Parashat Ki Tissa (5774)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
PARACHAT KI TISSA
La paracha de ki tissa débute par un appel au mahatsit hachékel (un demi chékel) que chacun des hommes âgés de vingt ans et plus devait donner afin de permettre un recensement du peuple d’Israël. L’argent ainsi récolté servait également pour l’achat des offrandes quotidiennes du michkan. Hachem ordonne ensuite à Moshé de confectionner l’huile d’onction ainsi que l’encens, en lui détaillant les différentes composantes de ces derniers. Ayant terminé d’énumérer la liste de tous les ustensiles qui devaient servir dans le michkan, Hakadoch Baroukh Hou désigne Betsalel, fils de Ouri, accompagné d’Aholiab fils d’A’hisamakh, pour la conception de tous ces ustensiles.
Du fait que toutes ces lois en dépendent, immédiatement après les règles de fabrication du michkan se trouve l’injonction du chabbat et de ses lois. C’est au terme de l’énumération de toutes les lois de la Torah, que Hachem remet à Moshé les deux tables de la loi et le quitte de façon tragique, car malheureusement, le peuple, durant l’absence de Moshé commit une des fautes les plus marquantes de son histoire, le veau d’or, qui causa la destruction des tables de la loi par Moshé lui-même, horrifié de voire un tel spectacle. Cette grave faute rendit le peuple coupable de la peine capitale. Baroukh Hachem, par ses téfilot, Moshé Rabbénou parvint à nous sauver et en intervenant par deux reprises auprès de Hachem, réussit à obtenir un pardon total allant même jusqu’à convaincre Hachem de résider parmi le peuple et lui confier de nouveau les tables de la loi.
Dans le chapitre 32, la torah dit :
א/ וַיַּרְא הָעָם, כִּי-בֹשֵׁשׁ מֹשֶׁה לָרֶדֶת מִן-הָהָר; וַיִּקָּהֵל הָעָם עַל-אַהֲרֹן, וַיֹּאמְרוּ אֵלָיו קוּם עֲשֵׂה-לָנוּ אֱלֹהִים אֲשֶׁר יֵלְכוּ לְפָנֵינוּ–כִּי-זֶה מֹשֶׁה הָאִישׁ אֲשֶׁר הֶעֱלָנוּ מֵאֶרֶץ מִצְרַיִם, לֹא יָדַעְנוּ מֶה-הָיָה לוֹ׃
1/ Le peuple vit que Moshé tardait à descendre de la montagne ; le peuple se rassembla autour d’Aaron ; ils lui dirent : « Lève toi ! Fais-nous des dieux qui marcheront devant nous, car ce Moshé qui nous a fait monter du pays d’Égypte, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé ».
ב/ וַיֹּאמֶר אֲלֵהֶם, אַהֲרֹן, פָּרְקוּ נִזְמֵי הַזָּהָב, אֲשֶׁר בְּאָזְנֵי נְשֵׁיכֶם בְּנֵיכֶם וּבְנֹתֵיכֶם; וְהָבִיאוּ, אֵלָי׃
2/ Aaron leur dit : « Enlevez les boucles d’or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles, et apportez-les moi ».
ג/ וַיִּתְפָּרְקוּ, כָּל-הָעָם, אֶת-נִזְמֵי הַזָּהָב, אֲשֶׁר בְּאָזְנֵיהֶם; וַיָּבִיאוּ, אֶל-אַהֲרֹן׃
3/ Ils se dépouillèrent, tout le peuple, des boucles d’or qui étaient à leurs oreilles et les apportèrent à Aaron.
ד/ וַיִּקַּח מִיָּדָם, וַיָּצַר אֹתוֹ בַּחֶרֶט, וַיַּעֲשֵׂהוּ, עֵגֶל מַסֵּכָה; וַיֹּאמְרוּ–אֵלֶּה אֱלֹהֶיךָ יִשְׂרָאֵל, אֲשֶׁר הֶעֱלוּךָ מֵאֶרֶץ מִצְרָיִם׃
4/ Il prit de leur main et le façonna au burin. Il en fit un veau de métal. Ils dirent : « voici tes dieux, Israël qui t’ont fait monter du pays d’Égypte.
ה/ וַיַּרְא אַהֲרֹן, וַיִּבֶן מִזְבֵּחַ לְפָנָיו; וַיִּקְרָא אַהֲרֹן וַיֹּאמַר, חַג לַיהוָה מָחָר׃
5/ Aaron vit et bâtit un autel devant lui. Aaron proclama et dit : « C’est une fête pour Hachem demain ».
ו/ וַיַּשְׁכִּימוּ, מִמָּחֳרָת, וַיַּעֲלוּ עֹלֹת, וַיַּגִּשׁוּ שְׁלָמִים; וַיֵּשֶׁב הָעָם לֶאֱכֹל וְשָׁתוֹ, וַיָּקֻמוּ לְצַחֵק׃
6/ Ils se levèrent tôt le lendemain, offrirent des holocaustes et présentèrent des sacrifices de paix ; le peuple s’assit pour manger et boire puis ils se levèrent pour se divertir.
