Parashat Béhoukotaï – 5776 – Yehouda Moshé Charbit
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PARACHAT BÉ’HOUKOTAÏ
La paracha de bé’houkotaï clôture le troisième livre de la torah, vayikra. Elle présente une liste de conséquences au respect et au non-respect des commandements de la torah, en citant dans un premier temps la bérakha que suscitera Hachem sur le peuple s’il respecte les injonctions de la torah, puis en détaillant ensuite la malédiction qui risque de s’abattre sur lui dans le cas contraire.
Dans le chapitre 26, de Vayikra au 30ème verset, la torah dit :
וְהִשְׁמַדְתִּי אֶת-בָּמֹתֵיכֶם, וְהִכְרַתִּי אֶת-חַמָּנֵיכֶם, וְנָתַתִּי אֶת-פִּגְרֵיכֶם, עַל-פִּגְרֵי גִּלּוּלֵיכֶם; וְגָעֲלָה נַפְשִׁי, אֶתְכֶם׃
Je détruirai vos hauts-lieux, J’abattrai vos monuments solaires, puis Je jetterai vos cadavres sur les cadavres de vos impures idoles; et Mon esprit vous repoussera.
Ce verset est très surprenant, car il se trouve dans la partie des malédictions qu’Hachem profère contre les bné-Israël s’ils se rebellent contre Lui. Or, à priori, cette phrase ne contient pas de malédiction mais bien une bénédiction, celle de voir l’idolâtrie détruite, ce qui constitue une bonne nouvelle. À tel point, que le ‘Hizkouni est d’avis de ne pas la compter comme une malédiction et de la soustraire à leur recensement. Dans les faits, il ne s’agit pas d’un avis unanime des commentateurs, de facto, pour beaucoup, il s’agit bel et bien d’une malédiction. Dès lors, au vu de ces décisionnaires, comment en comprendre le sens ?
Une autre question intervient concernant ce même verset. La torah parle du »cadavre des idoles » lorsqu’elle annonce la sanction. Une idole relève par définition de l’inerte et ne se classe absolument pas dans le cadre de la vie pour pouvoir parler de cadavres. Pourquoi alors, la torah emploie-t-elle ce mot ? Certes, nombres de commentaires expliquent ce verset comme une allusion au fait de tomber sur l’idole même et dès lors, le mot »cadavre » ne serait qu’un mot utilisé comme métaphore. Mais cette notion est difficile à comprendre surtout lorsque l’on sait combien les mots que la torah a choisis d’employer sont chargés de sens. Dans notre cas par exemple, la torah aurait pu s’abstenir d’employer le mot »cadavre » pour se limiter à dire que les cadavres des fauteurs tomberont sur leurs idoles, évitant ainsi l’usage d’une métaphore inutile. Ainsi, si la torah fait le choix d’employer ce mot, c’est qu’il est lourd de sens et qu’il nous enseigne des choses.
Tentons de comprendre.
Le Sifté Tsédek (sur notre verset) aborde la notion de correspondance entre le bien et le mal. Nos sages nous enseignent qu’à chaque niveau de sainteté se trouve un niveau d’impureté opposé et d’intensité identique. En ce qui concerne l’idolâtrie, le talmud raconte que nos sages sont parvenus à la supprimer de ce monde. Toutefois, cette attitude ne se veut pas sans conséquence. Puisqu’il existait un mauvais penchant pour la avoda zara, forcément, du point de vue du bien et des forces positives, devait exister une force antonyme, afin de contrebalancer l’attraction vers le mal. Ceci constitue les bases du libre-arbitre, à savoir la possibilité parfaite d’agir avec équiprobabilité. Dans le cadre de l’attitude de nos sages, la destruction du mauvais penchant idolâtre, devait être accompagnée de la suppression de son expression positive. Dès lors, en annihilant ce mal, nos sages ont par la même, affaibli les forces du bien. En somme, la destruction du mauvais penchant se traduit parallèlement par un éloignement du bien. En ce sens, il s’agit bien d’une malédiction, puisqu’elle est synonyme de diminution du lien qui unit les bné-Israël à Hachem.
