promesse de conduire le peuple dans la terre où coulent le lait et le miel. Le peuple étant en révolte contre Moshé, l’intervention de Hachem ne se fait pas attendre. Ainsi, les dix explorateurs ayant proféré du lachon hara contre la terre d’Israël sont condamnés à mourir de façon atroce. Le reste du peuple se voit priver du droit d’entrer en terre sainte et devra errer durant quarante ans dans le désert, jusqu’à l’extinction totale de la génération qui s’est révoltée. Par la suite, la Torah nous enseigne diverses règles concernant les sacrifices à apporter sur l’autel. La paracha se conclut par la transgression du chabbat par un homme, bien qu’il ait été averti du risque encouru.
Dans le chapitre 13 de Bamidbar, la Torah dit :
א/ וַיְדַבֵּר יְהוָה, אֶל-מֹשֶׁה לֵּאמֹר׃
1/ Hachem parla à Moshé en disant :
ב/ שְׁלַח-לְךָ אֲנָשִׁים, וְיָתֻרוּ אֶת-אֶרֶץ כְּנַעַן, אֲשֶׁר-אֲנִי נֹתֵן, לִבְנֵי יִשְׂרָאֵל: אִישׁ אֶחָד אִישׁ אֶחָד לְמַטֵּה אֲבֹתָיו, תִּשְׁלָחוּ–כֹּל, נָשִׂיא
בָהֶם׃
2/ Envoie pour toi des hommes et qu’ils explorent le pays de Canaan que je donne aux bné-Israël : un homme par tribu de ses pères vous enverrez, chaque prince parmi eux.
ג/ וַיִּשְׁלַח אֹתָם מֹשֶׁה מִמִּדְבַּר פָּארָן, עַל-פִּי יְהוָה: כֻּלָּם אֲנָשִׁים, רָאשֵׁי בְנֵי-יִשְׂרָאֵל הֵמָּה׃
3/ Moshé les envoya depuis le désert de Parane d’après la bouche d’Hachem. Ils étaient tous des hommes, chefs des bné-Israël.
Ce passage est extrêmement passionnant tant par son contexte que par les questions qu’il suscite. En effet, c’est suite à cet événement que les bné-Israël vont perdre le droit d’entrer dans la terre promise, et vont devoir rester quarante ans dans le désert. Hachem, suite à la faute des explorateurs, va punir le peuple sur une échelle, d’un jour pour une année. Ainsi, la faute des explorateurs s’étant produite sur quarante jours, le peuple hébreu est sanctionné sur quarante. La première question qui se pose concerne justement cette échelle démesurée. Pourquoi un jour de faute se transforme-t-il en un an d’errance ? N’est-ce pas disproportionné ?
Secondement, le Mochav Zékénim enseigne une chose surprenante. Le terme employé en début de paracha, »שְׁלַח-לְךָ Envoie pour toi » est semblable à celui que la torah emploie pour Avraham lorsqu’Hachem lui demande de quitter sa terre natal, »לֶךְ-לְךָ Pars pour toi ». Ainsi, le midrach y apporte le même commentaire, précisant que le mot »לְךָ pour toi » vient ici nous apprendre que ce sera une chose bonne et profitable à Moshé que d’envoyer les explorateurs. En effet, la faute des explorateurs provoquera la prolongation de leur voyage dans le désert. Or, Moshé ne devait pas entrer en terre d’Israël, comme l’ont prophétisé Eldad et Médad dans la paracha précédente. De sorte, la sanction du peuple accorde un sursis de quarante ans à Moshé Rabbénou !
Que signifie ce midrach ? Si Moshé devait mourir alors par quel mérite a-t-il pu bénéficier d’un ajout de quarante ans ? À l’inverse, s’il devait rester vivant, qu’a-t-il gagné ?