Nos sages insistent sur la lien étroit qui relie la faute du veau d’or et celle d’Adam Harichone. Au point d’affirmer que les deux ont eut le même résultat. Lors de la création, Adam était une entité quasiment parfaite, extrêmement sainte et proche de Dieu. La notion de mortalité était alors inconnu car l’homme devait vivre éternellement. Cependant, la faute qu’il a commise, a engendré une chute extrême, provoquant un éloignement d’Hachem et l’apparition de la mort. Parallèlement, nos sages enseignent qu’au moment du don de la torah, la sainteté des bné-Israël avait atteint son paroxysme. Dès cet instant, les bné-Israël se sont affranchis de la faute initiale de l’homme, au point d’avoir recouvert l’éternité et la sainteté qui caractérisait Adam. Toutefois, l’évènement du veau d’or a remis cela en cause et renvoyé les bné-Israël à un état « normal », celui de la mortalité.
Il apparaît donc que ces deux fautes ont la même conséquence. Le midrach rabba (sur chémot, chapitre 32, alinéa 1) l’affirme clairement lorsqu’il dit, en ce qui concerne le veau d’or : « Hachem s’adresse aux bné-Israël : vous avez suivis le même raisonnement qu’Adam Harichone qui n’a pas tenu trois heures son épreuve, et a fait entrer la mort en lui à la neuvième heure … ». Il apparaît donc clairement que la motivation des ces deux fautes est la même.
Toutefois cela semble étrange, car à priori, rien ne les relie. En quoi la faute idolâtre du veau d’or trouve t-elle écho dans celle de la consommation d’un fruit interdit par Adam ? Pourquoi les enjeux sont-ils à ce point semblables ?
Pour tenter de comprendre, analysons les deux fautes en questions.
La faute d’Adam est d’avoir consommé un fruit de l’arbre qui lui était interdit. Le gan Éden disposait de deux arbres particuliers. L’arbre de la vie ainsi que l’arbre de la connaissance du bien et du mal. L’arbre de la vie ne constituait vraisemblablement pas de tentation pour Adam, dans la mesure où il était, à cette époque, immortel. La faute qu’il a commis est donc d’avoir mangé de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Nos sages expliquent que sa faute était motivée par la raison suivante : Adam est né proche de la perfection. De fait, il estimait qu’il était moins glorieux de respecter la volonté d’Hachem alors que ses capacités étaient si grandes. N’ayant pas la notion du mal enfouit en lui, il ne trouvait pas méritant de lutter contre le mauvais penchant. C’est pourquoi, il a préféré manger du fruit de la connaissance, afin de connaître le mal dans sa véritable expression. Par cela, il espérait chuter de sa grandeur et, partir de cet état restreint, pour faire un réel effort de progression vers le bien. La faute d’Adam est donc d’avoir juger préférable le fait de « connaître le mal » !
Rabbi Chimone Bar Yohaï écrit (tikouné zohar 40) que les deux tables de la loi que Moshé a descendu du Sinaï ont suivit un cheminement similaire. En effet, les premières tables étaient placées sous l’égide de l’arbre de la vie et les secondes sous celui de la connaissance du bien et du mal. Que s’est-il passé pour qu’un tel changement se produise ? Évidement, la faute du veau d’or.
Hazal expliquent que la faute du veau d’or a été réalisée par le ערב רב erev rav. Il s’agit d’une partie du peuple égyptien qui a choisi de suivre les bné-Israël à la sortie d’Égypte. Moshé a insisté auprès d’Hachem pour qu’il les accepte parmi le peuple hébreu. La valeur numérique des mots ערב רב erev rav est la même que celle du mot דעת, daat, qui signifie la connaissance, le savoir. Par cela, nous commençons à comprendre l’intention et l’objectif du érev rav en faisant le veau d’or. Observant le don initial de la torah, ces gens se rendent compte que la faute d’Adam est sur le point d’être réparée. Les bné-Israël s’inscrivent maintenant dans l’éternité. C’est pourquoi, ce groupe va tenter de maintenir l’état actuel des choses, car leur objectif est de rester dans le daat, c’est-à-dire la connaissance du mal !
En ce sens, nous comprenons pourquoi c’est Moshé qui casse les tables et pourquoi Hachem ne les a pas simplement reprise aux bné-Israël. Car Moshé rabbénou est l’instigateur de la venue du érev rav. Il est donc « responsable » du maintient des bné-Israël dans un niveau mortel, alors qu’ils devaient sortir du cadre de l’humain pour s’orienter vers le divin. Le érev rav est celui qui a ramené les bné-Israël au même état qu’Adam après sa faute. Adam voulait connaître le mal pour le combattre, eux ont voulu le maintenir dans le monde au moment où il allait disparaitre ! En clair, ils ont de nouveau gouter du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal en réalisant le veau d’or.
