PARACHAT Ki Tissa (5776)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
PARACHAT KI TISSA
La paracha de ki tissa débute par un appel au mahatsit hachékel (un demi chékel) que chacun des hommes âgés de vingt ans et plus devait donner afin de permettre un recensement du peuple d’Israël. L’argent ainsi récolté servait également pour l’achat des offrandes quotidiennes du michkan. Hachem ordonne ensuite à Moshé de confectionner l’huile d’onction ainsi que l’encens, en lui détaillant les différents composants de ces derniers. Ayant terminé d’énumérer la liste de tous les ustensiles qui devaient servir dans le michkan, Hakadoch Baroukh Hou désigne Betsalel, fils de Ouri, accompagné d’Aholiab fils d’A’hisamakh, pour la conception de tous ces ustensiles.
Du fait que toutes ces lois en dépendent, immédiatement après les règles de fabrication du michkan se trouve l’injonction du chabbat et ses lois. C’est au terme de l’énumération de toutes les lois de la Torah, que Hachem remet à Moshé les deux tables de la loi et le quitte de façon tragique, car malheureusement, le peuple, durant l’absence de Moshé commit une des fautes les plus marquantes de son histoire, le veau d’or, qui causa la destruction des tables de la loi par Moshé lui-même, horrifié de voir un tel spectacle. Cette grave faute rendit le peuple coupable de la peine capitale. Baroukh Hachem, par ses téfilot, Moshé Rabbénou parvint à nous sauver en intervenant par deux reprises auprès de Hachem, réussit à obtenir un pardon total allant même jusqu’à convaincre Hachem de résider parmi le peuple et lui confier de nouveau les tables de la loi.
Dans le chapitre 32 de Chémot, la torah dit :
:ז/ וַיְדַבֵּר יְהוָה, אֶל-מֹשֶׁה: לֶךְ-רֵד–כִּי שִׁחֵת עַמְּךָ, אֲשֶׁר הֶעֱלֵיתָ מֵאֶרֶץ מִצְרָיִם
7/ Alors Hachem dit à Moshé: » Va, descends! car on a perverti ton peuple que tu as tiré du pays d’Égypte!
ח/ סָרוּ מַהֵר, מִן-הַדֶּרֶךְ אֲשֶׁר צִוִּיתִם–עָשׂוּ לָהֶם, עֵגֶל מַסֵּכָה; וַיִּשְׁתַּחֲווּ-לוֹ, וַיִּזְבְּחוּ-לוֹ, וַיֹּאמְרוּ, אֵלֶּה אֱלֹהֶיךָ יִשְׂרָאֵל אֲשֶׁר הֶעֱלוּךָ מֵאֶרֶץ מִצְרָיִם׃
8/ Ils se sont vite égarés de la voie que Je leur avais prescrite, ils se sont fait un veau de métal et ils se sont courbés devant lui, ils lui ont sacrifié, ils ont dit: ‘Voilà tes dieux, Israël, qui t’ont fait sortir du pays d’Égypte!’ »
:ט/ וַיֹּאמֶר יְהוָה, אֶל-מֹשֶׁה: רָאִיתִי אֶת-הָעָם הַזֶּה, וְהִנֵּה עַם-קְשֵׁה-עֹרֶף הוּא
9/ Hachem dit à Moshé: « Je vois que ce peuple est un peuple à la nuque dure.
: י/ וְעַתָּה הַנִּיחָה לִּי, וְיִחַר-אַפִּי בָהֶם וַאֲכַלֵּם; וְאֶעֱשֶׂה אוֹתְךָ, לְגוֹי גָּדוֹל
10/ Et maintenant, lâche-Moi, et Ma colère s’enflammera contre eux et Je les anéantirai, et Je ferai de toi un grand peuple! »
Moshé va avoir dans cet événement une attitude aussi héroïque que risquée. Briser les tables de la loi, relève de la folie si nous n’en comprenons pas le sens. Comment Moshé s’est-il permis de détruire l’oeuvre d’Hachem ? Plus encore, pourquoi ne les détruire que maintenant, une fois devant le peuple, et pas directement lorsqu’Hachem lui apprend que les bné-Israël fautent ? Il faut comprendre qu’il s’agit d’une lourde décision qui a forcément été mûrie et réfléchie par Moshé.
