Parachat Michpatim Yéhouda Moshé Charbit (5774)
Parachat Michpatim Charbit
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בס״ד
PARACHAT Mishpatim
La Paracha de michpatim traite des lois qui ont été données à Moshé Rabbénou lorsqu’il est monté recevoir la Torah. Ainsi, l’ensemble des règles qui régissent la vie quotidienne sont énoncées une à une. Les lois concernant les esclaves et les modalités de leur libération, le meurtre, volontaire comme involontaire, les dommages physiques, causés par l’homme ou par ce qui lui appartient (par exemple un taureau), mais également celles régissant les prêts, la garde d’objet etc…, sont ainsi détaillées dans ce passage de la Torah. La Torah fait également mention des principales fêtes du calendrier à savoir, Pessa’h, Chavouot, Roch Hachana et Kippour, ainsi que Souccot. La Paracha se termine par l’invitation que reçoit Moshé à monter sur la montagne pour y recevoir les deux tables en pierre sur lesquelles seront inscrits les dix commandements.
Dans le chapitre 23, la Torah dit :
יד/ שָׁלֹשׁ רְגָלִים, תָּחֹג לִי בַּשָּׁנָה׃
14/ Trois périodes tu fêteras pour moi dans l’année.
טו/ אֶת-חַג הַמַּצּוֹת, תִּשְׁמֹר–שִׁבְעַת יָמִים תֹּאכַל מַצּוֹת כַּאֲשֶׁר צִוִּיתִךָ לְמוֹעֵד חֹדֶשׁ הָאָבִיב, כִּי-בוֹ יָצָאתָ מִמִּצְרָיִם; וְלֹא-יֵרָאוּ פָנַי, רֵיקָם׃
15/ Tu observeras la fêtes des matsot ; durant sept jours tu mangeras des matsot comme je te l’ai ordonné au moment fixé, au mois du printemps, c’est alors que tu es sorti d’Égypte, et on ne paraîtra pas devant ma face les mains vides.
טז/ וְחַג הַקָּצִיר בִּכּוּרֵי מַעֲשֶׂיךָ, אֲשֶׁר תִּזְרַע בַּשָּׂדֶה; וְחַג הָאָסִף בְּצֵאת הַשָּׁנָה, בְּאָסְפְּךָ אֶת-מַעֲשֶׂיךָ מִן-הַשָּׂדֶה׃
16/ Et la fête de la moisson des prémices de ton travail que tu auras semés dans le champ, et la fête de la récolte à l’issue de l’année, quand tu récolteras le fruit de tes travaux du champ.
יז/ שָׁלֹשׁ פְּעָמִים, בַּשָּׁנָה–יֵרָאֶה, כָּל-זְכוּרְךָ, אֶל-פְּנֵי, הָאָדֹן יְהוָה׃
17/ Trois fois par an, tout mâle de chez toi apparaîtra devant le seigneur, Hachem.
יח/ לֹא-תִזְבַּח עַל-חָמֵץ, דַּם-זִבְחִי; וְלֹא-יָלִין חֵלֶב-חַגִּי, עַד-בֹּקֶר׃
18/ Tu ne sacrifieras pas, sur le levain, le sang de mon sacrifice ; et la graisse de mon offrande de fête ne passera pas la nuit jusqu’au matin.
Dans ce passage, les trois fêtes sont mentionnées. Effectivement, nous voyons Pessa’h avec la mention de la fête des matsot, puis Chavouot avec la mention de la moisson et enfin Souccot avec la mention de la fête de la récolte. Si les mentions de « fête des matsot » et de « fête de la moisson » sont fréquentes pour Pessa’h et Chavouot, la mention de « fête de la récolte » pour faire référence à Souccot est, elle, inédite. Pourquoi ne pas mentionner simplement cette fête par le nom que nous lui attribuons de façon générale, à savoir Souccot ? Pour les deux autres fêtes, le choix des noms utilisés ici n’est pas unique et il se retrouve dans d’autres passages. C’est pourquoi, à la simple lecture nous reconnaissons directement de quelle fête il s’agit. Mais en ce qui concerne Souccot, le changement de nomination de cette fête n’est pas usuel. Dès lors pourquoi choisir ici de la nommer « fête de la récolte » ?
Pour comprendre il faut remonter aux origines du nom de cette fête. Le Gaon de Vilna[1] demande pourquoi nous fêtons Souccot le 15 Tichri, et non en Nissan, en même temps que la sortie d’Égypte ? Vu que cette fête concerne également notre libération, il aurait été cohérent de la célébrer en même temps que Pessa’h ?
