Parashat Dévarim (5776)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
Pour l’élévation de l’âme de ‘Hanna bat Esther.
Le cinquième et dernier livre de la torah, résume les dernières paroles dites par Moshé rabbénou aux bné-Israël. À la veille de son retour auprès d’Hakadoch Baroukh Hou, Moshé connaissant le peuple, sait le risque qui se présente devant ce dernier, c’est-à-dire le risque de la faute. C’est pour cela, que le dernier livre de la torah ne se trouve pas être la parole d’Hachem, mais celle de Moshé lui-même, qui vient mettre en garde le peuple, dans son ensemble, concernant le risque de transgresser la torah. Ainsi, Moshé va reprendre successivement les étapes du voyage des bné-Israël dans le désert, et les réprimander pour chacune de leur rébellion contre Hakadoch Baroukh Hou.
Dans le premier chapitre de Dévarim, la torah dit :
:י/ יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם, הִרְבָּה אֶתְכֶם; וְהִנְּכֶם הַיּוֹם, כְּכוֹכְבֵי הַשָּׁמַיִם לָרֹב
10/ Hachem votre Dieu, vous a fait multiplier, et vous voilà, aujourd’hui, nombreux comme les étoiles du ciel.
:יא/ יְהוָה אֱלֹהֵי אֲבוֹתֵכֶם, יֹסֵף עֲלֵיכֶם כָּכֶם–אֶלֶף פְּעָמִים; וִיבָרֵךְ אֶתְכֶם, כַּאֲשֶׁר דִּבֶּר לָכֶם
11/ Veuille Hachem, Dieu de vos pères, vous rendre mille fois plus nombreux encore et vous bénir comme Il vous l’a promis!
Ces deux versets sont difficiles à comprendre. À priori, le premier semble faire référence à la bénédiction qu’Hachem a faite à Avraham, lui promettant une descendance aussi grande que les étoiles et que le sable des mers. Cependant, il est impossible de comprendre le verset dans ce sens, car dans les faits, lorsque Moshé parle, le peuple qui se tient devant lui, ne compte que six cent mille individus. De fait, la promesse qu’Avraham a entendue n’est pas encore réalisée et ce verset ne la concerne pas. À quoi fait-il donc référence ?
Le deuxième verset comporte également son lot de difficultés. À priori, Moshé demande qu’Hachem augmente la bénédiction à hauteur de mille. Sur cela Rachi écrit : « Pourquoi Moshé reprécise »qu’Il (Hachem) vous bénisse comme Il vous a dit » ? En réalité, ils lui ont dit : »Moshé tu donnes une mesure à notre bénédiction, alors qu’Hachem a déjà promis à Avraham que sa descendance ne pourra être comptée ? » Il leur a répondu : »Cette bénédiction, c’est de moi que je la donne, par contre Lui (Hachem) vous bénira comme Il vous a dit. » »
Tous les commentaires s’interrogent sur le texte de Rachi, car il ne semble pas répondre à la question posée. Moshé semble expliquer qu’il y a deux bénédictions distinctes, d’une part celle qu’Hachem leur a déjà octroyée, et une seconde que Moshé ajoute de sa propre initiative. Cependant, la bénédiction est incluse dans celle d’Hachem puisqu’Hachem leur a accordé une population impossible à compter ? Pourquoi alors ajouter une bénédiction qui ne change rien à l’équation ?
Tentons d’apporter un élément de réponse.
Le Panim Yafot ainsi que le Béér Hatorah apportent une explication très cohérente. En réalité, Moshé était inquiet quant à la réalisation de la promesse faite à Avraham, car elle est dépendante du mérite. Ceci est avéré par le fait qu’à deux reprises, suite aux fautes des bné-Israël, Hachem a dit à Moshé qu’Il comptait les détruire, et accorder à Moshé un peuple plus grand et plus puissant que le précédent. La première fois que ces paroles sont dites, c’est suite à la faute du veau d’or, et la deuxième intervient après la faute des explorateurs.
