Parashat Balak (5776)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
Pour l’élévation de l’âme ‘Hanna bat Esther.
Après les victoires d’Israël contre Og le roi de Bachane et Si’hone le roi d’Émorie, qui étaient les deux puissances locales, Balak roi de Moav comprend qu’il ne ferait jamais le poids contre ce peuple. C’est pourquoi il envoie des émissaires auprès de Bil’am, connu pour sa grande capacité à maudire, afin de le charger de l’aider. Balak espérait que Bil’am, par ses malédictions, puisse créer une faille dans le peuple, qui lui permettrait de prendre l’ascendant sur lui. Sur ordre d’Hachem, Bil’am refuse la proposition de Balak. Cependant, le roi de Moav insiste et envoie un second groupe d’émissaires afin de convaincre Bil’am. À cette seconde initiative, Hachem laisse la possibilité à ce dernier de choisir ce qu’il ferait et il décide d’accepter la proposition de Balak. Avec empressement, Bil’am rejoint Balak afin de pouvoir maudire le peuple d’Israël. Sur sa route, un ange perturbe le passage de son ânesse par trois reprises, au point de provoquer la colère de Bil’am qui la frappe. L’animal se met miraculeusement à parler afin de justifier son attitude. C’est alors qu’apparaît l’ange devant Bil’am et le réprimande pour son attitude. Inquiet, Bil’am feint de faire téchouva mais s’obstine finalement à partir maudire le peuple. Toutefois, Hachem aimant son peuple, ne le laisse pas agir à sa guise. Effectivement, par trois reprises, Bil’am demande à Balak de lui ériger sept autels sur lesquels il offrirait sept bœufs et sept béliers à Hachem afin qu’il lui apparaisse et qu’il tente de maudire les bné-Israël. Toutefois, chaque fois qu’il voulait maudire le peuple, des bénédictions sortaient de sa bouche! Déçu de la prestation de Bil’am, Balak le renvoie. Avant de le quitter, Bil’am donne un ultime conseil à Balak. Il lui suggère de faire fauter le peuple par les femmes, car le Dieu d’Israël a l’immoralité en abomination. Balak s’exécute et le peuple s’adonne à l’immoralité avec les filles de Moav qui les poussent même à l’idolâtrie. La colère de Hachem s’enflamme sur le peuple et une épidémie dévastatrice s’abat sur ce dernier. Afin d’arrêter l’épidémie, Hachem enjoint Moshé à tuer tous les fauteurs. Ce n’est que lorsque Pin’has prit l’initiative d’abattre Zimri, qui fautait en publique, que l’épidémie prit fin emportant avec elle 24 000 victimes.
Dans le chapitre 25 de Bamidbar, la torah dit :
וַיֵּשֶׁב יִשְׂרָאֵל, בַּשִּׁטִּים; וַיָּחֶל הָעָם, לִזְנוֹת אֶל-בְּנוֹת מוֹאָב
Israël s’établit à Chittîm. Là, le peuple se livra à la débauche avec les filles de Moab
Ce passage nous raconte la faute que les bné-Israël ont commise en se laissant aller à la débauche. Cette faute en particulier surprend concernant le peuple hébreux. En effet, nos sages enseignent que durant les 210 années passées dans l’exil égyptien, jamais nos ancêtres n’ont succombé à ce grave interdit. Malgré les souffrances et les maltraitances, les bné-Israël ont toujours eu à cœur de se préserver et de
s’éloigner de la débauche. Bil’am lui-même va constater son impuissance face au peuple hébreu, qui se veut d’une pudeur garantissant leur protection. La phrase qu’il emploie est connue de tous : « Quelles sont belles tes tentes Yaakov, tes demeures Israël ». Cette bénédiction est celle prononcée par Bil’am lorsqu’il observe que les bné-Israël ont pris soin d’orienter leur tente de sorte à respecter l’intimité des habitants de la tente d’en face. Devant une telle tsniout, les armes de Bil’am perdent toute leur puissance et les malédictions qu’il souhaitait prononcer deviennent des bénédictions. Devant cette perspective de sainteté du peuple hébreu, comment comprendre qu’il finisse par céder à la tentation ? Le peuple va s’adonner à ce qu’il a toujours eu coutume de repousser, même dans les pires conditions ?! Cette faute est doublement marquante, car non seulement elle est grave, mais contrairement aux autres fautes comme celle du veau d’or, il ne s’agit pas seulement du erev rav ou d’une partie restreinte du peuple ! Cette fois, tout le peuple est concerné ! Comment les bné-Israël ont-ils subitement sombré si bas ?
