Divré Torah Parashat Béhoukotaï – 5778
Y. M. Charbit
Parashat Béhoukotaï
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בס״ד
PARASHAT BÉKHOUKOTAÏ
La paracha béhar traite de deux années particulières: l’année de chémita c’est-à-dire l’année durant laquelle la terre est mise en jachère, et l’année du Yovel (jubilé). La torah détaille donc les règles à suivre durant ces deux années, en passant par la libération des esclaves, les règles que doit suivre un propriétaire vis-à-vis de son esclave aussi bien hébreu qu’étranger, ou encore le retour des terrains vendus à leur propriétaire d’origine..
La paracha de bé’houkotaï clôture le troisième livre de la torah, vayikra. Elle présente une liste de conséquences au respect et au non-respect des commandements de la torah, en citant dans un premier temps la bérakha que suscitera Hachem sur le peuple s’il respecte les injonctions de la torah, puis en détaillant ensuite la malédiction qui risque de s’abattre dans le cas contraire.
Dans le chapitre 26 de Vayikra, la torah dit au verset 42 :
וְזָכַרְתִּי, אֶת-בְּרִיתִי יַעֲקוֹב; וְאַף אֶת-בְּרִיתִי יִצְחָק וְאַף אֶת-בְּרִיתִי אַבְרָהָם, אֶזְכֹּר–וְהָאָרֶץ אֶזְכֹּר׃
Et Je me ressouviendrai de mon alliance avec Yaakov; mon alliance aussi avec Yitshak, mon alliance aussi avec Avraham, Je m’en souviendrai, et la terre aussi, Je m’en souviendrai.
Concernant ce verset, Rachi écrit: « Le mot Yaakov est écrit cinq fois avec un vav . Yaakov a reçu en gage d’Éliyahou une des lettres de son nom, comme garantie qu’il viendra annoncer la délivrance de ses enfants. »
Comme le souligne le ‘Hida (‘Homat Onekh, sur notre paracha, alinéa 4 et 5), il est évident qu’Éliyahou annoncera un jour la délivrance, la seule chose qui le retient n’est autre qu’Hachem, qui ne lui a pas encore demandé de le faire. Le gage que Yaakov prend du nom d’Éliyahou n’a donc finalement aucun sens. Par cette lettre, Yaakov tente apparement de faire pression sur Éliyahou pour le contraindre à conduire à la libération de son peuple. Quel est l’objectif de la manœuvre ? L’attitude de Yaakov semble parfaitement inutile !
De même, pourquoi le prendre à cinq reprises ? Une seule aurait parfaitement suffit à nous faire comprendre le message dont parle Rachi. Pourquoi répéter la manœuvre plusieurs fois ?
Un dernier point reste à soulever. Pourquoi la torah, en plus de préciser le souvenir des patriarches, ajoute t-elle le souvenir de la terre ? De quoi doit-on se rappeler concernant la terre ?
Le ‘Hida développe ces questions sous deux angles complémentaires qui nécessitent d’être approfondis. Le premier point concerne la naissance des deux fils d’Yitshak : Essav et Yaakov. La torah nous en fait le récit et nous explique qu’Essav est né »complet » dans le sens où, il disposait déjà de cheveux, de dents… . En ce sens, son nom aurait du être « עשוי assouï » qui signifie »déjà fait ». De même, concernant Yaakov, la description faite par la torah est celle d’un homme tenant le « עקב ‘ékev – le talon » de son frère. Il ressort, pour cet homme aussi, que le nom que la torah lui accorde – Yaakov – n’est pas bon, car il aurait du s’appeler ‘Ékev ! Seulement, la mise en scène de leur naissance nous dévoile la source du changement de nom : Yaakov tient la cheville de son frère. La cheville constitue l’extrémité inférieure de l’homme, sa partie la plus basse. Yaakov saisit donc la »fin » de son frère en levant la main. Le fait d’élever la main, la place au sommet, plus haut encore que la tête. Cela symbolise le fait que l’extrémité supérieure de Yaakov est maintenant dominée par autre chose. En appliquant cela au nom initial des deux protagonistes, il s’avère que la fin de « עשוי assouï » n’est autre que la lettre « י youd » que Yaakov place au sommet de son nom initial. De sorte, « עשוי assouï » devient « עשו Essav », et « עקב ‘ékev – le talon » se transforme en « יעקב Yaakov ».