Tentons de comprendre ce qui l’a conduit à agir de la sorte.
Bien évidemment, son choix est motivé par le sauvetage des bné-Israël. Le ‘Hatam Sofer écrit que Moshé a fait le choix d’accompagner les hébreux dans leur sentence, en devenant lui-même passible de la peine de mort ! La destruction des tables étant vue ici comme une profanation, Moshé lui aussi ne mériterait plus la vie ! Cette attitude, bien que dangereuse s’avère finalement sécurisée. En effet, lorsqu’Hachem expose à Moshé son désir de détruire le peuple juif, Il lui suggère de devenir ensuite la base d’une nouvelle nation plus puissante et plus grande. En somme, tant que Moshé est vivant, il existe la possibilité de supprimer le reste du peuple, sans pour autant contredire la promesse faite aux patriarches, d’avoir une grande descendance. Car, cette postérité serait toujours effective avec la descendance de Moshé. Seulement, si Moshé Rabbénou en arrive également à disparaître, alors plus personne ne serait en mesure de créer un peuple. La promesse faite aux patriarches est donc une garantie pour Moshé de sauver le peuple, car lui passible de mort, la possibilité de faire grandir un nouveau peuple basée sur sa descendance disparaît. Moshé parvient donc ici à forcer le pardon des hébreux.
Le Kli Yakar (chapitre 32, verset 16) poursuit dans cette suite d’idée en expliquant en quoi la destruction des tables associe Moshé aux bné-Israël dans leur faute. En effet, comme nous l’avons souligné, Moshé aurait pu détruire les tables immédiatement lorsqu’Hachem lui annonce la faute des bné-Israël, seulement il fait le choix de ne les détruire qu’au pied de la montagne, lorsqu’il voit le veau d’or. Ceci s’explique par ce que nos sages enseignent quant à l’écriture présente sur les tables : en présence du veau d’or, les lettres se sont littéralement envolées ! L’impureté conséquente à l’idolâtrie n’est pas compatible avec la sainteté inhérente à la torah, de facto, cela provoque une contradiction et empêche la torah de se maintenir, les lettres s’enfuient ! En ce sens, les bné-Israël ont retiré le texte des tables et Moshé achève leur action en les détruisant dans le sens matériel du terme ! Il faut bien comprendre que les tables en question ne sont pas l’oeuvre de l’homme, il s’agit d’une création divine, aussi sainte que l’écriture qu’elle contient. De sorte, il aurait été envisageable que les mêmes lettres qui se sont envolées, puisse retourner à leur place par la suite. D’où le choix de Moshé de briser les tables qu’une fois devant le peuple. Les détruire avant aurait été un acte singulier, parfaitement détaché de la faute du veau d’or. Les anéantir maintenant, apparaît clairement comme le prolongement de l’attitude des hébreux : eux retirent le contenu, lui supprime le contenant. La faute de Moshé est maintenant indissociable de celle des hébreux.
Toutefois, il convient de tenter de comprendre comment une telle idée a pu germer dans l’esprit de Moshé. Quand bien même il était le plus grand de tous, il paraît difficile d’admettre qu’il ait fait ce choix de façon naturelle, l’enjeu est bien trop grand pour qu’il puisse se permettre de détruire les tables que le Maître du monde lui a transmises au terme de quarante jours et quarante nuits. Opter pour cette décision nécessite un appui, une chose laissant sous-entendre que telle est la volonté du Maître du monde.
