Parashat Nasso (5774)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
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PARACHAT NASSO
La paracha de Nasso poursuit le dénombrement, en recensant maintenant les fils de Guerchone et de Mérari, et en leur assignant leur part de la tente d’assignation à transporter durant les voyages des bné-Israël. Le camp des bné-Israël étant maintenant organisé, Hachem ordonne de renvoyer toute personne impure de l’enceinte du camp, afin de séparer l’impureté du lieu de résidence de la chekhina. La torah définie ensuite les règles de la femme sotah ainsi que tout le processus que le cohen devra lui faire suivre. Viennent ensuite les règles concernant le nazir, ainsi que les interdits particuliers qui s’ajoutent à sa condition. La paracha se termine par les offrandes qu’apportèrent chaque Nassi le lendemain de l’inauguration du michkan durant douze jours successifs.
Notre paracha se conclut par les versets suivant (bamidbar, chapitre 7) :
פט/ וּבְבֹא מֹשֶׁה אֶל-אֹהֶל מוֹעֵד, לְדַבֵּר אִתּוֹ, וַיִּשְׁמַע אֶת-הַקּוֹל מִדַּבֵּר אֵלָיו מֵעַל הַכַּפֹּרֶת אֲשֶׁר עַל-אֲרֹן הָעֵדֻת, מִבֵּין שְׁנֵי הַכְּרֻבִים; וַיְדַבֵּר, אֵלָיו׃
89/ Et quand Moshé venait à la tente d’assignation pour lui parler, il entendait la voix se parlant vers lui d’au dessus du couvercle qui était sur l’arche du témoignage, d’entre les deux chérubins et il lui parlait.
À plusieurs reprises déjà, nous avons parlé de la grandeur de Moshé en abordant les diverses facettes qui le caractérisent. C’est pourquoi, il convient de définir profondément cet homme dépassant toutes les limites. Pour cela, un rappel de plusieurs points que nous avons évoqué sur Moshé s’impose. Comme nous le savons, la première caractéristique de Moshé rabbénou, est la prophétie. Il est le plus grand de tous les prophètes, son niveau dépasse toutes perceptions des autres prophètes. Beaucoup seraient tentés de comprendre cela comme une simple différence de niveau. Il s’agirait d’une grosse erreur. La différence entre Moshé et les autres prophètes est beaucoup plus profonde qu’un rapport hiérarchique banal. Pour comprendre ce qui différencie Moshé du commun des mortels, reportons-nous à une analyse empruntée à Rav Akiva Tatz qui cite Rabbénou Avraham au nom de son père le Rambam, ainsi que Rav Saadia Gaon.
Leur analyse se base sur une discussion entre Hakadoch Baroukh Hou et Moshé, qui semble se répéter à deux reprises dans la torah. En effet, lorsqu’Hachem enjoint Moshé d’aller libérer les bné-Israël, Moshé rappel ses difficultés d’élocution. C’est pourquoi, Hachem désigne Aaron pour être son porte-parole et parler à sa place devant Pharaon. Cependant, dans la paracha Vaéra, le même débat semble se répéter entre le maître du monde et son serviteur. Cela nous amène à comprendre que lors du premier discours, Moshé Rabbénou n’est pas convaincu de la réponse d’Hakadoch Baroukh Hou et qu’à cause de cela, une seconde explication soit nécessaire. Quel élément nouveau figurant dans le second débat, a permis à Moshé de comprendre la réponse qui le dérangeait dans le premier ?
La première réponse qu’apporte Hachem à Moshé est la suivante : (Chémot, chapitre 4)
טו/ וְדִבַּרְתָּ אֵלָיו, וְשַׂמְתָּ אֶת-הַדְּבָרִים בְּפִיו; וְאָנֹכִי, אֶהְיֶה עִם-פִּיךָ וְעִם-פִּיהוּ, וְהוֹרֵיתִי אֶתְכֶם, אֵת אֲשֶׁר תַּעֲשׂוּן׃
15/ Tu lui parleras, tu mettras les paroles dans sa bouche et moi je serais avec ta bouche et avec sa bouche et je vous enseignerai ce que vous ferez.
טז/ וְדִבֶּר-הוּא לְךָ, אֶל-הָעָם; וְהָיָה הוּא יִהְיֶה-לְּךָ לְפֶה, וְאַתָּה תִּהְיֶה-לּוֹ לֵאלֹהִים׃
16/ Il parlera pour toi au peuple, et ce sera, il sera pour toi comme un porte-parole et tu seras pour lui comme un ange.
