Parashat Shélah Lékha
Rav Moshé Shapira
Cours magistral du Rav Moshé Shapira [Zatsal] : Paracha »Shélah Lékha »
Traduit et adapté par Rav Michaël Smadja
Pour la prompte guérison de éthel Esther bat Rahel, de Saraël bat Sarah et de Sarah bat Esther
Pour l’élévation de l’âme de Elie Yaacov ben David Zal et de Solika bar Mazal
De la même manière qu’à propos de la faute du veau d’or D-ieu a parlé très durement avec Moshé Rabbénou comme il est dit: « et maintenant laisse-moi, et Ma colère se déversera sur eux et je vais les exterminer et je ferai de toi un grand peuple » ainsi à propos de la faute des explorateurs, il est écrit: « Je vais les frapper par la peste et je les chasserai et je ferai de toi un grand peuple et plus puissant que lui« .
Il y a malgré tout une différence entre les deux fautes. Au sujet de la faute du veau d’or, nos sages enseignent que Moshé Rabbénou a « vaincu » D-ieu (si on peut dire) par cette argumentation: « si tu construis ton peuple à partir de moi, que vont dire les tribus après que tu leur ais promis: « et je me souviendrai pour eux de l’alliance des ancêtres ? » Alors que pour la faute des explorateurs, son argument a été que le nom divin va être profané de manière très prononcée.
La question est: pourquoi Moshé n’a-t-il pas repris la première argumentation pour les explorateurs ? « Que vont dire les tribus ? « . Il est enseigné dans le traité »baba batra » qu’une tribu ne pourra jamais disparaître entièrement d’Israël. Donc cet argument aurait fonctionné même pour la faute des explorateurs !
L’argument de Moshé, à propos de la faute du veau d’or était construit autour de l’alliance d’avec les tribus: « et je me suis souvenu de l’alliance d’avec les premiers que J’ai fait sortir d’Égypte aux yeux des peuples ». C’est l’alliance d’avec les tribus. Et d’où sait-on que D-ieu a accompli les paroles de son alliance ? Car il est dit: « et Je me suis souvenu pour eux de l’alliance des premiers ».
Le Midrash au début de la Paracha »Bé’houkotaï » rapporte que D-ieu a contracté une alliance avec les patriarches, avec les matriarches et avec les douze tribus comme il est dit: « et Je me suis souvenu de mon alliance avec Yaacov et même mon alliance avec Itshak et même mon alliance avec Avraham, je me suis souvenu ». Le mot « même » qui accompagne chaque patriarche inclut les matriarches ‘ »Rahel, Léa Rivka et Sarah ». L’alliance d’avec les tribus est apprise des mots « l’alliance des premiers ». Il faut essayer de comprendre cette notion d’alliance et pourquoi cette alliance qui a été contractée avec les patriarches n’a pas suffi et qu’il a fallu une nouvelle alliance avec les tribus ?
Au début de la paracha »Béhar » le Ramban rapporte les paroles de Rashi: « pourquoi au sujet des lois de la chémita, de la jachère, a-t-on précisé qu’elles ont été enseignées au mont Sinaï ? Voici que toutes les lois de la Torah ont été enseignées au mont Sinaï ! » Le Ramban rajoutant: « selon mon avis les mots « sur le mont Sinaï » ne sont pas superflus car c’est en montant sur le mont Sinaï pour recevoir les deuxième tables de la Torah que ces lois de la chémita ont été enseignées ». Explication: au début des quarante jours des premières tables, Moshé écrit dans le livre de l’alliance toutes les paroles de D-ieu et toutes les lois qui ont été édictées à ce moment. Et lorsqu’ils ont fauté et que les tables ont été brisées cela a été considéré comme si l’alliance avait été annulée. Et lorsque D-ieu a accepté l’argumentation de Moshé et a donné les deuxièmes tables, il a ordonné de contracter une nouvelle alliance comme il est dit: « écrit pour toi ces paroles car selon elles Je contracte avec toi une alliance et avec Israël« . Le Ramban écrit ici que même si l’alliance divine est éternelle mais lorsqu’elle est bafouée et annulée par une des deux parties, elle est caduque. Comme si elle n’avait jamais existé aux yeux de D-ieu. Et lorsqu’il a accepté l’argument de Moshé dans les deuxièmes tables, il a ordonné une nouvelle alliance car la première avait été annulée.
