Parachat ‘Houkat (5777)
Yéhouda Moshé Charbit
Parachat ‘Houkat
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בס »ד
PARACHAT ‘HOUKAT
La paracha ‘houkat traite en premier lieu de la fameuse vache rousse, dont la fonction est de redonner la sainteté à une personne l’ayant perdue par contact avec un mort. Notre paracha raconte également la mort de Myriam, soeur de Moshé et d’Aaron, qui engendre la perte du puits qui permettait au peuple de boire quotidiennement. En effet, par le mérite de Myriam, un puits chargé d’eau accompagnait le peuple dans chacun de ses déplacements, assurant une ration permanente en eau pour tous. À la mort de Myriam, l’eau manque pour le peuple qui se rebelle contre Moshé et Aaron. Suite à cela, Hachem ordonne à Moshé de réunir le peuple, et de parler à la pierre afin qu’elle donne de quoi boire. Moshé s’exécute, à la seule différence qu’il frappe la pierre au lieu de simplement lui parler. Il s’en suit alors qu’Hachem punit Moshé et Aaron de ne jamais entrer en terre d’Israël. Après cet événement, Moshé envoie des émissaires auprès du roi d’Édom afin de lui demander l’autorisation de traverser sa terre. Cette requête se solde par un échec et les bné-Israël sont forcés de contourner son pays. C’est au cours de ce détour qu’Éléazar succède à son père Aaron qui rejoint Hachem dans la montagne de Hor. Apprenant le décès d’Aaron qui engendre la disparition des nuées protectrices, Arad roi de Canaan attaque les bné-Israël et subit une défaite. C’est alors que les bné-Israël protestent contre le manque de nourriture. Cette nouvelle rébellion engendre une catastrophe. Les serpents et tous les animaux du désert s’en prennent aux bné-Israël qui subissent de lourdes pertes. Lorsque le peuple fait téchouva, Hachem ordonne à Moshé de fabriquer un serpent de cuivre. Dès lors, chaque homme regardant ce serpent se verrait guérir de sa morsure. La paracha se termine par le récit des différents voyages des bné-Israël, ainsi que par la victoire du peuple, contre Si’hone roi d’Émori et Og roi de Bachane.
Dans le chapitre 20 de Bamidbar, la torah dit :
:ז/ וַיְדַבֵּר יְהוָה, אֶל–מֹשֶׁה לֵּאמֹר
7/ Et Hachem parla à Moshé en disant :
ח/ קַח אֶת–הַמַּטֶּה, וְהַקְהֵל אֶת–הָעֵדָה אַתָּה וְאַהֲרֹן אָחִיךָ, וְדִבַּרְתֶּם אֶל–הַסֶּלַע לְעֵינֵיהֶם, וְנָתַן מֵימָיו; וְהוֹצֵאתָ לָהֶם מַיִם מִן–הַסֶּלַע, וְהִשְׁקִיתָ אֶת–הָעֵדָה וְאֶת–בְּעִירָם
8/ Prends le bâton et assemble la communauté, toi ainsi qu’Aaron ton frère, et dites au rocher, en leur présence, de donner ses eaux: tu feras couler, pour eux, de l’eau de ce rocher, et tu désaltéreras la communauté et son bétail.
:ט/ וַיִּקַּח מֹשֶׁה אֶת–הַמַּטֶּה, מִלִּפְנֵי יְהוָה, כַּאֲשֶׁר, צִוָּהוּ
9/ Moshé prit la verge de devant Hachem, comme il le lui avait ordonné.
י/ וַיַּקְהִלוּ מֹשֶׁה וְאַהֲרֹן, אֶת–הַקָּהָל—אֶל–פְּנֵי הַסָּלַע; וַיֹּאמֶר לָהֶם, שִׁמְעוּ–נָא הַמֹּרִים—הֲמִן–הַסֶּלַע הַזֶּה, נוֹצִיא לָכֶם מָיִם׃
10/ Puis Moshé et Aaron convoquèrent l’assemblée devant le rocher, et il leur dit: Or, écoutez, ô rebelles! Est-ce que de ce rocher nous pouvons faire sortir de l’eau pour vous?