Un autre problème se pose. Lors de la nomination des douze représentants de tribu, Rachi (sur le verset 3) émet le commentaire suivant : « Toutes les fois que le texte emploie le mot » אֲנָשִׁים hommes », c’est pour souligner la considération dont ils sont l’objet. Et à ce moment-là, ils étaient irréprochables. » Cela montre la grandeur qui caractérise les hommes choisis pour cette mission. Toutefois, Rachi de nouveau (sur le verset 26) va apporter une remarque totalement opposée à son premier commentaire : « Que veut dire : « ils allèrent » ? Ceci vient relier leur départ à leur retour. De même que leurs intentions étaient mauvaises à leur retour, de même l’étaient-elles à leur départ. » Ce deuxième commentaire semble indiquer que depuis le début, ils étaient mauvais et avaient de mauvais projets, contrairement à ce que laisse entendre le premier commentaire. Que s’est-il passé pour qu’en quelques instants, leur statut passe d’un extrême à l’autre ?
Enfin, une dernière question reste à poser. Comme beaucoup de commentateurs le notent, Moshé favorise Yéhochoua son serviteur en priant qu’il soit sauvé du complot des explorateurs. À ce titre, il ajoute la lettre »י youd » à son nom, transformant »הושע Hoché’a’‘ en » יהושע Yéhochou’a ». Pour se faire, il prononce la phrase suivante : « יָהּ יוֹשִׁיעֲךָ מֵעֲצַת מְרַגְּלִים Veuille Hachem te sauver du complot des explorateurs ! » Cette attitude de Moshé semble injuste, pourquoi accorde-t-il une telle aide à Yéhochoua et pas aux autres explorateurs ? Nos sages enseignent justement, que Calev, qui lui n’a pas fauté, a dû aller prier sur le tombeau des avot pour être protégé du mauvais penchant et échapper à la faute. Pourquoi alors, Moshé n’a pas prié pour lui également, ainsi que pour les dix autres protagonistes, afin d’épargner le peuple de la faute qu’ils allaient commettre ?
Tentons d’étudier ensemble ce passage si énigmatique.
Pour se faire, il nous faut aborder l’approche du Halchikh Hakadoch (sur notre passage). En premier lieu, il remarque la répétition utilisée par le deuxième verset : « אִישׁ אֶחָד אִישׁ אֶחָד un homme un homme ». Cette double occurrence vient insister que parmi ceux envoyés, il y un homme et un autre homme, qui doivent être envoyés. En effet, Moshé était perplexe quant à l’envoi de trois personnes. Il s’agit de Gadi Ben Soussi et Yéhochou’a Bin Noun, tous deux descendants de Yossef, ainsi que Calev Ben Yéfouné, descendant de Yéhouda. Lorsque nous regardons l’histoire de leur ancêtre, une faute est mise en avant, celle du lachon hara. Yossef avait pour sa part, rapporter des paroles négatives à son père à l’encontre de ses frères, tandis que Yéhouda est celui qui a menti à Yaakov en prétendant que la tunique qu’il lui présentait était recouverte du sang de Yossef. Il s’agit là d’une mauvaise graine que Moshé craignait voir transmise à leurs descendants, qui risquaient justement de commettre la même faute en critiquant la terre qu’ils allaient visiter. À ce titre, Moshé hésite concernant ces personnages. D’où le message qu’Hachem dissimule annonçant que deux hommes valaient la peine d’être envoyés bien que le doute planait sur eux à cause de leur origine. En effet, la suite de l’histoire nous montre que parmi les trois personnes à risque, seul Gadi faute, tandis que Yéhochou’a et Calev ont une attitude irréprochable.
