Parashat Réé – 5776 – Yéhouda Moshé Charbit
Parashat Réé
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בס״ד
Pour l’élévation de l’âme de ‘Hanna bat Esther.
Notre paracha débute lorsque Moshé donne à Israël le choix entre la bénédiction et la malédiction. Le respect de la torah et des mitsvot sera garant de la bénédiction et évidemment la transgression provoquera la malédiction. La suite de la paracha traite des règles à suivre quant à l’endroit des sacrifices qui ne pourront plus être faits n’importe où : seul le temple sera destiné à cet usage. Moshé met ensuite le peuple en garde contre les risques des faux prophètes et de tous ceux qui souhaiteraient les conduire à l’idolâtrie. En tant que peuple saint, les bné-Israël doivent se différencier et limiter leur alimentation aux seules espèces autorisées par la torah. Des règles telles que le prélèvement du maasser sur la récolte, aider les pauvres, libérer les esclaves et enfin, accomplir les fêtes de pèlerinage sont enseignées dans la suite de la paracha.
Dans le chapitre 12 de Dévarim, la torah dit :
א/ אֵלֶּה הַחֻקִּים וְהַמִּשְׁפָּטִים, אֲשֶׁר תִּשְׁמְרוּן לַעֲשׂוֹת, בָּאָרֶץ, אֲשֶׁר נָתַן יְהוָה אֱלֹהֵי אֲבֹתֶיךָ לְךָ לְרִשְׁתָּהּ: כָּל-הַיָּמִים–אֲשֶׁר-אַתֶּם חַיִּים, עַל-הָאֲדָמָה׃
1/ Voici les lois et les statuts que vous aurez soin d’observer dans le pays qu’Hachem, Dieu de tes pères, t’a destiné comme possession; vous les observerez tout le temps que vous vivrez dans ce pays.
ב/ אַבֵּד תְּאַבְּדוּן אֶת-כָּל-הַמְּקֹמוֹת אֲשֶׁר עָבְדוּ-שָׁם הַגּוֹיִם, אֲשֶׁר אַתֶּם יֹרְשִׁים אֹתָם–אֶת-אֱלֹהֵיהֶם: עַל-הֶהָרִים הָרָמִים וְעַל-הַגְּבָעוֹת, וְתַחַת כָּל-עֵץ רַעֲנָן׃
2/ Vous devez détruire tous les lieux où les peuples dépossédés par vous auront honoré leurs dieux, sur les hautes montagnes et sur les collines, et aux pieds des arbres verdoyants.
ג/ וְנִתַּצְתֶּם אֶת-מִזְבְּחֹתָם, וְשִׁבַּרְתֶּם אֶת-מַצֵּבֹתָם, וַאֲשֵׁרֵיהֶם תִּשְׂרְפוּן בָּאֵשׁ, וּפְסִילֵי אֱלֹהֵיהֶם תְּגַדֵּעוּן; וְאִבַּדְתֶּם אֶת-שְׁמָם, מִן-הַמָּקוֹם הַהוּא׃
3/ Renversez leurs autels, brisez leurs monuments, livrez leurs bosquets aux flammes, abattez les images de leurs dieux; effacez enfin leur souvenir de cette contrée.
ד/ לֹא-תַעֲשׂוּן כֵּן, לַיהוָה אֱלֹהֵיכֶם׃
4/ Vous n’en userez point de la sorte envers Hachem, votre Dieu.
ה/ כִּי אִם-אֶל-הַמָּקוֹם אֲשֶׁר-יִבְחַר יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם, מִכָּל-שִׁבְטֵיכֶם, לָשׂוּם אֶת-שְׁמוֹ, שָׁם–לְשִׁכְנוֹ תִדְרְשׁוּ, וּבָאתָ שָּׁמָּה׃
5/ Mais uniquement à l’endroit qu’Hachem, votre Dieu, aura adopté entre toutes vos tribus pour y attacher son nom, dans ce lieu de sa résidence vous irez l’invoquer.
Il est surprenant de noter que la torah ne mentionne jamais l’endroit du beth hamikdach. À aucun moment, nous ne trouvons de mention de Yérouchalaïm ni même du mont Moria, alors qu’il s’agit du lieu le plus important du judaïsme. Au point, que même David Hamelekh ignorait la localisation du temple et devait la chercher. Plus encore, c’est finalement un ange qui est venu lui dévoiler que le lieu en question se trouvait en la possession de Arnone le Yévoussi (comme il ressort des versets 1 et 2 de divré hayamim 1).
Une autre question s’ajoute à la première. Comme nous le savons, c’est sur le territoire de Binyamine qu’a finalement été établi le beth hamikdach. Pourtant, la torah semble mettre en avant deux versets qui se contredisent. Le premier, est le cinquième verset que nous avons cité dans lequel nous observons la mention « מִכָּל-שִׁבְטֵיכֶם entre toutes vos tribus ». Cela démontre que le lieu du temple doit appartenir à toutes les tribus.