Pour cela, le Gaon de Vilna, explique qu’initialement il n’y avait pas de nécessité d’avoir un souvenir particulier concernant les nuées de gloire. En effet, comme tout le monde le sait, la fête de Souccot commémore les sept nuées qui accompagnaient les bné-Israël dans le désert et les protégeaient de l’hostilité du terrain qu’ils traversaient. Cependant, bien que ce miracle soit prodigieux, il ne semble pas justifier d’en faire une fête à part entière. À titre d’exemple, les bné-Israël recevaient quotidiennement de la manne pour avoir de quoi manger et ce n’est pas pour autant que nous trouvons que la Torah ordonne de célébrer ce miracle par une fête particulière. Le fait que nous fêtions les nuées provient en réalité d’un événement qui s’est produit le 15 Tichri, en rapport avec ces nuées. Il s’agit de leur retour ! Effectivement, lorsque les bné-Israël ont commis la faute du veau d’or, Hakadoch Baroukh Hou a retiré sa présence du camp. De ce retrait s’est évidement suivi le retrait des nuées divines qui encadraient le peuple. Leur retour n’est survenu qu’après que Moshé ait obtenu le pardon du peuple le jour de Yom Kippour. Ainsi, Moshé annonce le retour d’Hachem parmi son peuple et le 15 Tichri, les nuées assuraient de nouveau la protection du peuple.
Nous fêtons donc à Souccot, le retour de ces nuées, car durant le temps de leur absence, les bné-Israël étaient à découvert. En souvenir, nous nous réfugions dans les souccot durant la fête, pour faire référence à notre joie d’avoir vu le retour de nuées en ce jour.
Le Mechekh Hokhma[2] explique donc à partir de cela, que puisque la faute du veau d’or n’a eu lieu qu’après notre Paracha, il fait sens d’appeler Souccot « fête de la récolte ». Car jusque là, le principe de Souccot qui demande de vivre dans une souccah n’existait pas. La Torah ne peut donc pas en parler dans ces termes et pour faire mention de cette fête, elle parle de la fête de la récolte.
De cette remarque, il ressort un point fondamental sur le principe même des mitsvot. Effectivement, nous voyons que la fête de Souccot, avant même de s’appeler ainsi, existait sous un autre nom et faisait partie intégrante des fêtes que la Torah demande de célébrer annuellement. Or comme vient de nous l’expliquer le Gaon de Vilna, la raison de cette fête est le retour des nuées de gloire qui nous ont protégé. Or, puisqu’au moment où nous nommons cette fête « fête de la récolte », la justification même de cette fête ne s’est pas produite, puisqu’elle ne survient qu’après la faute du veau d’or, comment cette fête peut-elle déjà exister ? Lorsque nous analysons, il semble bien que Pessa’h a été donné après la sortie d’Égypte. Puisque nous célébrons Pessa’h en souvenir de cet événement, il est donc normal que jusqu’à ce que cet événement se produise, nous ne puissions pas le célébrer. De même pour Chavouot qui commémore le don de la Torah. Tant que la Torah ne nous a pas été donnée au mont Sinaï, il n’y a rien à célébrer le jour de Chavouot. Dès lors, en l’état, puisque les nuées de gloire ne sont ni parties, ni revenues, comment parler de célébrer leur retour ?
Cette interrogation est fréquente lorsque nous parlons du fait qu’Avraham, Yitshak et Yaakov fêtaient les trois fêtes, alors même que la Torah n’avait pas été donnée. Que fêtaient-ils ? La sortie d’Égypte qui n’avait pas encore eu lieu ? Le don de la Torah avant même qu’il ne se produise ? Le retour des nuées, alors même qu’elles ne sont pas encore arrivées ?
Une réponse à cette question est avancée par Rav Akiva Tatz. Nous ne célébrons pas Pessa’h parce que nous sommes sortis d’Égypte !! Nous sommes, au contraire, sortis d’Égypte parce que c’était Pessa’h! Idem pour les deux autres fêtes ! Nous ne fêtons pas Chavouot et Souccot parce que nous y avons respectivement reçu la Torah et le retour des nuées. C’est l’inverse ! Nous avons reçu la Torah et le retour des nuées parce que c’était le moment de Chavouot et de Souccot !