Pour comprendre le changement qui s’est opéré, il faut analyser la tentative de Bil’am. Cet homme avait pour projet de maudire le peuple hébreu comme chacun le sait. Seulement, quelle était sa cible, que cherchait-il à maudire précisément ?
Le ‘Hatam Sofer (torat Moshé, page 112b) écrit que l’année juive est répartie entre période de rigueur et période de miséricorde. Les jours où la miséricorde est mise en avant sont marqués par l’absence de ta’hanounim (supplication) dans la prière, tandis que leur présence atteste de la rigueur qui est de mise durant les autres jours. Ainsi, il y a 222 jours où nous récitons les ta’hanounim, pour 132 jours où ne les disons pas (l’année juive compte 354 jours).
Sur cela, Rav Pin’has Friedman (shivlei pinchas, année 5773) apporte une remarque lumineuse. En effet, concernant Balak, le roi qui convoque Bil’am pour maudire Israël, Rachi
(bamidbar, chapitre 22, verset 4) écrit : « Il n’était pas apte à régner, il n’était qu’un prince de midiane. Mais comme Si’hone est mort, ils l’ont nommé en fonction de la nécessité du moment ». Pourquoi était-ce Balak qui était nécessaire contre le peuple hébreu ? Justement, parce que son nom « בלק Balak » a pour valeur numérique 132, en correspondance avec les 132 jours de miséricorde accordés au peuple hébreu. À ce titre, Balak va demander l’intervention de Bil’am pour maudire et la phrase qu’il emploie est
pleine de sens (chapitre 22, verset 7) : « וְעַתָּה לְכָה-נָּא אָרָה–לִּי אֶת-הָעָם הַזֶּה Et maintenant, je te prie, et maudis-moi ce peuple ». Bien qu’envisageable, la formulation employée par Balak n’est pas la plus adéquate, il aurait dû dire »maudis pour moi ». La réalité, c’est qu’à juste titre, Balak dit »Maudis-moi » ou plus précisément »maudis Balak » dont la valeur renvoie aux jours où Israël est bercé par la miséricorde ! Le souhait de Balak est d’annuler ces jours pour plonger le peuple hébreu dans une rigueur absolue, et attirer contre lui les forces d’accusation qui permettront leur défaite (has véchalom) !
C’est justement ce que Bil’am va tenter de faire. D’une part le Tiféret Yéhonathan (sur notre paracha) au nom du Mégalé ‘Amoukot explique la raison pour laquelle Bil’am commence par refuser la proposition de Balak. En effet, le texte nous apprend que Balak a dû s’y prendre à plusieurs reprises pour convaincre Bil’am qui »attendait » de recevoir l’aval d’Hachem pour agir. Ce temps de refus se justifie par la période en question, il s’agissait de Roch Hachana, période durant laquelle les bné-Israël sonnent du chofar, dont la vertu est d’embrouiller les forces accusatrices afin de les museler durant le jugement des bné-Israël. Ainsi, Bil’am suggère à Balak d’attendre jusqu’après Kippour, car enfin, la période serait propice.