D’ailleurs, il est intéressant de noter que le veau d’or est appelé en hébreu « עגל ». Ce mot est de la même racine que le mot « עיגול » qui signifie « un cercle ». Le cercle est le symbole du retour à un point initial, il ne se termine jamais, et repart sans cesse. La faute du veau d’or se trouve finalement être, au sens propre du terme, le second acte de la création du monde. Il faut savoir que le monde a été créé par dix paroles. De même la torah a été donnée aux bné-Israël par dix commandements. Il s’agit de deux moments créateurs, de deux points de départ précis. Le premier départ intervient avec Adam, au lendemain de la création du monde. Ce dernier a fait l’erreur de « gouter » le mal. Le second départ se produit lors d’une seconde création, celle du peuple juif, qui en tant que nouvelle « créature » est confrontée à la même tentation qu’Adam. Ainsi, le même yetser hara est présent et malheureusement, la même faute est commise.
Dans la même suite d’idée, nous pouvons analyser le mot ערב רב erev rav, généralement traduit par « le grand mélange ». Toutefois, le mot ערב érev, signifie également la nuit. Cela indique qu’à juste titre, l’essence même de ce peuple qui s’est mélangé aux bné-Israël, est de le maintenir de l’obscurité, de le priver de la lumière. Il est réellement la contrepartie de notre peuple. Au sortir d’Égypte, les bné-Israël avaient supprimé le mal qui leur était intrinsèque depuis la faute d’Adam. Le peuple ne connaissait alors plus que le bien ! Le mélange entre le bien et le mal initié par la consommation du fruit de la connaissance, avait maintenant disparue. Cependant, à ce peuple saint, s’est greffé un mélange, le ערב רב erev rav. Ce groupe est au contraire le symbole de l’obscurité, du mal, qui se re-combine avec le bien pour reconstituer le daat, c’est-à-dire la connaissance du mal !
Le veau d’or est donc bien le symbole du retour vers une faute antérieure, une faute qu’Adam harichone avait déjà commis. La nuance fondamentale entre la première fois et la seconde, est le don de la torah. Effectivement, à l’inverse d’Adam qui n’a pas bénéficié du don de la torah, lorsque les bné-Israël commettent cette erreur, Moshé parvient à obtenir leur pardon et le don de secondes tables. De nouveau les bné-Israël reçoivent la torah ! Toutefois, lorsque nous lisons les deux tables, il s’avère que le texte diffère en de nombreux endroits. Le contenu est fondamentalement le même, mais les mots changent. Il apparaît que les secondes tables contiennent exactement dix-sept mots de plus que les premières. Dix-sept est la valeur numérique du mot טוב, le bien.
Que signifie ce changement ?
Il faut avoir à l’esprit que la torah est l’expression d’une réalité divine. Cependant, cette expression pour être perçue convenablement, doit être adaptée aux personnes qui vont la recevoir. Ainsi, comme nous l’avons vu, les bné-Israël avant la faute ne sont pas les même qu’après la faute sur un plan spirituel. Ainsi, leur perception en est changée et la torah s’adapte au nouveau format du peuple qui s’apprête à la recevoir. Or le peuple qui reçoit les secondes tables est le peuple qui a de nouveau fusionné le bien et le mal. C’est pourquoi, dans leur seconde expression, les tables comportent dix-sept mots supplémentaires. Car grâce au pardon qui leur a été accordé par Hachem, les bné-Israël acquiert le moyen d’extraire à nouveau le mal qui est entré en eux. Il s’agit de pratiquer la torah et les mitsvot qui se sont concrétisées d’une façon particulière : celle qui supprime le mal pour ne laisser que le טוב, le bien. En clair, chaque épreuve que nous affrontons au quotidien lorsque nous combattons notre mauvais penchant, nous permet d’extraire une partie de ce mal qui s’est glissé en nous. Cela insinue une chose grave : chaque fois que nous fautons, au contraire, nous encrons encore plus le mal dans nos cœurs. En somme, nous renforçons la faute qu’ont commit les bné-Israël en faisant le veau d’or ! Nous comprenons par là, l’impacte de nos fautes. Il ne s’agit pas de simples transgressions. Il s’agit de donner vie au mal ! C’est ce que chacun doit avoir à l’esprit lorsque son mauvais penchant lui suggère une faute. Les conséquences n’en sont que trop graves et sont la raison pour laquelle le machia’h tarde tant. Il est temps de prendre conscience de cela afin de pouvoir y remédier au plus vite et faire la téchouva qu’attend Hakadoch Baroukh Hou depuis qu’il a créé le monde !
Chabbat Chalom.