Parashat Ki Tissa (5775)
Yéhouda Moshé Charbit
Pour télécharger le fichier correspondant : ki-tissa-5775
בס״ד
PARACHAT KI TISSA
La paracha de ki tissa débute par un appel au mahatsit hachékel (un demi chékel) que chacun des hommes âgés de vingt ans et plus devait donner afin de permettre un recensement du peuple d’Israël. L’argent ainsi récolté servait également pour l’achat des offrandes quotidiennes du michkan. Hachem ordonne ensuite à Moshé de confectionner l’huile d’onction ainsi que l’encens, en lui détaillant les différents composants de ces derniers. Ayant terminé d’énumérer la liste de tous les ustensiles qui devaient servir dans le michkan, Hakadoch Baroukh Hou désigne Betsalel, fils de Ouri, accompagné d’Aholiab fils d’A’hisamakh, pour la conception de tous ces ustensiles.
Du fait que toutes ces lois en dépendent, immédiatement après les règles de fabrication du michkan se trouve l’injonction du chabbat et de ses lois. C’est au terme de l’énumération de toutes les lois de la Torah, que Hachem remet à Moshé les deux tables de la loi et le quitte de façon tragique, car malheureusement, le peuple, durant l’absence de Moshé commit une des fautes les plus marquantes de son histoire, le veau d’or, qui causa la destruction des tables de la loi par Moshé lui-même, horrifié de voire un tel spectacle. Cette grave faute rendit le peuple coupable de la peine capitale. Baroukh Hachem, par ses téfilot, Moshé Rabbénou parvint à nous sauver et en intervenant par deux reprises auprès de Hachem, réussit à obtenir un pardon total allant même jusqu’à convaincre Hachem de résider parmi le peuple et lui confier de nouveau les tables de la loi.
Dans le chapitre 33 de Chémot, la torah dit :
יח/ וַיֹּאמַר: הַרְאֵנִי נָא, אֶת-כְּבֹדֶךָ׃
18/ Il dit : « De grâce, montre-moi Ta gloire ».
יט/ וַיֹּאמֶר, אֲנִי אַעֲבִיר כָּל-טוּבִי עַל-פָּנֶיךָ, וְקָרָאתִי בְשֵׁם יְהוָה, לְפָנֶיךָ; וְחַנֹּתִי אֶת-אֲשֶׁר אָחן, וְרִחַמְתִּי אֶת-אֲשֶׁר אֲרַחֵם׃
19/ Il dit : « Je ferai passer toute Ma bonté devant toi et Je proclamerai le Nom d’Hachem devant toi et J’accorderai la grâce quand J’accorderai la grâce, et J’aurais de la compassion quand J’aurais de la compassion ».
כ/ וַיֹּאמֶר, לֹא תוּכַל לִרְאֹת אֶת-פָּנָי: כִּי לֹא-יִרְאַנִי הָאָדָם, וָחָי׃
20/ Il dit : « Tu ne pourras pas voir Ma face car l’homme ne peut Me voir et vivre ».
כא/ וַיֹּאמֶר יְהוָה, הִנֵּה מָקוֹם אִתִּי; וְנִצַּבְתָּ, עַל-הַצּוּר׃
21/ Hachem dit : « Voici un endroit à côté de Moi et tu te tiendras debout sur le rocher.
:כב/ וְהָיָה בַּעֲבֹר כְּבֹדִי, וְשַׂמְתִּיךָ בְּנִקְרַת הַצּוּר; וְשַׂכֹּתִי כַפִּי עָלֶיךָ, עַד-עָבְרִי
22/ Ce sera, quand Ma gloire passera, Je te mettrai dans la cavité du rocher, Je te couvrirai de Ma paume jusqu’à ce que Je sois passé.
:כג/ וַהֲסִרֹתִי, אֶת-כַּפִּי, וְרָאִיתָ, אֶת-אֲחֹרָי; וּפָנַי, לֹא יֵרָאוּ
23/ Puis Je retirerai Ma paume et tu verras Mon dos mais Ma face ne sera pas vue ».
Lorsque Moshé est parvenu à obtenir le pardon du peuple pour la faute du veau d’or, il s’est rendu compte qu’en l’état, Hakadoch Baroukh hou se trouvait enclin à l’écoute de ses requêtes. C’est pourquoi Moshé rabbénou saute sur l’occasion et demande au Maître du monde de se dévoiler. À cela, Dieu répond qu’aucun homme ne peut le contempler et rester en vie. De fait, Hachem propose une alternative : Il passera et Moshé pourra observer le Créateur de dos.
