Parashat Béhaalotékha (5776)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
PARACHAT BÉHAALOTEKHA
La paracha de Béhaalotera débute par un rappel des règles concernant la ménorah ainsi que par l’investiture des Lévis dans le rôle saint d’accompagnement des Cohanim dans leur fonction envers Hachem. La Torah relate ensuite le premier sacrifice de Pessa’h qui a lieu dans le désert, la deuxième année après la sortie d’Égypte, en précisant les règles que devra suivre la personne n’ayant pu offrir cette offrande à temps. Par la suite, ce sont les détails des voyages des bné-Israël qui sont énumérés en indiquant la manière qu’avait le peuple de se déplacer. La paracha raconte ensuite comment les bné-Israël ont commis la faute de s’éloigner d’Hachem et de réclamer ardemment de la viande. Les conséquences de ces fautes furent rapides. Hakadoch Baroukh Hou enflamme sa colère contre le peuple, en brûle une partie, et envoie des cailles en quantité incroyable! La paracha se conclut par la médisance émise par Myriam à l’encontre de son frère Moshé après qu’il ait divorcé de sa femme par nécessité pour le service d’Hachem. En conséquence de cette médisance, Myriam est frappée par la peste durant sept jours.
Dans le chapitre 11 de Bamidbar, la torah dit :
ד/ וְהָאסַפְסֻף אֲשֶׁר בְּקִרְבּוֹ הִתְאַוּוּ תַּאֲוָה וַיָּשֻׁבוּ וַיִּבְכּוּ גַּם בְּנֵי יִשְׂרָאֵל וַיֹּאמְרוּ מִי יַאֲכִלֵנוּ בָּשָׂר:
4/ Et la populace qui était parmi eux entretinrent un désir. Ils retournèrent et pleurèrent, les bné-Israël également, et dirent: « Qui nous donnera à manger de la viande?
ה/ זָכַרְנוּ אֶת הַדָּגָה אֲשֶׁר נֹאכַל בְּמִצְרַיִם חִנָּם אֵת הַקִּשֻּׁאִים וְאֵת הָאֲבַטִּחִים וְאֶת הֶחָצִיר וְאֶת הַבְּצָלִים וְאֶת הַשּׁוּמִים :
5/ Nous nous souvenons du poisson que nous mangions en Égypte gratuitement, les concombres, les pastèques, le poireau, les oignons et l’ail.
ו/ וְעַתָּה נַפְשֵׁנוּ יְבֵשָׁה אֵין כֹּל בִּלְתִּי אֶל הַמָּן עֵינֵינוּ:
6/ Mais maintenant notre âme est asséchée, il n’y a rien, ce n’est que vers la manne que se posent nos yeux. «
Bien que nous ayons déjà traité de ce sujet, c’est toujours l’occasion pour nous d’y apporter un regard nouveau, au vu des divers commentaires de nos Maîtres.
Pour nous mettre dans le contexte, rappelons qui sont les personnages qui interviennent dans ce passage. Le Sifri apporte deux opinions sur l’identité des protagonistes et dans les deux cas, nous verrons qu’il est difficile de comprendre leur attitude. Le premier avis est le plus connu et attribue cette rébellion au érev rav, ces égyptiens qui se sont associés aux bné-Israël à la sortie d’Égypte, et qui sont responsables de beaucoup de fautes commises dans le désert. Bien qu’il s’agisse de personnes moins saintes que le reste du peuple, leur requête est surprenante. En effet, ils réclament de la viande, alors que nos sages nous enseignent que la manne dont ils se nourrissaient pouvait avoir le goût de n’importe quel aliment. Dès lors, qu’il s’agisse de viande ou de poisson, la manne aurait dû raisonnablement suffire à ces personnes. Critiquer l’absence de tel ou tel aliment semble finalement invraisemblable.
Le second avis, celui de Rabbi Chimone Ben Menassia semble tout aussi difficile à cerner, car il désigne les anciens d’Israël comme responsables de la manifestation, ceux-là même qui seront ensuite nommés parmi les soixante-dix personnages qui suppléeront Moshé. Comment comprendre que de si éminents personnages commettent une telle faute ? Plus encore, pourquoi sont-ils finalement récompensés en accédant à une fonction prestigieuse ?