C’est en ce sens que nous pouvons comprendre un passage de la guémara (traité Yoma, page 69b) :
« » Ils ont crié d’une grande voix vers Hachem leur Dieu ». Qu’ont-ils dit ? Rav dit, et certains pensent que c’est Rabbi Yo’hanan qui le dit : »Hélas, hélas, le mauvais penchant idolâtre est responsable de la destruction du temple, de l’incendie du hékhal, il a tué tous les tsadikim, exilé les bné-Israël et jusqu’à maintenant il danse parmi nous (en nous tentant) ! N’est-ce pas qu’il nous a été donné uniquement pour que nous recevions une récompense (en luttant contre lui) ? Maintenant, nous ne voulons ni de lui ni de sa récompense ! » Est alors tombée une lettre du ciel sur laquelle se trouvait l’inscription »אמת vérité ». Rav ‘Hanina a alors dit : »apprends de là, que le sceau d’Hachem est le mot »אמת vérité ». Les sages se sont alors engagés dans un jeûne de trois jours et trois nuits et le mauvais penchant de l’idolâtrie leur a été confié. Un lionceau de feu est alors sorti du saint des saints du temple et Zékharia le prophète a dit à Israël : »C’est le penchant de l’idolâtrie ! » » La guémara raconte ensuite que les sages ont détruit ce penchant.
La question qui surgit alors à nos esprits concerne ce fameux lionceau de feu. Pourquoi sort-il du saint des saints, qui, comme son nom l’indique est un lieu pur, dans lequel l’idolâtrie n’a pas sa place. Sur la même base que ce que nous avons évoqué précédemment, le Avné Ézel répond qu’il s’agit justement de son expression positive. Plus précisément, lorsque le penchant idolâtre disparaît, il est accompagné de la suppression d’une forte dose de sainteté, qui garantissait une connexion plus grande avec Hachem. Lorsque notre désir ardent de faire le mal s’amenuise, alors notre volonté à nous approcher du bien s’enlise également. Ainsi, la disparition de l’idolâtrie peut se voir sous deux angles. Soit comme le suggère le ‘Hizkouni, il s’agit d’une chose positive, car c’est un éloignement du mal, soit comme nous venons de le souligner, cela constitue une chose négative, car elle affaiblit notre attraction au bien.
C’est sans doute dans ce sens qu’il s’agit d’un lion qui sort du saint des saints. En effet, le Chem Michmouël (sur pourim, année 680) note cette double identité du lion. D’une part, il s’agit d’une animal impur et non-kasher, caractérisé par la férocité. D’autre part, il figure sur le char qui s’est révélé à Yé’hézkiel le prophète ! Il a donc ces deux facettes, l’une positive et l’autre négative, connotant ainsi le lien étroit entre les forces présentes dans le monde. Chacune dispose de son opposé et ne peut exister sans l’autre, afin de pouvoir maintenir l’équilibre. D’où l’endroit choisi par ce lionceau pour faire son apparition : le lieu le plus saint de tous ! Car il est également la caractéristique d’une sainteté intense qui s’est enfuie du monde en même temps que l’impureté de l’idolâtrie.
Si la question de savoir quelle force négative a disparu ne se pose pas, car la guémara dit clairement qu’il s’agit de l’idolâtrie, elle se pose en revanche pour son expression positive. En quoi cette perte de sainteté se manifeste-t-elle ?
Le Gaon de Vilna (Biour Hagra, séder olam rabba, chapitre 30) enseigne une chose qui tombe finalement sous le sens : en même temps que l’idolâtrie, nous avons perdu la capacité prophétique. En effet, lorsque nous analysons l’essence de ces deux notions, nous trouvons une corrélation évidente. L’idolâtrie consiste à renier Dieu pour se plonger dans un culte mensonger. Elle sous-tend donc un déplacement de la vérité divine vers une nouvelle création pseudo-divine. À l’opposé de cela, l’état prophétique caractérise la possibilité de communiquer avec le divin, et donc, affirme indubitablement l’existence d’Hachem. C’est pourquoi l’idolâtrie et les forces du mal qui l’accompagnent ne peuvent exister sans la prophétie qui contrebalance et maintient le libre-arbitre.
Pour mieux comprendre le lien étroit qui unit ces deux notions, nous disposons d’un exemple tristement éloquent, celui du veau d’or. Beaucoup, se demandent comment le peuple hébreu a pu commettre le sacrilège d’idolâtrer un veau en or, alors qu’il venait de recevoir la torah de la bouche du Créateur ?!
