Parachat Ki Tavo 5774 Yéhouda Moché Charbit
Parachat Ki Tavo
בס״ד
PARACHAT KI TAVO
Ce dvar Torah est dédié à l’élévation de la néchama de mon grand-père : Yéhouda ben David Lalou zirkhono livrakha.
La paracha débute avec le commandement des bikourim, les prémices des plantations des fruits d’Israël, que l’agriculteur devait apporter au Beth Hamikdach. La paracha se poursuit ensuite par les différents prélèvements que la Torah ordonne de donner aux pauvres. La partie la plus longue de la paracha se consacre à la réprimande des bné-Israël. Après la description de quatorze bénédictions en cas de respect des mitsvot, la Torah dépeint au travers de quatre-vingt dix-huit malédictions, le sort qui attend le peuple s’il reniait la Torah.
Dans le chapitre 26 de Dévarim, la Torah dit :
א/ וְהָיָה, כִּי-תָבוֹא אֶל-הָאָרֶץ, אֲשֶׁר יְהוָה אֱלֹהֶיךָ, נֹתֵן לְךָ נַחֲלָה; וִירִשְׁתָּהּ, וְיָשַׁבְתָּ בָּהּ׃
1/ Ce sera quand tu entreras dans le pays qu’Hachem ton Dieu te donne en héritage, que tu en prendras possession et que tu t’y installeras.
ב/ וְלָקַחְתָּ מֵרֵאשִׁית כָּל-פְּרִי הָאֲדָמָה, אֲשֶׁר תָּבִיא מֵאַרְצְךָ אֲשֶׁר יְהוָה אֱלֹהֶיךָ נֹתֵן לָךְ–וְשַׂמְתָּ בַטֶּנֶא; וְהָלַכְתָּ, אֶל-הַמָּקוֹם, אֲשֶׁר יִבְחַר יְהוָה אֱלֹהֶיךָ, לְשַׁכֵּן שְׁמוֹ שָׁם׃
2/ Tu prendras des prémices de tous les fruits de la terre que tu apporteras de ton pays qu’Hachem ton Dieu te donne, tu les placeras dans le panier et tu iras vers l’endroit que choisira Hachem ton Dieu pour y faire résider son nom.
ג/ וּבָאתָ, אֶל-הַכֹּהֵן, אֲשֶׁר יִהְיֶה, בַּיָּמִים הָהֵם; וְאָמַרְתָּ אֵלָיו, הִגַּדְתִּי הַיּוֹם לַיהוָה אֱלֹהֶיךָ, כִּי-בָאתִי אֶל-הָאָרֶץ, אֲשֶׁר נִשְׁבַּע יְהוָה לַאֲבֹתֵינוּ לָתֶת לָנוּ׃
3/ Tu iras chez le Cohen qui sera en fonction en ces jours-là et tu lui diras : « Je déclare aujourd’hui à Hachem ton Dieu que je suis venu dans le pays qu’avait promis Hachem de nous donner. »
ד/ וְלָקַח הַכֹּהֵן הַטֶּנֶא, מִיָּדֶךָ; וְהִנִּיחוֹ–לִפְנֵי, מִזְבַּח יְהוָה אֱלֹהֶיךָ׃
4/ Le Cohen prendra le panier de ta main et le posera devant l’autel d’Hachem ton Dieu.
ה/ וְעָנִיתָ וְאָמַרְתָּ לִפְנֵי יְהוָה אֱלֹהֶיךָ, אֲרַמִּי אֹבֵד אָבִי, וַיֵּרֶד מִצְרַיְמָה, וַיָּגָר שָׁם בִּמְתֵי מְעָט; וַיְהִי-שָׁם, לְגוֹי גָּדוֹל עָצוּם וָרָב׃
5/ Tu annonceras et diras devant Hachem ton Dieu : « un Araméen a voulu faire périr mon père : il est descendu en Égypte et y a séjourné en petit nombre et il y devint un peuple grand, fort et nombreux »
La mitsvah des bikourim renferme une symbolique profonde. Bien évidement, son sens premier consiste à louer Hakadoch Baroukh Hou pour avoir tenu sa promesse et nous avoir confié la terre d’Israël. Mais à cela, se mêle toute une mise en scène qui nous pousse à nous interroger sur le sens caché de ce commandement.
