Les explorateurs – Paracha Chéla’h Lékha 5779 – Réouven Carceles
Les explorateurs
Les explorateurs – une nécessité ou une faute ?
Dans la Paracha de la semaine, Chéla’h Lékha, la Torah nous dit : « Hachem parla à Moché en disant : Envoie-toi des hommes et ils exploreront le Pays de Kena’an, que je donne aux Bné Israel, vous enverrez un homme, un, un homme, un pour la tribu de ses pères, tout prince parmi eux. Moché les envoya du désert de paran… » (Dévarim Chap. 13, Versets 1-2-3).
Rachi réagit au nom de la Guemara (Sota 34b), « Envoie-toi (chéla’h lékha) selon ton gré, quant à moi, je ne te l’ordonne pas. Si tu veux, envoie-les ! » (les explorateurs). Moché est alors allé prendre conseil auprès de la Chekhina. Hachem lui a répondu : «je leur ai affirmé quant à moi que le pays est bon… (midrach tanh’ouma) ». D’après l’explication de Rachi, il est bon de se poser la question de pourquoi Moché Rabbenou a hésité puis accepté d’envoyer des explorateurs ? Hachem lui a pourtant expliqué clairement qu’il n’y avait aucune Mitsva dans cette aventure et que la chose était purement facultative. Moché aurait dû se douter qu’il n’y aurait aucun profit dans une entreprise qui n’est pas cautionnée par le maître du monde, et qu’il ne bénéficierait pas de la siyata dichmaya (aide du ciel) ?
Il est possible d’expliquer selon ce qui est rapporté dans le H’ovot Halevavot au début du chapitre sur la confiance en Hachem (Chaar Habita’hone), que l’un des plus grands intérêts du Bitah’one véichtadloute (confiance en Hachem ou investissement de l’homme), pour ceux qui servent Hachem et étudient la Torah, est la sérénité de l’âme que procure le fait d’avoir une pleine confiance en Hachem, à l’image d’un serviteur qui a confiance en son maître. Et celui qui ne place pas sa confiance en Hachem placera, forcément, cette confiance en quelqu’un d’autre ou en quelque chose d’autre. Lorsque nous ôtons notre confiance en Hachem, Hachem enlève alors son intervention et nous livre entre les mains de celui sur lequel nous nous sommes appuyés. Comment comprendre cette notion ?
Nous savons que la nécessité naturelle à laquelle l’homme se trouve réduit de devoir développer des efforts dans le domaine physique est une conséquence de la faute d’Adam. Il a été condamné à manger son pain à la sueur de son front, ce qui n’était pas le cas avant la faute, puisque les sages nous disent (Sanhedrin 39b) que les anges rôtissaient sa viande et composaient son vin, à tel point que le Midrach (Yalkout Chemouni chap. 22) pose la question : pourquoi Hachem a mis Adam dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder ? La réponse est : le travailler c’est l’étude de la Torah, le garder c’est garder les mitsvots. Mais, après la faute, Hachem a donné un impôt à l’homme : il doit maintenant fournir des efforts et ce sera là une condition pour recevoir ce qu’Hachem décrétera pour lui à Roch Hachana. Mais il est évident que c’est toujours Hachem qui enverra ses anges et qui avec une hachgara pratite (surveillance envers chacun et à chaque instant) se chargera de rassasier l’homme dans tous les domaines, mais à la condition que l’homme fournisse des efforts. Seulement, il est impératif de comprendre, que ces efforts ne seront pas la véritable cause ou le moyen pour que l’homme reçoive sa subsistance, c’est juste une condition pour recevoir la bénédiction déjà fixée et prévue à Rosh Hachana !
Il en résulte de ce que nous venons de dire, de tenir compte de cette confiance en Lui, que c’est Hachem qui donne à l’homme sa subsistance et que tout ce dont nous profitons dans la vie ne dépend pas de cet impôt, c’est-à-dire celui de fournir des efforts à cause de la faute du premier homme. Au contraire, le Rav Dessler, nous dit même que ceci constitue dans son essence une punition et une malédiction, puisque c’est la condition pour recevoir ce qu’Hachem a de toute façon décidé depuis longtemps, bien avant nos propres efforts, c’est peut être aussi ce que veut dire le Messilat Yécharim (chap. 21), qu’avoir la foi, cela signifie abandonner complétement son fardeau entre les mains d’Hachem, étant établi que nul ne peut recevoir moins que ce qui lui a été alloué, comme le disent nos sages : « A Rosh Hashana sont fixés les moyens d’existence de l’homme », et nul ne peut emporter de ce qui a été préparé pour son prochain, mais le monde étant ce qu’il est, on est obligé de s’engager dans quelque forme d’activité économique, comme s’il fallait s’acquitter de cet impôt. Cet impôt payé, on est quitte et il n’est pas nécessaire de gâcher son temps dans l’effort et dans une activité débordante, car la Parnassa est prévue, le véritable travail est de faire Torah et Mitsvot, c’est cela le principal, le reste doit être accessoire.