יא/ וַיָּרֶם מֹשֶׁה אֶת–יָדוֹ, וַיַּךְ אֶת–הַסֶּלַע בְּמַטֵּהוּ—פַּעֲמָיִם; וַיֵּצְאוּ מַיִם רַבִּים, וַתֵּשְׁתְּ הָעֵדָה
:וּבְעִירָם
11/ Et Moshé leva la main, et il frappa le rocher de son bâton par deux fois; il en sortit de l’eau en abondance, et la communauté et ses bêtes en burent.
Concernant le cas des eaux du puits et de la faute de Moshé qui se voit privé d’entrer en Israël, les commentaires sont plus que nombreux et les avis divergent considérablement pour tenter de fournir une explication justifiant parfaitement les faits.
Avant d’entamer notre réflexion, il convient de mettre en évidence un certain nombre de problèmes que soulève le texte. Le premier point à traiter est celui de l’objectif recherché par Hachem. La torah présente la scène comme une démonstration. Par sa plainte du manque d’eau, le peuple témoigne d’une baisse de confiance en Hachem, c’est pourquoi Hachem va faire un miracle pour leur inculquer à nouveau la foi. D’où l’évidence de notre question : quelle est la particularité de ce miracle pour que la confiance en Hachem soit restaurée ? Ne voyaient-ils pas tous les jours la manne ? Les nuées n’accompagnaient-elles pas le peuple dans chacun de ses voyages ? Jusqu’à la mort de Myriam, l’eau n’était-elle pas présente ? En quoi leur retour prouve-t-il quoi que ce soit de plus ? Qu’a donc de si particulier ce passage ?
Un autre point qui mérite notre attention concerne la manière dont Hachem organise le miracle : Moshé doit spécifiquement prendre le bâton, mais ne surtout pas s’en servir. La présence du bâton est requise mais sa fonction n’est pas mentionnée, il semble en fait inutile. Dès lors, pourquoi le réclamer ?
Un problème supplémentaire existe dans les conséquences de l’erreur commise par Moshé, de frapper plutôt que de parler. Hachem le sanctionne de ne pas entrer en Israël. Quel est le lien entre la faute et la punition ? En quoi son erreur justifie-t-elle de ne pas fouler la terre sainte ?
Précisément sur cela, Rachi (chapitre 20, verset 12) dit : « Car si vous aviez parlé au rocher et qu’il eût fait jaillir de l’eau, j’aurais été sanctifié aux yeux de la communauté qui se serait dit : « Si ce rocher, qui ne parle ni n’entend ni n’a besoin de nourriture, exécute l’ordre de Hachem, à plus forte raison nous incombe-t-il de le faire ! » Ce commentaire est très obscur car il ne semble rien expliquer. En effet, quelle est la différence entre frapper et parler ? Que le miracle se fasse de telle ou telle façon, les bné-Israël peuvent quoi qu’il arrive, tenir le même raisonnement et se dire que le rocher a suivi l’ordre d’Hachem, alors eux aussi devraient en faire de même. En quoi le fait d’avoir frapper empêche ce raisonnement.
Le commentaire du Baal Hatourim (chapitre 20, verset 5) conduit à une incompréhension supplémentaire. Il précise que l’essentiel de la plainte des hébreux se porte contre Moshé. Pourtant la critique des bné-Israël semble plus orientée vers Hachem puisque c’est Lui qui jusqu’alors fait le miracle de leur fournir à boire. Pourquoi le peuple se tourne-t-il vers Moshé ? Plus encore, il précise un détail étonnant (au verset 10). Lorsque le miracle se produit, la torah précise que tout le peuple est réuni, mais plus précisément, le Baal Hatourim ajoute que chaque membre du peuple se trouve face au rocher, car par miracle un espace confiné est parvenu à accueillir un grand nombre de personnes. En somme, le Maître du monde ajoute une dimension supplémentaire : il ne faut pas que chaque membre constate le miracle, il faut absolument que tous voient son exécution.
Nous nous rendons facilement compte que ce passage est vraiment particulier et que ce qu’il cache doit nécessairement être important. Pour mieux comprendre les enjeux, il faut aborder le commentaire spectaculaire du Kli Yakar (sur le verset 8) sur ce passage, car il nous dévoile dans le détail ce qu’il se passe.