Pour avoir une approche adéquate du sujet, il convient de se pencher sur les propos du Malbim (sur notre passage) qui va nous permettre de réconcilier les deux opinions que nous venons de citer.
La manne revêt une caractéristique tout à fait particulière. Il s’agit d’une part de ce qui servait de nourriture au peuple, de facto elle dispose d’une certaine consistance, d’un aspect parfaitement matériel. Toutefois, sa provenance est le ciel, où elle sert de nourriture aux anges. C’est justement là que se trouve toute l’ambigüité de ce mets miraculeux. Comme nous le savons, les anges ne mangent pas et lorsque nos sages qualifient la manne de »nourriture des anges », ils parlent évidemment d’un aspect spirituel, dans le sens où cela leur apporte le moyen d’accéder à une dimension divine de la compréhension de la torah. La manne est la source de leur accès à la connaissance d’Hachem. En ce sens, il s’agit de leur subsistance car c’est pour cela qu’ils existent. Cela nous permet de comprendre pourquoi sur terre, la manne apparaissait sous forme de nourriture.
À vrai dire, il s’agit de la même dynamique que celle de la torah. Comme nous le savons, la torah a été écrite bien avant la création du monde, et les notions des mitsvot telles que nous les connaissons ne s’appliquaient pas. D’où l’argumentaire de Moshé rabbénou face aux anges pour démontrer l’incompatibilité de la torah avec eux. Toutefois, si dans le ciel déjà, la torah parlait du respect des parents et de toutes les mitsvot qui concernent l’humain, pourquoi alors, les anges étaient-ils intéressés à garder cette torah ? La réponse que nous avons déjà apportée consiste à expliquer que la torah »s’adapte à son milieu » ou plus précisément, elle s’exprime en fonction des gens à qui elle a à faire. Ainsi, face aux anges, qui évoluent dans un domaine parfaitement spirituel, la torah ne revêt qu’un aspect spirituel et ne présente pas de côté matériel. De sorte, les lois comme celle du respect des parents n’existent simplement pas et les anges ne sont pas concernés par cette configuration du texte sacré. Ce n’est qu’en descendant sur terre, que la torah apparaît dans une forme plus matérielle cette fois, en cachant sa partie spirituelle. S’il est possible de s’exprimer ainsi, la torah se »matérialise » et » s’humanise » en atterrissant dans notre monde.
Il s’agit en réalité du procédé que suit toute notion qui descend du ciel vers la terre. Dans les faits, nous observons cette même démarche dans la venue d’une âme, qui pour pouvoir interagir s’enveloppe d’un corps. C’est pourquoi, la manne était la base de l’alimentation des bné-Israël dans le désert. Comme nous l’avons dit, dans son aspect initial, la manne constitue la subsistance des anges, qui s’en servent pour jouir des secrets de la torah. Cependant, en venant sur terre, cette lumière céleste est contrainte de prendre un habit local et apparaît sous une forme palpable elle aussi. De façon tout à fait logique, sa manifestation terrestre se fait sous forme de nourriture en respectant le schéma dans lequel elle existe dans le ciel : de subsistance des anges, elle devient subsistance de l’homme.
Mais là encore, le mode opératoire de la manne suit parfaitement le cheminement de celui de la torah. De sorte, en ce qui concerne la torah, il existe le sens premier du texte accessible à tous, et plus en profondeur, il existe l’expression initiale de la torah, sa compréhension intrinsèque, telle qu’elle existe dans le ciel. Ce degré de dévoilement requiert cependant une préparation pour celui qui s’apprête à le recevoir. Ainsi, seuls les tsadikim, les personnes les plus saintes, sont à même de déceler les secrets que cache la torah. Pareillement, la manne qui dispose de ces deux aspects, ne se manifeste pas de la même façon chez tous les hommes. Les personnes les plus simples, n’y voient qu’une simple forme de nourriture, dépourvue de tout aspect divin. Or, par définition, une nourriture normale, ne peut posséder aucun lien avec des notions miraculeuses, et dans les faits, il n’existe aucun aliment qui possède plusieurs goûts, une pomme aura toujours le goût d’une pomme, et ainsi pour tous les aliments. Ce qui amène une partie du peuple à dénigrer la manne et à réclamer autre chose, lassés de manger quotidiennement le même aliment et d’avoir le même goût dans la bouche.