Il s’avère donc qu’à ces instants, la volonté d’Hachem était de punir les bné-Israël par leur destruction, pour bénir Moshé et lui accorder un peuple sur lequel s’accomplirait la bénédiction jadis faite à Avraham. Or, nos sages enseignent (traité sotah, page 11) que la mesure de bonté d’Hachem est cinq cents fois supérieure à Sa mesure de sanction. Ce qui, signifie qu’à chaque
fois qu’Hachem a promis à Moshé une descendance supérieure à celle des hébreux, le résultat aurait était cinq cent fois plus grand que le nombre de bné-Israël actuel. Cela ayant été répété à deux reprises, la bénédiction que Moshé a reçu, atteint un facteur mille fois supérieur au peuple. En ce sens, du fait que par deux fois, Hachem voulait accomplir la promesse d’Avraham par son biais, cela démontrait que peut-être, le peuple n’était plus bénéficiaire de cette bénédiction et que seul Moshé allait l’accomplir. De sorte, Moshé vient ici restituer aux bné-Israël la promesse héritée d’Avraham en leur disant : qu’Hachem vous ajoute comme vous mille fois, et vous bénisse comme Il vous a dit. Quand a-t-Il dit cela ? Jamais ! Seulement, puisque la bénédiction qu’Hachem a faite à Avraham a failli s’accomplir au travers de Moshé et que lorsque ce transfert a été formulé, il était quantifiable et avait atteint le millier, alors Moshé prend cette bénédiction qu’il a acquise et leur offre à nouveau ! De sorte, ils sont bénis comme Hachem leur a dit.
Le Biniane Ariel explique que les bénédictions dont il est question dans ce verset s’appliqueront à la fin des temps. En ce sens, le Yédé Moshé avance une idée intéressante. Le midrach rabba (dévrarim, chapitre 1, alinéa 13) écrit : « [Pourquoi n’est-il pas écrit »אלף פעם mille fois » ?] Rabbi Éliézer Ben Yaakov a dit : Si nous voulons contempler les bénédictions de Moshé, il semble qu’elles contiennent le monde d’un bout à l’autre. Qu’est-il écrit ? »אלף פעמים mille fois » (le mot פעמים fois est au pluriel), mais »אלף פעם mille fois » (avec le mot פעם fois singulier) n’est pas écrit ». Le Yédé Moshé explique que puisque le mot est écrit au pluriel, cela signifie qu’il veut dire au moins deux, d’ailleurs le mot פעמים fois, peut se lire פעמיים deux fois. En ce sens, Moshé promet au peuple une grandeur deux milles fois supérieure. Or, à l’époque où Moshé parle, la superficie du camp des bné-Israël s’étend sur trois Parsaot (mesure de la torah). Dès lors, en étendant cette taille à celle promise par Moshé, nous devons donc multiplier cette mesure par deux mille et obtenons six mille Parsaot, ce qui correspond (d’après le traité pessa’him page 92) à la taille de la terre ! Ce qui nous permet parfaitement de comprendre le sens des propos de Rabbi Éliézer Ben Yaakov qui explique que la bénédiction de Moshé contient le monde, car au
sens propre du terme, c’est l’objectif de la bénédiction.
Une question ressort de ce qui précède. Comme nous l’avons vu, la bénédiction que Moshé offre aux bné-Israël est en réalité celle qu’il a lui-même reçue. Que ce soit au vu du commentaire du Béér Hatorah ou du Yédé Moshé, il s’agit bien de la même bénédiction car dans les deux cas, elle conduit à l’émergence du peuple hébreu dominant le monde et représentant Hachem. Toutefois, du second commentaire, celui du Yédé Moshé, il semblerait que Moshé donne plus que ce qu’il a reçu, car il propose de multiplier la grandeur du peuple par deux mille ! Or, de façon assez évidente, il est impossible de donner ce que nous n’avons pas. Le flux de bénédiction qui accompagne Moshé étant de mille, il ne peut être dépassé. Pourquoi alors, Moshé promettrait deux mille ?
Cette problématique s’est également posée à Éliyahou Hanavi, lorsqu’il a quitté ce monde. En effet, son élève Élichah lui a fait une demande qu’Éliyahou a lui-même trouvée difficile : avant de mourir, il demande à son maître de lui accorder une grandeur deux fois supérieure à la sienne ! Éliyahou lui explique qu’il n’est pas sûr de parvenir à accéder à sa requête dans la mesure où, là encore, il est impossible de donner ce que nous n’avons pas. C’est pourquoi, il lui donne un signe : si Élichah est capable de voir Éliyahou lorsqu’il monte dans le ciel, ce sera le signe qu’il est parvenu à accomplir la demande, par contre, s’il ne voit rien, c’est qu’il a échoué. Nous connaissons la suite de l’histoire et Élichah a bien été témoin de la montée de son maître dans le ciel, témoignant qu’il avait reçu deux fois plus de grandeur qu’Éliyahou lui-même.