Une alliance est une sorte de serment à la différence qu’un serment peut être délié devant un juge au contraire de l’alliance qui est beaucoup plus grave. Une alliance engendre beaucoup d’obligations. D’un autre côté, le serment se fait entre deux personnes et ne peut s’effacer de lui-même et même si une partie transgresse le serment, la deuxième partie est toujours liée à son serment, ce qui n’est pas le cas d’une alliance car lorsqu’une partie annule l’alliance, elle n’existe plus même pour l’autre partie. Ceci est déduit des paroles du Ramban qui dit qu’au moment du veau d’or, les enfants d’Israël ont transgressé l’alliance et donc D-ieu s’est désolidarisé de celle-ci et a dû faire une nouvelle alliance avec les deuxièmes tables.
Sur quelle base l’alliance qui a été contractée avec les tribus, a-t-elle été contractée ? Sur la base que le peuple d’Israël soit établi à partir des douze tribus. Il est écrit dans le »livre de la création’‘ [Séfer Yétsira] que toute maison est l’union de douze composants fondamentaux : quatre murs – un toit-un plancher – soit six faces. Les quatre murs sont reliés avec le toit par quatre liens et avec le plancher aussi par quatre liens et les murs entre eux sont reliés par quatre liens aussi cela fait en tout douze liens. Ce sont les douze composantes d’une maison. Ainsi les douze tribus représentent les douze composantes qui sont le lien dans la maison d’Israël. L’alliance a été contractée avec les tribus afin qu’elles deviennent la »maison d’Israël » une maison. Il faut dissocier les patriarches des tribus. Les patriarches sont une notion du peuple d’Israël et les tribus, une autre notion. Les patriarches sont la racine du peuple d’Israël. Les tribus doivent être ceux qui vont continuer le travail des patriarches jusqu’à la création d’une maison par ces bases établies par les patriarches, par la création d’un peuple entier ayant la connaissance et la perception de l’unité divine. Les patriarches sont la racine de l’arbre et les tribus sont les ramifications de cette même racine. C’est la définition du mot « שבט » « tribu » est en fait « tige » « branche », les ramifications des racines. Le pouvoir d’atteindre le divin qu’il y a dans la création.
Dans le Midrash, sur la Paracha ‘Vaéytsé », il est écrit: »Yaacov a pris douze pierres car il savait que D-ieu avait décidé que de lui, sortiraient les douze tribus. Il s’est dit: Avraham n’a pas eu le mérite, Ytshak non plus. Si ces douze pierres s’unissent sous ma tête et ne deviennent qu’une, c’est le signe que de moi se tiendra les douze tribus ». Les tribus sont ceux qui vont construire l’édifice. Une maison unique qui réunit tous les extrêmes. Ils ont créé une réalité qui s’appelle « maison d’Israël« . L’unité du peuple d’Israël vient de la force spirituelle que les tribus ont développée. Et c’est cela l’essence de cette alliance de D-ieu avec les tribus: qu’ils soient le « liant » du peuple d’Israël à jamais.
Le Ari Zal explique que chaque tribu a une identité spécifique, sa propre union avec D-ieu. Et chaque lien spécifique de chaque tribu avec D-ieu ensemble, forment l’unité du peuple d’Israël. Mais chacun en soi est une pierre angulaire de l’édifice. Chacun étant une porte différente menant au divin et qui fait le liant entre le peuple d’Israël et D-ieu.
La terre d’Israël est partagée selon les tribus. Le principe de la sainteté de la terre fait qu’elle ne peut être vendue « car la terre m’appartient« . Toute l’unité de la terre d’Israël se matérialise par le canal des tribus. Toute l’unité et la sainteté de cette terre n’a pu se matérialiser qu’au travers des tribus et du temple sacré. Une fois que le temple a été détruit et que les tribus ont été en exil, alors la terre a perdu de sa sainteté comme nous voyons que d’après nombre de sages les lois de Shémita (jachère) et de Yovel (jubilé) n’ont plus lieu d’être. Elle ne s’appelle plus déjà « terre d’Israël » comme la Torah la définit. La terre d’Israël lorsqu’elle est partagée selon les tribus, sur elle, il est dit: « et qui est comme ton peuple Israël peuple unique dans la terre« . Ici avec la faute des explorateurs, il y a eu une terrible chose: de la même manière que par la faute du veau d’or, il y a eu annulation de l’alliance, ainsi par la faute des explorateurs, il y a eu annulation de l’alliance. La faute du veau d’or a entraîné la brisure des tables et par cela l’annulation de l’alliance à tel point que lorsque D-ieu a donné les deuxièmes tables, il a fallu contracter une deuxième alliance. Et donc au moment de la faute des explorateurs qui étaient les princes des douze tribus, la nouvelle alliance a aussi été annulée. L’acquisition de la terre d’Israël devait obligatoirement se faire par l’intermédiaire des tribus