Parashat Vaykra (5776)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
PARACHAT VAYIKRA
Le troisième livre de la torah commence par les règles concernant les offrandes que les bné-Israël étaient sensés apporter au michkan pour expier les fautes qu’ils auraient commises. Ainsi la torah décrit les parties précises de l’animal, qui devront être brûlées dans chaque sacrifice, la manière précise de recueillir le sang de la bête, la manière d’en asperger l’autel, le lieu du sacrifice, et l’attribution des restes de l’animal ou de l’aliment offert entre le propriétaire du sacrifice et les cohanim qui s’occupent de l’office, ainsi que tous les détails annexes à chaque type de sacrifice. Ainsi, la torah traite du sacrifice ola (holocauste) devant être offert lorsque la personne transgresse une faute pour laquelle la torah ne mentionne pas de punition, ou qu’elle n’a pas accompli un commandement positif. Une personne peut également offrir ce type de sacrifice lorsqu’elle a pensé à faire une faute sans l’accomplir concrètement ou si elle souhaite se rapprocher d’Hachem. Vient ensuite le sacrifice minha (oblation) qui est purement volontaire. Après cela, la torah traite du sacrifice chélamim (offrande de paix) qui témoigne de notre amour pour Hachem. Suite à cela, la torah parle du sacrifice hatat qui permet la réparation des fautes commises involontairement. Et enfin le sacrifice acham (expiatoire). La paracha conclut en énumérant les fautes qui entraînent l’obligation pour une personne d’apporter ces sacrifices.
Dans le chapitre 1 de Vayikra, la torah dit :
א/ וַיִּקְרָא, אֶל-מֹשֶׁה; וַיְדַבֵּר יְהוָה אֵלָיו, מֵאֹהֶל מוֹעֵד לֵאמֹר׃
1/ Il appela Moshé et Hachem lui parla depuis la tente d’assignation en disant.
ב/ דַּבֵּר אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, וְאָמַרְתָּ אֲלֵהֶם, אָדָם כִּי-יַקְרִיב מִכֶּם קָרְבָּן, לַיהוָה–מִן-הַבְּהֵמָה, מִן-הַבָּקָר וּמִן-הַצֹּאן, תַּקְרִיבוּ, אֶת-קָרְבַּנְכֶם׃
2/ Parle aux bné-Israël et tu leur diras : « Si un homme d’entre vous veut apporter un sacrifice pour Hachem, de parmi le bétail, du gros bétail ou du petit bétail, vous apporterez votre offrande ».
Comme chacun le sait, la lettre « א » (aleph) du premier mot de notre verset est en petit format dans tous les sifré torah. Sur cela, le Baal Hatourim écrit : « Le « א » (aleph) de Vayikra est petit car Moshé qui était grand et modeste ne voulait écrire que le mot « וַיִּקָר Il apparut » (qui, comme nous le souligne Rachi est un langage »hasardeux » et non honorifique), comme c’est le cas pour Bilaam, afin de sous-entendre qu’Hachem ne lui est apparu que de façon accidentelle. Hachem lui a alors dit d’écrire quand-même la lettre « א » (aleph) que Moshé a finalement écrit en petit. »
En somme, il ressort que cette transformation résulte de la volonté de Moshé de ne pas être vu avec une grande importance, de cette modestie sans faille qui le caractérise. Mais, justement, en réfléchissant sur l’attitude de Moshé, il s’avère qu’elle conduise au résultat opposé! Si effectivement, Hachem n’avait pas explicitement demandé à Moshé d’écrire la lettre, alors le plan de Moshé aurait été bon. Toutefois, lorsqu’Hachem lui demande d’écrire le mot intégralement, si Moshé modifie la taille de la lettre cela pose problème. Car c’est justement en modifiant cette lettre que tous les commentateurs qui viendront après, seront amenés à se poser la question de savoir pourquoi cette lettre est miniature? Et c’est de cette manière qu’ils en aboutiront à dire que c’est parce que Moshé a agi avec modestie et qu’il a souhaité se rabaisser. Il apparaît donc que c’est parce que Moshé a modifié la lettre, que nous en avons appris qu’il avait fait preuve de modestie. Cela constitue l’antithèse de la modestie!! Si Moshé avait vraiment voulu être modeste, il lui aurait suffit de ne rien faire et d’écrire le mot comme Hachem le lui avait dicté, en ne changeant rien.
Plus encore, comment comprendre que Moshé ait fait le choix d’écrire cette lettre dans un format différent, et que par la suite le Maître du monde lui donne Son aval ? Cela signifierait que le texte tel que nous le connaissons n’est pas tel qu’Hachem avait prévu de le donner, ce qui est parfaitement impossible. Pourquoi alors, le Baal Hatourim nous explique-t-il que ce format est l’initiative de Moshé et non celle d’Hachem ?
