Entre l’étroitesse des limites (Ben Hamétsarim) – Rav Moshé Shapira
Entre l’étroitesse des limites
Dans la Mishna »Taanit », il est enseigné: « cinq événements sont arrivés à nos ancêtres le dix-sept Tamouz et cinq autres le neuf Av. Le dix-sept Tamouz, ont été brisées les tables de la loi, le sacrifice journalier a été annulé, la muraille du temple a été percée, la Torah a été brûlée par Aposthémus et une idole a été installée dans le Ekhal, le bâtiment intérieur du temple. Le neuf Av, a été décrété que nos ancêtres ne rentreraient pas en terre d’Israël, le premier et deuxième temple ont été détruits ce jour-là, la ville de Bétar a été rasée par les romains et Yérouchalaïm est devenue un champ de labour.
‘‘À partir du moment où nous entrons dans le mois de Av, nous devons diminuer la joie « . A priori le sens simple de cet enseignement est que ces événements ont été la cause de ces deux jeûnes du dix-sept Tamouz et du neuf Av. Mais cela n’est pas exact car ces deux jeûnes ont déjà été décrétés par prophétie bien avant que ne se déroule la majorité des événements qui y sont décrits. Ils ont été décrétés des centaines d’années avant que Aposthémus ne brûle la Torah et bien avant que la ville de Bétar n’ait été détruite car elle a été détruite bien des années après la destruction du deuxième temple.
Seuls deux événements sont arrivés avant le décret du jeûne du neuf Av: l’annonce que nos ancêtres ne rentreraient pas en terre d’Israël et la destruction du premier temple.
Et donc, il est impossible que l’intention de la Mishna ait été de nous enseigner que ces événements étaient les déclencheurs du décret prophétique de ces jeûnes. Il en est de même pour le jeune du dix-sept Tamouz.
Alors que veut nous enseigner la Mishna?
Entre l’étroitesse des limites (Ben Hamétsarim)
Nos sages appellent ces jours, cette période « entre les limites » d’après le verset: « et tous vos poursuivants vous rattraperons entre ces limites« . « Entre les limites » est une expression qui est plus appropriée pour définir un plan physique et non une période, un plan temporel. « Entre les limites » définit un endroit étroit, limité par une barrière d’un côté et de l’autre et aucune possibilité de s’en échapper. Et lorsqu’un homme entre dans un endroit étroit et confiné, il est facile de l’attraper car il n’y a aucun chemin pour s’enfuir.
Pour transcrire ce terme ‘spatial’ « entre les limites » en terme ‘temporel’, il faut transformer ces deux dates que sont le dix-sept Tamouz et le neuf Av en début et fin d’une période spécifique. Une période particulière qui commence du dix-sept Tamouz et qui se finit le neuf Av. Et les points qui sont entre le début et la fin deviennent un endroit étroit. Il y a un lien étroit entre tous les moments de cette période qui ont obligatoirement comme point commun le point de départ et le point d’arrivée.
De là nous comprenons qu’il y a aussi une notion d’étroitesse dans le temps. Le temps pouvant être comme l’espace, un endroit temporel confiné d’où je ne peux m’échapper. Chacun des points temporels qui est entre ces deux limites temporelles, chaque moment présent engendre beaucoup de passé et de futur et chacun de ces points de présent s’associent pour faire exister un temps au milieu, entre ces deux limites temporelles.
Ces deux limites temporelles sont des temps d’une dureté extrême et tout ce qui se trouve au milieu de ces deux limites temporelles, matérialise un endroit étroit d’où il est impossible de s’y extraire ni par la droite ni par la gauche.
Le Maharal [de Prague] explique que ces cinq événements qui forment la limite appelée dix-sept Tamouz et les cinq événements qui forment la limite appelée neuf Av, sont la représentation du nombre dix, nombre parfait.
Et par ce nombre, l’intention est d’arriver à la destruction générale. Le chiffre 10 est toujours l’association d’unités qui arrive à une globalité pour en faire un tout.
Ces dix événements qui sont arrivés le dix-sept Tamouz et le neuf Av se complètent l’un à l’autre pour devenir une entité parfaite. A cela, la Mishna faisait référence. L’association de ces cinq événements avec ces cinq autres événements a créé le nombre parfait ‘dix’. La parfaite destruction qui s’est matérialisée par deux pôles de cinq événements qui se sont passés ce jour et cinq autres, cet autre jour.