Toutefois, le second dit (verset 14) :
:כִּי אִם-בַּמָּקוֹם אֲשֶׁר-יִבְחַר יְהוָה, בְּאַחַד שְׁבָטֶיךָ–שָׁם, תַּעֲלֶה עֹלֹתֶיךָ; וְשָׁם תַּעֲשֶׂה, כֹּל אֲשֶׁר אָנֹכִי מְצַוֶּךָּ
Mais uniquement au lieu qu’Hachem aura choisi dans l’une de tes tribus, là, tu offriras tes holocaustes, là, tu accompliras tout ce que je t’ordonne.
Nous constatons cette fois que ce n’est plus sur toutes les tribus que doit s’étendre le domaine du temple, mais seulement sur une seule. D’où la surprise et les interrogations que cela soulève. D’une part, si nous devions choisir une seule tribu, pourquoi alors est-ce Binyamine qui est mis en avant ? Mais plus encore, comment réaliser alors l’injonction du premier verset que nous avons cité qui parle au pluriel ?
À ces questions, le Chaar Bat Rabim apporte un Kli Yakar (parachat vayétsé, chapitre 28, verset 11) qui explique que la raison pour laquelle la torah occulte la localisation du temple est son désir d’éviter de provoquer des disputes. En effet, toutes les tribus risquent de vouloir s’approprier le repos de la présence divine dans leur territoire, ainsi, Hachem cache sa position. Une fois que l’endroit en question est dévoilé à David Hamelekh, il va répartir le coût sur toutes les tribus. La somme de 600 shékalim devant être versée, chaque tribu devra contribuer à hauteur de 50 shékalim afin de l’atteindre. De sorte, la terre sur laquelle est construit le beth hamikdach appartient à toutes les tribus.
Le Kli Yakar apporte une allusion remarquable à ce procédé, celle du récit des pierres qui entourent la terre de Yaakov lors de son fameux rêve de l’échelle. À son réveil, Yaakov se rend compte du lieu dans lequel il se tient, il s’agissait justement du temple. À ce titre, le troisième patriarche avait réuni douze pierres autour de lui. Le Midrach enseigne que chacune d’entre elles se disputaient pour que repose la tête du tsadik. De façon miraculeuse, à son réveil, Yaakov retrouve que toutes les pierres ont fusionné. Il s’avère que cela profilait l’avenir, car les douze pierres renvoient aux douze tribus qui désirent toutes que le »tsadik du monde » qui n’est autre qu’Hachem, réside sur leur terre. À ce titre, à l’image des pierres, toutes les tribus vont s’unir en une seule, dans le sens où elles vont toutes s’associer et obtenir ensemble la terre où sera érigé le temple.
En ce sens, la contradiction des deux versets est résolue dans la mesure où d’une part nous retrouvons que le temple est disposé dans toutes les tribus qui se sont réunies en une seule.
Toutefois, une question perdure : pourquoi est-ce que cela se fait sur le territoire de Binyamine ? Certes, toutes les tribus ont participé à l’acquisition du terrain, cependant, ce dernier est dans les frontières de Binyamine. D’où lui vient ce mérite ?
À cela, Rav Rosenblum (sur notre paracha, année 5771) apporte une réponse tout simplement stupéfiante.
Lorsque les enfants de Yaakov sont descendus avec Binyamine en Égypte, ils se sont retrouvés en position délicate, car Yossef va cacher sa coupe dans le sac de son petit frère et accuser ses frères de vol. Sur cela, le midrach Tan’houma enseigne que les frères s’en sont pris à Binyamine et lui ont dit une chose choquante : « Tu es un voleur fils d’une voleuse ! Tu nous a humiliés de même que ta mère a humilié notre père ! Par le mérite des coups qu’ils lui ont mis entre les épaules, il a mérité que repose la présence divine entre ses épaules ».
Comme nous le disions, ce midrach interpelle, comment les frères ont-ils pu proférer de tels propos à l’égard de Ra’hel, la traitant de voleuse ?! Mais surtout, la question la plus importante concerne la récompense qu’il obtient par les coups qu’il reçoit : la possession du beth hamikdach ! Quel rapport entre ces coups et cette récompense ?
Pour comprendre ce qui se passe ici, il faut apporter un opinion issue du Sefer Hayachar qui explique que lors de l’arrivée des frères avec Binyamine, avant l’accusation de vol, yossef les a accueillis dans ses quartiers et les a disposés selon leur âge, à la stupéfaction générale qui se demandait comment cet inconnu pouvait connaître de telles informations. En ce qui concerne Binyamine, Yossef lui demande de s’assoir à ses côtés précisant que tout deux étaient des orphelins. Leur position se trouvait à l’écart du reste des frères. À ce titre, le Sefer Hayachar apporte un avis qui justifie cette mise à l’écart. D’après lui, Yossef a profité de cet instant pour dévoiler son identité à Binyamine et lui expliquer ses intentions. En somme, Binyamine a consenti à ce que Yossef cache sa coupe dans ses effets personnels, afin de tester l’attitude des frères et vérifier s’ils ont réparé la faute de l’avoir vendu. Yossef voulait voir si les frères allaient se battre pour sauver Binyamine ou pas (chose qu’ils ont faite baroukh Hachem). Le dernier des frères a donc accepté de jouer le jeu.