Pour comprendre ce qui se passe ici, il faut remonter à la paracha précédente, lorsque Moshé achève le michkan. La torah atteste alors que la présence divine est venue se déposer sur ce dernier, sous la forme d’une nuée recouvrant la tente. En présence de cette dernière, Moshé ne pouvait entrer dans la tente et devait rester à l’extérieur. C’est suite à cela que notre paracha débute, et qu’Hachem appelle Moshé pour l’enjoindre à entrer. En réalité, le ‘Hizkouni explique au nom du Yérouchalmi, que Moshé a raisonné en comparaison avec le mont Sinaï au jour du don de la torah. En effet, la sainteté de la montagne n’était que momentanée, elle n’a duré que le temps nécessaire pour que Moshé reçoive la torah. Et déjà, dans ces conditions, Hachem a interdit à quiconque d’y pénétrer dans la nuée qui l’accompagnait, Moshé inclus. Ce n’est qu’au terme de sept jours qu’enfin, le Maître du monde appelle Moshé et l’invite à pénétrer dans la nuée. Dès lors, puisque la sainteté du michkan se veut éternelle et non momentanée, Moshé pouvait encore moins se permettre d’y entrer sans qu’Hachem ne le convoque. C’est pourquoi, notre paracha commence par cet appel d’Hachem vers Moshé. Ainsi le Maître du monde accorde à Moshé la permission de le rejoindre.
En somme, Hachem témoigne de Son affection envers Moshé puisqu’Il l’invite à entrer dans la tente, soulignant la capacité de ce dernier à pouvoir être en présence d’Hachem. Il convient de fait d’employer un langage élogieux et affectueux, d’où la nécessité d’écrire « וַיִּקְרָא il appela » qui remplit parfaitement ce rôle. C’est cette appellation qui dérange tant Moshé et qui le pousse à vouloir brider le langage initial employé par Hachem, pour qu’il ne connote plus la grandeur de Moshé. Ce qui nous amène de nouveau à notre question, pourquoi écrire la lettre en petit ?
Pour comprendre, il faut s’arrêter sur le commentaire du Birkat Yitshak (de rav Yitshak horovits) qui remarque qu’Hachem n’est pas mentionné en tant qu’intervenant dans notre verset. Bien évidemment, nous comprenons qu’Il s’agit du Maître du monde, toutefois de façon surprenante, Son nom ne figure pas dans le texte. Le Birkat Yitshak répond en s’appuyant sur ce qui est écrit dans le talmud (traité méguila, page 31a) : « Rabbi Yo’hanan dit : partout où tu trouves la grandeur d’Hakadoch Baroukh Hou, tu trouves aussi Son humilité. » Sur cela, il explique qu’à juste titre, le « א » (aleph) renvoie à Dieu et pour plusieurs raisons. Non seulement, Hachem est appelé »אלופו של עולם » qui littéralement signifie le « général du monde » dans le sens où Il le dirige. Mais plus encore, dans tous les compartiments de cette lettre, se trouve un rapport avec Hachem. En premier lieu, sa valeur numérique, le un, qui fait référence à l’unité de Dieu. Plus encore, la manière d’écrire le « א » (aleph) qui consiste en un »י youd » à l’endroit et un autre à l’envers reliés par un »ו vav » transversal. La somme des trois donne le nombre 26, qui correspond bien à Hachem.
Peut-être pouvons-nous alors trouver ici la raison pour laquelle Moshé accepte finalement d’écrire la lettre en format réduit. Car ainsi, il insiste sur cette dernière nous poussant à la considérer comme un mot à part entière. Le verset se voit alors transformé et devient : « וַיִּקָר »א » אֶל-מֹשֶׁה et »א » représentant Hachem, est apparu devant Moshé ». Et ceci convient parfaitement à Moshé car ainsi, le mot employé n’est plus « וַיִּקְרָא il appela » qui représente un langage noble, mais bien »וַיִּקָר apparu » qui est un langage plus méprisant, comme il le souhaitait.
Ceci nous amène toutefois à une autre question. Pourquoi spécifiquement maintenant, Hachem cherche à insister sur l’humilité, ce n’est pourtant pas la première fois dans la torah, que le mot « וַיִּקְרָא il appela » apparaît ? Et pourtant, pour les précédentes, aucun changement n’est constaté ?