Il faut comprendre que le temps s’écoule de sorte qu’à chaque instant correspond une force particulière, une énergie d’action sur un plan spirituel. Ainsi, le temps consiste en l’exposition de différentes opportunités de saisir cette énergie, et de s’en servir. Le temps est structuré de façon cyclique, et ainsi, chaque énergie libérée à un instant donné disparaît jusqu’à ce que le temps nous offre une nouvelle opportunité de capter cette force. La fréquence de répétition dépend de la force en question. Le moyen de saisir ces forces nous est révélé par la Torah sous forme de mitsvot, chacune adaptée à un type de force particulier. Nous trouvons donc que certaines forces se répètent quotidiennement, comme par exemple la force particulière qui se révèle le matin et que nous captons lorsque nous prions chaharit. D’autres mistvot se répètent plus épisodiquement, comme par exemple les trois fêtes de l’année qui ne se célèbrent qu’une fois par an. Chacune de ces fêtes est le moment pour l’homme de saisir une énergie qui est singulière et unique. Il apparaît donc que la mitsvah est l’expression de ces forces et non l’inverse. La mitsvah n’est pas la source de ces énergies. C’est cette énergie qui se canalise sous la forme d’une mitsvah.
Dès lors, lorsqu’Hachem crée le monde et qu’il y place toutes ces formes d’énergie, il définit en même temps, le moyen, les critères, permettant à l’homme de s’imprégner de cette puissance. Ce sont les mistvot. En ayant cela à l’esprit, il s’avère que nous comprenons les choses différemment. Prenons l’exemple déjà exposé, celui des fêtes. Le fait même que nous soyons sortis d’Égypte à Pessa’h provient de l’énergie particulière dont dispose cette période de l’année et qui a rendu notre libération possible. C’est donc bien Pessa’h qui fait que nous sommes sortis et non notre sortie qui a engendré Pessa’h ! De même, le don de la Torah au mont Sinaï, n’a été possible que parce qu’à cet instant de l’année, les forces libérées créent une configuration particulière qui a permis le don de la Torah à l’homme. De nouveau, c’est Chavouot qui nous a « donné » la Torah et non le don de la Torah qui a provoqué la fête de Chavouot ! Et enfin, les forces libérées en Tichri ont permis le retour des nuées de gloire, mais ce n’est pas les nuées de gloire qui ont permis la création de la fête de Souccot ! Ce qui est important de comprendre c’est que l’histoire s’est greffée sur des fêtes qui existaient déjà. Ces fêtes ont été définies bien avant les événements auxquels nous les assimilons. Elles sont le moyen de saisir les forces particulières qui sont mises en œuvre au moment de la célébration des fêtes. Il n’est donc plus étonnant de constater qu’avant de s’appeler Souccot et d’être justifiée par le retour des nuées, la fête elle-même existait déjà ! Car elle permettait de saisir ces forces qu’Hachem a placées dès la création du monde. De même, il n’est pas surprenant de voir que les patriarches célébraient ces fêtes avant même que la Torah ne soit donnée ! Car, Avraham, Yitshak et Yaakov avaient pu saisir et sentir les forces particulières qui se libéraient à chaque instant. Ainsi, ils comprenaient par exemple, que le 15 Nissan nécessitait de manger des matsot. De même pour les autres mistvot. Par cela, ils ont pu pratiquer toutes les mitsvot avant qu’elles ne soient données ! Il ne s’agit donc plus de commémorer les fêtes mais de les utiliser pour se sanctifier.
Nous remarquons alors, qu’à chaque instant correspond une force spirituelle qui nous aide à accomplir ce que nous devons accomplir à cet instant précis. Cet instant peut parfois être unique, c’est pourquoi il est vital de saisir ce moment immédiatement de peur de laisser passer cette énergie particulière. Plusieurs exemples sont inscrits dans la Torah pour nous montrer la nécessité de sauter sur ces occasions sous peine de ne jamais les retrouver. Par exemple, la Torah raconte que Moshé Rabbénou s’est voilé la face lorsque pour la première fois, Hachem s’est dévoilé devant lui. Nos sages enseignent que son attitude est digne de louange car il a marqué son respect pour le maître du monde. Et pourtant, par la suite, la guémara dans le traité bérakot (page 7a), raconte que Moshé a demandé à Hakadoch Baroukh Hou de se dévoiler à lui, mais cette fois c’est Hachem qui a refusé lui rétorquant : « quand je voulais me dévoiler à toi, tu n’as pas voulu ; maintenant que tu veux, c’est moi qui ne veux pas ». Il semble donc que dans ce passage Hachem indique que, puisqu’il n’a pas voulu la première fois, il a perdu sa chance. Mais pourtant, nous venons de dire que nos sages louent l’attitude de Moshé d’avoir caché son visage ? La réponse est pour nous claire après les explications que nous avons données. Lorsque pour la première fois, Hachem souhaite se dévoiler et le propose à Moshé, cela est conceptuellement possible. Car l’instant même le permet. Les forces qui sont disponibles, rendent propice un tel dévoilement. Cependant Moshé choisi de cacher son visage, et cela est une bonne attitude ! Par contre, lorsque Moshé souhaite et demande à voir Hachem, c’est Hachem qui refuse cette fois. Il lui explique en fait que, la première fois, les conditions étaient réunies. Mais pour la seconde, les conditions ne sont plus mises en place et ainsi, Moshé a perdu cette opportunité unique ! Il ne pouvait plus voir la gloire d’Hachem comme cela lui a été proposé la première fois ! Non pas parce qu’il a refusé et donc qu’Hachem refuse pour avoir la même attitude que Moshé ! Il s’agit de comprendre que l’opportunité a disparu !