Dans un premier temps, il convient de noter que cette mitsvah ne s’applique qu’aux sept fruits d’Israël. Pourquoi la Torah restreint-elle son ordonnance à ces fruits ? Certes, ils sont particuliers de par le fait qu’ils représentent la louange du pays. Mais de façon intrinsèque, qu’est-ce qui relie ces fruits à la mitsvah des bikourim ?
Secondement, la Torah demande de réciter une formulation précise lors de la réalisation de cette mitsvah. Il s’agit du récit des périples que nous avons connus depuis Lavane qui a persécuté Yaakov, jusqu’à notre descente en Égypte. Une question fréquemment soulevée consiste à se demander pourquoi la Torah demande ce récit pour la mitsvah des bikourim ? Pourquoi ces deux notions sont-elles rattachées ?
Le Sfat Émet (parachat ki tavo, année תרנ ״ה) aborde un développement passionnant qui peut nous permettre d’apporter un élément de réponse. Pour cela, il se réfère à la malédiction qu’Hachem a prononcé contre la terre, au moment de la faute d’Adam Harichone. (Béréchit, Chapitre 3)
יז/ וּלְאָדָם אָמַר, כִּי-שָׁמַעְתָּ לְקוֹל אִשְׁתֶּךָ, וַתֹּאכַל מִן-הָעֵץ, אֲשֶׁר צִוִּיתִיךָ לֵאמֹר לֹא תֹאכַל מִמֶּנּוּ–אֲרוּרָה הָאֲדָמָה, בַּעֲבוּרֶךָ, בְּעִצָּבוֹן תֹּאכְלֶנָּה, כֹּל יְמֵי חַיֶּיךָ :
17/ Et à l’homme il dit : « parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l’arbre au sujet duquel je t’ai ordonné en disant : tu n’en mangeras pas ; maudite soit la terre à cause de toi, avec peine tu mangeras (les fruits) tous les jours de ta vie.
יח/ וְקוֹץ וְדַרְדַּר, תַּצְמִיחַ לָךְ; וְאָכַלְתָּ, אֶת-עֵשֶׂב הַשָּׂדֶה :
18/ Et des ronces et des épines elle fera pousser pour toi, et tu mangeras l’herbe du champs. »
La malédiction dont nous parlons ici est particulièrement obscure. Comment la terre peut-elle être punie ? Il ne s’agit pas d’un être vivant ?! D’autant qu’à la lecture du texte, il semble difficile de savoir qui est vraiment visé par la sanction, la terre ou l’homme ? En effet, la pousse des ronces pose un problème à l’homme mais pas à la terre elle-même !
En réalité, la notion qui est ici soulevée est passionnante. Il s’agit de définir le mode d’action du mal et l’essence même de la souffrance qu’il engendre. Rappelons un point nécessaire au développement. La punition de la terre reflète la faute qu’elle a commise. En effet, lors de la création du monde, Hachem lui a ordonnée de faire pousser des arbres fruitiers dont l’arbre lui-même serait du goût du fruit. La terre s’est toutefois limitée à produire des arbres fruitiers dont l’arbre ne dispose d’aucun goût. La question de savoir comment la terre a-t-elle pu désobéir à l’ordre de Dieu sachant qu’elle ne dispose pas de libre arbitre nécessiterait un développement à part entière. (cf dvar Torah béréchit 5774 pour un élément de réponse). Quoiqu’il en soit, la terre n’ayant pas suivi les consignes du maître du monde se voit punie en même-temps qu’Adam lorsqu’il faute.