Sur cela, le Soukat David explique que pour permettre d’atteindre cet objectif, Binyamine a été contraint d’accepter les coups que ses frères vont lui asséner en pensant qu’il avait volé, et surtout ne pas dévoiler la supercherie. En acceptant les coups, le jeune frère permet l’accomplissement du tikoun, de la réparation, de la faute des frères. Or le temple est bien le lieu de la réparation des fautes : Binyamine en tant que vecteur de la réparation de leur faute au travers de son silence, se voit attribuer le mérite de disposer du beth Hamikdach.
Rav Rosenblum ajoute une remarque qui va pousser plus loin le lien entre Binyamine et le temple.
Comme nous l’avons souligné, les frères ont accusé Binyamine d’être un voleur fils de voleuse. De quoi parlent-ils ? Il s’agit du moment où Yaakov s’enfuit de chez Lavane et se fait poursuivre par ce dernier
qui l’accuse d’avoir volé ses idoles en partant. En réalité, c’est Ra’hel qui s’en était emparée. Bien évidemment, sa motivation était d’éloigner son père de cette faute gravissime. Ainsi, sa motivation est de supprimer l’idolâtrie.
À ce titre, le Beth Éphraïm (sur parachat mikets) remarque que l’objet que Binyamine est suspecté d’avoir volé n’est autre que la coupe de Yossef. Or, justement, Yossef faisait croire que c’est au travers de celle-ci que lui était dévoilées les informations concernant les frères, c’est d’elle qu’il tirait son pouvoir »divinatoire ». C’est en ce sens que les frères ont mentionné le vol de Ra’hel face à celui de Binyamine. Pas pour critiquer sa mère mais au contraire pour attester du fait qu’il poursuivait sa démarche, celle d’éradiquer l’idolâtrie. Dès lors la seule critique que les frères opposaient à Binyamine, celle qui va lui valoir des coups, se base sur le risque encouru par son attitude. Lorsque Ra’hel s’en est prise à son père, elle ne prenait pas tant de risques, car même si le vol était découvert, Lavane n’aurait pas tué sa fille. Par contre, dans le cas de Binyamine le danger est réel, ce vol peut leur coûter la vie has véchalom.
Un petit ajout peut d’ailleurs se faire sur cette transmission de l’attitude de Ra’hel à son fils Binyamine. En effet, comme chacun le sait, Ra’hel a rendu l’âme en donnant la vie à Binyamine. À ce moment, la torah atteste qu’elle souhaitait le nommer « בן אוני le fils de ma souffrance » et c’est Yaakov qui a opté ensuite pour le nom Binyamine. Pourquoi Ra’hel souhaitait-elle le nommer ainsi ? La réponse se trouve sans doute dans ce que nous évoquions précédemment concernant le vol des idoles par Ra’hel. C’est en effet, à ce moment que Yaakov va dire que celui qui a agi ainsi doit mourrir, provoquant la mort prématurée de sa femme. En clair, la tentative de destruction de l’idolâtrie par Ra’hel, va lui causer la mort qui va être mise en application lors de la naissance de Binyamine. À ce titre, elle le surnomme « בן אוני le fils de ma souffrance » pour dire que c’est par sa naissance que s’applique le décret à son égard. L’accouchement difficile et même mortel que subit Ra’hel est la suite de son vol des idoles. En ce sens, elle lie Binyamine à son attitude, et par la suite, son dernier fils sera le vecteur de cette suite, et poursuivra la démarche de sa mère.
Nous comprenons donc pourquoi, le silence de Binyamine, engendre la suspicion par les frères, d’une volonté de sa mère d’éloigner l’idolâtrie. Ainsi, puisque les frères vont s’opposer à cela, prétextant le danger et vont même le frapper pour cela, ils vont témoigner leur désapprobation et se détacher de cette démarche. À ce titre, ils perdent leur droit de posséder le beth hamikdach, car le temple fait suite à la suppression de l’idolâtrie comme l’indiquent les versets que nous avons cités, et seul Binyamine a poursuivi cet objectif.
Toutefois, il s’agit là de la démarche des frères et de leur analyse des faits. Cela ne concerne pas encore ce que Binyamine entreprend. Pour sa part, l’objectif
est autre, il s’agit d’obtenir la réparation de la faute des frères. En supportant la douleur, il se sacrifie pour l’harmonie de la famille de Yaakov, et obtient la cohésion des frères. Par ce mérite, il obtient le droit de disposer du lieu du « pardon », et c’est en son territoire que sera ériger le temple.
Nous voyons combien la volonté d’unir à été le critère de sélection de Binyamine. Comme nos sages l’attestent, de même que la haine gratuite a causé la destruction du temple, de même l’amour gratuit garantit sa reconstruction. C’est cette attitude qui a valu tant de mérites à Binyamine et espérons que cette vertu nous accordera rapidement le mérite de revoir la construction du beth hamikdach.
Chabbat chalom.