Comment Éliyahou a t-il réussi un tel exploit ? La réponse est évidente, au moment de la demande, Éliyahou ne peut donner à son élève ce qu’il demande, car cela est tout bonnement impossible. Par contre, une fois détaché de son enveloppe matérielle, Éliyahou atteint un niveau beaucoup plus élevé et devient dorénavant capable d’exaucer Élichah.
C’est cela que Moshé dit aux bné-Israël dans le premier verset lorsqu’il précise le mot « היום aujourd’hui ». À savoir que cette première phrase dont ne comprenions pas le sens s’inscrit dans le sens général des deux versets, qui concerne bien la bénédiction d’Avraham que Moshé répercute sur le peuple. Seulement, en l’état, la bénédiction à laquelle le peuple peut prétendre se limite à ce qu’a reçu Moshé, soit mille. Mais ceci n’est vrai qu’« היום aujourd’hui », car le lendemain est la date où Moshé va quitter le monde et dès lors, il sera capable d’accorder deux fois plus au peuple !
Cela nous conduit bien à l’évidence, la bénédiction que Moshé accorde au peuple s’oriente vers la fin des temps, celle de l’avènement de la torah. D’ailleurs, elle se présente dans un contexte idéal, celui des réprimandes que Moshé adresse au peuple, afin de les écarter des fautes à venir pour mieux les préparer à l’instant en question.
Sur le midrach que nous avons cité au nom de Rabbi Éliézer Ben Yaakov, le ‘Anaf Yossef explique pourquoi la bénédiction en question est encadrée par le nombre mille et surtout pourquoi il concerne la fin des temps. Le Zohar enseigne que chaque génération se réincarne à plusieurs reprises afin de réparer les fautes précédentes. De façon générale, il n’existe pas de génération dont le nombre est différent de celle du désert, à savoir six cent mille. À chaque génération l’âme de Moshé accompagne le peuple justement pour les aider à réparer. Et justement, le tikoun (la réparation) atteint sa perfection à la millième génération. Cela est à corréler avec l’enseignement de nos sages : « Ben David (machia’h) ne viendra pas tant que toutes les néchamot du corps ne seront pas descendues (dans notre monde) ». Cela fait justement référence aux mille générations qui doivent se réincarner pour atteindre la réparation du monde. C’est en ce sens que Rabbi Éliézer Ben Yaakov explique que la bénédiction englobe le monde d’un bout à l’autre, car elle atteint la fin des temps, le moment où Machia’h se manifeste.
Ceci entre parfaitement en corrélation avec ce que nous avons développé, à savoir que Moshé accorde une bénédiction au peuple en se basant sur celle qu’il a reçue. Car, comme nous venons de le
dire, Moshé participe à chaque génération, dans le sens où, la bénédiction qu’il a lui même reçue consistait à accomplir ce tikoun. Maintenant qu’il l’accorde au peuple, alors le peuple se joint à lui et ensemble ils doivent parvenir à atteindre l’objectif en question. C’est pourquoi le ‘Anaf Yossef précise que Moshé lui-même accompagne le peuple. Cela rejoint un commentaire du Zohar qui explique que : de même que Moshé est venu nous libérer la première fois d’Égypte, de même, c’est lui qui se manifestera à la fin des temps en tant
que Machia’h pour libérer les bné-Israël. Cela se déduit du verset de Kohélét (chapitre 1, verset 9) : « מַה שֶּׁהָיָה, הוּא שֶׁיִּהְיֶה Ce qui a été c’est ce qui sera », dont les premières lettres de chaque mot forment le nom משה Moshé.
Voilà la portée d’une bénédiction qui pouvait nous paraître anodine. Yéhi ratsone que bientôt, elle devienne effective, pour qu’enfin nous puissions vivre ce dévoilement de la fin de temps amen véamen.
Chabbat chalom.
Y.M. Charbit