Dorénavant, la terre fera pousser des épines et des ronces. Rachi explique cette sanction : « lorsque l’homme plantera des haricots ou des légumes, la terre fera pousser des épines, des ronces et d’autres herbes des champs que l’homme devra manger ».
En clair, Rachi définit la punition de la terre comme une altération de ses capacités initiales. Elle ne peut plus faire ce pourquoi elle a été créée ! L’objectif de sa création, le but même de son existence est annulé. La malédiction que la terre subit est le prototype de toutes les malédictions. Il n’y a pas de plus grande souffrance que d’exister sans pouvoir exprimer son potentiel, sans jamais atteindre ses objectifs. Telle est la définition d’une malédiction et de la souffrance qu’elle engendre. Dans notre cas, Hakadoch Baroukh Hou punit la terre mesure pour mesure. Elle a limité l’ordre d’Hachem, en contrepartie, Hachem limite ses capacités et l’empêche d’atteindre l’objectif premier de sa création.
Il s’agit là du symbole concret du yetser hara. Le mal est ce qui intervient pour nous empêcher de nous réaliser pleinement, d’atteindre l’accomplissement des mitsvot. En ce sens, le Sfat Émet explique que la malédiction de la terre sous-tend la guerre contre le peuple d’Amalek. Ce peuple est une partie des forces du mal qui se sont infiltrées dans la terre lors de la faute d’Adam Harichone. Cette réalité du mal, celle d’Amalek, caractérise parfaitement la malédiction dont nous parlons, celle de la terre. Amalek est le peuple qui insinue le doute dans le cœur de l’homme (d’ailleurs la valeur numérique du mot Amalek est la même que celle du mot safek, qui signifie le doute). Ce peuple empêche l’expression totale du peuple hébreu, il est celui qui empêche la manifestation d’Hakadoch Baroukh Hou. Il est le blocage de la sainteté, celui là même qui a refroidi l’ardeur des bné-Israël à la veille du don de la Torah ! D’où son lien étroit avec la punition de la terre. Il est d’ailleurs remarquable de souligner que cette notion est insinuée par le verset que nous avons cité lorsqu’il emploie le mot « דַרְדַּר les épines ». Ce mot peut se décomposer en דור דור, en référence au verset concernant le peuple d’Amalek (Chémot, chapitre 17, verset 16) :
וַיֹּאמֶר, כִּי-יָד עַל-כֵּס יָהּ, מִלְחָמָה לַיהוָה, בַּעֲמָלֵק–מִדֹּר, דֹּר
Car il y a une main sur le trône de Dieu, Dieu fait la guerre contre Amalek de génération en génération.
En clair, Amalek est la punition du monde pour avoir fauté. D’ailleurs, Hachem a juré que son nom et son trône seront incomplets tant que ce peuple subsistera. Cela connote bien ce que nous avons évoqué : Amalek, la malédiction, est ce qui empêche l’expression totale de notre potentiel, de notre être. C’est pourquoi, nous devons lutter pour expulser les forces du mal qui se sont infiltrées dans le monde et qui empêchent le bien et donc l’objectif du monde, d’être atteint.
