Parashat Chéla’h Lékha (5777)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
PARACHAT Chéla’h Lékha
La paracha de Chéla’h parle de l’envoi, par Moshé Rabbénou, d’explorateurs vers la terre d’Israël, chargés d’en vérifier la qualité, de déterminer la puissance des peuples qui l’habitent etc… Ainsi, douze représentants de tribus sont nommés à la charge de cette mission. Malheureusement, chargés d’une mitsvah, les explorateurs se détournent du chemin de Hachem. À leur retour, dix d’entre eux, profèrent des critiques contre la terre promise, incitant avec eux, le peuple à refuser cette terre. Seuls, Yéhochoua Bin Noun et Calev Ben Yéfouné, deux des explorateurs, s’opposent à leurs confrères affirmant que Hachem tiendrait sa promesse de conduire le peuple dans la terre où coulent le lait et le miel. Le peuple étant en révolte contre Moshé, l’intervention de Hachem ne se fait pas attendre. Ainsi, les dix explorateurs ayant proféré du lachon hara contre la terre d’Israël sont condamnés à mourir de façon atroce. Le reste du peuple se voit privé du droit d’entrer en terre sainte et devra errer durant quarante ans dans le désert, jusqu’à l’extinction totale de la génération qui s’est révoltée. Par la suite, la Torah nous enseigne diverses règles concernant les sacrifices à apporter sur l’autel. La paracha se conclut par la transgression du chabbat par un homme, bien qu’il ait été averti du risque encouru.
Dans le chapitre 15 de Bamidbar, la Torah dit :
:לב/ וַיִּהְיוּ בְנֵי–יִשְׂרָאֵל, בַּמִּדְבָּר; וַיִּמְצְאוּ, אִישׁ מְקֹשֵׁשׁ עֵצִים—בְּיוֹם הַשַּׁבָּת
32/ Pendant leur séjour au désert, les bné-Israël trouvèrent un homme ramassant du bois le jour du chabbat.
:לג/ וַיַּקְרִיבוּ אֹתוֹ, הַמֹּצְאִים אֹתוֹ מְקֹשֵׁשׁ עֵצִים—אֶל–מֹשֶׁה, וְאֶל–אַהֲרֹן, וְאֶל, כָּל–הָעֵדָה
33/ Ceux qui l’avaient trouvé ramassant du bois le conduisirent devant Moshé et Aaron, et devant toute la communauté.
:לד/ וַיַּנִּיחוּ אֹתוֹ, בַּמִּשְׁמָר: כִּי לֹא פֹרַשׁ, מַה–יֵּעָשֶׂה לוֹ
34/ On le mit en lieu sûr, parce qu’il n’avait pas été expliqué comment il fallait agir à son égard.
לה/ וַיֹּאמֶר יְהוָה אֶל–מֹשֶׁה, מוֹת יוּמַת הָאִישׁ; רָגוֹם אֹתוֹ בָאֲבָנִים כָּל–הָעֵדָה, מִחוּץ לַמַּחֲנֶה׃
35/ Alors Hachem dit à Moshé: « Cet homme doit être mis à mort; que toute la communauté le lapide hors du camp. »
לה/ וַיֹּצִיאוּ אֹתוֹ כָּל–הָעֵדָה, אֶל–מִחוּץ לַמַּחֲנֶה, וַיִּרְגְּמוּ אֹתוֹ בָּאֲבָנִים, וַיָּמֹת: כַּאֲשֶׁר צִוָּה יְהוָה, אֶת–מֹשֶׁה׃
36/ Et toute la communauté l’emmena hors du camp, et on le fit mourir à coups de pierres, comme Hachem l’avait ordonné à Moshé.
Concernant ce passage, nos sages enseignent que l’homme en question, qui a fauté en transgressant chabbat, n’est autre que Tsélofrad.