La suite des événements témoigne de la logique de la démarche, car lorsqu’enfin, Bil’am se dirige vers Balak en gage d’acceptation, la torah raconte le moment où son ânesse est bloquée par la présence d’un ange qui lui barre la route. Bil’am inconscient des raisons qui poussent son ânesse à refuser d’avancer, la frappe à trois reprises. C’est alors qu’un miracle se produit, et Hachem accorde au l’ânesse la possibilité de parler (chapitre 22, verset 28) :
וַיִּפְתַּח יְהוָה, אֶת-פִּי הָאָתוֹן; וַתֹּאמֶר לְבִלְעָם, מֶה-עָשִׂיתִי לְךָ, כִּי הִכִּיתַנִי, זֶה שָׁלֹשׁ רְגָלִים
Alors Hachem ouvrit la bouche de l’ânesse, qui dit à Bal’am: « Que t’ai-je fait, pour que tu m’aies frappée ainsi à trois reprises? »
Sur les mots en gras, Rachi émet le commentaire suivant : « [Hachem] lui a transmis l’allusion suivante : » Comment peux-tu vouloir anéantir un peuple qui célèbre tous les ans trois fêtes de pèlerinage (regalim) ? » (Midrach Tan‘houma). »
Ce commentaire nous montre que ces trois fêtes en question, qui comptent justement parmi les jours où ne récitons pas les ta’hanounim constituent une
protection d’Israël, et qu’elles figurent parmi les cibles de Bil’am, car à juste titre, il va chercher à annuler ces jours de miséricorde. Par ailleurs, nous trouvons que Bil’am avant de maudire les peuples faisait sept sacrifices à Hachem, en correspondance avec les sept jours de la semaine qui sont couronnés par le chabbat, jour où encore, nous ne disons pas les ta’hanounim.
Nous voyons donc l’objectif de Bil’am se dessiner, à savoir utiliser les jours de rigueur pour lutter contre la miséricorde. Nous trouvons d’ailleurs une allusion à cela dans le texte, lorsque l’ânesse va parler à Bil’am et dire (chapitre 22, verset 30) :
וַתֹּאמֶר הָאָתוֹן אֶל-בִּלְעָם, הֲלוֹא אָנֹכִי אֲתֹנְךָ אֲשֶׁר-רָכַבְתָּ עָלַי מֵעוֹדְךָ עַד-הַיּוֹם הַזֶּה–הַהַסְכֵּן הִסְכַּנְתִּי, לַעֲשׂוֹת לְךָ כֹּה; וַיֹּאמֶר, לֹא
Et l’ânesse dit à Bal’am: « Ne suis-je pas ton ânesse, que tu as toujours montée jusqu’à ce jour? Avais-je accoutumé d’agir ainsi avec toi? » Et il répondit: « Non. »
Le Maharal de Prague (gour arié) explique sur ce verset que Bil’am avait des rapports avec son ânesse. Nos sages enseignent que c’est par ce moyen qu’ils utilisait ses sorts et se servait de l’impureté. Et c’est justement ce que l’ânesse insinue : » הֲלוֹא אָנֹכִי אֲתֹנְךָ אֲשֶׁר-רָכַבְתָּ עָלַי Ne suis-je pas ton ânesse, que tu as toujours montée ». Le mot en gras, peut être décomposé en רכב-ת. Les trois premières lettres ont pour valeur 220, en référence aux jours de rigueur. La dernière lettre est le » ת tav » qui est la dernière lettre de l’alphabet. La première lettre, le »א aleph » fait toujours référence au bien puisqu’elle renvoie à l’unité d’Hachem. À ce titre, le » ת tav » constitue son opposé et représente le mal. De sorte, l’ânesse dit à Bil’am « Ne suis-je pas l’ânesse grâce à laquelle tu as pu invoquer les forces du mal durant les 220 jours de rigueur » ! C’est sans doute la raison pour laquelle Bil’am la prend avec lui, car il compte se servir d’elle durant ces jours pour transformer les 132 jours de miséricorde en jours de rigueur.