Il est enseigné dans le traité ‘Kétouvot’: « plus grands sont les actes des justes que les actes qui ont créé les cieux et la terre« , car au sujet des cieux et de la terre, il est écrit: « même ma main (la main gauche) a formé les bases de la terre et ma main droite a fait gonfler les cieux« . Alors qu’au sujet des actes des justes, il est écrit: « l’endroit de ta résidence tu as créé, D-ieu, le temple saint D-ieu tu l’as installé de tes mains« . Le temple a été bâti si l’on peut s’exprimer ainsi avec ses deux mains.
Le temple étant l’endroit où la présence divine réside alors qu’il est dit: « la présence de sa lumière se trouve dans les hauteurs élevées » et là-bas est sa résidence principale. Malgré cela, la présence divine réside dans le temple comme le verset le dit: « faites-moi un temple et je résiderai parmi vous » C’est l’endroit sur terre où se matérialisent des actes célestes. Cet endroit est le lien entre la terre et les cieux et qui a été créé par ses deux mains.
Le Talmud pose alors une question: »il est écrit: « et la terre sèche, ses mains l’ont créée » et donc, toute la terre a été créée par ses deux mains, pas seulement le temple ! Il est répondu qu’en fait il est écrit ‘‘sa main l’a créée » et non « ses mains« .
Pourtant il est écrit: « elles l’ont créée » au pluriel.
La réponse est en fait que ce sont les doigts de sa main qui ont créé le monde. Les cieux et la terre ont été créés par ses « doigts » comme il est dit: « car j’ai montré les œuvres de tes doigts« . Et lorsqu’il est dit « ses mains » cela veut dire « les doigts de sa main« . Alors que le temple a été construit par ses deux mains comme il est dit: « le saint temple mon D-ieu, tu l’as construit de ta main » c’est-à-dire avec ses dix « doigts », les cinq doigts qui ont créés les cieux et les cinq doigts qui ont créés la terre.
Dans le langage saint [l’hébreu], le mot « destruction » vient du mot « sec« , « détruire ». A propos du verset: « et la colère divine s’abattra sur vous« , Rashi explique que la racine du mot » colère » »h’ara » vient du mot « chaleur » »h’am »qui provoque « l’évaporation » des éléments. Une ruine « h’arava » est un endroit complètement sec. « H’aron af », « la colère », est l’expression de quelque chose qui passe par le feu. La destruction passe par le même principe de séparation de ce qui était associé.
Lorsque les éléments sont reliés entre eux, il y a un élément extérieur qui les réunit: un liquide. Celui qui veut faire à partir de la farine, une pâte, est obligé d’y associer de l’eau. Celui qui veut à partir de la terre faire de l’argile, doit y mélanger de l’eau.
Nous apprenons donc de cela que la « destruction » est une action qui atteint cette notion de « liant » de « H’ibour » qu’il y a entre les composants d’un objet. Ce lien disparaît. La destruction assèche et désolidarise les éléments composites de l’objet. Le « חרבן » la destruction, le « חרב » l’acte de détruire est l’acte inverse de l’unification « חבר« . Il y a beaucoup de racine de mots dans le לשון הקדש, qui s’utilisent pour indiquer une action et son contraire comme dans notre sujet: « חרב » « détruire » et « חבר » » relier ».
Si la construction, c’est-à-dire l’unification, qui est le principe même du temple, s’est fait avec dix doigts, cela veut dire que chaque doigt a une énergie créatrice en lui-même. Nous nous rappelons encore du récit de Péssah où les égyptiens en Égypte ont été frappés par un « doigt » et sur la mer par la « main ». Chaque doigt est une énergie qui agit séparément.
Lorsque nous associons les dix doigts, une complète destruction se matérialise en parallèle à une unité complète. C’est ce que veut nous enseigner la Mishna. Les cinq événements du dix-sept Tamouz et les autres événements du neuf Av sont les dix énergies qui vont agir pour détruire cette union façonnée par les dix énergies créatrices qui est le principe même que développe le temple. Ceci a été appris du verset: « tout celui qui te poursuit te rattrapera entre les limites », d’entre les deux limites, d’entre ces deux jours qui s’unissent et s’associent en une action unique qui est avec un début et une fin. Un cheminement qui commence le dix-sept Tamouz et qui se termine le neuf Av.