Nos sages enseignent (traité baba batra, page 119a) : « Rabbi ‘Hidéka a dit : Chimone Hachikmoni était mon ami et l’élève de Rabbi ‘Akiva ; et ainsi disait Chimone Hachikmoni : Moshé savait que les filles de Tsélofrad devaient hériter. Cependant, il ne savait pas si elles devaient prendre le part de l’aîné (qui est double, et qui provenait de leur grand-père) ou pas. Et de fait, la section de la torah concernant l’héritage aurait dû être écrite par le biais de Moshé, toutefois les filles de Tsélofrad ont été méritantes et la section a été écrite par leur intermédiaire. De même, Moshé savait que le »Mékochech » (c’est-à-dire celui qui transgresse chabbat dans notre paracha) devait être mis à mort, comme il est dit dans la torah : « celui qui profane chabbat mourra » ; cependant, Moshé ne savait quelle mort appliquer (c’est pourquoi il a questionné Hachem). De sorte, la section du »Mékochech » aurait dû être écrite par Moshé, mais cet homme s’est rendu coupable et elle a été écrite par son intermédiaire. Tout cela pour t’apprendre que l’on révèle le mérite par ceux qui sont méritants et la sanction par ceux qui sont coupables. »
Dans notre cas, puisque Tsélofrad a fauté, alors la torah a enseigné la règle de mise à mort pour chabbat par son histoire. De même, par la suite, la torah raconte (parachat pin’has) que les filles de cet homme, se sont retrouvées sans père et donc sans vecteur d’héritage. En effet, la torah fait passer l’héritage par les hommes et de fait, n’ayant eu que des filles, Tsélofrad ne pouvait à priori pas les faire hériter. D’où la demande auprès de Moshé par les filles de Tsélofrad, pour savoir ce qu’il en était dans ce cas précis. C’est donc par leur mérite qu’Hachem a dévoilé cette loi.
Cet enseignement nous amène à réfléchir sur l’attitude de Tsélofrad, qui est présenté par la guémara comme un fauteur. Cependant, un enseignement de Rachi (bamidbar, chapitre 27, verset 1) semble contredire cela. En effet, concernant les filles de Tsélofrad, la torah précise qu’elles sont les descendantes de Yossef. Sur quoi, Rachi demande pourquoi préciser tout leur lignage jusqu’à Yossef ? Il répond : « C’est pour te dire que Yossef aimait le pays, comme il est écrit : « vous ferez monter mes ossements d’ici… » (Beréchith chapitre50, verset 25), et que ses descendantes aimaient le pays, comme il est écrit : « Donne-nous une possession ! » (verset 4). Cela t’apprend aussi qu’ils étaient tous des justes. Car toutes les fois que les actions de quelqu’un et celles de ses parents restent obscures et que le texte cite celles de l’un d’eux à son avantage en mettant l’accent sur sa filiation, c’est qu’il est un juste descendant d’un juste. Et s’il les cite à son désavantage, comme dans : « Vint Yichma‘el fils de Netanya fils de Elichama’… » ( Melakhim, tome 2, chapitre 25,verset 25), il est évident que tous ceux qui sont mentionnés avec lui sont des méchants. »
Plus encore, le Targoum Yéhonathan Ben Ouziel (chapitre 16, verset 32) explique que l’intention de Tsélofrad est noble. Il savait que les bné-Israël ignoraient la sanction exacte de celui qui transgresse le chabbat, c’est pourquoi, il a volontairement transgressé, afin que Moshé puisse entendre la règle de la bouche d’Hachem et la transmette au peuple. Dans le même contexte, Tosfot (sur baba batra, pahe 119b) apporte au nom du midrach que la raison qui motive Tsélofrad trouve sa source dans l’évènement des explorateurs que notre paracha relate. Suite à leur faute et à la sanction qui s’abat sur le peuple de ne pas entrer dans la terre d’Israël, le peuple suppose ne plus être astreint aux mitsvot. Pour leur prouver le contraire, Tsélofrad est prêt au sacrifice afin de montrer à tous que la torah est toujours en vigueur.
