Parashat Emor – 5776 – Yehouda Moshé Charbit
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בס״ד
PARACHAT ÉMOR
Après avoir exigé la pureté de l’ensemble du peuple d’Israël, en décrivant les règles qui en découlent, Hachem commence par définir, dans notre paracha, les règles de pureté qui sont spécifiques aux cohanim. Ainsi, une règle particulièrement contraignante s’impose aux cohanim, celle de l’interdiction de côtoyer la mort, aussi bien par contact avec un cadavre que par passage dans un cimetière. Pour le Cohen gadol, cette interdiction s’applique également à ses proches parents qu’il ne pourra accompagner au cimetière, ni même s’en approcher une fois que leur âme les a quittés. Il devra poursuivre le service au temple sans interruption. La paracha poursuit en énumérant les différents défauts rendant un Cohen inapte au service divin, l’empêchant de pouvoir s’occuper des sacrifices, mais bénéficiant tout de même du droit d’y goûter. De même, tout Cohen qui entrera en contact avec une quelconque forme d’impureté, même involontaire (comme la lèpre par exemple) sera interdit au service durant le temps de son impureté. Un Cohen qui pénètrerait le sanctuaire en état d’impureté serait passible de la peine de retranchement. Suite à cela, la Torah définit les critères disqualifiant les sacrifices, en listant les défauts qui empêchent l’animal d’être offert à Hachem. Dans la quatrième section de la paracha, la Torah énumère les lois ayant attrait aux jours saints du calendrier, en commençant évidemment par le chabbat, puis Pessa’h, le compte du omer qui mène directement à la fête de Chavouot, Roch Hachanah, Kippour, Souccot et Chémini Atséret. La paracha se prolonge en décrivant les lois concernant l’allumage et l’entretien de la ménorah, ainsi que les règles concernant les douze pains entreposés sur la table.
Dans le chapitre 21 de Vayikra, la torah dit :
א/ וַיֹּאמֶר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה, אֱמֹר אֶל-הַכֹּהֲנִים בְּנֵי אַהֲרֹן; וְאָמַרְתָּ אֲלֵהֶם, לְנֶפֶשׁ לֹא-יִטַּמָּא בְּעַמָּיו׃
1/ Hachem dit à Moshé : « Parle aux cohanim fils d’Aaron, et tu leur diras : nul ne doit devenir impure par le cadavre de son prochain.
ב/ כִּי, אִם-לִשְׁאֵרוֹ, הַקָּרֹב, אֵלָיו: לְאִמּוֹ וּלְאָבִיו, וְלִבְנוֹ וּלְבִתּוֹ וּלְאָחִיו׃
2/ si ce n’est pour ses parents les plus proches: pour sa mère ou son père, pour son fils ou sa fille, ou pour son frère;
ג/ וְלַאֲחֹתוֹ הַבְּתוּלָה הַקְּרוֹבָה אֵלָיו, אֲשֶׁר לֹא-הָיְתָה לְאִישׁ–לָהּ, יִטַּמָּא׃
3/ pour sa sœur aussi, si elle est vierge, habitant près de lui, et n’a pas encore appartenu à un homme, pour elle il peut se souiller.
La torah réclame des cohanim une attitude et une qualité particulière, en ce sens où ils doivent rester étrangers à toutes formes d’impureté et doivent être physiquement intègres et sans défaut. Au niveau de ces deux requêtes de la torah, il y a lieu de s’interroger.
En ce qui concerne, la première, celle de la pureté, elle semble parfaitement justifiée. Le cohen est celui qui s’occupe des sacrifices et du lien qui unit Israël à son Créateur. La sainteté est donc de mise pour ce personnage. Toutefois, la torah laisse quelques exceptions, et pour ses proches, le cohen peut se souiller et devenir impure, il a parfaitement le droit de s’occuper de leur dépouille et de gérer leur enterrement. Au niveau du sens simple de compréhension des versets, ceci se justifie par la souffrance de perdre un proche. En somme, le cohen obtient ici une dérogation car il serait trop sévère de lui demander de faire le sacrifice d’ignorer le défunt et de rester loin de lui, sans aucune participation aux funérailles. De sorte, la torah lui autorise ce qu’elle interdit normalement.