Rabbi Zundel de Salant expliquait, pourquoi nous faut-il déployer des efforts dans le domaine du travail ? La réponse est que parce que nous ne sommes pas dignes de miracles apparents, comme à l’époque d’Adam avant la faute et que le travail qu’Hachem nous demande, cet impôt que l’on doit payer, est là pour cacher le miracle, l’homme est quitte de ce que lui demande Hachem. Nous avions déjà expliqué cette notion de nature et de miracle, nous savons que tout ce qui arrive n’est que miracle. Le monde n’a pas d’autre cause que la volonté de D. La manière dont il agit et dont il dirige le monde est la conséquence immédiate de Sa volonté. Nous disons qu’il agit selon les lois de la nature lorsqu’il veut que certains événements se produisent selon un modèle reconnaissable qui nous est familier, ou qu’il a délégué certains de Ses pouvoirs à la nature à l’intérieur de laquelle l’homme doit lui aussi fournir ses efforts, mais cette notion de nature n’est rien d’autre qu’une épreuve imposée à l’homme, ce n’est qu’une illusion destinée à exercer son libre arbitre. Le problème est que de nombreuses personnes qui se considèrent comme des croyants et des hommes de foi, ne se comportent pas ainsi. Ils préfèrent s’engager de toutes leurs forces dans leurs activités, et ils sont pourtant persuadés que c’est Hachem qui leur procure leurs moyens d’existence, ils pensent qu’ils font une mitsva de déployer leurs efforts dans le travail. Mais c’est une erreur, dans la mesure où la subsistance vient d’Hachem et que l’effort fourni n’est qu’un impôt à payer, qui n’a aucun lien avec la réussite de l’homme déjà fixée comme nous l’avons expliqué.
Inversement, celui qui compte uniquement sur le miracle, et fait trop peu d’efforts, peut être déçu, c’est un niveau qui se prépare. Le Rav Dessler nous dit que prendre un chemin de Torah et de Mitsvot pour le regretter ensuite est également négatif, il faut grandir à son rythme et trouver son équilibre. Il faut que la mesure de notre impôt ou nos efforts soit calculée de telle manière que la bonté dont nous comble Hachem puisse être attribuée à quelque autre cause. Le minimum, la limite de nos efforts doit être dosé, le Rav de Salant disait : en ce qui me concerne, si j’achète un billet de loterie, c’est là que se situe la stricte limite de mes obligations dans le domaine de l’effort physique, cela suffit pour cacher le miracle, et on pourra croire que ma subsistance est venue de manière naturelle, au hasard d’un tirage au sort. Mais évidemment, la majorité d’entre nous n’a pas atteint ce niveau-là.
Maintenant que nous sommes arrivés jusque-là, nous pouvons peut-être expliquer l’épreuve qu’Hachem envoya à Moché et aux Bné Israel de proposer une mission d’exploration facultative, pourquoi Moché a-t-il hésité ? Justement parce qu’il existe un domaine dans lequel il n’y a pas d’obligation mais qui demande de réfléchir et de peser le pour et le contre, c’est le domaine de la Hichtaldoute (effort à faire). Dans cette mesure Moché Rabbénou même s’il savait qu’il ne s’agissait pas d’une Mitsva, a bien réfléchi, il a évalué que les Bné Israel avaient besoin de cette mission-là, surtout qu’ils ont beaucoup insisté auprès de lui, mais ce fut une erreur.
Le Ramban explique, qu’ils avaient atteint un niveau où ils auraient pu se laisser guider par les nuées de gloire, ils étaient au niveau de comprendre que tout vient d’Hachem et qu’il fallait garder cette foi, en effet ils étaient des hommes d’une grande importance, avaient vécu des miracles pendant quarante ans. Cette mission était depuis le départ vouée à l’échec, dans la mesure où la décision de Moché basée sur la demande des Bné Israel, était en réalité une faute, celle d’un excès de Hichtaldoute (efforts à faire), et surement d’un manque de foi donc en aucun cas elle ne pouvait aboutir à quelque chose de positif puisqu’à la racine, elle était infectée.
Chabbat shalom
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