Dans le jardin de la famille Lévy pousse un joli fraisier. Yehoudith-Fraisette l’habite avec ses sœurs. Yehoudith-Fraisette a des rêves de fraise. Savez-vous quel est le rêve de fraise de notre amie ? Elle rêve d’être mangée, en l’honneur de la reine chabbath, sur la célèbre tarte de Madame Lévy !
– Voyons, Yehoudith-Fraisette, ne rêve pas, tu es trop petite, et pas assez rouge pour être sélectionnée pour la tarte de chabbath, lance Léa-Fraise Rouge.
– Tu peux lui dire la vérité, elle n’est tout simplement pas assez jolie pour faire honneur à la Reine. Moi par contre, je suis sûre que je serai au milieu du Gâteau, ne suis-je pas la plus belle ? s’exclame Fraisounette-Malka !
– C’est vrai que tu es la plus belle de nous toutes, mais ce n’est pas parce que je ne suis pas aussi rouge, grosse et luisante que toi que je n’aurai pas le mérite de faire aussi honneur à notre Reine. Parce que D.ieu, lui, il sait bien que la grosse feuille verte qui me couvre, a empêché les rayons du soleil de me faire rougir, dit tristement Yehoudith-Fraisette.
– Feuille ou pas feuille, tu n’es pas belle, et les enfants de la maison ne te choisiront certainement pas !
– Oh Fraisounette-Malka ! Ce n’est pas gentil de parler ainsi à ta sœur ! gronde Fraise-la-grande.
– Qu’est ce que j’ai dit de mal ? Je n’ai dit que la vérité !
Yehoudith-Fraisette se met à pleurer.
– Peut-être serviras-tu à la fabrication de la confiture ! Ou seras-tu mangée par un enfant, je suis certaine que tu dois être la plus sucrée de nous toutes. Grâce à toi, il fera une
Beraha ! console Léa-Fraise Rouge.
– Pfff…Quel enfant la choisirait… Elle n’est pas du tout appétissante, chuchote Fraisounette-Malka.
Le cœur de fraise de Yehoudith-Fraisette pleure des larmes de fraises. Elle a un gros chagrin. Pas à cause de la méchanceté de sa sœur, Fraise-Malka, non elle l’a connaît trop bien ! Elle la plaint, parfois … lorsqu’elle pense qu’elle ne sait pas être gentille… Non elle pleure parce qu’elle sait que ses sœurs ont raison. Elle sait qu’elle a bien peu de chance de voir se réaliser son rêve le plus cher, puisqu’elle ne deviendra jamais la plus belle fraise du fraisier !
Qu’auriez vous fait, à sa place, les enfants ?
Yehoudit-Fraisette, elle, se met à prier de fraise. Une prière qui monte lentement vers le monde d’en haut… Une prière qui demande à Hachem de l’aider à faire honneur à la reine bien qu’elle soit toute jeune et toute petite.
Maman se dépêche de finir la préparation de chabbath. La Reine arrive dans quelques heures. Madame Lévy court de droite et de gauche dans sa cuisine. Soulève le couvercle de sa casserole, vérifie la cuisson du poisson, soulève le couvercle de la seconde marmite, ouvre le four où roussit un magnifique poulet.
– Tsipora, appelle maman, veux-tu aller cueillir avec ton frère et ta sœur des fraises pour la tarte ?
– Pour la confiture aussi ? demande Tsipora toute joyeuse !
– Pour la confiture ? Oui, pourquoi pas, j’ai du temps cet après-midi. Prenez alors deux paniers. Vous mettrez les plus belles dans l’un, pour la tarte, et les secondes dans l’autre.
– David, Bat-cheva, venez avec moi, on va cueillir les fraises !Du haut des escaliers on entend un :
– Youpiii… !!!
Deux petits enfants déboulent alors à toute allure portant chacun un petit panier d’osier à son bras. Tous les trois partent dans le jardin, les paniers à la main. Pendant plus d’une heure, ils cueillent les fruits. Après leur départ, le fraisier est vide.Il ne reste que quelques feuilles, et deux ou trois fraisions, pas encore mûrs. Toutes les fraises sont dans les paniers. Toutes ? Non : une reste encore : Yehoudith-Fraisette, qui a été à son grand désespoir, oubliée derrière sa grosse feuille.
– Mes sœurs sont parties pour la grande fête de la reine chabbath, et moi je reste seule, je vais bientôt me gâter et je n’aurai servi à rien. Ni pour la tarte, ni pour la confiture, ni même pour un oiseau… pense-t-elle tristement. Fraisounette-Malka avait raison, qui pourrait bien s’intéresser à moi !… Mai non, je ne dois pas être triste, parce que l’important est que la Reine chabbath soit reçue avec les honneurs d’une grande reine, de la plus grande des Reines.
Elle soupire comme une fraise peut soupirer, et essaie de chanter une chanson de fraise, en accord avec le souffle du vent. Elle attend patiemment et un peu tristement l’arrivée de chabbath.
