Rav Moshé Shapira – ‘Hanoukka (2)
Traduit et adapté par Rav M. Smadja
Il y a une discussion dans le Talmud portant sur l’endroit où doit se trouver la lumière de Hanoukka : doit-elle se trouver à droite ou à gauche de la porte ? La loi dit que la Mézouza doit être placée à droite de la porte, et la lumière de Hanoukka à sa gauche. Nous associons ici la Mitsva de la Mézouza à la Mitsva de la lumière de Hanoukka. Les deux Mitsvoth s’associent afin que la porte soit dans son essence une porte. Il y a des Mitsvoth qui se font par couple comme celle des Tsitsit et des Téphilines, pour compléter et parfaire la prière. Ainsi, la Mézouza et la lumière de Hanoukka complètent et participent à la perfection de cette notion qu’est une « porte ». La porte, la Mézouza et la lumière de Hanoukka sont une seule entité indissociable.
A propos du rêve de יעקב, il est écrit: « Cet endroit est redoutable…..cela ne peut être que la maison de D-ieu, c’est la porte des cieux ». Une porte pour monter, pour changer de dimension. Une porte sert à sortir ou à rentrer. Nous voyons de ce rêve qu’il y a une porte qui mène de ce monde aux mondes supérieurs. Par cette porte, il est possible de monter dans d’autres mondes et d’y revenir. C’est le rêve de Yaacov, où les anges montent et descendent : c’est le moyen de changer de dimension.
Pour bien comprendre la Mitsva de la lumière de Hanoukka, il faut comprendre la Mitsva de la Mézouza.
« Il y a une obligation de faire très attention à la Mitsva de la Mézouza ». Ainsi commencent les paroles du Rambam. Elle doit être toujours fixée. Quand l’homme traverse la porte soit en rentrant soit en sortant, il rencontre le nom divin. En cela consiste la Mitsva de la Mézouza. A travers elle, il se souvient qu’il doit aimer D-ieu. Et par cela, il s’unit et se lie au nom divin à chaque fois qu’il rentre et sort de sa maison.
Voici les deux premiers versets inscrits dans la Mézouza:
Ecoute Israël pour l’unicité de D-ieu, et tu aimeras pour se rappeler d’aimer D-ieu. Et ainsi l’homme se réveille de sa torpeur. La Mézouza fixée sur la porte a cette puissance de sortir l’homme de sa torpeur. La torpeur est une situation où le changement n’existe pas. Ce qui réveille un homme est le changement de situation, lorsqu’il se passe quelque chose de nouveau, une interruption de la situation précédente. La racine du mot Michan : s’endormir, est Yachan vieux. La pire des situations qu’un homme puisse endurer est la torpeur, l’habitude, car le principe de la vie est le renouveau, le réveil. Les « eaux vives » sont appelées ainsi car elles sont toujours en mouvement. Ce ne sont jamais les mêmes eaux qui sont au même endroit. C’est un flux nouveau continuel. Un homme, lorsqu’il passe du domaine public au domaine privé, de la rue à la maison ou bien quand il passe de la maison à la rue, doit comprendre qu’il est en train de changer d’état dans son essence même. La porte est l’endroit où a lieu ce changement d’état, ce renouveau. Car en fait la personnalité d’un homme est constituée d’un ensemble innombrable d’agrégats qui sont stockés dans sa mémoire, mais qui ne sont en fait que des impulsions électriques qui n’ont aucune réalité intrinsèque. « Chaque jour, D-ieu renouvelle l’acte de la Création« . S’attacher à ces impulsions, se raccrocher à cette personnalité éphémère crée un état de stabilité précaire qui s’appelle l’habitude, la torpeur. Se remettre en question consiste à réaliser l’illusion de cet état de fait. Cette porte est le passage entre cette dimension de torpeur et cet état d’éveil total. Toute vie qui semble être une ligne droite sans altération n’est pas une vie réelle. La vie, Haïm, veut dire h’idouch, nouveauté, à l’image de l’eau : une goutte d’eau puis une autre. Quelle est la réalité de ce cours d’eau si ce n’est ce flux, cette énergie qui déplace les eaux et non l’eau elle-même car ce n’est jamais la même.