Concernant les verset que nous avons cité, le Kli Yakar remarque un détail important qui change la lecture du texte. Lorsqu’Hachem formule son injonction à Moshé, Il dit (verset 8) « prends le bâton ». Par la suite, la torah atteste dans le verset suivant que Moshé à bel et bien prit « le bâton ». Toutefois, lorsque Moshé se met en position et frappe le rocher, la torah précise cette fois (verset 11) : « il a frappé le rocher avec son bâton ». Bien que cette nuance puisse paraître sans importance, elle nous amène à établir une distinction. Lorsque la torah dit « le bâton », elle parle d’un bâton précis, mais pas de celui dont Moshé s’est servi jusqu’alors pour accomplir les miracles. Ce qui nous pousse à penser cela, se trouve dans le verset 9, lorsqu’Hachem le localise « Moshé a pris le bâton de devant Hachem ». Or, Moshé gardait toujours son bâton avec lui, dès lors, de quoi la torah parle-t-elle lorsqu’elle dit qu’il se trouvait devant Hachem ?
En réalité précise le Kli Yakar, elle parle du passage que nous avons lu la semaine dernière, lorsque, suite à la révolte de Kora’h, le peuple poursuit la critique et qu’Hachem opère un énième miracle. Ce dernier consistait en un test au cours duquel, chaque chef de tribu devait déposer son bâton dans la tente d’assignation. Le lendemain, un miracle se produit ce qui traduit au peuple vers qui Hachem penche. La torah nous raconte en effet, que le bâton d’Aaron, représentant des Léviim, a alors fleuri. Hachem demande à Moshé de le laisser dans la tente justement en souvenir des rébellions du peuple. Dès lors, dans notre passage, la torah demande spécifiquement le bâton qui se trouve près d’Hachem, c’est-à-dire dans la tente d’assignation, car Hachem veut faire une démonstration à partir du bâton d’Aaron et non celui de Moshé. Dans quel objectif ?
Comme nous venons de le mentionner, ce bâton est celui qui a fleuri lors de la révolte des hébreux. Or, par définition, un bâton n’est rien d’autre que du bois sec. Ce qui signifie que pour qu’il puisse fleurir, il a dû redevenir humide, imbibé d’eau. En clair, ce bâton a déjà accompli l’ordre qu’Hachem désire maintenant donner au rocher. Un élément sec a produit de l’eau et Hachem attend du rocher qu’il en fasse de même. D’ailleurs, le Kli Yakar remarque que la valeur numérique du mot » סלע rocher » est identique à celle du mot » עץ bois », à savoir 160, pour insister sur le fait que leur mission est identique. Avec cette approche, nous comprenons pourquoi Hachem réclame la présence du bâton d’Aaron et surtout cela établit une distinction importante sur la nécessité de frapper. Dans ce contexte, le bâton n’est pas présent en tant que vecteur du miracle mais plutôt en tant qu’évocateur de ce miracle, il doit servir d’exemple. C’est pourquoi, Hachem demande simplement de l’apporter et de parler au rocher, car Moshé doit demander au rocher de reproduire le miracle. Chose qu’il n’a malheureusement pas faite, puisque par la suite, la torah précise que Moshé a frappé avec son propre bâton, occultant tout l’objectif visé par la présence de celui d’Aaron.
Toutefois, nous ne comprenons toujours pas la démarche. Certes le bâton d’Aaron aurait dû jouer un rôle majeur, mais en quoi l’utilisation du bâton de Moshé constitue une perte ?
C’est là que nous allons comprendre tout le sens de notre passage. Le Kli Yakar remarque que la mise en scène évoquée dans notre passage, se déroule à l’exact opposé de la mise en scène de l’ouverture de la mer. Lors de cette dernière, la torah précise (chémot, chapitre 14, verset 16) : « Et toi, lève ton bâton, dirige ta main vers la mer et divise la ». Le mot employé pour dire »lève » connote également le fait de retirer. En clair, lorsqu’Hachem demande à Moshé de lever son bâton, son souhait est de le voir éloigner le bâton au profit de sa main qu’il doit diriger vers la mer pour qu’elle s’ouvre. C’est ensuite que la torah affirme une chose surprenante : « le peuple a cru en Hachem et en Moshé son serviteur » sous entendant que jusque là, ce n’était pas le cas, le peuple doutait encore. En quoi le miracle de la mer a-t-il tout changé ?