La Mishna vient nous enseigner que derrière ces dix événements, se cachent ces dix énergies qui ont façonné la destruction complète d’une œuvre qui a été construite et fondée par dix énergies créatrices (les dix principes de la création, les dix Séphirot) qui ont introduit dans les fondations du temple chacune, sa propre force.
Toutes ces énergies ont été reprises et abandonnées. C’est sa construction et c’est sa destruction. C’est le « H’ibour » l’unification, la construction et c’est le « Hérev » la destruction, la dislocation. Les énergies qui se disloquent et qui se révèlent seules. Le chaos.
Dans le verset: « voici les enchaînements des cieux et de la terre dans leurs créations« . Nos sages expliquent le mot « béhibaram » »dans leurs créations ainsi: « Bé ‘hé’ baraham » « par la lettre « ה » par la lettre ‘Hé’, les cieux et la terre ont été créés ». Si l’on peut s’exprimer ainsi, D-ieu a créé la création avec la lettre « ה » par le ‘Hé’. Et ceci entraîne donc qu’il y a cinq « ה », cinq énergies qui ont donné existence à la création.
Le Gaon de Vilna, enseigne que D-ieu a créé le monde par la parole. Le maître du monde a créé le monde par des phrases, par dix phrases. La base de chaque phrase est une association de lettres. Ainsi parle-t-on. La notion de parole « dibour » est de faire entendre des mots qui sont eux-mêmes, une association de lettres. Les phrases sont construites par une association de mots, des chapitres sont construits par une association de phrases et des livres sont construits par une association de chapitres.
La base de toute cette construction étant l’association de lettres qui formeront des phrases. C’est la première des associations.
A propos de Bétsallel qui a construit le Mishkan, la résidence divine dans le désert et ses ustensiles, il est dit: « et je le remplirai de souffle divin par la sagesse ‘H’okhma’, l’intelligence ‘Bina’ et la connaissance ‘Daat’« . Ainsi sur D-ieu, il est dit: » D-ieu avec sagesse, (H’okhma) il a fondé la terre, formé les cieux avec intelligence (bina) et pas sa connaissance (Daat), il a creusé les abîmes« .
Nos sages enseignent que Bétsalel savait associer les lettres avec lesquelles les cieux et la terre ont été créés. La construction du Mishkan, de la résidence divine, ressemble en quelque sorte à la construction des univers. Les mêmes actes de création.
Il est connu que D-ieu s’est arrêté de créer le septième jour et ainsi il nous est ordonné de chômer le Shabbat mais nous ne savons pas quels actes créateurs. D-ieu s’est arrêté de créer son monde au bout de six jours afin que nous puissions nous abstenir de créer le Shabbat. Pour cela nous chômons des travaux qui ont servi à la construction du Mishkan. Nous nous abstenons de créer ce que Bétsalel a accompli pour la construction du Mishkan car les actes de la création des univers et de la construction du Mishkan sont les mêmes.
Ces actes de création ont été élaborés par l’association de certaines lettres de l’alphabet. »Tout a été créé par des paroles ».
Le Gaon de Vilna rajoute que la création s’est faite non seulement par la signification des lettres mais aussi par la valeur des lettres.
Le créateur a créé son monde non seulement par l’expression de la lettre telle qu’elle est exprimée et tout ce qui se propage d’elle et de sa lumière mais aussi par sa valeur numérique.
Dans les paroles du Gaon, il est écrit que du compte du א-ב, de l’alphabet, il en ressort le compte exact de la durée de ce monde qui est de six mille ans. Puisque le créateur a créé le monde avec les lettres de l’alphabet et que du compte de ces lettres il en ressort le chiffre de six mille, il est donc logique que le monde ait été créé pour six mille ans.
Lorsque nous disons que le monde a été créé par la lettre « ה » comme nous l’avons enseigné précédemment, Il y a donc ici une évidence que la création s’est étendue et s’est développée par le moyen de cinq choses car la valeur numérique de la lettre « ה » est cinq.
