Parashat Emor (5774)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
PARACHAT ÉMOR
Après avoir exigé la pureté de l’ensemble du peuple d’Israël, en décrivant les règles qui en découlent, Hachem commence par définir, dans notre paracha, les règles de pureté qui sont spécifiques aux cohanim. Ainsi, une règle particulièrement contraignante s’impose aux cohanim, celle de l’interdiction de côtoyer la mort, aussi bien par contact avec un cadavre que par passage dans un cimetière. Pour le Cohen gadol cette interdiction s’applique même pour ses proches parents qu’il n’aura absolument pas le droit d’accompagner au cimetière, ni même de s’en approcher une fois que leur âme les ait quittés. Il devra poursuivre le service au temple sans interruption. La paracha poursuit en énumérant les différents défauts rendant un Cohen inapte au service divin, l’empêchant de pouvoir s’occuper des sacrifices, mais bénéficiant tout de même du droit d’y goûter. De même, tout Cohen qui entrerait en contact avec une quelconque forme d’impureté, même involontaire (comme la lèpre par exemple) serait interdit au service durant le temps de son impureté. Un Cohen qui pénètrerait le sanctuaire en état d’impureté serait passible de la peine de retranchement. Suite à cela, la Torah définit les critères disqualifiant les sacrifices, en listant les défauts qui empêchent l’animal d’être offert à Hachem. Dans la quatrième section de la paracha, la Torah énumère les lois ayant attrait aux jours saints du calendrier, en commençant évidement par le chabbat, puis Pessa’h, le compte du omer qui mène directement à la fête de Chavouot, Roch Hachanah, Kippour, Souccot et Chémini Atséret. La paracha se prolonge en décrivant les lois concernant l’allumage et l’entretien de la ménorah, ainsi que les règles concernant les douze pains entreposés sur la table.
Dans le 23ème chapitre de Vayikra, la torah dit :
טו/ וּסְפַרְתֶּם לָכֶם, מִמָּחֳרַת הַשַּׁבָּת, מִיּוֹם הֲבִיאֲכֶם, אֶת-עֹמֶר הַתְּנוּפָה: שֶׁבַע שַׁבָּתוֹת, תְּמִימֹת תִּהְיֶינָה׃
15/ Et vous compterez pour vous, à partir du lendemain du jour du repos où vous avez apporté le omer du balancement[1], elles seront sept semaines complètes.
טז/ עַד מִמָּחֳרַת הַשַּׁבָּת הַשְּׁבִיעִת, תִּסְפְּרוּ חֲמִשִּׁים יוֹם; וְהִקְרַבְתֶּם מִנְחָה חֲדָשָׁה, לַיהוָה׃
16/ Jusqu’au lendemain de la septième semaine vous compterez cinquante jours et vous offrirez une nouvelle oblation pour Hachem.
יז/ מִמּוֹשְׁבֹתֵיכֶם תָּבִיאּוּ לֶחֶם תְּנוּפָה, שְׁתַּיִם שְׁנֵי עֶשְׂרֹנִים–סֹלֶת תִּהְיֶינָה, חָמֵץ תֵּאָפֶינָה: בִּכּוּרִים, לַיהוָה׃
17/ De vos lieux de résidence, vous apporterez deux pains de balancement, de deux dixième de fleur de farine ils seront (constitués); ils seront cuits au levain, prémices pour Hachem.
Le choix du sujet à développer cette semaine est tout désigné car nous le vivons actuellement. En effet, depuis le second jour de Pessa’h nous décomptons le omer. Ainsi, chaque soir jusqu’à Chavou’ot, nous avons l’obligation assez surprenante de faire la séfirat haomer. Tentons d’analyser le concept qui se cache derrière cette mitsvah, en nous appuyant sur une analyse de Rav Akiva Tatz (La trame de la vie, chapitre 15).
La première question qu’il y a lieu de poser, consiste à saisir la nécessité absolue de compter. Pourquoi compter est-il une mitsvah ? À quoi cela sert-il ? Pourquoi Hachem impose t-il ce décompte ?
La seconde question se base sur le système de compte. La logique imposerait de compter les jours qui nous séparent du don de la torah. Ainsi, nous suivrions une progression décroissante, partant de quarante-neuf pour arriver au dernier jour. Puisque nous sommes désireux de recevoir la torah, notre démarche se présenterait comme une échéance que nous attendons : « plus que 49 jours avant Chavou’ot, plus que 48… ». Or, dans les faits, le compte se fait de façon croissante, nous prenons Pessa’h pour point de départ, et chaque soir nous ajoutons un jour. Pourquoi Pessa’h est-il la base de référence, lorsque le décompte a pour objectif Chavou’ot ?
Plus intrigant encore, le verset lui-même demande de compter cinquante jour. Or nous n’en comptons que quarante neuf. Pourquoi stoppons-nous le décompte juste avant de le clôturer ? Le cinquantième jour devrait même être le plus important, il constitue l’aboutissement de toute la démarche?! Et pourtant, nous semblons l’occulter ?