Ce passage nous amène à deux questions. La première concerne l’incapacité humaine à voir Hachem en restant vivant. Cela semble problématique au vu de ce qu’enseigne Rabbi Yéhochoua Ben Kor’ha dans le traité Bra’hot (page 7a) :
« Hachem dit à Moshé : Lorsque Je voulais tu ne voulais pas, maintenant que tu veux, Je ne veux plus ».
Cette phrase renvoie à la conversation qui a eu lieu entre Dieu et Moshé sur le buisson ardent. À cet instant Moshé s’est recouvert le visage par pudeur devant le dévoilement du Maître du monde. De cet enseignement ressort une contradiction apparente. Il semble que si Moshé n’avait pas caché son visage lors de la discussion devant le buisson, alors il aurait observé et contemplé le dévoilement divin. Cela signifie que telle était l’intention d’Hakadoch Baroukh Hou. Or, notre paracha atteste que l’homme ne peut supporter une telle expérience et survivre. Il semble difficile de comprendre que Moshé puisse à l’époque supporter ce qu’il ne pourrait supporter aujourd’hui dans la mesure où, son niveau actuel est supérieur. Cela signifie que si déjà, avant la sortie d’Égypte il aurait supporté l’évènement, alors à fortiori devrait-il en être capable dans notre paracha. Qu’est-ce qui sépare les deux moments pour rendre aujourd’hui infaisable ce qui l’était auparavant.
La seconde question qui se pose concerne l’alternative proposée par Dieu : ne le voir que de dos. Partant du principe que Dieu est infini, que signifie de ne voir qu’une partie de son infinité ? Hachem aurait « détaché » une partie du tout pour la rendre accessible à l’homme ? Quand bien-même une telle idée serait avérée, même une infime partie de Dieu, reste de l’ordre de l’infinie, alors pourquoi Moshé pourrait-il la contempler ?
Pour apporter une ébauche de réponse à nos questions, il convient de comprendre ce que signifie l’idée de voir Dieu. Nos sages enseignent que le monde est contenue à l’intérieur de Dieu et non l’inverse. Partant de ce postulat, il est évident qu’il est humainement impossible de le voir entièrement. Dès lors, cela nous pousse à comprendre les choses autrement. Voir Hachem ne signifie pas de le contempler de nos yeux mais plutôt, de comprendre et de ressentir sa volonté. Cela se comprend à la lecture de la réponse d’Hachem dans le verser 19 où Il dit : « וְחַנֹּתִי אֶת-אֲשֶׁר אָחן, וְרִחַמְתִּי אֶת-אֲשֶׁר אֲרַחֵם J’accorderai la grâce quand J’accorderai la grâce, et J’aurais de la compassion quand J’aurais de la compassion ». Ces mots prouvent que la question initiale de Moshé consistait à comprendre le fonctionnement de la justice et de la compassion divine.
À cet égard, un commentaire du Beth Halévi nous apporte un éclaircissement important sur nos questions. En effet, lorsque Moshé est redescendu tables à la main, il a pu constater de ses yeux la faute du veau d’or et a brisé les tables de la loi. Sur cela, le midrach enseigne que la raison de cet acte provient du la « fuite » des lettres inscrites sur les tables (cf Yalkout chimoni, sur notre paracha simane 393), rendant les tables trop lourdes pour que Moshé puisse les tenir. Le Beth Halévi explique que les lettres dont nous parlons constituaient les lettres de la torah orales qui initialement étaient littéralement incrustées dans les tables de la Loi entre chaque commandement ! Cela signifie qu’à l’origine, la torah écrite et la torah orale ne formaient qu’une seule entité. La compréhension émanait du texte lui-même ! Toutefois, cela n’a été le cas que jusqu’à la faute du veau d’or qui a entrainé la fuite des lettres inscrites entre les commandements, celles de la torah orale ! Dès lors, une séparation s’est produite et la torah a nécessairement était divisée.