Cette explication semble cohérente mais cependant limitée lorsque nous poussons le raisonnement. De façon générale, le cohen ne peut entrer en contact avec l’impureté car cela n’est pas compatible avec son rôle. Lorsque nous réfléchissons, nous nous apercevons que ce n’est pas tant le fait de perdre son état de pureté qui crée cet interdit, car dès lors, il suffirait de l’asperger des cendres de la vache rousse pour la lui restituer au bout d’une semaine. Le problème est plus profond. Même sur une courte période, l’impureté ne doit pas s’approcher du cohen, car cela est simplement néfaste pour la qualité de son travail. Dès lors, si le fait que l’impureté, même momentanée, soit si dangereuse pour son statut, pourquoi le cas des proches parents diffère ? Pourquoi n’altère-t-il pas son état de cohen ? Pourquoi dans ce cas précis, la torah lui accorde la possibilité d’abîmer cette connexion avec le divin. Certes, il vit un grand malheur et souffre, toutefois, si le fait d’être, ne serait-ce qu’un instant en contact avec la mort est si grave que même la solution de la vache rousse ne puisse être envisagée, pourquoi la torah accepte-t-elle d’affaiblir le cohen pour sa famille ? Le lien n’en sera-t-il pas également affaibli ? Ne perdra-t-il pas la puissance dont il disposait ? Si c’est le cas comme nous le pensons, alors il devient difficile de concevoir que pour des considérations émotionnelles (certes importantes), la torah concède une exception. D’autant que, dans le cas particulier du cohen gadol, la torah refuse une telle attitude ! Le cohen gadol ne peut même pas enterrer sa famille, ce qui prouve que cela a un impact sur son statut ! Pourquoi ne l’aurait-il pas sur celui des autres ?
En ce qui concerne le deuxième critère que nous avons évoqué, la question semble plus évidente. Comment concevoir qu’un simple défaut physique empêche le cohen d’officier ? Il ne s’agit pas d’un défaut spirituel, ni même lié à la sainteté. Pourquoi alors est-il une raison de disqualifier le cohen ?
Répondre à ces questions nécessite de définir l’essence même de l’impureté que provoque la mort. Au sens du Kli Yakar (chapitre 21, verset 2) et de nombreux autres commentaires, ce souffle d’impureté provient de notre manière de quitter le monde. De façon générale, les êtres vivants disparaissent sans pour autant provoquer de souillures ou d’impuretés en mourant. Seuls les bné-Israël sont soumis à cet état. Ceci se justifie par l’âme qui est présente dans leur corps. Cette dernière est très sainte et pour l’extraire du corps de l’homme, il est nécessaire que l’ange de la mort, qui est celui qui concentre toute l’impureté, intervienne et la retire. Cela a pour conséquence d’infecter le corps en question par les pollutions qui émanent de cet ange. C’est ainsi, qu’en quittant le monde, l’homme devient tamé, impur, et le contact avec ce dernier est interdit.
Dans cette suite d’idée, il paraît plus que cohérent que le cohen s’éloigne des dépouilles des défunts. Mais plus encore, cela renforce notre question concernant ses proches qui risquent de l’infecter de la même manière que n’importe quel autre vivant.
Il existe cependant une exception à la règle, un cas où la mort n’est pas synonyme d’impureté. Il s’agit de la mort des justes, ces gens extrêmement saints qui sont parvenus à repousser le mal au point de s’extraire de l’emprise de l’ange de la mort. Ces personnes quittent le monde par « néchika » qui est un baiser divin, une adhésion parfaite avec le Maître du monde qui permet à leur âme de s’élever dans une sainteté qui sort du cadre terrestre. Leur mort n’engendre alors plus aucune trace d’impureté.
Cela nous permet d’aborder une question pertinente évoquée par Rav Fohrman (dans son livre Adam et Ève) concernant l’état de l’homme à sa création. Nous avons pour habitude de considérer qu’avant qu’il ne faute, Adam était immortel, car comme la torah le précise, la consommation de l’arbre de la connaissance du bien et du mal est la source de la mort dans le monde. En clair, Adam meurt, parce qu’il a mangé ce fruit, de facto, avant cela, la mort ne le concernait pas. Toutefois, ce raisonnement semble occulter un détail important : il existe un autre arbre, aux pouvoirs tout aussi puissants que celui de la connaissance ; il s’agit de l’arbre de la vie ! La torah dit clairement que le consommer donne la vie éternelle et révoquerait les conséquences négatives de l’arbre de la connaissance. En ce sens, si Adam l’avait consommé en premier, il aurait été immortel, et n’aurait pas souffert des symptômes de l’arbre de la connaissance. D’où le non-sens, car si ce n’est qu’en le consommant qu’Adam devient éternel, cela signifie qu’avant, il ne l’était pas ! La présence de l’arbre de la connaissance sous-entend l’immortalité initiale des premiers êtres vivants, tandis que la présence de ce second arbre insinue le mortalité. Qu’étaient-ils donc ?