Le Gaon de Vilna enseigne dans un autre endroit que le nom saint par qui le monde a été créé est le nom « Havaya » le tétragramme, c’est-à-dire avec la lettre « י » puis la lettre « ה » puis la lettre « ו » et enfin la lettre « ה ». Le nom entier et explicite est composé des lettres dans son « remplissage ». C’est-à-dire lorsque nous prononçons la lettre « י » nous l’épelons « יו״ד » et « ו״ו » et « דל״ת ». Et lorsque nous prononçons la lettre « ה » nous l’épelons « ה״א », le « ו » s’épelle « ו״ו » et enfin de nouveaux un « ה״א ».
Le Gaon commence son exposé en rapportant que toute existence commence dans un plan euclidien. Toute existence commence par un point (Nékouda) qui est représenté par le « י » qui devient un trait « Kav » qui est représenté par le « ו » pour former un plan (shétah’) qui est représenté par le « ד » pour devenir une profondeur (omek) qui est représenté par le « ה ».
Le point ne prenant pas de place dans l’espace, c’est un concept purement intellectuel base des mathématiques qui ne prend forme que dans l’esprit. Ce même esprit qui saisit des notions hautement supérieures, est capable d’appréhender ces notions appelées « Nékouda » « point » et »kav » « trait ». Car un point ne peut se définir dans un espace matériel de même que le trait qui est une association de deux points. La matière s’appréhendant dans un plan à trois dimensions: hauteur, largeur et profondeur. Un point n’a aucune de ces dimensions donc complètement conceptuel, c’est le « י ». En appliquant une direction à ce point, se crée le trait qui n’a qu’une seule dimension, la hauteur, donc n’étant toujours qu’au niveau du concept, c’est le « ו ». De même que le plan (Shétah’) ne prend pas de place dans l’espace car n’ayant que deux dimensions, la hauteur dû à la direction créée par le point et la largeur dûe à la direction vers le côté créée par le trait. Ce plan étant représenté par le « ד ». Le « ו » qui se déplace vers un côté créant la barre du « ד ». Toutes ces notions ne prennent pas de place dans l’espace et n’existent que dans le monde de la pensée. Dans la matière, il ne peut se concevoir un objet à une ou deux dimensions.
Le nom divin explicite commence par la lettre « יו״ד »: le « י » étant la conceptualisation du point (Nékouda), le « ו » étant la conceptualisation du trait (kav) et le « ד » étant la conceptualisation du plan (Shétah’).
Tout n’est que pensée.
C’est ce qui peut se comprendre des mots de Rashi sur le chant de la traversée de la mer « alors chantera (yashir) Moshé« : « le « י » »youd » indique la dimension de la pensée ». Le « י » est employé pour indiquer le futur. Il transforme le verbe au futur: « shar » « il chante » en « yashir » » il chantera ». Le futur n’existe que dans la dimension de la pensée, cela n’est qu’un concept intellectuel. Le « יו״ד » représentant la dimension de la pensée. Si cela se matérialise, cela ne reste plus dans le futur mais se transforme en présent, la pensée se matérialisant en descendant dans la matière, prenant place dans la dimension de l’espace.
Ainsi Rashi explique « Az Yashir »: il aurait été plus judicieux d’écrire « Az Shar » « alors il chante » pourquoi avoir écrit au futur « Az Yashir »? Cela veut dire en fait qu’il est monté à l’esprit de Moshé de chanter ». C’est-à-dire que Moshé s’est élevé dans la dimension de la pensée pour pouvoir exprimer son chant. Monde de la création, »olam hayétsira ».
Tout commencement de chaque existence, tout point de départ de la matérialisation de la réalité dans ce monde est « le point », la Nékouda qui prend naissance dans une dimension autre que les trois dimensions qui matérialisent notre univers.
Le point, la Nékouda, est toujours quelque chose qui n’est pas en développement mais est le principe même, l’essence même qui va donner naissance à la matérialisation de la création et qui ne prend pas de place dans la matière. Ce point d’énergie n’a pas de réalité dans le monde physique mais est l’essence même de ce monde. Pour cela, l’existence de ce monde a pour point de départ le « י ». ( l’essence de ce que les scientifiques appellent le « big-bang » et ce que nos sages appellent le צימצום- restriction de la « lumière »).
Nous vous proposons la suite de ce cours
La photo vient du site http://evenshesiya.com/ (Courtesy of evenshesiya.com« )
One Comment
Pingback: Le neuf Av: destruction du temple (1) - Rav Moshé Shapira