Le grand enseignement de la Mézouza est que lorsqu’un homme passe du domaine public au domaine privé ou l’inverse, il doit saisir, ressentir qu’il y a un changement d’état dans son être. Je traverse un état pour entrer dans un autre état, jusqu’à ce que je ressente réellement ce changement d’état. D-ieu me place dans un « endroit » complètement différent. Le domaine privé est un domaine à part. Le domaine public est un autre domaine. Lorsque l’homme change de domaine, il sort d’une dimension existentielle à une autre. Spirituellement, sa personnalité est complètement différente. Il a d’autres perceptions. Celui qui prend avec lui sa personnalité du domaine public et la fait perdurer dans le domaine privé, ne change pas en fait de domaine, il ne change pas de dimension. Il reste le même. Dans chaque endroit où il va, le domaine public l’accompagne. Il ne peut en aucun cas changer de dimension. Il lui semble être toujours le même. Au contraire de ce qu’enseigne le Talmud au sujet du prophète Shémouel [Samuel]: « là où il allait, sa maison était avec lui ». En général, nous allons partout avec le domaine public qui nous suit. En vérité, le changement de domaine est un véritable changement de perception dans son essence, car ces deux domaines sont complètement différents dans leur essence même, comme le vent et la pluie, le jour et la nuit. Le domaine privé monte jusqu’au ciel. La hauteur du domaine public est d’un mètre uniquement. Celui qui se trouve dans le domaine public se trouve dans un endroit entièrement confiné dans ce monde inférieur. Celui qui se trouve dans le domaine privé se trouve dans un domaine relié au monde supérieur.
La Mitsva de la Mézouza nous enseigne que lorsque nous allons du domaine privé au domaine public, nous changeons d’état. Nous traversons un passage qui nous fait changer de dimension, de réalité. Nous devons nous réveiller et ressentir ce nouvel état. Si nous ne ressentons pas de changement, nous ne pourrons être nulle part.
Le domaine privé représente notre « moi-profond », notre véritable conscience, notre réalité. Le domaine public est notre perception de ce monde. Notre corps et ses sens sont ce que l’on appelle communément « les portes de la perception », notre « moi illusoire », notre « ego ». Si nous ne ressentons pas réellement de changement d’état, ce passage de notre « moi-profond » au « moi-illusoire », alors nous entrons dans un état de torpeur. La véritable vie est cette conscience de l’interface continuelle « moi-profond » – « moi-illusoire » (l’ego). Changement continuel d’état. Si nous ne prenons pas conscience de ce changement perpétuel, alors s’installe une torpeur qui va créer l’illusion que notre « moi-illusoire » est notre réalité immuable. Le prophète Shmouel, lorsqu’il était dans le domaine public, dans son « moi-illusoire », emmenait toujours avec lui sa maison, c’est-à-dire que son « moi-profond », sa véritable conscience, était en éveil. Il ressentait ce changement d’état au plus profond de lui-même.
La Mitsva de la Mézouza est à la droite en rentrant car il est écrit « tu écriras sur les poteaux de ta maison ». Le mot « bétéh’a » « ta maison » est expliqué « biatéh’a » « dans ta venue » : tu les écriras sur les poteaux de la manière dont tu marches. C’est-à-dire qu’en général, un homme, lorsqu’il se met à marcher, commence par lever le pied droit. Donc de là nous apprenons que la Mézouza doit être fixée sur le poteau droit en entrant dans la maison, de l’extérieur vers l’intérieur. La Mézouza interpelle l’homme et le contraint à un changement d’état. Il doit laisser le domaine public à l’extérieur pour rentrer à l’intérieur. Il doit abandonner son « moi-illusoire », son ego, pour faire place à son « moi-profond », à sa conscience et à sa réalité. Celui qui prend son domaine public, son ego, avec lui dans sa maison, dans son « moi-profond », alors il n’a plus de maison. Il est toujours à l’extérieur. Une maison est un concept lié uniquement à l’être humain. La « forme » qui s’appelle « homme » génère automatiquement une « maison », un domaine privé, c’est-à-dire un « moi-profond ». » Et c’est la lumière de l’homme d’habiter une maison » proclame le prophète. La forme de l’homme ne se réalise que par son « moi-profond ». L’homme a été créé de l’union des mondes supérieurs et du monde inférieur. Sa réalité est ce lien qui relie les cieux à la terre. Son essence est une association des cieux et de la terre. C’est cela la « forme », c’est-à-dire la réalité de l’homme. Il a été créé pour unir les cieux et la terre. Yaacov est la véritable forme de l’homme qui est incrustée sur le trône divin. C’est ce qui lui a été dévoilé dans le rêve, cette échelle. Les anges qui montent et qui descendent de l’échelle, c’est-à-dire de sur Yaacov réellement car c’est le même Yaacov qui se trouve en haut et en bas. Sa forme complète est telle qu’elle est visible là-bas et ici, en haut et en bas. Les anges montent et le perçoivent en haut, redescendent et le voient en bas. La même forme.