Au vu de ce que nous venons de dire, il devient envisageable de répondre, plus précisément avec les propos que le Kli Yakar (Bamidbar, chapitre 19, verset 2) apporte à ce sujet. De son point de vue, lorsque les bné-Israël se sont affranchis de la mort lors du don de la torah, de par la réparation qu’ils ont fait de la faute d’Adam, ils ne sont pas devenus pour autant immortels, ils se sont simplement libérés de l’emprise de l’ange de la mort. Non pas que la mort disparaisse, mais plutôt qu’elle change de forme, dorénavant, le retrait de l’âme se fera uniquement par baiser divin ! L’impureté n’étant plus de mise pour ce peuple, le changement d’état se fera spécifiquement par adhésion avec Hachem. En ce sens, avant qu’il ne faute, Adam n’était ni mortel, ni immortel. Ni mortel car l’ange du mal ne pouvait l’atteindre, et sa mort consistait à s’élever ; ni immortel car, en effet, il pouvait quitter ce monde.
Cela nous permet d’aborder les propos du Malbim (dans son livre erets ‘hemda, sur notre paracha). Il apporte le midrach qui enseigne que deux des parachyot que Moshé nous a donnée concernent la pureté, il s’agit de celle de la vache rousse qui permet de se purifier, ainsi que la nôtre, celle d’Émor, qui traite des lois de l’impureté. Le midrach précise que ces deux textes nous ont été donnés par le biais de la tribu des Lévi. La raison de l’intervention de cette tribu pour ces sections, vient du fait qu’avant qu’Hachem ne donne la torah, cette dernière n’avait pas encore d’expression matérielle, elle revêtait une configuration purement spirituelle et la notion de la mort et de l’impureté, ne la concernait pas. Puisque les hommes ont fauté en faisant le veau d’or, la mort et l’impureté sont restées le lot des hommes, et de facto, lorsque la torah a pris une expression humaine et traite dorénavant de ces sujets. Ceci a pour conséquence de voiler la version authentique du texte, qui est contraint de s’adapter au contexte. L’essence de la torah (du moins des lettres qui constituent ces parachyot) est donc cachée aux hommes qui ne la comprennent que dans l’état dans lequel elle se dévoile à eux. Par contre, les Léviim qui n’ont pas participé à la faute du veau d’or, bien qu’eux aussi frappés par la mort de retour dans le monde, se trouve plus distants de l’ange de la mort que nous. Leur appréhension de la vie est plus intense que celle du commun des mortels, car ils n’ont plus le même contact avec la mort, ils en sont plus distants que nous. À ce titre, les deux parachyot apparues par nécessité suite à la faute du peuple, ne sont pas perçues de la même manière pour cette tribu, car la mort n’a pas le même impact sur eux. En ce sens, ils sont plus à même d’en déceler le sens profond et réel. C’est pourquoi, ils sont les seuls capables de transmettre ces deux parachyot car eux seuls peuvent les appréhender dans leur version originale.
Cela souligne l’état dans lequel la vie entoure cette tribu, une vie plus éloignée de la mort, plus authentique.
Le Tiféret Yéhonathan (sur notre paracha) souligne le lien étroit entre notre paracha et la précédente. En effet, la paracha de kédochim se conclut par un rappel contre les pratiques idolâtres de Ov et Yidé’oni. Ces gens entraient en contact avec les morts pour qu’ils leur dévoilent l’avenir, chose prohibée par la torah. À l’inverse, le cohen gadol disposait d’un autre moyen pour connaître la volonté de Dieu, il s’agit des Ourim vétoumim qui permettaient au cohen, par roua’h hakodech, de connaître la volonté d’Hachem. De sorte, la torah enjoint les cohanim à s’éloigner des morts, pour ne pas que les goyim les accusent d’entrer, comme eux, en contact avec les morts. En clair, la connaissance que le cohen gadol a de l’avenir se base sur l’opposé de la mort.C’est bien en s’éloignant parfaitement de cette dernière que le cohen accède à son rôle et reçoit les informations dont il a besoin. La vie, celle qui est la plus éloignée de la mort, est le garant du message divin.
