La destinée et le hasard
ספר דעת תורה: רבינו ירוחם
Livre Daath Torah de Rabbénou Yérou’ham (Mashguia’h de la Yéshivah MIR)
Traduction et adaptation par Rav Michael Smadja (Créteil)
מזל ומקרה:
« La destinée et le hasard »
Il n’y a aucune chose dans la création qui a une existence et une réalité propre ne dépendant que d’elle-même. Il n’y a dans la création aucune chose séparée. Aucune réalité propre et indépendante.
Toute créature et tout événement dans ce monde a et se trouve dans une conduite longue et prévisible depuis sa création. Même le plus petit oiseau a sa place dans la providence divine comme ce que nous enseigne le מדרש רבה: lorsque רבי שמעון s’est tenu à l’entrée de sa grotte avec son fils, il a vu un chasseur tendre son filet pour capturer les oiseaux. רבי שמעון alors entendit une בת קל, une voix du ciel qui disait « Clémence et salut », alors l’oiseau qui volait autour du filet se sauvait. Puis lorsqu’il entendait la voix du ciel dire » mort et perdition », alors l’oiseau était capturé par le chasseur. רבי שמעון dit alors: » sans l’aval des cieux, l’oiseau n’aurait jamais été capturé, à plus forte raison un être humain ». De suite il a pris son fils et est rentré chez lui en disant: si des cieux il a été décrété que je vive alors même chez moi je vivrais et s’il a été décrété le contraire même caché dans cette grotte, je ne peux échapper au décret divin ». Et lorsqu’il est revenu chez lui, il a appris que le décret avait été annulé ».
Le hasard n’existe pas dans la création. Quelque chose qui n’a pas été prévu depuis la genèse ne peut se concevoir. Tout événement ne puise son existence que par la providence supérieure. Non seulement cela mais tous les événements ne sont pas singuliers et particuliers mais découlent d’une conduite générale et y sont confinés. Tout événement même le plus petit, qu’il soit du domaine du minéral du végétal de l’animal ou de l’être humain, se matérialise avec une précision providentielle exceptionnelle prévue depuis le début de la création dans une conduite incluant toute la création vers un but inexorable et fixé depuis la nuit des temps. Conduite née de la מידת הדין, de la qualité de la rigueur, cette même rigueur dont le monde est issu.
Cette conduite se nomme « מזל » » destinée » ou bien « מערכת השמים » « constellation d’étoiles » ou « ordre astrologique » car il est plus exact de parler d’un ordre préétabli et tout ce qui se réalise après que cet ordre ait été établi, est une conséquence et une impulsion venant de cet ordre lui-même. C’est ce qui est appelé « ordre astrologique ». Ordonnancement de tous les événements qui vont se dérouler.
Nos sages dans la מסכת שבת, Talmoud traité de shabbat, ont trouvé différentes règles qui régissent le futur d’un homme: le jour de semaine de sa naissance (le dimanche étant propice à ce qu’il devienne un homme fort ou bien voleur, le lundi il aura des tendances coléreuses….), le jour de la naissance influant dans ses caractéristiques génétiques spirituelles. Un avis dans la גמרא(Guémara=Talmoud) exprime l’idée que même l’heure de la naissance influe dans les caractéristiques biologiques de l’homme et tout ce qui découle de ces caractéristiques est déjà enregistré et programmé depuis sa naissance à tel point que tout le futur d’un homme est fixé à la seconde prêt.
Nos sages enseignent: quatre choses déchirent la sentence décrétée sur un homme (גזר דינו של אדם).
1/ צדקה- l’aumône
2/ צעקה- le cri (la prière)
3/ שינוי השם- le changement de nom
4/ שינוי מקום- le changement de résidence
La maladie ou toute autre épreuve qui arrive à l’homme, s’il ne fait que simplement changer de nom ou déménage dans une autre maison peut arriver à changer son destin?
A priori comment peut-on se sauver de ces souffrances?
Mais ainsi est le principe de la vie: au commencement de sa création, le futur et tout ce qui doit arriver à l’homme est décrété et fixé avec une extrême finesse jusqu’à son nom et son endroit ou toute autre donnée aussi insignifiante soit-elle. A tel point que si le moindre changement, aussi petit soit-il, se produit, il est déjà un autre homme, et le programme prévu ne s’applique plus à lui! A tel point que les choses ne sont pas figées, étant en perpétuelle inconsistance dans la création que même le nom ou l’endroit sont à prendre en compte dans cette destinée et cette conduite du monde. Et lorsqu’un détail change, alors toute la légitimité de cette conduite est bouleversée.
Il y a une discussion (מחלוקת) dans la גמרא שבת(Talmoud, traité Shabbath) s’il y a un מזל, une prédestination sur ישראל(Israël=les juifs) ou bien si ישראל est en dehors d’une prédestination?
(יש מזל לישראל או אין מזל לישראל) ?
Le תנא רבי חנינה[maître de la Mishna, Rabbi ‘Haninah] pense qu’il y a une prédestination (מזל) même à ישראל mais il pense aussi que ישראל est sous l’influence d’une providence particulière (השגחה פרטית). C’est-à-dire que bien que depuis sa naissance, il y a un parcours fixé pour ישראל (un Juif), il peut quand même s’en extirper car rien n’est immuable devant הי (Hashem=D.ieu).