De ces trois commentaires, il ressort clairement que les intentions de Tsélofrad sont bonnes et qu’il agit dans l’espoir de sanctifier le nom d’Hachem. Comment la guémara peut-elle alors affirmer que par Tsélofrad est un fauteur ?
Toujours sur la base de ces commentaires, une question ressort. L’attitude de Tsélofrad est-elle tolérable ? Certes, il souhaite faire connaître la volonté du Maître du monde, cependant, avait-il le droit de transgresser le chabbat pour atteindre cet objectif ?
Tentons de comprendre.
Rav Méïr Arik (chout Imré Yocher, tome 3 page 230) remarque une chose extraordinaire. En effet, lorsque le Targoum Yéhonathan Ben Ouziel introduit sa traduction de l’histoire de Tsélofrad, il précise que Tsélofrad descend de Yossef. Or, ceci n’est pas mentionné dans notre passage de la torah bien que nous l’apprendrons plus tard. Quel l’intérêt de cette précision à priori inutile ?
Pour répondre à cela, il apporte l’enseignement de nos sages (traité chabbat, page 49b) qui cherchent une source aux trente-neuf interdictions de chabbat. D’après certains, ces trente-neuf travaux prohibés par la torah proviennent des trente-neuf fois où la torah mentionne le mot « מלאכה travail ». Concernant la trente-neuvième occurrence de ce mot, nos sages sont en discussion quant à sa localisation. Certains l’identifient dans le verset (béréchit, chapitre 39, verset 11) : « וַיָּבֹא הַבַּיְתָה לַעֲשׂוֹת מְלַאכְתּוֹ il est venu dans la maison faire son travail » qui concerne le moment où Yossef entre dans la maison et trouve la femme de Potiphar qui va tenter de le faire fauter en s’unissant avec lui. Sur ce texte, certains maîtres estiment qu’il faut comprendre simplement que Yossef allait faire sa charge de travail. Dès lors, ce passage peut entrer dans le compte des trente-neuf mentions du mot « מלאכה travail ». D’après d’autres, Yossef n’est pas allé travailler mais fauter, si ce n’est que l’image de son père le sauve. Dans ce contexte, le mot « מלאכה travail » n’est pas à considérer comme un vrai travail et ne peut entrer dans le recensement des trente-neuf occurences. C’est pourquoi, ces opinions repèrent la trente-neuvième occurrence dans un autre verset (chémot, verset 36, verset 7) : « וְהַמְּלָאכָה, הָיְתָה דַיָּם et les matériaux (littéralement »et le travail ») étaient suffisants. » qui traite de la récolte de tout le matériel qui servira à la confection du michkan.
De cette discussion entre nos maîtres, ressort une conséquence pratique. Si le verset correct est le second, « וְהַמְּלָאכָה, הָיְתָה דַיָּם et les matériaux (littéralement »et le travail ») étaient suffisants. » cela signifie que même un travail fait alors que nous n’en avons pas nécessairement besoin est considéré comme une faute. En effet, la torah atteste que c’était déjà suffisant et elle emploie tout de même le mot »travail » pour nous faire comprendre que quand-bien même cela suffisait et que plus n’était pas nécessaire, il n’en reste qu’il s’agit toujours d’un travail. Par contre, si le premier verset est le bon et que nous apprenons de « וַיָּבֹא הַבַּיְתָה לַעֲשׂוֹת מְלַאכְתּוֹ il est venu dans la maison faire son travail » alors cela signifie que seul un travail nécessaire comme celui de Yossef qui travaillait pour son maître, est considéré comme une transgression. Par contre, un travail qui n’est pas utile ne serait pas une faute.