Lorsqu’un homme se trouve dans un domaine privé, sa beauté et sa lumière sont sa Torah. Au moment où un homme reçoit la Torah, alors sa réalité s’unit à cet endroit, au domaine privé, à ce « moi-profond » qui monte jusqu’au firmament. Nos sages expliquent que l’échelle du rêve de Yaacov représente le mont Sinaï car la valeur numérique de « soulam« , échelle, est la même que Sinaï, 130. Yaacov, qui a vu l’échelle, a vu la Torah. Là-bas lui a été dévoilée sa « forme », son corps astral, son « aura » spirituelle telle qu’ils sont en réalité. Son corps sur terre et sa tête dans les étoiles, les anges montant et descendant par cette même échelle et voient cette même « aura » en bas et en haut. Au moment du don de la Torah, il y a eu ce même lien qui s’est tissé entre les cieux et la terre. La Torah a été donnée des cieux à la terre. « Qu’ils me fassent un temple et je résiderai en eux« . Le Ramban explique ce verset ainsi: « afin que l’honneur et la lumière qui se sont dévoilés au mont Sinaï perdurent en nous continuellement ». Le temple sacré s’est dévoilé par l’intermédiaire de l’échelle.
Il est fondamental qu’il y ait une cloison, une séparation entre la réalité d’en-haut et celle d’en-bas. Il est impossible qu’il n’y ait qu’une seule réalité. Uniquement lorsque le Messie se dévoilera, lorsque ce monde se fondra dans le monde supérieur, lorsque le monde arrivera à sa réparation finale, au dévoilement ultime, alors ces deux mondes ne feront qu’un.
Ce jour, D-ieu sera « un » et son nom « un ». Mais tant que ce monde et le monde supérieur sont tels qu’ils sont, il y aura toujours une limite qui les séparera. Cette limite est la « porte » qui ferme et qui ouvre un passage entre les deux mondes.
La Mitsva de la Mézouza nous enseigne que lorsqu’un homme traverse la porte, il passe d’un monde à un autre monde, d’une réalité à une autre réalité. Il y a quelque chose qui fait obstacle entre la réalité d’en-haut et celle d’en-bas. Lorsqu’un homme traverse la porte, il rencontre la Mézouza et alors il est assailli par l’unité divine. Il bute dans son entité dit le Rambam. Et il se souvient alors de son amour en réalisant cette réalité qu’est l’unicité parfaite. Lorsque l’homme traverse cette porte, il rentre dans sa réalité réelle des mondes supérieurs. Il traverse cette porte pour atteindre sa partie supérieure. C’est ce que provoque la rencontre avec la Mézouza.
La valeur numérique du mot « Mézouza » est la même que celle du nom divin « Adnout » qui est 65. Ce nom est associé au nom explicite « havaya » qui lui ne se prononce pas. Lorsqu’il est écrit, le nom « havaya » est lu « Adnout ». C’est le nom qui unit les mondes supérieurs (havaya) au monde inférieur (adnout). Sur terre nous ne mentionnons que ce nom, mais au sein du temple sacré, le nom havaya est prononcé explicitement. C’est le nom le plus saint et le plus élevé car le temple sacré est la porte qui réunit ces deux mondes. C’est en cela que réside la puissance de la Mézouza. L’essence de cette Mitsva est telle que lorsqu’elle se projette en nous, nous rentrons dans l’unité du nom divin « havaya » le « nom explicite ». L’homme, en rencontrant la Mézouza, peut arriver à ressentir l’unité parfaite du nom divin.
Comment se fait l’union entre la Mézouza et la lumière de Hanoukka? Quel est ce lien qui unie la lumière de Hanoukka à la Mézouza?