La seconde est la suivante : (Chémot, chapitre 7, verset 1)
וַיֹּאמֶר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה, רְאֵה נְתַתִּיךָ אֱלֹהִים לְפַרְעֹה; וְאַהֲרֹן אָחִיךָ, יִהְיֶה נְבִיאֶךָ׃
Hachem dit à Moshé : Vois, je t’ai placé en ange devant Pharaon et Aaron ton frère sera ton prophète.
L’analyse de ces deux versions nous apporte un enseignement prodigieux ! En effet, comme nous le voyons dans la première citation, Hachem semble suggérer à Moshé de palier sa déficience d’élocution par un parte-parole, en l’occurrence son propre frère. C’est ici que Moshé devient perplexe. Comme chaque prophète le sait, une loi fondamentale à la prophétie est d’énoncer soit-même l’information qu’Hakadoch Baroukh Hou envoi. Aucun émissaire ou porte-parole, ni même interprète ne peut se substituer au prophète qui doit prononcer de sa bouche les paroles d’Hachem sous peine de mise à mort ! Il semble donc difficile pour Moshé de comprendre la solution telle qu’apportée par Hachem dans leur première discussion. C’est la raison pour laquelle une seconde discussion est nécessaire pour éclaircir les choses. Cette seconde discussion apporte à Moshé la solution à son questionnement.
La réponse d’Hachem est lumineuse : il ne s’agit pas de désigner Moshé comme prophète et Aaron comme son porte-parole ! Il s’agit pour Moshé d’être le « Élokhim » (l’ange) et pour Aaron d’être le « Navi » (le prophète). Hachem résout par cela le problème de Moshé. Moshé n’énoncera par une prophétie qu’Aaron répétera. Moshé sera littéralement la prophétie et Aaron le prophète !!! Comme le dit explicitement le verset « רְאֵה נְתַתִּיךָ אֱלֹהִים לְפַרְעֹה Vois je t’ai placé en tant qu’Élokhim sur Pharaon« , « וְאַהֲרֹן אָחִיךָ, יִהְיֶה נְבִיאֶךָ et Aaron sera TON prophète«
Hachem révèle ici la vrai nature de Moshé. Il n’est pas un simple prophète, il est celui qui reçoit la prophétie de la bouche d’Hachem et la reflète complètement au point de ne trouver aucune différence entre le fait d’écouter une prophétie de la bouche d’Hachem et de celle de Moshé. Il faut comprendre que la prophétie intervient par intermédiaire. Le prophète reçoit, en fonction de son niveau, la visite d’un ange chargé de lui dévoiler le message d’Hachem. Parfois, la prophétie se manifeste par un rêve ou un songe ou encore, au plus bas niveau, par des formes d’énigmes confuses que le prophète devra déchiffrer. En clair, il y a une mise à distance entre l’émission de l’information provenant du maître du monde et l’homme qui canalise cette information. Cependant, en ce qui concerne Moshé, les choses se situent sur un autre plan. Moshé Rabbénou est l’homme qui s’est rendu si transparent qu’il réfléchit la parole divine à l’identique. Il n’est pas un simple prophète réceptacle d’une prophétie. Il est la prophétie elle-même ! C’est en ce sens que Moshé trouve une réponse dans la seconde explication d’Hachem. L’inquiétude de Moshé face à l’interdiction pour un prophète d’user d’un porte-parole s’envole lorsqu’il comprend qu’Aaron ne sera pas un interprète, il sera au sens propre un prophète. Sa prophétie lui venant de son frère lui-même !
Cette explication pénétrante nous permet de comprendre, ce qui semble être une répétition dans les treize principes de foi du Rambam. Comme chacun le sait, le Rambam a énoncé, sous forme de treize règles, les bases de la foi juive. Cependant, la septième règle semble être incluse dans la sixième. En effet, la sixième règle consiste à croire en chaque mot énoncé par les prophètes. La septième consiste à croire en particulier en la prophétie de Moshé qui était le plus grand des prophètes. Quelle nuance existe t-il entre ces deux règles pour justifier que la septième en soit une à part entière ? En quoi admettre que Moshé était différent des autres, constitue un fondement de la foi ? La réponse est pour nous apparente au vu de ce que nous venons de développer. Chaque mot énoncer par les prophètes est vrai et doit être cru d’une foi totale. Mais la croyance à accorder aux paroles de Moshé est toute autre, de même que sa prophétie est toute autre. Les prophètes standards expliquent un message tandis que Moshé est le message ! C’est ce qui explique toute la différence entre les cinq livres écrit de la main de Moshé et ceux des autres prophètes. Étudier les livres des autres prophètes constitue une étude très sainte. Étudier la torah constitue l’étude de la parole d’Hachem comme il l’a lui-même dite ! Cette différence justifie concrètement de placer une règle de foi à part entière pour Moshé Rabbénou. Reconnaître Moshé comme radicalement différent des autres c’est admettre les paroles de Moshé identiquement à celles d’Hachem, et par cela, admettre le niveau prophétique si particulier de cet homme.