Cette affectation des lettres, caractérise le début de la guerre qui oppose Essav et Yaakov. Toutefois, le ‘Hida ajoute que plus tard, Yaakov agrandira encore son nom, en privant une fois de plus Essav d’une lettre, il s’agira justement du « ו vav ». Pourquoi devrait-il le priver à nouveau d’une lettre ? Pourquoi celle-ci précisément ?
La réponse se trouve dans un commentaire de Rachi (chémot, chapitre 17, verset 16), concernant l’attaque surprise d’Amalek contre les bné-Israël à la sortie d’Égypte. L’intervention de ce peuple à ce moment de l’histoire est si grave, qu’Hachem affirme une chose extrêmement dur à concevoir : Son nom, ainsi que Son trône, ne seront plus complets, tant que ce peuple existera ! Comme le note Rachi sur les mots « ׁכִׁי-יָד עַל-כֵׁס יָה Car il y a une main sur le trône de Dieu », les mots « כֵׁס, trône »,et « יָה Dieu », sont incomplets. Intégralement, il aurait fallu écrire כסא et יהוה. La suppression de ses lettres, témoignent d’une « scission » dans les sphères célestes. Il apparaît donc que l’attaque physique de ce peuple, a provoqué une conséquence métaphysique extrêmement grave.
‘Amalek est l’apogée de la descendance d’Essav, il constitue la concentration absolue du mal. À ce titre, il s’oppose naturellement au peuple hébreu qui est détenteur de la vérité divine. La présence du peuple d’Amalek a pour conséquence la »perte » de la moitié du nom d’Hachem : les lettres « ו vav » et « ה hé » disparaissent. Cela explique peut-être pourquoi, à cinq reprises, Yaakov va se présenter avec un « ו vav » inscrit dans son nom comme nous allons le voir.
Les propos de Rachi ciblait Éliyahou comme dépositaire de cette lettre. Le ‘Hida cite un Yalkout Réouvéni, qui détaille l’origine d’Éliyahou et la fait remonter à la décision d’Hachem de créer l’homme. Comme chacun le sait, il y a eu une polémique dans le ciel quant à savoir s’il fallait ou pas faire apparaître la race humaine dans le monde. Certains anges s’y opposaient et d’autres ont accepté cette idée. Parmi eux se trouvait l’ange Éliyahou ! Lorsqu’Hachem suggère la création d’Adam, Éliyahou lui répond : « Si c’est bien à Tes yeux, ne serait-ce pas à fortiori bon aux miens ? » Éliyahou s’accorde tellement avec le projet, qu’il demande au Créateur le droit de pouvoir descendre sur terre afin d’accompagner les humains et les aider ! Après un certain temps, il obtient le droit de descendre et se charge de convaincre le monde de croire en Hachem. En remontant dans le ciel, Hachem lui dit : « Tu seras le garant éternel de mes enfants » ! Yaakov sachant le rôle qu’Hachem avait attribué à Éliyahou, le charge d’annoncer la délivrance de ses enfants.
Bien qu’ayant compris l’origine d’Éliyhaou, nous ne saisissons toujours pas la raison de ce gage que représente la lettre « ו vav ». Pourquoi Yaakov s’en saisit ?
La réponse se trouve peut-être dans la mission d’Éliyahou. Il est celui qui s’est distingué en apportant la connaissance d’Hachem aux hommes, il inculque la foie, la confiance en Hakadoch Baroukh Hou. À ce titre, il s’oppose frontalement à la notion que représente ‘Amalek qui incarne le doute, l’absence de conscience du divin et le refus de s’y soumettre. En somme, l’essence d’Éliyahou repousse l’existence d’Amalek, et réciproquement, la manifestation de ce peuple est l’antithèse du travail d’Éliyahou.