Par contre, les personnes les plus saintes, sont à même de percevoir le côté plus noble de la manne, et ne la mangent pas en tant que simple moyen de se rassasier, mais plus comme le font les anges, dans le but d’atteindre une compréhension supérieure du divin. Pour ces personnes, la manne s’exprime plus comme une source divine, disposant de caractéristiques qui ne concordent pas avec le matériel. En ce sens, la manne n’est plus limitée au matériel qui l’encadre et peut procurer le goût de n’importe quelle nourriture ! C’est pourquoi, la torah présente deux types d’intervenants dans la formulation du verset : « וְהָאסַפְסֻף אֲשֶׁר בְּקִרְבּוֹ הִתְאַוּוּ תַּאֲוָה וַיָּשֻׁבוּ וַיִּבְכּוּ גַּם בְּנֵי יִשְׂרָאֵל Et la populace qui était parmi eux entretinrent un désir. Ils retournèrent et pleurèrent, les bné-Israël également ». Il y a d’une part la »populace » qui met en avant ses désirs, il s’agit clairement de besoin physique, une pulsion. Nous comprenons qu’il s’agit d’une envie de manger autre chose, de connaître un autre goût. Les personnes dont nous parlons sont donc celles qui sont incapables de percevoir dans la manne autre chose que son aspect matériel. C’est seulement après que les bné-Israël se joignent à eux. Il s’agit cette fois des gens plus pieux, parfaitement capables de déceler l’importance de la manne. Seulement, ces gens vont en critiquer la constitution : même si nous mangeons de la manne qui a le goût de la viande, cela n’est pas vraiment de la viande ! Ainsi, nous perdons les bienfaits que peut présenter cette dernière, ne serait-ce que sur le plan de la santé, comme le souligne le Malbim.
À ce niveau, nous pouvons affirmer que les deux avis que nous avons cités plus haut sur l’identité des personnes qui se plaignent, ne sont finalement pas en désaccord, car que ce soit le érev rav ou les justes, les deux faisaient partie du débat.
Il convient d’approfondir encore. L’attitude des justes reste encore à élucider. Ils ne réclament pas le goût de la viande mais ses bienfaits sur le plan nutritif. Cependant, leur démarche reste floue. Disposaient-ils d’un manque, d’une carence physique, ou encore de problèmes de santé, pour revendiquer une nutrition plus adéquate ? Dans de telles conditions leur réclamation serait justifiée, si ce n’est qu’ils ne manquaient justement de rien. Dès lors, comment comprendre ?
Le Tiféret Yéhonathan (sur notre passage) enseigne au nom du Zohar, que la manne n’est destinée qu’à apparaître en dehors de la terre d’Israël, mais qu’une fois entré dans la terre d’Israël, la nutrition redeviendrait normale. Ceci se justifie parfaitement lorsque nous analysons la nécessité de manger en corrélation avec la notion de réparation, de tikoun. Effectivement, des étincelles de sainteté se cachent dans la nourriture depuis la faute d’Adam, et c’est en les mangeant qu’elles sont libérées. Puisque la terre d’Israël est la terre où le peuple juif est sensé résider, cela signifie que l’alimentation qu’elle propose est plus propice à atteindre l’objectif du monde. Manger de façon normale semble donc plus adapté au but des bné-Israël car elle permet de libérer ces étincelles, chose que la manne ne propose pas. Ainsi, ce que demandent les justes, c’est justement d’achever le tikoun et ce, au plus vite, sans même attendre l’entrée en Israël. Déjà depuis le désert, il leur paraît convenable d’entamer le processus.