Comme à leur habitude, nos sages disséminent des informations qui vont peut-être nous permettre de comprendre. La guémara (traité bérakhot, page 32a) dit : « La torah écrit (chémot, chapitre 32, verset 11) : »Et maintenant, lâche-Moi, et Ma colère s’enflammera contre eux et Je les anéantirai, et Je ferai de toi un grand peuple… ». Sur cela Rabbi Abahou a dit : » si un tel verset n’était pas écrit, il serait impossible de cela. Car ceci nous enseigne que Moshé a saisi Hakadoch Baroukh Hou comme un homme qui saisit son ami par son vêtement, et dit devant Lui : »Maître du monde ! Je ne Te lâcherai pas jusqu’à ce que Tu les excuses et leur pardonnes ! » ».
Que signifie ce texte ? De quoi nous parle la guémara lorsqu’elle parle de « saisir Hachem » ? Comment ceci pourrait être possible ? Bien-sûr, beaucoup de commentateurs suggèrent de voir dans cet enseignement une image, et il est clair que Moshé n’a pas littéralement saisi Dieu, car cela serait impossible. Seulement, peut-être, pouvons-nous comprendre de quoi il s’agit au travers d’un autre enseignement, du talmud yérouchalmi, cette fois.
Il y est ainsi enseigné (talmud yérouchalmi, traité taanit, chapitre 4, halakha 5) : « Rabbi Chmouël Bar Na’hman au nom de Rabbi Yonathan : »Les tables faisaient six empans de long pour trois empans de large. Moshé tenait deux empans et Hakadoch Baroukh Hou en tenait deux également, laissant deux empans vides au milieu. Comme les bné-Israël ont fait cette faute (celle du veau d’or), Hachem a voulu les arracher des mains de Moshé, mais la main de Moshé était plus forte et c’est lui qui les a arrachés. »
Il se peut fortement que les deux textes soient liés. À savoir que lorsque Moshé apprend que les bné-Israël ont fauté, il est démuni et sent que la fin de ce peuple est proche. Toutefois, Hachem lui laisse une porte ouverte en lui disant « Lâche-Moi ! », ce qui laisse imaginer que Moshé le tenait. Que tenait-il ? Justement, les tables de la loi qui étaient soutenues par Hachem et Moshé simultanément ! Or, il est évident que si le Maître du monde voulait vraiment les reprendre à Moshé, aucune force au monde aurait pu l’en empêcher ! Puisque Hachem demande à Moshé de le lâcher, cela signifie bien qu’Il lui accorde un moyen de maintenir les tables entre ses mains, sinon Il les lui aurait simplement reprises sans que Moshé n’y puisse rien. Dès lors, Hachem montre Son envie de reprendre les tables, mais cela n’a que pour but de pousser Moshé à se battre pour les garder ! D’où le talmud qui précise que la main de Moshé l’a emporté sur celle d’Hachem si l’on peut s’exprimer ainsi !
Hachem simule donc le retrait des tables pour finalement pousser Moshé à les garder. Cependant, ceci reste difficile à comprendre, car dans les faits, les bné-Israël ne méritent plus cette torah ayant rompu l’alliance. Pourquoi alors vouloir la laisser entre les mains de Moshé ?
Une réponse est envisageable au vu du commentaire du Gaon de Vilna (divré éliyahou page 27). Ce dernier analyse le verset 7 que nous avons cité, dans lequel Hachem dit à Moshé « לֶךְ-רֵד Va, descends! ». Sur ces mots, la guémara (traité bérakhot page 32a) explique : « Descends de ta grandeur. La grandeur ne t’a été donnée que grâce aux bné-Israël ! ». Or le mot « רֵד descends! » est composé des lettres »ר rech » et »ד daleth », qui se trouvent toutes deux écrites en grand caractère dans la torah. En ce qui concerne le »ר rech », il se trouve dans notre paracha, lorsque la torah dit (chapitre 34, verset 14) :
כִּי לֹא תִשְׁתַּחֲוֶה, לְאֵל אַחֵר
Tu ne te prosterneras pas devant d’autres dieux.
En ce qui concerne le »ד daleth », il se trouve dans le chéma que nous disons tous les jours :
שְׁמַע, יִשְׂרָאֵל: יְהוָה אֱלֹהֵינוּ, יְהוָה אֶחָד
Écoute Israël, Hachem est notre Dieu, Hachem est unique.