Cela nous place dans un contexte radicalement différent. Nous nous demandions pourquoi Moshé n’avait pas étendu sa prière à l’ensemble des explorateurs. Finalement, cela paraît parfaitement cohérent, car seuls ces trois hommes présentaient un risque, les autres semblaient être dans de bonnes conditions pour ne pas fauter. Sachant le risque encouru, Moshé veut prier pour aider les trois autres, mais se voit finalement très limité. D’une part, Calev est son beau-frère et prier pour lui aurait pu être considéré comme du favoritisme. Ce blocage le conduit à se retenir de prier pour Gadi et Yéhochou’a, par considération pour Calev. D’autre part, ces événements interviennent après qu’Eldad et Médad aient annoncé la mort de Moshé au profit de la succession de Yéhochou’a, comme leader lors de la conquête du pays. Cette information pouvait faire planer le doute parmi les hébreux, d’un possible ressentiment de Moshé à l’égard de son élève. C’est pourquoi, Moshé fait le choix d’accompagner Yéhochou’a malgré tout, afin de dissiper toute accusation à son encontre.
Justement le choix des mots employés par Moshé lors de sa prière est indicateur du mal qui ronge les explorateurs. En effet, le Halchikh remarque que dans sa phrase, Moshé cite un nom d’Hachem très particulier, il s’agit de »יָהּ ya ». Ce nom ne constitue en réalité que la moitié du nom de Dieu et apparaît suite à la guerre contre Amalek, pour affirmer que tant que ce peuple existera, le nom divin ne sera plus complet. Hachem accorde deux lettres de Son Nom, comme message de lutte et d’opposition contre cet ennemi. Or, à leur retour, les explorateurs vont prendre soin de dire aux hébreux attentifs à leur rapport, qu’Amalek réside dans cette terre (cf, verset 29). D’après le Halchikh, il s’agit là du principal argument des explorateurs qui savaient parfaitement le niveau de crainte que ce peuple pouvait susciter dans le cœur des hébreux. À ce titre, pesant le risque avec sagesse, Moshé emploie le Nom d’Hachem qui se place en opposition avec ce peuple, pour bénir Yéhochou’a et le sauver du risque de considérer ce peuple comme une raison de dénigrer la terre.
Yéhochou’a accompagné de la bénédiction de son maître, il reste deux personnes encore dangereuses, il s’agit de Gadi et de Calev. Le premier va ignorer le risque tandis que le second va le prendre au sérieux et adopter un comportement adéquat. Il se dirige vers le tombeau des patriarches, dans lequel se trouve Yaakov, principal cible du mensonge de l’ancêtre de Calev. Ainsi, il y va pour implorer son pardon, pour s’excuser de la faute de Yéhouda et ainsi, être épargné de la tentation de dire du mal sur la terre sainte ! Devant un tel élan de repentir et de crainte de la faute, Yaakov lui accorde son pardon, et le mauvais penchant ne peut plus s’en prendre à Calev !
L’attitude de Moshé envers Yéhochou’a, ainsi que celle de Calev souligne un point important. Pour que Yéhochou’a et Calev ne fautent pas, il leur fallait une aide extérieure, sans quoi, il semble qu’ils auraient été en proie au mauvais penchant. Cela insiste sur le fait que les bné-Israël, aussi saints soient-ils n’étaient pas encore apte à résister aux tentations du mal que la terre d’Israël allait leur imposer. En effet, le Or Ha’haïm (chapitre 13, verset 2) explique le changement radical qu’ont vécu les explorateurs provient de la source négative qui émanait de ceux qui les envoyaient, à savoir le peuple hébreu. L’état d’esprit du peuple, son niveau spirituel, n’était pas encore compatible avec la vie en terre d’Israël, dans laquelle il faudrait côtoyer le monde matériel, quand le peuple ne connaissait jusqu’alors qu’une vie spirituelle. À ce titre, Hachem va leur en faire la démonstration à travers cette exploration qui va étrangement durer quarante jours. Ce nombre n’est pas fortuit car il s’agit du même temps dans lequel le peuple est resté séparé de Moshé lors du don de la torah. La conséquence en a été gravissime car c’est suite à cela que les bné-Israël se sont adonnés à l’idolâtrie en pratiquant le veau d’or, tandis que Moshé étudiait la torah avec le Créateur du monde. Le rapport est maintenant évident. Quarante jours loin leur maître ont suffi pour que le peuple sombre dans la plus grande des bassesses. Ainsi, Hachem renouvelle l’expérience de l’éloignement, en choisissant parmi les plus notables du peuple, ceux-là même que Rachi qualifie de justes. Dieu a de la sorte, rejoué le scénario de la distance, pour prouver au peuple son niveau et son aptitude à retourner dans un monde matériel. C’est justement là que le peuple va se trouver face à la réalité et en subir les dommages : sans Moshé, les bné-Israël ne sont pas encore prêts !