En effet, le Beth Halévi poursuit en expliquant pourquoi les secondes tables ne pouvaient plus contenir l’explication de la torah écrite. Le midrach rabba (chémot, chapitre 47, alinéa 1) explique que la raison pour laquelle Hachem n’a pas écrit la torah orale, provient du fait qu’il savait que les bné-Israël tomberaient dans l’exil. Dans de telles conditions le risque de voir les goyim se saisir de telles connaissances était trop grand, c’est pourquoi, le Maître du monde a choisi de laisser les secrets de la torah à la transmission orale afin d’empêcher les autres peuples d’accéder à cette puissance.
Un tel raisonnement ne peut se tenir qu’en ce qui concerne les secondes tables et non les premières. Car, en effet, les premières précèdent la faute du veau d’or, et avant celles-ci, les bné-Israël s’étaient affranchis du mal et étaient sensés ne plus sombrer dans l’exil et la domination goy. Le risque de voir les connaissances de la torah orale tombées entre les mains des goyim est alors inexistant et ne justifie pas de cacher quoique ce soit. Cependant, suite à la faute, les choses redeviennent ce qu’elles étaient et de nouveau le peuple est soumis au risque d’être asservis. C’est dans ces conditions qu’Hachem fait le choix de laisser la torah orale exclusivement entre nos lèvres, loin du papier.
Cela nous permet de comprendre une chose fondamentale. Jusqu’au second don de la torah, la compréhension de la torah se faisait de façon quasi spontanée, la torah était une science claire et dévoilée à quiconque la lisait. C’est le risque de vivre dans l’exil qui constitue la ligne de démarcation, et distingue l’écrit de sa compréhension. En somme, la connaissance de Dieu, sa compréhension, était accessible.
Nous pouvons maintenant tenter d’apporter les réponses à nos problèmes. Comme nous l’avons dit, la requête de Moshé consistait à pénétrer les secrets de la torah, la connaissance ultime de Dieu. Ce à quoi Hachem répond qu’aujourd’hui c’est impossible, alors même que cela l’était lors du dévoilement près du buisson ! Cela s’explique parfaitement, dans la mesure où en effet, à cette première période, la torah qu’étudiaient nos ancêtres n’étaient ni écrite ni orale, dans le sens où cette distinction n’est intervenue que lors du veau d’or. Ainsi, lorsque pour la première fois, Hachem se présente à Moshé et lui laisse la possibilité de le contempler, l’homme est apte à un tel phénomène ! Les deux torah sont unies, du coup, la compréhension du Maître du monde est immédiatement totale. Seulement, au lendemain de la faute et de la distorsion de la torah, recevoir la torah ne signifie plus comprendre la pensée d’Hakadoch Baroukh Hou. Dans une telle configuration, Moshé ainsi que tous les êtres humains, ne peuvent plus percevoir l’entièreté de Dieu. La torah telle que donnée de la main du Créateur ne constitue qu’une base permettant d’aboutir à la compréhension absolue : l’homme n’a plus accès qu’à l’arrière, au « dos » divin. Tandis que la face, celle qui caractérise la compréhension et la connaissance, devient la récompense de celui s’efforce d’approfondir le contenu du texte : la face d’Hachem est cachée, la torah orale se détache des tables et ne s’exprime plus à l’écrit !
Cette séparation entre l’avant et l’arrière d’Hachem constitue peut-être la même séparation qu’a subit la torah. L’arrière constitue un base qui ramène vers l’avant. C’est pourquoi, Hachem n’a dévoilé que son dos. Afin de refléter la chose suivante à Moshé. Hakadoch Baroukh Hou dévoile sans restriction la base de sa connaissance, son dos, qui au vu de notre explication, renvoi à la torah écrite qui, elle aussi, se trouve être la base de la torah. Par contre, la face d’Hachem reste cachée car l’expression la plus profonde de la torah n’est autre que la torah orale qui constitue l’éclaircissement dont nous avons besoin pour comprendre la torah !
Cela nous apporte un regard nouveau sur notre faculté à nous approcher du créateur du monde. Nous avons tendance à penser que le seul moyen de le « voir » est qu’il se dévoile. Mais ceci est parfaitement faux. Le seul moyen de le voir est de s’y préparer, à savoir que l’accès à sa sainteté est maintenant crypté entre les lignes de la torah. Le seul moyen de déchiffrer est d’étudier la torah orale qui nous permet de comprendre les merveilles de la torah écrites.
Yéhi ratsone que le peuple juif (re)donne à la torah toute l’importance qu’il lui est due, afin de pouvoir observer la ché’hina amen veéamen.
Chabbat Chalom.