Ces deux versets suggèrent les deux premiers commandements des tables de la loi en rappelant l’existence d’Hachem comme le premier commandement, et en stipulant l’interdit de vénérer d’autres dieux comme le deuxième. Ceci justifie que ces deux lettres, enracinées dans des mots très semblables mais dont la signification est radicalement opposée, soient écrites en grand format. Ainsi, le Gaon de Vilna explique que la torah vient ici nous faire l’enseignement suivant : « Descends de ta grandeur », à savoir la grandeur des deux lettres »ר rech » et »ד daleth », d’où le mot « רֵד descends! ». Car « La grandeur ne t’as été donnée que grâce aux bné-Israël ! » et maintenant que le peuple a fauté, ces lettres n’ont plus de raison d’être écrites sous un format différent ! Ainsi, bien que le texte semble faire référence à Moshé, il comporte une allusion directe à la faute du peuple et surtout à sa conséquence. Toutefois, rien ne peut s’opposer à la téchouva, c’est pourquoi, le repentir du peuple rétablira ces lettres d’où leur grand format dans tous les sifré torah.
Sur cela, le Sfat Émet (parachat ki tissa, année 641) explique que lorsque le peuple faute, alors les grands de la génération pâtissent également de cette faute et chutent avec eux. Cependant, cette chute a pour but de permettre au peuple de pouvoir remonter ensuite. Car dans les faits, Hachem a suggéré à Moshé de faire de lui un grand peuple pour remplacer les hébreux, ce à quoi Moshé refuse. Du coup, il casse les tables de la loi pour annuler la possibilité de pouvoir devenir le père d’un nouveau peuple, en se rendant lui-même coupable. Moshé apprend cela des mots « לֶךְ-רֵד Va, descends! » qui l’enjoignent à descendre de sa grandeur. Or dans les faits, Moshé n’a rien fait pour perdre en intensité. Toutefois, il entend les paroles d’Hachem l’enjoignant à redescendre. Et c’est là que se trouve toute la subtilité du message d’Hachem. Le mot qui le pousse à baisser de niveau, est celui qui témoigne de la faute des bné-Israël et qui provoque la perte de l’écriture spéciale des lettres »ר rech » et »ד daleth », ces deux lettres qui insistent sur l’idolâtrie ! En clair, Hachem explique à Moshé sur quel point doit se jouer sa chute, il doit lui aussi s’aligner avec l’attitude des bné-Israël ! Et c’est justement le fait de briser les tables qui, comme nous l’avons expliqué, va le conduire à cela !
Le message est particulièrement fort et chargé d’information. Moshé doit chuter pour s’aligner avec le peuple. N’ayant pas commis le veau d’or, sa seule option est de détruire les tables, c’est pourquoi Hachem les lui laisse, alors qu’elles n’ont plus rien à faire dans ce monde. Par cela, Hachem souligne à Moshé qu’au contraire, elles peuvent encore servir, au travers de leur destruction, Moshé deviendra aussi coupable que le peuple, chutera de son statut de sainteté, empêchant la possibilité de créer un nouveau peuple à partir de lui.
Mais plus encore, le Sfat Émet précise que la chute de Moshé est destinée à permettre au peuple de remonter ! Ce qui se produit, lorsque justement la torah dit ensuite (chapitre 33, verset 1) : « וַיְדַבֵּר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה, לֵךְ עֲלֵה מִזֶּה–אַתָּה וְהָעָם Hachem a dit à Moshé, Va et monte d’ici, toi et le peuple ! » Maintenant que Moshé s’est assuré le pardon du peuple, Hachem lui demande de remonter !
Même face au veau d’or, cette tromperie des bné-Israël au jour de leur mariage avec Hachem, le Maître du monde met tout en place pour leur permettre un repentir ! Son amour pour son peuple n’ayant pas de limite, Il ne peut se résigner à s’en séparer ! À nous de retourner auprès de Lui, et prouver que nous méritons tant d’attention.
Chabbat chalom.