Une magnifique histoire sur le Hafets Haïm[3] reflète parfaitement ce principe. Un des élèves du Hafets Haïm souhaitait quitter la Yéchiva dans laquelle il était, à Radin. En allant voir le rav pour recevoir sa bénédiction, le rav l’interpelle en premier lui disant : « Je suis Cohen ! » L’élève, interloqué ne comprend pas ce que signifient les paroles du rav. Le Hafets Haïm poursuit en ajoutant « Et toi tu ne l’es pas ! Sais-tu ce que cela veut dire ? Je vais te l’expliquer. Quand le machia’h viendra et que le beth Hamikdach sera reconstruit, nous devrons tous y courir. Lorsque tu arriveras aux portes, on te dira : « tu ne peux pas entrer, tu n’es pas cohen ! » Par contre, moi, je serais autorisé à y entrer. Sais-tu pourquoi ? Parce qu’il y a des milliers d’années, dans le désert du Sinaï, un grand péché (le veau d’or) a été commis et l’honneur d’Hachem devait être vengé ! Moshé s’est dressé et a crié : « מִי לַיהוָה אֵלָי Celui qui est pour Hachem : Avec moi ! » . La tribu de Lévy, mes ancêtres, ont répondu immédiatement et se sont rangés à ses côtés. Les tiens n’ont pas agi de la sorte. De ce fait, je descends des cohanim et pas toi ; c’est ce qui fait la différence entre nous ! » Après une pause, le rav dit enfin à son élève qui ne savait plus où se mettre : « Quelques fois, quelque part, dans ta vie, là-bas dans le monde, tu entendras un appel : « מִי לַיהוָה אֵלָי Celui qui est pour Hachem : Avec moi !« . Quand tu entendras cet appel ; cours !!!! »
Ce que suggère le rav à son élève est de ne pas manquer ces fameuses occasions, qui permettent de s’imprégner de ces forces. Il lui rappelle donc le mérite particulier qui a passé les siècles et qui a élu les Lévy en tant que tribu consacrée au service du temple ! Par cela, il lui apprend à quel point ces moments sont importants et précieux ! En laisser passer un seul, c’est perdre un mérite énorme dont nous n’avons même pas idée. Juste parce qu’ils se sont placés du côté de Moshé, les Lévi se sont vu attribués un mérite éternel. La vie d’un homme est jonchée par tous ces instants qui reflètent des énergies précises dont nos mitsvot permettent la capture. Il faut sauter sur ces occasions de s’élever, ne surtout pas les manquer ! Peut-être ne se représenteront-elles jamais ! Peut-être sont-elles des occasions uniques ! Quoiqu’il en soit, elles sont précieuses, bien trop pour les laisser passer. Le Hafets Haïm nous enseigne ici que chacun de ces moments est un appel. Le même que Moshé avait fait suite à la faute du veau d’or. Cela signifie, qu’à chaque fois que se présente une mitsvah devant nous, nous devons entendre son appel : « מִי לַיהוָה אֵלָי Celui qui est pour Hachem : Avec moi ! » et à notre tout de répondre présent à cet appel ! Arrêtons de l’ignorer ! Écoutons cet appel et répondons-y ! Et, lorsque nous crierons à notre tour, c’est Hachem qui se rangera derrière nous pour soutenir notre appel et y réponde rapidement en nous délivrant rapidement de ce dernier exil qui n’a que trop duré, amen ken yéhi ratsone.
[1] Rav Eliyahou ben Shlomo Zalman, plus connu comme le Gaon de Vilna (le génie de Vilna), est un des plus éminents maîtres de l’époque des akharonim.
[2] Rabbi Sim’ha Hacohen né en 1843 est l’un des derniers géants de la Torah d’avant la Shoah. Ses commentaires sur la Torah ont été publiés à sa mort sous le nom de Mechekh Hokhma.
[3] Rabbi Israël Meïr de Radin plus connu sous le nom de Hafets Haïm en hommage avec son ouvrage sur les lois du langage.