Un dernier point à noter est de préciser l’opinion du Ramban sur le sujet : la séfirat haomer n’est pas une mitsvat chéazman grama ! Comme chacun le sait, certaines mitsvot dépendent exclusivement du temps. La pose des téfilines, la récitation du chéma et bien d’autres encore, sont des mitsvot positives qui sont encadrées par le temps : passée un certain horaire, la mitsvah est perdue. Or selon toutes définitions, le compte du omer devrait entrer dans ce cadre, dans la mesure où il se fait le soir, et exclusivement durant la période qui sépare Pessa’h de Chavou’ot. D’autant qu’il s’agit justement de compter des jours et des semaines, à savoir que cette mitsvah se base sur l’échelle du temps. Comment comprendre alors les propos du Ramban ?
Pour entrevoir ce qui se cache derrière cette mitsvah énigmatique, il faut saisir l’enjeu dont nous traitons. Il s’agit de passer de la sortie d’Égypte, au don de la torah. La sortie d’Égypte, Pessa’h, constitue la libération des bné-Israël des forces négatives dans lesquelles ils étaient emprisonnés. À Pessa’h nous supprimons le Hamets, nous fuyons le mal, pour nous réfugier exclusivement à l’ombre du bien. En clair, nous vivons une progression fulgurante, au point de rendre le mal étranger à nous. Pour se faire, nous brulons toutes les étapes. Pessa’h signifie « sauter », car littéralement nous sautons toutes les frontières de notre mauvais penchant, pour atteindre un niveau parfaitement inaccessible normalement. C’est justement au lendemain de Pessa’h que débutent les difficultés. Lorsque nous retournons à la vie normale, lorsque nous nous replongeons face au yetser hara. En clair, lorsque nous retournons dans une vie matérielle. Comment maintenir le cape, comment vivre matériellement la sainteté que nous venons d’acquérir ?
Il s’agit cette fois de mettre en place un système nous menant à ce niveau. À Pessa’h nous subissons un ascension fulgurante, pendant le omer, nous construisons le moyen de la vivre de par nos propres moyens. Nous pourrions comparer cela à une personne songeant à une idée originale et innovante. Lorsque la personne est frappée par un coup de génie, une pensée novatrice, il ne fait que la conceptualiser. Vient ensuite la mise en œuvre d’un développement de cette idée, d’une mise en pratique, d’une démarche lui permettant de l’exploiter. Ce n’est qu’au terme de cette démarche que l’invention en question prendra forme, un nouvel objet sera créé. Pessa’h est le coup de génie, cet éclair qui nous montre ce que nous pouvons viser, à savoir la torah. Mais au lendemain de Pessa’h, rien n’est encore construit, il ne s’agit que d’une vision, d’une possibilité que nous pourrions atteindre. Vient alors une démarche, celle du omer, qui consiste à élaborer le don de la torah, à mettre en place, étapes par étapes, un processus qui nous permet l’acquisition et l’exploitation définitive du flash que nous avons vécu. Mais tout part de ce point de départ, cette idée qui nous oriente. Pessa’h est la base sur laquelle nous construisons et mettons au point le projet. Chaque jour, nous franchissons une étape supplémentaire vers l’élaboration de notre objectif. C’est pourquoi nous ne comptons pas comme des gens enthousiasmés du cadeau qu’ils vont recevoir. Nous recensons plutôt les échelons que nous avons déjà accompli. Dès lors, il ne faut pas compter vers Chavou’ot, mais bien depuis Pessa’h. En ce sens, nous ne subissons pas le temps qui s’écoule, nous participons activement à un résultat. Comme l’enseigne le Ramban, la mitsvah n’est pas dépendante du temps, au contraire ! Le temps est ce qui sert la mitsvah ! Ces quarante neuf jours représentent un acheminement, une mise en place, ils sont l’outils !
Cela nous permet alors de voir les choses sous un autre angle. Chavou’ot, le don de la torah ne peut se faire spontanément. Il ne peut apparaître si ce n’est au terme d’une construction, d’une préparation spécifique. Le résultat ne peut être obtenu sans les outils qui lui permettrons d’être réceptionné. Rav Akiva Tatz compare cela à une mélodie. Chaque note qui la constitue est indépendante. Séparément, elles ne sont rien. Ce n’est qu’en les assemblant qu’apparait alors une harmonie, une structure fluide. Lorsque nous écoutons la musique, nous n’écoutons pas des notes séparées. La musique est un tout. Pourtant, elle est bien formée de ces notes, qui sont uniques et différentes. C’est la combinaisons de ces notes qui forme la mélodie. Ce qui est important dans cette analogie, c’est que le résultat est supérieur à la somme des parties ! Nous partons d’un assemblage de notes, pour former une structure qui transcendent ces notes !