Un autre critère qui caractérise Moshé est la kéhouna. Le Midrach Rabba (sur Bamidbar, chapitre 4, paragraphe 8) enseigne qu’Adam Harichone était le premier cohen gadol de l’histoire, en tant qu’aîné du monde. Il a ensuite transmit se titre à Chet, qui l’a légué à Métouchéla’h, pour se trouver ensuite successivement chez Noa’h, Chem, Avraham, Yitshak puis Yaakov.
La torah enseigne que suite à la faute d’Adam Harichone, les deux premiers humains se sont rendus compte de leur nudité, c’est pourquoi, Hachem leur a confectionné des habits : (Bérechit, chapitre 3, verset 21) :
וַיַּעַשׂ יְהוָה אֱלֹהִים לְאָדָם וּלְאִשְׁתּוֹ, כָּתְנוֹת עוֹר–וַיַּלְבִּשֵׁם
Et Hachem-Dieu, fit pour Adam et sa femme, des tuniques de peaux et les vêtit.
Nos sages enseignent justement, ces tuniques n’étaient autres que les habits qu’Hachem a donné à Adam pour officier en tant que Cohen Gadol ! Toutefois, le Pirké dérabbi Éliézer (chapitre 20) se pose une question légitime. D’où provient cette peau ? Dans la mesure où à cette période de l’histoire, la consommation des animaux n’était pas permise à l’homme, il apparaît de facto, que le meurtre des animaux était absolument prohibé. Du coup, il semble difficile de comprendre la provenance de cette peau. À cela, il répond que cette peau provient du serpent qui a fait fauter Adam et Hava ! En effet, le serpent est un animal qui mue ! La première mue de l’histoire s’est produite suite à la faute originelle. Pour couvrir la nudité d’Adam et lui confectionner les habits du cohen, Hachem s’est servie de cette peau laissée par le serpent !
Le serpent qui a engendré la première faute de l’histoire, sera celui qui servira de compensation, lorsque sa peau deviendra l’habit du premier cohen gadol de l’histoire.
Plus tard dans l’histoire, nous trouvons écho à cela en la personne de Moshé Rabbénou. Comme nous l’avons vu, lorsqu’Hachem se dévoile à Moshé la première fois, le chargeant d’aller libérer son peuple, Moshé refuse. Au point, qu’Hachem insiste et se met en colère ! Lors de cette mise en colère, Rachi souligne un enseignement de Rabbi Yossi (Chémot, chapitre 4, verset 14). Ce dernier explique que Moshé Rabbénou était en effet destiné à devenir le cohen gadol. Toutefois, la colère d’Hachem à son égard lui a valu de perdre la prêtrise au profit d’Aaron !
Peut-être même qu’un signe a été donné à Moshé pour l’avertir. Ce signe n’est autre que la transformation de son bâton en serpent. Hachem dit à Moshé de jeter son bâton à terre et ce dernier devient un serpent ! La symbolique est la suivante. Comme nous l’avons vu pour Adam Harichone, la peau de serpent est le signe de la tenue du cohen gadol ! En clair, Hachem averti Moshé qu’il risque de perte ce bien : jeter le bâton qui se transforme en serpent, signifie jeter les habits du cohen gadol !
Mais que signifie donc cette perte ? Dans les faits, comme nous l’avons soulevé plus haut, Moshé a bien officié en tant que cohen pour l’inauguration du michkan ? Cela prouve bien qu’il n’a pas perdu son titre ?!