Ceci se prolonge en fonction des propos du Chakh (tels que rapportés par le cha’aré aaron sur notre paracha). Comme chacun le sait, les tsadikim sont en mesure de discuter avec les néchamot des tsadikim antérieurs car le talmud enseigne que : « les tsadikim, dans leur mort, sont appelés vivants », dans le sens où leur retrait de ce monde n’est pas une mort, mais un simple changement d’état. Il est donc possible, à un certain niveau, de communiquer avec eux. Mais ce contact est en tout point opposé à celui des idolâtres qui discutent avec les morts. Il s’agit d’un contact entre vivants, avec d’une part des hommes faits de chair et de sang, et d’autre part, des êtres ayant sublimés cet état pour ne plus exprimer que la sainteté. Cette sainteté n’est possible que par un éloignement avec la mort, comme se doit être le cas pour le cohen. Il s’avère donc que le cohen, plus que tout autre, en tant que lévi également, parvient à la sainteté de sa fonction, non seulement parce que sa nature de lévi, lui permet de connaître la vie la plus distante de la mort qui soit, mais plus encore, son éloignement matériel avec les dépouilles des défunts, appuie cet état si distingué.
Sur cela, le Kli Yakar (sur le 1er verset de la paracha) explique qu’un cohen tire sa sainteté d’Aaron. À ce titre, deux catégories se dégagent, le cohen gadol et le simple cohen. Le premier présente les même critères qu’Aaron, tandis que le second, n’en dispose que d’une partie, étant plus éloigné de son statut.
Or, comme nous le savons, Aaron n’est pas mort d’une mort standard, mais justement par ce fameux baiser divin, en ce sens où il était parvenu à se perfectionner totalement. Il ressort donc que cette sainteté transmise à ses enfants, suit ce même procédé de perfection, amenant le Kli Yakar (dans le 2ème verset) à dire une chose extraordinaire : « Il se peut que quiconque est descendant d’Aaron, meurt par baiser divin faisant fuir l’impureté. Cette sainteté a été transmise depuis Aaron à tous ses descendants de sorte qu’aucun ne soit affecté par l’impureté. C’est pourquoi, il leur est permis de s’occuper de leurs proches : père, mère, fils, filles, et frères... » La mort d’un cohen n’engendre donc aucune impureté, et de fait, toucher le corps de la personne décédée, n’est pas vraiment problématique pour le cohen, car il conserve sa sainteté. Plus précisément, il ajoute ensuite qu’il existe seulement une infime trace d’impureté sur ses proches, mais pas assez puissante pour affecter concrètement son rôle de cohen. Par contre, le cohen gadol, qui se veut plus raffiné, ne peut être mis en contact même avec la plus petite des impuretés, c’est pourquoi, même sa famille lui est interdite !!
Nous pouvons également comprendre pourquoi, le cohen présentant un défaut physique, se voit disqualifier. Le Yalkout Réouvéni écrit au nom du Zohar (section pékoudé), que les forces du mal se localisent dans les défauts physiques. Cela se comprend encore une fois au travers des conséquences de la faute de l’homme, car sans cette dernière, aucune sanction ne se justifierait et de facto, les défauts qui nous frappent ne trouveraient plus de justification.
Ainsi, le cohen présentant un défaut physique, ne peut plus assumer son rôle car, justement, il sort du cadre normal des cohanim, qui doivent s’aligner avec la sainteté qu’ils ont héritée d’Aaron. Le défaut étant source d’impureté, l’empêche de vivre dans ce cadre, et lui retire ses prérogatives.
Bien évidemment, la pureté du cohen n’est pas exclusive et comme nous l’avons déjà souligné, les tsadikim eux aussi parviennent à s’extraire de l’ange du mal. Pour cela, ils vivent intensément leur lien avec Hachem au point de le rendre assez vibrant pour qu’Hachem veuillent venir lui-même les accueillir à la fin de leur vie. Yéhi ratsone que chacun d’entre nous puisse connaître une telle connexion avec Hachem et que rapidement, le machia’h viennent pour que nous soyons définitivement affranchis de l’ange du mal, amen véamen.
Chabbat chalom.