À ce niveau se tisse un parallèle extraordinaire entre les quarante jours où Moshé a bénéficié de l’enseignement d’Hachem dans le ciel, et les quarante jours où les explorateurs vont fauter. En effet,
la guémara (traité ‘Haguiga, page 5b) enseigne une chose très simple concernant les explorateurs et ceux qui étudient la torah : celui qui étudie la torah une journée est considérée comme s’il l’avait étudiée toute l’année, tandis que celui qui faute une journée est considérée comme s’il avait fauté toute l’année. En clair, l’étude de Moshé se répercute sur les quarante années qui la suivent, tandis que la gravité de la faute s’étend sur ces mêmes quarante ans.
Nous pouvons maintenant comprendre l’agencement des événements. Moshé se rendant compte de la faiblesse accrue des descendants de Yéhouda et de Yossef, tente de sauver ceux qu’il peut. Calev, de part sa droiture, calque son attitude sur celle de Moshé et se préserve de la faute en sollicitant le pardon de Yaakov. Par contre, les autres, ne se sentant pas concernés, baissent leur garde, et justement trébuchent, mettant ainsi en avant leur faiblesse et la récompense impayée de Moshé ! Puisque non prêts, ils doivent poursuivre leur éducation et leur préparation chez le maître de la torah. Pour leur faire comprendre, Hachem leur marque doublement cet aspect. Non seulement il choisit de les séparer de lui quarante jours afin de leur rappeler la faute qu’ils ont commise la dernière fois qu’ils se sont éloignés de Moshé, mais plus encore, Il leur démontre combien ils ont encore besoin de lui ! À ce titre, nous comprenons comment des justes peuvent aussi radicalement changer d’attitude. Car tant que Moshé est à leur côté, ils sont préservés, ils savent quelle attitude adopter. Par contre, lorsqu’ils s’en éloignent, ils deviennent vulnérables et fautent. En un instant, de tsadikim, ils sont passés à la faiblesse des fauteurs, n’étant pas habitués à côtoyer un monde dépourvu de torah.
Ainsi le besoin de Moshé se fait ressentir comme jamais, et sa présence est d’autant plus nécessaire. C’est pourquoi le midrach enseigne que la phrase »שְׁלַח-לְךָ Envoie pour toi » connote le profit dont Moshé allait bénéficier en les envoyant. Non pas que leur faute était ce qu’il cherchait, mais plus précisément que cette dernière allait lui donner un mérite extraordinaire ! Puisque lui-même ne peut entrer dans la terre sainte, il peut toutefois participer à son acquisition. Car son étude de la torah lui vaudra d’être celui qui, pendant quarante ans, préparera le peuple à devenir apte à la vie sur cette terre ! Moshé n’a pas eu d’héritage en Israël, mais il a pris part dans celle du peuple, qui sans lui, ne peut espérer obtenir la terre promise ! Tel est le cadeau qu’Hachem offre à Moshé en compensation de son interdiction de fouler le sol d’Israël !
Ce développement nous démontre la puissance qui émane de la terre d’Israël. Elle est la plus sainte de toute, et de facto, pour la mériter, il faut être en mesure de faire face à une opposition farouche des forces du mal qui tentent tout pour nous y faire fauter. C’est pourquoi, la tentation de fauter est plus grande en Israël que partout ailleurs. Mais parallèlement à cela, la possibilité d’y accomplir les mitsvot et de se délecter de la torah est sans égal. Yéhi ratsone qu’Hachem nous accorde rapidement les délices de cette terre et nous y conduise tous pour profiter de sa vraie grandeur !
Chabbat Chalom.