La réalité est peut-être telle qu’évoquée par le Sfat Émet (paracha tétsavé תרנ »א). Ce dernier développe l’idée selon laquelle, certes, Moshé Rabbénou devait être le cohen gadol des bné-Israël. Mais cela n’était plus faisable à la suite de la faute du veau d’or ! En effet, avant celle-ci, les bné-Israël avaient atteint le niveau des anges en termes de sainteté. À ce titre, leur niveau spirituel permettait et nécessitait que Moshé rabbénou soit leur cohen gadol. Toutefois, au lendemain de cette faute, la condition spirituelle du peuple s’en trouve plus qu’atteinte ! La chute était telle, que le peuple ne pouvait plus supporter la puissance de Moshé en tant que cohen gadol. C’est à cette instant qu’Aaron a scellé son accession au titre de cohen ! Toutefois, Moshé n’a pas réellement perdu ce titre. Ce qu’il a en réalité perdu, c’est la chance d’être un cohen terrestre ! Moshé ne pouvait être le cohen que de personnes du niveau des anges ! Par cela, nous comprenons que le niveau de prêtrise de Moshé surpasse toutes notions humaines, seuls des anges peuvent vivre avec Moshé en tant que cohen.
Enfin, le troisième titre de Moshé est celui de la royauté. Moshé se présente comme l’homme qui, quarante ans durant, va diriger les bné-Israël. Il est le premier leader de notre histoire, celui qui plaidera notre cause auprès d’Hachem, celui qui exécutera l’ensemble de ordre du créateur, celui qui enseignera la torah à tout le peuple et prendra toutes les décisions. Moshé rabbénou est le premier et le plus grand roi d’Israël. Au point que, le Or Haïm Hakadoch souligne (dans Béréchite, chapitre 49, verset 11) un enseignement du zohar précisant que de même que Moshé est celui qui nous a libéré de l’Égypte, de même, il est le roi Machia’h qui nous libérera de notre exil actuel !! cela se déduit du verset de Kohélét (chapitre 1, verset 9) : « מַה-שֶּׁהָיָה, הוּא שֶׁיִּהְיֶה Ce qui a été c’est ce qui sera », dont les premières lettres de chaque mot forment le nom משה Moshé. Le Machia’h, l’homme que nous attendons tant, chargé de nous affranchir définitivement de l’exil n’est autre que le plus grand homme de l’histoire, Moshé Rabbénou !!
à cela, le Or Haïm Hakadoch pose une question dont la réponse va enfin nous permettre de comprendre pourquoi Moshé réunit à lui seul tant de caractéristiques. Comme nous venons de l’affirmer, le machia’h et Moshé ne sont finalement qu’un seul et même homme. Or, cela paraît invraisemblable. Chacun sait que le machia’h est un descendant du roi David, à savoir un homme appartenant à la tribu de Yéhouda. Comment Moshé, descendant de Lévi, pourrait-il être machia’h ? cette question s’applique également à la kéhouna de Moshé dont nous venons de traité. Si Moshé est Lévy, il ne peut être cohen en même temps et réciproquement. Comment peut-il cumuler tant d’affectations différentes, surtout lorsque l’on sait que ces dernières sont respectivement sensé être l’apanage de différentes tribus ?
La réponse est saisissante. À plusieurs reprises, nos sages enseignent que Moshé équivalait à lui-seul, aux six cent mille âmes des bné-Israël ! En clair, Moshé dispose de l’essence de chaque composant de ce peuple, rien ne lui échappe. La royauté, la kéhouna et la prophétie sont incarnés au plus profond de l’âme de Moshé ! C’est pourquoi, il n’y a pas de difficulté à admettre qu’il peut aussi bien être de la tribu de Lévy, que de celle de Yéhouda. Moshé Rabbénou échappe aux critères qui distinguent une tribu d’une autre. Il réunit l’ensemble des différents composants du peuple. C’est pourquoi, seul cette homme pouvait monter ciel et humaniser la science d’Hachem en transmettant la torah aux bné-Israël. Telle est l’ampleur de Moshé !
Le Rambam enseigne qu’il est de la capacité de chacun d’atteindre le niveau de Moshé Rabbénou. Lorsque nous lisons notre développement, les mots du Rambam semblent surréalistes. Et pourtant, il n’hésite pas à l’affirmer comme un fait. Car, si Moshé est celui qu’Hachem nous a envoyés, c’est bien pour que nous prenions exemple sur lui, que nous visions sa grandeur. Ce n’est que comme cela, que nous pourrons espérer atteindre un grand niveau. C’est le cursus que tous les grands de la torah ont suivi, celui de ne s’imposer aucune frontière, d’être en constant dépassement de soi, pour viser sans cesse un niveau supérieur. C’est comme cela qu’ils ont dépassé les limites humaines, c’est comme cela qu’ils sont devenus les Moshé rabbénou de leur génération. Puissions-nous également nous surpasser et éclairer le monde de la torah dont Hachem nous a fait cadeau et nous offrira de nouveau dans quelques jours, à Chavouot, amen ken yéhi rastone.
Chabbat Chalom.