Une simple analyse nous montre combien ce type de raisonnement n’est pas fondé. Comme nous l’avons dit, chaque niveau de sainteté existe en fonction d’une impureté qui lui fait face. Or, lors de la réalisation du veau d’or, les bné-Israël avaient justement atteint le paroxysme de la connaissance divine, un état prophétique inégalé, un dévoilement total. De sorte, les forces du mal et le libre-arbitre, pour se maintenir, devaient être intensifiés au point de créer une réalité parfaitement opposée à celle de Dieu. En somme, il fallait un mensonge parfait pour que le peuple puisse de nouveau se mettre à douter et ait la possibilité de fauter. C’est pourquoi, les forces qui se sont alors révélées, sont celles de l’idolâtrie, car elles entrent parfaitement en confrontation avec l’état des hébreux. Face à une vérité indiscutable et parfaite, il fallait créer un mensonge tout aussi puissant et impossible à remettre en cause. C’est alors que le veau fait son apparition, mais pas de n’importe quelle façon. Non seulement, il sort de lui même, sans avoir à être confectionné par l’homme, mais plus encore, nos sages affirment qu’il parlait !! (cf Rachbam sur chémot, chapitre 32, verset 4). Or, la parole n’est accordée qu’à ce qui vit, et par définition une idole, devrait-être inerte et ne devrait pas parler ! Les hébreux se trouvent donc face à une statue vivante, présentant des caractéristiques surnaturelles ! Le choix redevient complet, et deux réalités, aussi concrètes l’une que l’autre se présentent au peuple.
Cette notion nous montre combien la prophétie et l’idolâtrie sont jumelées. Ce qui est notable dans ce que nous venons d’évoquer est que, lorsque le dévoilement prophétique atteint son paroxysme, le pouvoir idolâtre entre dans une sphère vivante : le veau parlait !
Par définition, la parole est ce qui caractérise la vie. D’ailleurs, lorsque la torah décrit Hachem qui insuffle l’âme dans le corps de l’homme, le Targoum Yéhonathan Ben Ouziel (béréchit, chapitre 2, verset 7) explique qu’il s’agit de la capacité de parler ! L’âme de l’homme dépasse toutes les autres formes de vie, elle est la plus vivante pour reprendre l’expression de Rachi, car elle peut communiquer.
À ce titre, nous pouvons comprendre une notion importante : les forces de l’idolâtrie, exprimées intensément, ressemblent à la vie !
Il convient toutefois de nuancer ce propos trompeur. Il ne s’agit absolument pas de conférer aux idoles une quelconque puissance et encore moins un aspect divin, has véchalom. Il s’agit d’avoir à l’esprit que les forces qui nourrissent ce mauvais penchant, ont la même substance que la prophétie elle-même. À ce titre, il s’agit d’énergies extrêmement puissantes, dont les traits peuvent paraître vivants. C’est pourquoi, l’attraction vers cette faute était si intense. De facto, une chose comparable à la vie anime l’idolâtrie, lorsque celle-ci s’exprime de façon puissante. Dans un état standard, aucune manifestation vivante n’est palpable, mais lorsque les énergies libérées sont plus élevées, alors une manifestation se fait sentir.
Cela nous fournit une réponse à notre seconde question. La torah parle de »cadavres » pour les idoles, précisant que les idolâtres tomberont dessus, lorsqu’Hachem les frappera. Ces termes tombent maintenant sous le sens, car en effet, les forces qui animaient les idoles, seront retirées lorsque l’idolâtrie disparaîtra. De sorte, plus aucun flux n’animera ce mauvais penchant, qui n’exprimera plus aucun trait commun avec la vie. L’âme du yetser hara lui sera retiré, ne laissant derrière lui qu’une dépouille, le cadavre en forme de statue, du mal qu’il représentait jadis.
Cette notion est tellement avérée qu’elle est corroborée par les propos du Tana dévé Éliyahou Zoutra (chapitre 21) qui explique qu’à la fin des temps, Hachem insufflera la vie aux idoles des nations, afin des les conduire vivants, eux et leur propriétaire, dans le guéhinam. C’est justement, lors de l’étape ultime de l’existence, lorsque l’existence d’Hachem ne sera plus discutée et qu’il deviendra courant de s’adresser au divin, que les idoles apparaîtront sous forme vivante. Le pouvoir prophétique se manifestera au point d’élever les forces du mauvais penchant idolâtre au sommet de leur art. C’est à ce moment, lorsqu’elles revêtiront tout leur potentiel, qu’Hachem les détruira définitivement.
Yéhi ratsone que cela se produise rapidement, et que nous soyons rapidement affranchis de toutes notions étrangères à notre Créateur, amen véamen.
Chabbat chalom.