Le אבן עזרא[Ibn Ezra, auteur Espagnol du moyen âge] donne comme exemple la course d’un cheval fou ne sachant plus se diriger et un aveugle venant à couper sa course, inexorablement, cet aveugle va se faire piétiner jusqu’à ce qu’une personne douée de la vue vienne et détourne l’aveugle de la course du cheval fou.
L’homme étant imbriqué dans une conduite déjà fixé mais à tout moment il peut s’en extirper.
Le תנא רבי יוחנן[maître de la Mishna, Rabbi Yo’hanan] pense que « אין מזל לישראל« , le ישראל(juif) est sorti de cette conduite prédestinée. Celui qui garde les préceptes de la תורה(Torah) et tout le temps qu’il en est le gardien, sort complètement de ce מזל, de cette conduite astrologique. Il est au-dessus sans aucun lien avec cette influence astrologique. Comme l’histoire que rapporte la מסכת שבת(Talmoud, traité Shabbath) à propos de ces deux כלדאי, ces deux astrologues qui virent dans les étoiles un mauvais présage.
רבי עקיבא(Rabbi Aquiva) et (Shémouel) שמואל ne faisant pas cas grâce au principe « אין מזל לישראל כלל, כל זמן שהם שומרי התורה » :
- » il n’y a pas de destinée pour ישראל tout le temps qu’il garde la תורה ».
Car la destinée peut être inversée. Et c’est le principe que nous trouvons dans יצחק אבינו(Isaac notre patriarche) comme il est dit: » ויעתר יצחק להי » » et יצחק a prié vers הי » (Hashem=D.ieu). Nos sages demandant: pourquoi avoir employé l’expression « ויעתר » pour « prier » et non « ויתפלל » qui est le langage le plus adéquat (תפילה)? La réponse est: car le mot « ויעתר » vient du mot « עתר » « fourche » qui sert à retourner la récolte. Ainsi la prière sert à retourner la מידת הדין, la qualité de la rigueur en מידת הרחמים, en qualité de clémence ».
Ce qui ressort de ces textes est que le hasard n’existe pas « אין מקרה בעולם ». Tout est dressé, fixé et prévu depuis le début de la création.
Et donc se pose la question: comment se fait-il que tout ce qui arrive dans le monde « apparaît » comme être du pur hasard? Quelle en est l’explication?
Le רמח״ל (Rabbi Moshé Haym Luzzatto) dans son livre « דעת תבונות » (Daath Torah) Interprète cela comme étant le principe du « הסתר פנים », de « cacher la face » de הי (D.ieu). Voiler la providence divine dans la matière par une restriction de la lumière divine par cette impression que tout n’est que hasard et ainsi laisser place au déni. Ceci étant une conduite passant par le bien et le mal, par le mérite et l’obligation, la récompense et la punition. הנהגת המשפט, conduite passant par le jugement.
Nous avons déjà expliqué au sujet du « טבע », de la « nature » que son principe originel est de donner la possibilité à l’erreur de se matérialiser.
Le verset dit: » וראית את השמש ואת הירח ואת הכוכבים… אשר חלק הי אלקים אותם לכל העמים » « tu as vu le soleil et la lune et les étoiles…..que הי(D.ieu) a donnés comme part aux autres peuples ».
Et רש״י(Rashi) explique le verset ainsi: » הי ne les empêche pas de se tromper et d’aller d’après ces astres mais au contraire, cette nature même, la course des étoiles, est leur part ». Être dirigé par cet ordre naturel.
Et tout celui qui ressent que sa vie n’est qu’une suite d’événements dus au hasard, suite de cause et d’effet, dans une conduite naturelle simple, est dans ce principe incrusté dans les paroles divines « אשר חלק הי אותם לכל העמים » afin de les tromper.
Le hasard n’existe pas dans la création. Tout est programmé, dressé et fixé depuis la nuit des temps. Et si cette impression de hasard est si présente en nous, c’est que cela n’est que la concrétisation de ce principe qui est le voilement de la volonté divine. Par cette conduite voilée, le משפט, le jugement laisse place à l’erreur de la même manière que cette conduite laisse place au טבע, aux lois de la nature.
En résumé, lorsque nous observons et nous scrutons tous les événements de notre vie comme des émanations de la providence divine particulière, cela s’appelle un dévoilement divin sur nous par une lumière claire, « התגלות יתברך שמו אלינו בהארת פנים ». Car nous voyons que tout est dévoilement de sa conduite divine.
Mais si nous observons notre vie comme une suite d’événements dû au hasard, suite de cause et d’effet que j’ai l’impression d’avoir moi-même déclenché et provoqué alors qu’il est certain que tout vient de D-ieu, cela est dû à cette conduite du jugement, conduite qui se dévoile par les lois de la nature. En fait c’est une conduite et un dévoilement divin par le canal du voilement de sa lumière, גילוי שמו יתברך בהסתר פנים.
Notre travail étant de voir derrière ce voile, la lumière divine ou plutôt de voir dans ce voile lui-même la lumière divine.