À ce titre, le peuple d’Amalek est appelé ראשית (prémice) en parallèle de quoi, le peuple juif est appelé ראשית (prémice). Nous sommes les prémices des forces du bien, Amalek est l’origine du mal. Nous arrivons maintenant à un point fondamental. La terre, depuis sa malédiction, est contaminée par le mal que représente Amalek. Cette infection s’est produite lorsqu’Adam a consommé du fruit de l’arbre. Or nos sages enseignent que les sept fruits d’Israël représentent l’éloge de ce pays. Ils sont ce que la terre sainte produit de mieux. D’autant que dans le traité bérakhot (page 40), nos sages débattent sur le fruit qu’Adam et Hava ont mangé. Le débat se porte sur trois fruits : la figue, le raisin et le blé. Le Ets Yossef dans son commentaire sur le midrach Rabba explique que l’arbre de la connaissance englobait plusieurs catégories de fruits, et le Zohar ajoute qu’il s’agissait des sept fruits ! Dès lors, la discussion de nos sages ne porte pas sur ce qui poussait sur cet arbre, mais plus précisément, sur quel fruit de cet arbre a été consommé par Adam. En ce sens, les fruits les plus prestigieux constituent le meilleur moyen pour extraire le mal, pour supprimer les forces d’Amalek qui se sont introduites dans la terre, dans la mesure où c’est par la consommation de ces fruits que le mal a pu pénétrer la matière. Ainsi la Torah demande le prélèvement des bikourim, des prémices des sept fruits d’Israël. Ce prélèvement constitue l’expulsion du mal dans le sens où la terre, base des forces négatives, fait émerger les fruits d’origine dans un état raffiner et débarrasser du mal pour n’exprimer à nouveau que le bien. C’est pourquoi nous prélevons les bikourim, cette partie positive qui, lorsqu’elle a germé, s’est débarrassée de toute emprise du mal. Par cela, nous faisons sortir ces fruits de la malédiction vers la bénédiction. Cette production de la terre est sainte car parfaitement pure. D’où la nécessité de l’apporter au beth Hamikdach.
Dès lors, la Torah conclue dans le verset 11, en disant « וְשָׂמַחְתָּ בְכָל-הַטּוֹב Tu te réjouiras avec tout le bien… ». Cela s’oppose frontalement à la malédiction employée à l’encontre de la terre pour laquelle Hachem disait « בְּעִצָּבוֹן תֹּאכְלֶנָּה avec peine tu mangeras ». Ce qui prouve bien en quoi la mitsvah des bikourim s’oppose diamétralement à la malédiction de la terre, au mal qui s’y est infiltré.
Dans cette explication nous trouvons également la raison pour laquelle nous mentionnons la sortie d’Égypte au moment de l’apport des bikourim. Car l’Égypte a servi de système d’expulsion des forces négatives inhérentes au peuple hébreu. Ainsi, en mentionnant la sortie d’Égypte nous rappelons que nous sommes sortis de cet exil et la peine (עִצָּבוֹן) qu’il constituait. D’ailleurs, pendant pessa’h, nous mangeons de la matsa, le pain azyme, qui n’a pas eu le temps de gonfler. Le gonflement dont nous parlons fait référence au mauvais penchant. Ainsi, à pessa’h, nous mangeons une nourriture débarrassée de toute forme de mal, nous sortons le pain du mal qui le ronge et le consommons dans son expression la plus pure.
Ainsi, les bikourim symbolisent la suppression du virus qui ronge le monde, ce blocage qui se nomme Amalek. Cela trouve écho dans les propos de Hazal qui remarque que la paracha précédente, celle de ki tétsé, se conclue par la mitsvah de supprimer le souvenir du peuple d’Amalek de la surface de la terre. Il n’apparait donc pas anodin qu’immédiatement à la suite de cette mention, notre paracha débute par la mitsvah des bikourim, afin de nous adjoindre la nécessité de lutter de toutes nos forces contre Amalek et le mal qu’il représente.
La lecture de la paracha de ki tavo coïncide avec le mois d’Éloul, celui où le peuple juif n’a de cesse de se remettre en question et d’amorcer son retour vers Hachem en arpentant une téchouva collective. Ce mois correspond parfaitement avec la notion évoquée dans notre paracha, celle de la lutte contre le mal, celle du rapprochement vers Hakadoch Baroukh Hou au travers de l’expulsion du yetser hara. À nous de comprendre qu’Amalek, qui symbolise le doute, constitue le mal qui ronge le monde et qui est la source de toutes nos souffrances. Le doute ne peut exister dans le cœur des bné-Israël. Ce doute est ce qui nous éloigne d’Hachem. Yéhi ratsone que nos cœurs se lient intégralement à Hakadoch Baroukh Hou et que toutes traces de doute disparaissent de nos esprits pour que notre connexion avec notre créateur soit totale ! Amen véamen.
Chabbat Chalom.
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