Pendant ce temps, dans la maison des Lévy, une magnifique tarte, posée sur le rebord de la fenêtre, refroidit lentement. Au milieu, Fraisounette-Malka, élue « la plus belle fraise du fraisier » par Madame Lévy elle même, trône, rouge de bonheur, mais aussi gonflée d’orgueil.
– Je vous l’avais bien dit….glousse-t-elle, et Yehoudith-Fraisette qui espérait….
– Tu es belle, c’est vrai, je me demande si tu n’es pas acide comme un citron ! Et dans ce cas, tu n’aurais aucune raison d’être à la place où tu te trouves, car le plus important, c’est encore d’avoir bon goût, lui rétorque Fraise-la-Grande, agacée par le mépris de sa sœur.
– Chut, voilà le petit bébé de la maison…En effet, voici qu’apparaît dans la cuisine le petit Benjamin, âgé de deux ans. Il est tout seul, et prêt à toutes les bêtises. Les mets de Chabbath sentent le danger, car ils savent tous que Benjamin adore le poulet, le couscous, les halottes, et aussi les tartes aux fraises…Le petit garçon tourne la tête à droite, personne… Il tourne la tête à gauche, toujours personne… Il prend son petit tabouret bleu, monte dessus, et atteint à son grand bonheur le haut de la fenêtre, et donc la tarte. Il y plonge sa main dodue de bambinet …
– Non, non, vilain gamin, arrête, ne me mange pas, ce n’est pas encore chabbath… Tu ne vas pas me croquer ainsi, sans même une Beraha, tu…
Mais Benjamin ne l’entend pas, l’engouffre dans sa bouche et l’avale d’une traite. Il grimace un peu. La fraise n’a pas bon goût. Il s’apprête à en prendre une autre, lorsque Maman arrive:
– Oh non Ben, … ! La tarte n’est pas pour maintenant- Oh Ben, tu ne me l’as pas abîmée. La reine chabbath va avoir du chagrin…. Oh ! Et je n’ai plus d’autre fraise pour remplacer celle que tu as mangée…
– Tsipora ! appelle-t-elle.
– Oui maman !
– Tsipora, ma chérie, peux tu aller me chercher une autre fraise, Ben a abîmé la tarte.- Mais maman, nous les avons toutes prises, tout à l’heure !
– Peut-être en avez-vous oubliées une ou deux !
– D’accord maman, j’y cours.Tsipora retourne au fraisier sans trop d’espoir.
– On a tout pris, pense-t-elle, j’en suis presque sûre.Elle fouille la plante. Et, et…, savez vous ce qu’elle découvre à sa grande joie ? Mais oui, vous l’avez deviné ! Notre petite amie découvre Yehoudith-Fraisette !
– Elle n’est pas bien grosse, mais je pense qu’elle fera l’affaire de maman.
Yehoudith-Fraisette, dans la main de la fillette, rit comme une gentille fraise joyeuse, comme une gentille fraise heureuse du fantastique cadeau qu’on vient de lui faire.
– Tiens maman, c’est tout ce que j’ai pu trouver, elle n’est pas aussi belle que l’autre, mais elle a le mérite d’être entière.
– Tu as raison, ma chérie. Voyons, comment puis-je arranger cette tarte ? Mmm… Elle est bien petite…Peut-être qu’avec une tranche de Kiwi.
– Oh, super idée, maman !Yehoudith-Fraisette n’en croit pas ses oreilles de fraise. Elle va faire partie de la fameuse tarte chabbathique.Madame Lévy la dépose sur le lit délicat que forme la tranche de kiwi.
– C’est très beau maman, mieux qu’avant ! remarque Tsipora.
– Oui, oui, ce n’est pas mal, répond modestement maman.Le jaune de cette petite fraise s’accorde parfaitement avec le vert du kiwi.
Sur la tarte, Yehoudith-Fraisette cherche ses sœurs. Elles sont toutes là, et elles l’accueillent gaiement:
– Te voici finalement parmi nous… On a eu de peine de te savoir oubliée ainsi.- Ton rêve se réalise, cela te fait plaisir ?
– Oui, naturellement que cela me fait plaisir. Mais je ne vois pas Fraisounette-Malka ! A-t-elle été choisie pour un autre gâteau ?
– Non ? Tu la remplaces.
– Je la remplace, mais comment cela ?
– Oui, elle a été mangée par Ben !
– Et c’est sans Beraha qu’elle est entrée dans sa bouche ! Sa fameuse beauté l’a finalement perdue !
Le soir à table, à la fin du repas, après le birkat hamazone, les enfants réclament :
– La tarte, la tarte, nous voulons la tarte !
Maman l’apporte en souriant, car elle sait que pour ses enfants, et aussi pour leur papa, la tarte est le meilleur moment du repas de chabbath. Et c’est peut-être pour cette joie qu’Hachem a créé les fraises !
Yehoudith-Fraisette, assise sur la tranche de kiwi, se sent complètement enveloppée par le voile de la reine chabbath. Voile transparent, et si fin qu’il est invisible aux yeux du cœur.
Chalom les enfants. Et vous aussi, pensez à la Reine, au moment du dessert du chabbath !
Conte de Carole Rotnemer