C’est exactement ce que nous vivons lors de la séfirat haomer. Ayant entrevue le résultat avant même de réellement l’acquérir, nous comprenons à Pessa’h qu’il s’agit d’une vie qui sort du cadre de la nature. Nous comprenons parfaitement, que vivre de l’action directe et dévoilée d’Hachem tel que nous l’avons fait durant les dix plaies, ou la traversée de la mer rouge, est une chose inaccessible. La puissance qui se libère à Pessa’h est bien trop grande pour que nous puissions la reproduire. C’est pourquoi Hachem nous demande de combiner des étapes qui, une à une, sont anodines, banales. Tel un élève qui apprend à jouer au piano. Le maître lui demande de jouer une note, le do, puis ensuite le ré…, l’élève suit les consignes du maître, sans en voir l’objectif. Il agit simplement. Mais il s’aperçoit que ces notes dans lesquelles ils ne trouvaient aucune logique, s’assemblent formidablement ! Il est parvenue à une somptueuse symphonie. Cette dernière est un cadeau de la part du maître. L’élève nous voyait pas où cela le conduisait. Puis en écoutant attentivement, il réalise une prouesse qu’il n’avait pas envisagé.
Idem au cours de ces quarante neuf étapes. Hachem demande au peuple de compter activement, de suivre un processus de progression qui est à sa portée. Chaque jours est différent et individuellement, ces jours ne sont rien. Mais en les assemblant, en les vivants de la manière requise, nous arrivons à un résultat dépassant nos espoirs, un cadeau absolue : nous atteignons le niveau de Pessa’h ! À un détail près, ce n’est plus un saut, nous ne brulons plus les étapes ! Au contraire, nous les franchissons une à une !
Nous comprenons maintenant pourquoi nous ne comptons que quarante neuf jours et pas le cinquantième. Le cinquantième jour n’est pas simplement le jour qui suit le quarante neuvième. Il est le résultat des quarante neuf jours ! Un résultat qui surpasse de toute part la somme des jours. Il s’agit de la concrétisation du flash que nous avons vécu à Pessa’h. Ce flash que nous jugions inaccessible, surnaturel, apparaît alors comme la conséquence du processus du omer. Il est la mélodie qui surpasse chaque note individuelle. C’est d’ailleurs pourquoi nous appelons ce jour matane torah qui signifie le don de la torah, car littéralement, il vient d’un autre monde, il transcende les efforts que nous avons fournis ! C’est un cadeau certes, mais nous l’avons nous-même mis en place. Nous sommes ceux qui ont acheminé la venue de ce miracle qu’est le don de la torah. À ce tire, le cinquantième jour ne peut être compté. Car nous ne sommes plus dans la préparation. Nous avons aboutit ! En sommes, c’est Hachem lui-même qui compte le cinquantième jour en nous offrant le fruit de notre labeur !
C’est pourquoi, le dernier verset que nous avons cité, nous demande une offrande faite de levain, de hamets. Le hamets est ce dont nous nous sommes débarrassés durant Pessa’h. En effet, comme nous l’avons expliqué, à Pessa’h nous nous échappons de l’emprise des forces du mal. Cependant, il semblait difficile de vivre de cette façon éternellement, comment rester à ce niveau dans une vie matérielle ? C’est justement ce qui est fabuleux. Les étapes que nous avons franchit nous ont mené au don de la torah. Nous sommes dorénavant capable de vivre dans un monde où il y a du yetser hara sans pour autant perdre la sainteté que nous avons acquit !
Le compte du omer est ce qui nous a construit pour recevoir le torah. Son message est clair, il faut vivre activement et non se laisser aller au fil du temps. Certains pensent que tôt ou tard ils feront téchouva. D’autres se disent que la vie est longue et qu’ils s’adonneront au mitsvot lorsqu’ils seront plus âgés. C’est une grosse erreur ! La sainteté, la proximité avec Hachem est un effort du quotidien, un construction par étapes. Chaque jour perdu ne sera jamais récupéré ! Certes nous pouvons faire téchouva, certes nous pouvons toujours atteindre un haut niveau. Mais ce ne sera jamais le niveau que nous aurions atteint si nous n’avions pas perdu un temps précieux ! Ce n’est qu’en construisant à chaque instant, que nous aboutirons à l’objectif qu’Hachem nous a fixé en nous envoyant dans ce monde ! Et c’est ainsi que nous donnons un vrai sens à notre vie ! Yéhi ratsone que chacun prenne conscience de cela, et qu’à Chavou’ot, nous ayons de nouveau la chance de pouvoir recevoir la torah de la bouche d’Hakadoch Baroukh Hou ! Amen véamen.
Chabbat Chalom.
[1] La torah ordonne de faire un prélèvement de la moisson nouvelle que le cohen prendra et balancera de haut en bas.