et donc Moshé Rabbénou a envoyé les princes des tribus pour explorer la terre au nom de toutes les tribus et par eux si l’on peut s’exprimer ainsi, la sainteté de la terre s’est dévoilée. Ainsi devait se dérouler le processus de conquête de la terre et alors se serait perfectionnée cette notion de « et qui est comme ton peuple Israël, peuple unique sur la terre« . La faute des explorateurs eu pour effet d’annuler cette alliance contractée avec les tribus. La Torah définit les explorateurs comme étant une « une mauvaise assemblée ». Ici il est écrit que les explorateurs ont inversé leur réalité: d’une assemblée unie, ils se sont transformés en « anti-assemblée ». Une communauté qui a perdu son identité, cette union qui n’est en fait qu’une dislocation. Car la racine du mot « mauvaise » »ra » veut dire « cassure » comme dans « cottel raoura » « un mur branlant ». A priori, ces deux mots « mauvaise assemblée » sont antinomiques car le mot « assemblée » définit une union alors que « mauvaise » définie une dislocation. En fait ils se sont unis avec le même but, disloquer cette union née de l’alliance d’avec D’ieu. Le Gaon de Vilna explique que lorsque la Torah parle au pluriel, elle s’adresse à chacun de nous en particulier et lorsqu’elle parle au singulier, elle s’adresse au peuple entier dans son aspect unificateur. Les malédictions qui se trouvent dans le Michné Torah, cinquième livre de la Torah, sont édictées au singulier au contraire des malédictions de la Paracha »Békhoukotaï » qui sont exprimées au pluriel. Le Gaon de Vilna explique qu’un homme peut se désolidariser de l’assemblée et par cela, s’extirper des malédictions qui sont liées à l’assemblée. Sur cette personne s’appliquent alors les malédictions de la Paracha »Békhoukotaï ». Et même une tribu peut se désolidariser de l’assemblée et recevoir sur elle les malédictions de la Paracha »Békhoukotaï ». Et donc nous comprenons que concrètement l’alliance liant les tribus à D-ieu peut s’annuler. Du « peuple unique sur la terre » elle peut se transformer en « mauvaise asssemblée ».
De la même manière que par la faute du veau d’or, l’alliance par le mérite des patriarches s’est annulée, ainsi par la faute des explorateurs, l’alliance contractée par le mérite des tribus, grâce aux deuxièmes tables, a été annulée. Et après cette faute nous n’avons pas vu qu’il y a eu une nouvelle alliance ! Pour cela, nous pouvons voir qu’une tribu peut être détruite entièrement. L’alliance des tribus a été détruite par la faute des explorateurs de la même manière que tout le peuple peut être détruit. Sur les dix tribus qui ont été exilées à la fin du premier temple, il y a une discussion parmi les sages s’ils vont revenir à la fin des temps ou non. Il ne nous est resté que deux tribus et demi. L’assemblée d’Israël a été détruite. Ce qui est appelé « maison » a été détruit. C’est ce qui s’est produit à la faute des explorateurs. Et ainsi nous comprenons pourquoi Moshé Rabbénou n’a pas argumenté en mettant en avant l’alliance contractée avec les tribus car la faute des explorateurs l’a détruite.
L’essence même de la sortie d’Égypte aurait dû engendrer automatiquement l’entrée en terre d’Israël car il est impossible de concevoir de sortir et de ne pas se retrouver dans un quelconque endroit. Le but de la sortie d’Egypte était de rentrer en terre d’Israël. Cette entrée en terre d’Israël devait être la conséquence logique et directe de la sortie d’Egypte. Et cette continuation, les explorateurs l’ont coupée. Cela a scindé le peuple d’Israël en deux. La génération qui est sortie d’Egypte et la génération qui allait entrer en terre d’Israël. La sortie d’Egypte s’est faite par le mérite des patriarches et l’entrée en terre d’Israël devait se faire par le mérite des tribus. La terre a été conquise par les tribus. Chaque tribu allait et conquerrait sa part. La terre a été conquise et sanctifiée par les tribus. Lorsqu’ils ont annulé l’alliance, ils n’étaient plus la continuation et la ramification des patriarches. La sortie d’Egypte est toujours en nous, elle nous a donnés une force intérieure qui perdure en nous. Nous la mentionnons deux fois par jour. Nous n’avons pas eu le mérite de recevoir cette force spirituelle qui réside dans cette entrée en terre d’Israël. La délivrance finale doit obligatoirement se dévoiler par le mérite des patriarches et aussi par le mérite des tribus. Il faut que l’alliance des tribus revienne sur nous. A cause de la faute des explorateurs, nous avons perdu cette unité de l’assemblée d’Israël et notre lien avec la terre d’Israël, de même que la finalité de la sortie de d’Egypte a été perdue. Nous sommes sortis d’Égypte pour rentrer dans l’exil. Nous sommes toujours en chemin pour aller en terre d’Israël.