À ce titre, nous trouvons un parallèle étonnant qui va servir à contrer la tentative de Bil’am. Comme nous venons de le dire, l’ânesse est ce qui sert à Bil’am pour maudire. Cette dernière est une des dix créations du crépuscule du Vendredi de la création du monde. D’où sa capacité à parler. Sur cela, le Pirké déRabbi Éliézer (chapitre 31) apporte l’enseignement suivant, qui concerne la ‘Akedat Yitshak : « Avraham se leva tôt le matin et prit Yichmaël, Éliézer, et Yitshak son fils avec lui, et a chevauché son âne. Cet âne qu’Avraham a
chevauché est l’âne fils de l’ânesse créée durant le crépuscule du sixième jour de la création, comme il est dit : » Avraham se leva tôt le matin » ; il s’agit également de l’âne sur lequel Moshé, est venu en Égypte,comme il est dit : » Moshé prit sa femme et ses enfants et ils chevauchèrent l’âne » et enfin, c’est l’âne dont le fils de David (machia’h) est destiné à monter. »
Sur ce texte, Rav ‘Haïm Moshé Yéhouda Shneider (sefer hazikarone) demande pourquoi l’âne dont le machia’h va se servir devrait-il être si vieux ? Pourquoi garder le même et non pas en prendre un autre, plus jeune et sans doute plus robuste ?
À cela, il apporte une réponse édifiante : Pour que Moshé puisse pénétrer en Égypte, lieu de toutes les impuretés, et libère le peuple avec des miracles, il était nécessaire qu’il soit accompagné par le mérite sans égal du don de soi dont a fait preuve Avraham lors de la ‘Akéda ! À fortiori, seul cet âne conviendra au machia’h lorsqu’il viendra très prochainement nous libérer. En clair, la force de conviction d’Avraham, son amour pour Hachem a été l’outil qui a annulé les forces du mal en Égypte et qui les annulera lors de la venue du Machia’h. À l’opposé de cela, se trouve la mère de cette âne, qui elle est l’outil d’éveil des forces du mal. En ce sens, Avraham a précédé Bil’am en purifiant l’ânesse à travers l’âne et en mettant à disposition du peuple le moyen de contrecarrer les tentatives de Bil’am. Son désir de transformer la miséricorde en rigueur, est pris de court devant la puissance et le mérite qu’Avraham a fourni à son peuple ! Les forces du mal dont Bil’am comptait se servir sont tout bonnement réduites à néant !
Cela explique pourquoi les tentatives de malédictions de Bil’am se sont transformées en occasion de bénir, car Hachem a gardé le mérite d’Avraham pour s’en servir et l’opposer à Bil’am ! Ainsi, durant l’intervention de Bil’am, Hachem a annulé les 220 jours de rigueur, retirant à Bil’am toute possibilité de maudire ! Et c’est justement cela qui nous permet de répondre à notre question.
En effet, le Rav Dessler (Mikhtav MéÉliyahou) explique que le but de l’existence de jours de rigueur est de permettre un équilibre dans le monde afin de ne pas laisser ce dernier aller à la dérive. En effet, sans rigueur, sans application de la justice, jamais personne ne craindrait de transgresser les lois de la torah. La justice est ce qui vient en rempart afin de permettre la présence de limite, et garantit le respect
de la torah. Toute leur vie, les bné-Israël sont restés cantonnés au respect des lois de la débauche et même dans les pires moments, ils n’ont pas cédé. Cependant, durant les tentatives de Bil’am, Hachem a réprimé la rigueur pour protéger le peuple. Cela a conduit ce dernier à se croire intouchable, durant une
période, le peuple n’était encadré que par la miséricorde. La crainte de la faute s’est faite moins présente, le peuple s’est relâché ! Et c’est justement ce qui l’a conduit à s’égarer et à bafouer des principes qu’ils avaient ancrés au plus profond d’eux.
Cela démontre en quoi la rigueur n’est qu’une extension de la miséricorde, car elle permet de ne pas déborder, de ne pas exagérer, afin de ne devoir encourir de plus grandes peines. Certes, nous ne réclamons pas la rigueur et prions pour la miséricorde, cependant, il convient d’avoir toujours à
l’esprit que même lorsqu’Hachem se comporte avec miséricorde, nous ne devons jamais oublier le risque de la faute et prendre soin de nous en éloigner sous peine de vraiment nous égarer.
Yéhi ratsone que nous puissions prendre soin de ne jamais relâcher notre vigilance et avoir à cœur de suivre chaque loi de la torah. Par cela, nous ne tarderons pas à voir les merveilles qu’Hachem a prévues pour nous ramener dans notre terre et nous affranchir de nos ennemis amen véamen.
Chabbat chalom.
Y.M. Charbit