Sur cette base, le Targoum Yéhonathan Ben Ouziel précise que le »Mékochech » descend de Yossef, pour nous préciser qu’il se place dans la lignée de Yossef dans son action de transgresser le chabbat. En ce sens, puisque le verset concernant Yossef nous apprend qu’un travail inutile n’est pas une faute le chabbat, Tsélofrad va agir en fonction. C’est en ce sens que le Maharcha conclut que puisque le seul objectif de Tsélofrad était d’enseigner au peuple la halakha, son travail n’était pas utile en soi, sa transgression ne lui apportait rien de concret. Il ne cherchait qu’à faire une démonstration et n’importe quelle transgression aurait fait l’affaire. L’objectif n’est pas le résultat du travail. Du coup, il ne s’agit pas d’une faute et Tsélofrad ne fait rien de mal !
Précisons toute de même la raison de sa mise à mort. Puisque ce détail entre un travail utile et un travail inutile se fait sur la pensée, en ce sens où seul celui qui agit sait pourquoi il agit et que les intentions de Tsélofrad sont restées cachées dans son esprit, un tribunal terrestre est obligé de ne pas tenir compte de cela et doit le mettre à mort. Cette nuance ne se situe que dans le ciel où les intentions sont dévoilées. Sinon, il suffirait de transgresser chabbat et de dire au tribunal que nous le faisions sans aucune utilité et ainsi se disculper de toute sanction.
Nous pouvons maintenant comprendre l’enseignement de la guémara qui disait « on révèle le mérite par ceux qui sont méritants et la sanction par ceux qui sont coupables. » Certes dans le sens standard, cette phrase signifierait que Tsélofrad ayant fauté, a servi de moyen d’enseigner la halakha. Toutefois l’introduction précise une chose qui change tout le sens : cette section aurait dû être enseignée par Moshé, mais Tsélofrad lui a »volé » la vedette. En ce sens, où, Moshé a perdu le mérite de pouvoir l’écrire à cause de l’évènement de Tsélofrad. Comment une faute pourrait-elle priver Moshé du mérite d’écrire une mitsvah ? Si ce n’est qu’en réalité, c’est un mérite pour Tsélofrad que de pouvoir enseigner cela au peuple. Son action étant parfaitement pure, il détrône Moshé et mérite plus encore que lui d’être le vecteur de cette loi. En temps normal, les fauteurs servent d’exemple pour enseigner la faute. Cependant, dans notre cas Tsélofrad ne sert pas d’exemple, il est méritant ! C’est une récompense qu’Hachem enseigne une loi par son intermédiaire, car dans ce cas il s’agit d’une nouveauté et non d’un triste exemple. Ceci est corroboré par le fait que la guémara cite le cas de ses filles qui, elles aussi, volent la vedette à Moshé et sont le vecteur d’une nouveauté dans la torah ! Comme le précise le Rachi sus-mentionné, ces filles sont les filles d’un tsadik ! Et elles suivent la même démarche que lui en méritant d’être la source d’une loi de la torah. Plus encore, où se trouve le mérite de ses filles ? Il n’y a rien de plus normal que de venir réclamer l’héritage d’un défunt. En quoi est-ce dont une chose si glorieuse au point de mériter une section de la torah ? La réalité se trouve bien dans le fait que c’est suite à l’acte glorieux de Tsélofrad qui se sacrifie pour la torah que ses filles se retrouvent orphelines et en viennent à poser la question à Moshé. En clair, là encore, le mérite revient à Tsélofrad, ce qui explique sans doute pourquoi la torah précise sans cesse qu’elles sont ses filles.
Tsélofrad n’a pas commis de faute à l’image de Lavane ou encore d’Essav pour que la torah le cite en exemple peu élogieux. Au contraire, Tsélofrad fait l’ultime sacrifice et mérite d’enseigner au peuple d’Israël. Telle est la récompense de la messirout nefech, du don de soi. Yéhi ratsone que chacun des bné-Israël puisse montrer autant de volonté à accomplir la volonté d’Hachem.
Chabbat Chalom.