La véritable crainte est celle de fauter – Réouven Carceles
Crainte de fauter
Nous avions rapporté dans le Dvar Torah de la semaine dernière (sur Bamidbar) l’explication des Sages (Pessa’him 116b) : à chaque génération, l’homme doit se considérer comme si lui-même était sorti d’Égypte. Le Arizal explique aussi, qu’à chaque fête, il a été institué la notion que chacun doit la vivre comme si c’était aujourd’hui. Seulement pour arriver à ce niveau, nous savons que nous devons, pendant Chavouot, travailler à recevoir cette Torah. Nous devons lutter pour l’acquérir dans nos cœurs, et à ce titre, le Maharal explique qu’il y a deux niveaux de lichma, et la motivation la plus élevée est bien évidemment l’amour de D. Comment arriver à ce niveau ? Comment revenir à ce niveau d’avant la faute, où aucun doute ne germait dans nos esprits ? Israël a assisté, lors de la sortie d’Egypte, à de nombreux miracles, ce qui ne l’a pas empêché de nourrir des doutes à propos de la mission de Moché. Les miracles n’ont pas le pouvoir de convaincre, d’ailleurs, le Rambam explique que ce n’est que lorsque nos ancêtres ont entendu la voix de D. au Sinaï que le doute s’est mué en une certitude absolue. Comment est-ce possible ? Chavouot approche, comment arriver à entendre de nouveau cette voix et intérioriser le message de D. avec amour ?
Il est bon de rappeler, que les enfants d’Israël avaient atteint en Egypte la quarante-neuvième porte d’impureté. Seule la promesse que D. avait faite à Avraham, les a retenus de tomber à un niveau où ils auraient complétement perdu leur identité spirituelle. Les Bné Israel ont réussi à s’élever, en sept courtes semaines, à l’état ultime de sainteté, un niveau atteint au Sinaï, du même niveau que celui d’Adam avant la faute. Ils ont à ce titre imprimé dans leurs esprits la Torah d’une manière ineffaçable, sans pouvoir jamais oublier ce qu’ils avaient appris et leur cœur avaient expulsé le yetser hara (le mauvais penchant), un attachement à la Torah total. Nos Sages dans la Guemara (chabbat 88b) expliquent que chaque mot que D. a prononcés, a détaché leur âme de leur corps. D. les a alors ramenés à la vie. En entendant la parole de D., nous savons qu’ils ont progressé au-delà des quarante-neuf degrés de pureté, et qu’ils sont entrés dans le domaine où nul homme ne peut voir D. et vivre. Le monde physique n’avait plus pour eux aucune signification. Et pourtant, ils n’ont pas pu faire face. Ils ont eu peur de continuer, et ils ont supplié Moché de leur transmettre lui-même la suite des paroles de D.. Mais de quoi avaient-ils peur ? Rav Dessler nous explique, qu’en réalité, la mort qu’ils redoutaient était une mort spirituelle. Comment comprendre cette notion ?
La Guemara (Berakhot 9,1) nous dit : agit par amour ! Ainsi ne haïras-tu point. Agit par crainte ! Ainsi ne te rebelleras-tu point. Le service de D. exige un équilibre entre ces deux notions, c’est-à-dire, qu’un amour excessif, s’il n’est pas pondéré par la crainte, peut se traduire par un excès de familiarité. De ce fait, en recevant la torah, ils redoutaient que leur niveau élevé, leur amour, les conduisent à la perte de leur yirath chamayim (crainte d’Hachem), d’où une mort spirituelle.
La Guemara (Berakhot 33b) explique : « tout vient du ciel à l’exception de la crainte du ciel », cela veut bien dire que la crainte du ciel doit venir d’en bas, donc de nous-mêmes, de notre libre arbitre. Ce qui nous enseigne une grande chose, que l’amour et la joie dans le service de D., sont des dons de D. lui-même. Ils viennent d’eux-mêmes après un long apprentissage de crainte. Le Rav Dessler explique que s’il devait advenir qu’une personne se hisse à ce niveau élevé d’amour et de joie par un réveil venu d’en haut, sans qu’elle n’ait à déployer elle-même un effort en ce sens, alors ce don serait temporaire ; il serait repris tôt ou tard, et la personne aurait à traverser une période d’épreuves et de souffrances. Nous voyons cela, lors de la traversée de la Mer Rouge, percevoir de ses propres yeux toute la puissance de D. Cela n’a pourtant pas empêché le peuple aussitôt après avoir marché pendant trois jours dans le désert et n’avoir pas trouvé d’eau, de se plaindre à Moché. Pourquoi ? Les révélations de la Mer Rouge, comme tout le monde le sait venaient d’en haut, Elles se sont très vite retirées, et Israël a eu à affronter l’épreuve du manque d’eau. C’est un véritable enseignement qui montre que pour nous permettre d’acquérir notre dimension spirituelle, (venue d’en haut), cela ne peut se faire qu’au moyen de nos propres efforts en bas. D’où la détermination d’Israël à vouloir abandonner le niveau spirituel extrêmement élevé qui lui avait été proposé, car ils savaient que cela venait d’en haut, sans qu’ils y soient préparés. Ce qui conduit Moché à leur adresser des remontrances et les encourager à se maintenir à leur niveau élevé.
Nous devons nous aussi nous préparer, purifier nos cœurs, travailler à recevoir la Torah et surtout intérioriser le message divin. La fête de Chavouot est très sainte, car Hachem nous a choisi parmi toutes les nations pour devenir son peuple, nous devons donc nous préparer à recevoir et mériter le message divin, trouver cet équilibre entre l’amour et la crainte de D.
Le Messilat Yecharim nous explique qu’il y a deux sortes de crainte, et que la crainte la plus difficile à acquérir, est celle de fauter, ce qui est contraire à sa volonté (c’est-à-dire la faute est contraire à Sa volonté), mais craindre de fauter demande un travail sur soi, car elle requiert une grande connaissance et une réflexion sur D lui-même et sur la petitesse de l’homme. L’homme doit craindre la faute, à cause d’une erreur, d’une négligence ou d’une ignorance, c’est sûrement en ce sens qu’il est écrit : « heureux l’homme qui craint toujours ». Les Sages (Bérakhot 60b) nous disent qu’il s’agit de la crainte de la Torah, c’est de ce niveau de crainte que Moché les a encouragés à maintenir. C’est ce que nous explique le Ramhal, que l’homme doit s’inquiéter et trembler, jusqu’au moment où cette crainte ne l’abandonne plus. C’est pour cela que notre maître le Arizal, a fixé la lecture nocturne de la torah, les hommes pieux se réjouissent et étudient toute la nuit, le Pele Yoets, nous explique que nous devons étudier avec crainte et amour, et une joie plus grande que celle d’avoir trouvé un trésor, en faisant attention à ce que cela provoque dans les hauteurs célestes. Le zohar nous dit que c’est justement à ce moment-là que notre récompense est déterminée, c’est-à-dire de mériter cet amour et cette joie dont nous parlons et qui sera proportionnelle à nos efforts, à notre travail d’en bas, à condition de ne pas rester oisif, de chasser le sommeil de ses yeux, étudier toute la nuit sans répit, c’est une grande préparation, qui nous permettra de maintenir notre crainte envers le maître du monde et donc de mériter notre niveau spirituel venu d’en haut.