La Mézouza doit être à sa droite et la lumière de Hanoukka à sa gauche. Pourquoi les deux Mitsvot ne sont pas à la droite ? Pourquoi faut-il mettre la lumière de Hanoukka à gauche de la porte? La Mézouza se rencontre lorsque l’homme passe du domaine public au domaine privé, pour cela elle se fixe à la droite de la porte en rentrant, alors que la lumière de Hanoukka se rencontre du domaine privé au domaine public en sortant. Elle se projette de l’intérieur vers l’extérieur. Elle vient faire obstacle au « moi-illusoire » afin qu’il ne devienne pas sa réalité. C’est pourquoi la lumière de Hanoukka se place à la droite de la porte en sortant et la Mézouza se place à sa droite en rentrant.
La royauté grecque s’est tenue devant le peuple d’Israël pour lui faire oublier sa Torah. Comment faire oublier à quelqu’un quelque chose qu’il a acquis? Le processus est simple: en faisant pencher les pensées de son cœur dans une autre dimension. Lorsque l’esprit ne dirige plus ses pensées sur le sujet alors automatiquement celui-ci va s’évaporer, devenir sans consistance et ainsi sortir de sa mémoire. Le fait de ne plus porter son attention abîme et annule sa Torah. Les choses qui ont besoin d’une protection, le manque d’attention les abîme. Lorsque les Grecs se sont tenus sur Israël, ils ont créé une situation de « manque d’attention » en les faisant s’occuper d’une autre sagesse, la sagesse grecque. À partir du moment où la culture grecque a dominé le monde, le domaine public et privé se sont mélangés. La culture du « moi-illusoire » a envahi et pollué la culture du « moi-profond ». Les sciences profanes basées sur les sens ont pris la place de la Torah, basée elle sur la relation avec le divin dans l’esprit de l’homme.
La culture occidentale, Edom, provient de la culture grecque. Le domaine public, l’endroit de la multitude, a envahi le domaine privé, l’endroit où un homme se retrouve seul. La course à la matérialité a envahi le monde de la simplicité. L’homme doit s’enfuir de cette multiplicité qu’est le domaine public, c’est-à-dire l’endroit où son « moi-illusoire » se matérialise, car ses sens sont en éveil et vont de ce fait, créer un « ego » afin de se fondre dans cet univers matériel. Lorsque dans la prière, nous mentionnons les forts qui ont été vaincus par les faibles, la multitude qui a été vaincue par les « peu nombreux », en fait cela fait référence aux courants de pensée qui étaient en conflit. La culture de la fuite en avant qui est une course à la matérialité, qui nourrit ce sentiment de pluralité, contre la culture de l’unité, le retour sur soi-même. L’homme a été créé unique. Sa véritable réalité est d’être « unique » car il est relié à sa partie supérieur qui elle, ne peut qu’être unique. En haut, aucune autre énergie ne s’associe à sa réalité. Celui qui a son esprit dans le domaine public ne peut s’élever. La matérialité va s’unir à sa réalité, créant ainsi une réalité illusoire de son monde intérieur. Il aura alors la sensation qu’il ne peut exister qu’au travers du monde extérieur. Lorsqu’un homme se retrouve en lui, réellement dans son jardin privé, dans son « moi-profond », alors le monde aura du mal à le polluer car son « moi-illusoire » va petit à petit s’évanouir.
La sagesse grecque est une sagesse qui s’acquiert dans le domaine public, qui nourrit notre « moi-illusoire ». La sagesse de la Torah ne s’acquiert que dans le domaine privé, que dans la solitude. La majorité de la sagesse ne s’acquiert que la nuit, là où il n’y a personne. C’est un moment où l’esprit se sépare du corps et des forces matérielles. La sagesse grecque ne s’acquiert que le jour alors que la sagesse de la Torah ne s’acquiert en profondeur que la nuit, moment de solitude.
La porte est le chemin de traverse entre ces deux dimensions que sont la matérialité pluraliste et l’unité divine. A cet endroit, la Mézouza est placée à droite, en rentrant, pour se défaire de cette matérialité du monde illusoire et pour rentrer dans le monde de l’unité. La lumière de Hanoukka est placée à droite de la porte en sortant, pour éclairer la matérialité, le pluralisme ambiant du monde extérieur par l’unité extraordinaire de sa réalité profonde.