Nous voyons dans la Méguila »ékha » que les quatre premiers chapitres sont écrits selon l’ordre alphabétique mais dans les chapitres 2-3-4, la lettre « פ » »pé »devance la lettre « ע », »aïn ». « Nos sages répondent car les explorateurs ont fait devancer leur « pé » » leur bouche » à leur « aïn » » leur œil ». Ils ont décrit par leur bouche ce qu’ils n’ont pas vu de leurs yeux ». Il y a quelque chose de bizarre dans cet enseignement: s’ils n’ont pas vu ce qu’ils ont dit, il aurait été plus adéquat d’enlever complètement la lettre « ע » »aïn » de la Méguila »ékha » et n’évoquer que la lettre « פ », »pé », puisque ce qu’ils disent est faux donc ils ne l’ont jamais vu! Il n’y avait donc que la « פה » la bouche et non le « עין » l’œil !
En vérité, ils ont bien fait devancer la bouche aux yeux car après qu’ils aient parlé en mal de la terre, par autosuggestion, ils ont vu apparaître dans leur esprit cette vision des événements. Après qu’ait germée en eux cette pensée que cette terre puisse ne pas être bonne et qu’ils espéraient voir se réaliser cette pensée, alors de suite cette pensée s’est matérialisée dans leur esprit et l’ont réellement vue. Ils ont réellement vu que la terre n’était pas bonne. Ils ont fait devancer la bouche (c’est-à-dire la matérialisation de la pensée) et par cela ils ont vu par le moyen de l’œil. A cet instant, les explorateurs ont créé en eux, cet état de fait que l’esprit peut jouer avec les yeux, peut faire apparaître à l’œil ce qu’il désire voir. Ce qui est curieux est que cela a été dévoilé dans la Méguila »ékha », le texte biblique qui parle de la destruction du temple, conséquence de la faute des explorateurs. Par la destruction du temple, toute notre façon d’appréhender la réalité a été tronquée et déviée.
La création entière a été créée par les lettres du א-ב , »aleph-beth » et dans son ordre, un ordre bien précis. Le fait d’inverser une lettre, a causé d’énormes chamboulements dans l’ordre universel bien que nous n’ayons aucune perception de ce chamboulement. Nous percevons très bien que lorsque nous croyons fortement en quelque chose, il apparaît en nous cette conviction que cela doit inexorablement arriver et alors, cela apparaît à nos yeux. Deux personnes pouvant expliquer le même événement de deux manières différentes car l’interprétation prime sur la vision. L’égo précédant la perception. Notre travail est de couper la connexion entre le sens et l’égo c’est-à-dire ne pas réveiller la »mesure » qui est en nous, créant une pulsion qui va engendrer un égo qui lui, va interpréter l’événement.
Les Nations nous détestent et veulent notre destruction mais n’osent pas agir pour cela et lorsque quelqu’un ose, alors inconsciemment ils sont contents et trouvent toutes les raisons du monde pour prouver que cet acte est censé et compréhensible bien que répréhensible.
Toute la réalité et la perception de la vie a été tronquée en faisant précéder le « pé » au « aïn ». Cette perception de la vie est devenue universelle. Ainsi le monde se conduit. Rares sont ceux qui perçoivent la vie autrement faisant précéder la vision à l’interprétation. C’est la conséquence de la faute des explorateurs qui a causé la destruction du temple.
La force de pouvoir changer notre vision de la vie c’est-à-dire de voir puis d’interpréter puis de parler se trouve en nous et peut être expérimentée à chaque moment de notre vie. Même dans l’étude du Talmud, de tous ses commentaires, l’étudiant va trouver des preuves de ce qu’il a au fond de son esprit jusqu’à ce qu’on lui montre clairement son erreur. Pour arriver à voir avant d’interpréter, il faut travailler son attention, éliminer petit à petit l’ego qui est tapi aux portes des perceptions, et par cela la vision et toutes les autres perceptions seront perçues dans l’unité divine. Changer de perception de la vie est le début de la délivrance. Sans les explorateurs, la faute du veau d’or aurait été pardonnée. Le lien avec D-ieu s’est disloqué par cette manière d’appréhender la réalité. Comment redevenir l’assemblée d’Israël? En réinitialisant notre perception et par cela, nous nous recentrerons sur notre unité d’avec le divin.