Justement, la différence se trouve dans la manière d’accomplir le miracle. Jusque là, tous les miracles que Moshé fait, passent par le biais du bâton. Cela suscite la suspicion des hébreux qui confèrent à ce bâton des pouvoirs particuliers. Le peuple suspecte Moshé d’être en mesure de manipuler les forces cachées dans ce bâton. Dans cette mesure, il n’y a plus rien de miraculeux dans la sortie d’Égypte qui se résume alors à de la simple sorcellerie (has véchalom). C’est pourquoi, Hachem cherche à faire une démonstration aux bné-Israël lors de l’ouverture de la mer. Moshé doit éloigner son bâton et agir avec sa main dans l’espoir de prouver au peuple que le bâton n’était qu’un simple outil dépourvu de tout pouvoir. En constatant cette différence dans le miracle, le peuple comprend son erreur et dorénavant il croit en Hachem et en Son serviteur.
Par la suite, Moshé pourra utiliser à nouveau son bâton, n’ayant plus rien à prouver. Du moins jusqu’à notre passage de la torah, qui se déroule à la fin du séjour dans le désert, c’est-à-dire après que les gens sortis d’Égypte soient tous décédés suite à la faute des explorateurs. Il s’agit donc d’une nouvelle génération, bien trop jeune pour avoir pu constater ou comprendre la procédure du miracle de la mer. De facto, cette nouvelle génération ressuscite le doute que nourrissait l’ancienne et se met de nouveau à octroyer au bâton le pouvoir d’accomplir toutes sortes de prodiges. À leurs yeux Moshé n’est autre qu’un sorcier, ce qui explique pourquoi le Baal Hatourim dit que l’essentiel de leur plainte se dirige contre Moshé. Il faut alors refaire une démonstration et occulter le bâton de Moshé. Ne surtout pas s’en servir, ne surtout pas frapper, mais simplement parler ! C’est pourquoi Hachem va faire le miracle de disposer tout le peuple face à face avec le rocher, pour que tous soient témoins !
C’est en ce sens que la remarque qu’Hachem fait à Moshé et la punition qu’Il lui appose deviennent cohérentes. Moshé, en frappant le rocher, empêche la démonstration qu’Hachem prévoit et en effet, il bloque la sanctification puisqu’il oriente la pensée des bné-Israël vers une suspicion de sorcellerie. Moshé valide l’erreur des hébreux au lieu de les ramener à la raison. Au lendemain du miracle, les bné-Israël auraient dû effacer de leur cœur que Moshé utilise un pouvoir inhérent au bâton. Ils auraient atteint un niveau de foi supérieur, le peuple serait sorti grandi de cette expérience, la sainteté qu’ils auraient atteint aurait effacé toute trace de doute dans leur cœur. Le fait que suite à l’attitude de Moshé, le peuple stoppe sa progression, crée un écart entre la génération actuelle et la précédente sur laquelle la torah atteste « Il ont cru en Hachem et en Moshé son serviteur ». Puisque le peuple n’est pas en mesure de vivre sa relation avec le Maître du monde, avec la même intensité que la précédente, ils ne peuvent suivre la route de Moshé. Le plus grand prophète de l’histoire devient inaccessible ! Le test des eaux du rocher avait pour objectif de ré-équilibrer les choses et de permettre aux bné-Israël de vivre en harmonie avec Moshé. Cet épisode ayant échoué, Moshé ne peut plus rester auprès du peuple et se voit condamné à rester à la porte d’Israël.
Un message impressionnant ressort de notre développement. Comment un simple détail d’attitude peut avoir des répercussions titanesques ! La différence entre un coup et une parole est telle qu’elle crée un fossé infranchissable entre les élèves et le maître. C’est dire combien notre attitude et notre comportement jouent un rôle fondamental sur notre entourage. À chacun d’être un exemple pour tous et de montrer au monde combien la torah est une source de lumière.
Chabbat chalom.