Ceci nous permet de comprendre une chose qui semble contradictoire dans le texte. D’une part, dans le verset 4, le peuple demande de la viande, et ensuite il critique l’absence de poisson. Que veulent-ils réellement, du poisson ou de la viande ? Plus encore, nous constatons qu’Hachem, lorsqu’Il accède à leur requête ne leur donne finalement que de la viande, sans parler de poisson.
Face à cette incohérence, Rabbi Yossef Alchkar (Merkavat hamichné, sur pirké avot, chapitre 5, michna 6) explique que la demande du peuple est de disposer d’un animal dont la viande a le goût du poisson! D’où l’attitude de Moshé face à une telle requête, lorsqu’il constate qu’Hachem s’apprête à y accéder. La suite du texte nous montre que Moshé ne comprend pas comment cela serait possible. En première lecture, il pourrait sembler que Moshé manque de foi envers le Créateur, cependant là n’est pas le propos. Moshé est simplement surpris de voir Hachem accepter de faire une chose surnaturelle, de créer une chose qui n’existe pas ! Et pourtant, Hachem leur envoie la caille, et d’après le maître, cette dernière avait bien le goût du poisson !
Ce commentaire intrigue car nous ne voyons pas vraiment l’intérêt de la manœuvre. À quoi bon manger de la viande alors qu’elle n’en a pas le goût. Si leur désir se porte sur la viande, autant en manger, de même s’ils veulent du poisson, ils n’ont qu’à manger du vrai poisson, et enfin, s’ils désirent les deux, qu’ils les demandent. Pourquoi demander une combinaison à priori inutile des deux aliments ?
Sur cela, le Tiféret Yéhonathan (même passage que plus haut) explique au nom du Arizal, qu’il existe une hiérarchie dans la capacité de la nourriture à contenir des étincelles de sainteté. Ainsi, les âmes ou les morceaux d’âmes présents dans le monde végétal sont de moindre qualité que celles que contient la viande. Ceci est également le cas vis-à-vis des poissons qui possèdent les âmes les plus saintes.
Avec cette notion nous pouvons comprendre la requête des bné-Israël. Comme nous l’avons dit, ils souhaitaient entamer le tikoun, avant d’entrer en Israël, pendant qu’ils sont dans le désert. Or, pour parvenir à atteindre cet objectif, il est nécessaire d’avoir accès à tous les compartiments de nutrition, et plus précisément celui des poissons qui revêt un intérêt capital. Or, dans le désert, envisager de manger de la viande est réaliste, mais pouvoir consommer du poisson devient rapidement compliqué. C’est pourquoi, dans le miracle, les bné-Israël vont demander une faveur à Hachem. Ils vont réclamer une viande qui a le goût du poisson, ou plus précisément, une viande capable de contenir les mêmes étincelles présentes dans les poissons. En ce sens, le miracle est moins exagéré, car pour obtenir des poissons, il aurait fallu qu’Hachem leur crée une source d’eau capable de les accueillir, chose beaucoup plus invraisemblable que l’accès à la viande. Le miracle se veut beaucoup moins poussé de cette façon et la requête des bné-Israël devient audible !
Cela nous conduit à comprendre la réaction d’Hachem de façon beaucoup plus cohérente. D’une part Il octroie la prophétie aux anciens, d’autre part Il envoie les cailles. La présence de ces dernières peut paraître dur à comprendre, vient-elle punir ou récompenser. Si c’est pour punir le peuple, alors seuls les fauteurs auraient dû en pâtir, pourquoi alors tout le peuple reçoit cette viande ?
La réponse est maintenant évidente. D’une part, il y avait, le érer rav, qui eux méritaient d’être sanctionnés, et c’est dans ce but qu’ils ont reçu la caille qui a été source de leur mort. D’autre part, il y avait les justes, dont le désir était l’accomplissement du tikoun. Pour eux aussi, Hachem envoie les cailles qui serviront à libérer des néchamot plus saintes, comme celles présentes dans les poissons ! Plus encore, les hommes motivés par cette entreprise sont récompensés et accèdent à la capacité prophétique !
Yéhi ratsone que nous aussi puissions percevoir chaque compartiment de notre vie comme une moyen d’accomplir le tikoun pour lequel nous avons été envoyé dans ce monde, amen véamen !!
Chabbat chalom.