Il s’avère en fait, que le moment est particulier, il s’agit de la fin de la construction du michkan. Mais pour comprendre cela, il convient de se référer à la création du monde elle-même. Pour pouvoir créer le monde, il convient de créer un espace dans lequel ce dernier puisse exister. Cependant, le Maître du monde étant infini, Il occupe de facto un espace infini, ne laissant de place pour rien d’autre que Lui. C’est pourquoi, nos sages expliquent que la première action du Maître du monde a été le « tsimtsoum » qui consiste en un »rétrécissement » de Son infinité. Dieu crée un espace pour autre chose que Lui. Comme nous le savons, le michkan est un microcosme : après que Dieu ait créé le monde pour l’homme, c’est à l’homme de créer un environnement chargé d’accueillir la présence d’Hachem. En ce sens, au moment où Hachem s’adresse à Moshé dans notre paracha, nous revivons une création miniature du monde. Or, de même que Dieu a contracté Sa présence pour que l’homme puisse exister, de même convient-il que la présence d’Hachem dans un monde terrestre se manifeste par la place que l’homme lui accordera. En clair, Dieu ne résidera sur terre qu’à condition que nous retirions notre présence, que nous Lui laissions à notre tour, une place.
C’est pourquoi, ici spécialement et pas ailleurs, le Maître du monde insiste et souligne l’humilité. Par cela Il transmet aux hommes le secret pour que leur entreprise réussisse. À ce titre, Dieu réduit Son intervention à sa plus petite composante, le »א », Son nom ne figure même pas dans le texte.
Cela nous ramène alors à notre seconde question. Au vu de ce que nous venons d’expliquer, il semble que l’écriture de cette lettre soit bien la volonté initiale d’Hachem. Pourquoi alors, n’est-elle sous ce format que suite à l’intervention de Moshé ?
Moshé s’avère justement être celui qui a terminé l’oeuvre du michkan ! Pour que cette dernière puisse être couronnée de succès, pour qu’elle puisse être à l’image de la création du monde, il fallait tester l’humilité de Moshé, prouver que ce dernier avait parfaitement atteint le niveau requis pour être lui aussi un »créateur ». C’est pourquoi Hachem dicte le texte à Moshé de façon normale, et attend que Moshé soit dérangé, au point de le pousser à l’écrire en petit, connotant ainsi un langage négatif ! Moshé écrit donc : « וַיִּקָר »א » אֶל-מֹשֶׁה et »א » représentant Hachem, est apparu devant Moshé » afin que l’appellation qui le concerne soit la même que celle qui concerne Bilaam, car il ne se considère pas plus que ce racha, apte à recevoir la parole divine. Et c’est justement à ce moment de la vie de Moshé que le choix est le plus judicieux pour insister sur l’humilité. Car jusque là, Moshé ne sentait sans doute pas de gêne chaque fois qu’Hachem l’appelait, sinon c’est à chaque discours d’Hachem qu’il aurait dû chercher à changer le texte. C’est seulement au moment, où Moshé a reçu la torah, qu’il a construit le michkan, qu’il atteint la paroxysme de cette notion d’humilité.
La torah a d’ailleurs été la première étape qui a permis Moshé d’exprimer tant de modestie, et la construction du michkan la seconde. En effet, Rav ‘Haïm de Volozhin (dans son livre Roua’h ‘Haïm) remarque que la formulation de nos sages dans pirké avot : « משה קיבל תורה מסיני Moshé a reçu la torah au mont Sinaï. » est littéralement fausse, car il aurait fallu écrire « בסיני » et non » מסיני « . Telle quelle la phrase signifie « Moshé a reçu la torah depuis le Sinaï ». Ceci vient connoter la raison pour laquelle Moshé a pu recevoir la torah. Car il a appris du mont Sinaï l’importance de la modestie pour l’accueil la torah. C’est en effet la plus petite montagne qui a été le siège du dévoilement divin. C’est donc l’homme qui ne se grandit pas par rapport aux autres qui était digne de transmettre cette torah.
Et enfin, c’est lorsque de lui-même, Moshé ne se juge pas apte à entrer dans le michkan qu’il scelle une dimension totale d’humilité, il s’efface totalement. Car, lors du don de la torah, Hachem avait explicitement interdit de pénétrer dans la nuée. Toutefois, Il n’a rien dit en ce qui concerne le michkan, c’est Moshé qui a réalisé cela tout seul, affirmant ne pas mériter tant d’honneur !
Ce développement nous montre finalement le secret de la grandeur de Moshé. Pour nous permettre d’exister Dieu nous a laissés de la place. De même, pour qu’Il soit présent dans nos cœurs, il convient que nous Lui laissions de la place. Plus la place sera grande, plus Sa présence sera marquée. Moshé qui est parvenu à s’effacer totalement devant Son Maître est décrit par la torah comme le plus grand homme de l’histoire. Notre paracha qui traite des offrandes pour les personnes qui cherchent à se repentir est donc toute désignée pour ce message. Celui qui cherche à faire téchouva et à s’approcher d’Hachem, doit au préalable concevoir que l’égo n’est pas compatible avec la présence divine. C’est en supprimant toute arrogance et en annulant notre importance que nous pourrons laisser Hachem nous inonder de Sa lumière.
Chabbat chalom.