À ce titre, nous pouvons comprendre le gage que Yaakov saisit. Le verset qui comporte la lettre « ו vav » dans le nom de Yaakov, parle du moment où Hachem se souviendra de Son peuple pour le délivrer, c’est-à-dire l’époque messianique qu’Éliyahou est chargé d’annoncer. À cinq reprise, le « ו vav » figure chez Yaakov et, est absent de chez Éliyahou. La lettre « ה hé » est celle qui a pour valeur numérique cinq. Par cela, Yaakov insinue que les deux lettres manquantes du nom d’Hachem, le « ו vav » et le « ה hé », sont la clef pour la destruction d’Amalek. Une fois cette bataille menée, alors Essav sera privé de toutes ses forces, et enfin, comme l’annonçait le ‘Hida, la lettre « ו vav » se détachera de son nom. Cette lettre n’est pas un gage que Yaakov garde pour s’assurer de la libération de ses enfants. Il s’agit plutôt de comprendre que, tant que la délivrance n’a pas lieu, alors cette lettre appartient encore à Essav et ne sera pas attribuée à Éliyahou, car Yaakov ne l’aura pas encore en sa possession.
Ce développement nous fourni une explication sur la raison de mentionner la terre dans ce verset. Dans le premier chapitre de Béréchit, la torah relate la création des végétaux (cf versets 11 et 12). Lors de ce récit, Rachi évoque la désobéissance de la terre face à l’ordre du Maître du monde. La lecture des versets nous montre qu’Hachem a demandé des arbres fruitiers donnant des fruits. L’ordre est donc de créer un arbre qui a lui-même le goût du fruit qu’il produit. Cependant, la terre n’a pas fait ainsi ; elle a fait pousser des arbres produisant des fruits, mais n’ayant pas eux-mêmes le goût du fruit. C’est pourquoi, par la suite lorsque l’homme fautera, la terre aussi sera punie de cette désobéissance et sera donc maudite.
Ce commentaire intrigue. Chacun sait que le seul être disposant du libre-arbitre est l’homme. Il est donc le seul pouvant s’opposer à la volonté d’Hachem (has véchalom). La terre, elle, relève de l’inerte et n’a pas de volonté propre. Il est parfaitement inconcevable qu’elle puisse refuser d’appliquer les commandements du créateur. Il ne relève donc pas de sa possibilité de créer autre chose que ce qu’Hakadoch Baroukh Hou lui demande. Dès lors comment comprendre que dans les faits, et surtout au vu du commentaire de Rachi, la terre ait pu désobéir ?
Dans les faits, la terre n’a pas désobéit à Hachem. Cela est tout simplement impossible. Seulement, au deuxième jour de la création, nos sages enseignent qu’Hachem procède à la création des anges et parmi eux de l’ange du mal. Le mal correspond à l’imperfection et de facto, son champs d’action serait inexistant dans un monde dépourvu de faille. Un monde parfait empêcherait l’existence du mal et du libre-arbitre qu’il incarne. De fait, l’apparition de cet ange se manifeste immédiatement pas une conséquence directe sur la nature : l’imperfection entre en scène. La terre parfaite devrait avoir des arbres avec un goût, seulement, la terre qui côtoie le mal se limite au fruit ! Cette faille, cette imperfection constitue la marge de manœuvre du mal, la place dans laquelle il se manifeste.
Essav et sa descendance, sont l’incarnation du mal et à ce titre, leur suppression aboutirait à la suppression du toute essence négative. En ces jours, le défaut de la terre se résorbera pour disparaître et Hachem se souviendra d’elle pour lui accorder le complément qui lui manque encore : les arbres eux-mêmes auront du goût !
Yéhi ratsone que ces temps messianiques, où le mal n’aura plus sa place et la perfection sera de ce monde, deviennent rapidement la réalité dont nous rêvons tous, amen véamen.
Chabbat chalom.