PARACHAT Vayaqhel (5776)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
PARACHAT VAYAKEL
La paracha vayakel relate la création concrète du michkan. Effectivement, jusqu’ici nous ne parlions que de la description qu’Hachem faisait à Moshé des plans de fabrication. Mais, une fois le peuple pardonné de la faute du veau d’or, Moshé peut maintenant leur dévoiler les requêtes d’Hakadoch Baroukh Hou pour la création de sa demeure. Comme Hachem le lui a demandé, Moshé nomme Betsalel et Aholiav pour la supervision de l’ensemble des travaux. Ainsi, après les avoir entendus d’Hachem, Moshé, à son tour, réunit le peuple et lui explique ce qu’il a appris et lui demande d’apporter les offrandes qui fourniront les matériaux de fabrication. Devant cette demande, la réaction des bné-Israël fut d’une telle ampleur, que Moshé dut lui-même demander de cesser les apports car la quantité de matériaux nécessaires pour l’ensemble des travaux était plus que dépassée.
Dans le chapitre 35 de Chémot, la torah dit :
:א/ וַיַּקְהֵל מֹשֶׁה, אֶת-כָּל-עֲדַת בְּנֵי יִשְׂרָאֵל–וַיֹּאמֶר אֲלֵהֶם: אֵלֶּה, הַדְּבָרִים, אֲשֶׁר-צִוָּה יְהוָה, לַעֲשֹׂת אֹתָם
1/ Moshé convoqua toute la communauté des bné-Israël et leur dit: « Voici les choses qu’Hachem a ordonné d’observer.
:ב/ שֵׁשֶׁת יָמִים, תֵּעָשֶׂה מְלָאכָה, וּבַיּוֹם הַשְּׁבִיעִי יִהְיֶה לָכֶם קֹדֶשׁ שַׁבַּת שַׁבָּתוֹן, לַיהוָה; כָּל-הָעֹשֶׂה בוֹ מְלָאכָה, יוּמָת
2/ Pendant six jours on travaillera, mais au septième vous aurez une solennité sainte, un chômage absolu en l’honneur d’Hachem; quiconque travaillera en ce jour sera mis à mort.
:ג/ לֹא-תְבַעֲרוּ אֵשׁ, בְּכֹל מֹשְׁבֹתֵיכֶם, בְּיוֹם, הַשַּׁבָּת
3/ Vous ne ferez point de feu dans aucune de vos demeures en ce jour de repos. »
Les premiers versets de notre paracha reviennent sur le respect du chabbat, en rappelant un de ses interdits, celui d’allumer du feu. Comme chacun le sait, les interdits du chabbat sont au nombre de trente-neuf, d’où la fameuse question sur ce passage : pourquoi ne rappeler que cet interdit et pas un autre ?
Plus encore, les lois de chabbat ne sont pas inédites à ce niveau de la torah. Déjà, la torah enseigne le respect du chabbat, ne serait-ce que dans les dix commandements, pourquoi alors réitérer cette injonction ?
Tentons de comprendre ce que cache réellement ce passage de la torah.
Il est écrit dans la guémara (traité Pessa’him, page 54a) : « Rabbi Yossé a dit: Il y a deux choses qu’Hachem a eu l’intention de créer la veille du (premier) chabbat mais qu’Il n’a créé qu’à la sortie de chabbat. En effet, à la sortie du chabbat, Il a donné à l’homme une compréhension ressemblante à celle du ciel, et ce dernier a pris deux pierres qu’il a choquées l’une sur l’autre, afin de faire sortir la lumière. De même, il a pris deux bêtes qu’il a unies pour créer le mulet. »
Ceci est la suite logique de ce que nos sages enseignent dans le traité avoda zara (page 8a): « Au jour de la création d’Adam Harichone, lorsque le soleil s’est couché, il a dit: « malheur à moi! À cause de ma transgression, le monde s’obscurcit pour moi et retourne au néant! Ceci constitue la mort dont j’ai été condamné par le ciel! » Il est resté assis en jeûnant et en pleurant toute la nuit et ´Hava pleurait contre lui. Lorsqu’est arrivé le lever du soleil il a déclaré: « tel est le fonctionnement du monde! » »
Le midrach téhilim (sur le téhilim 92) explique que le vendredi où Adam a été créé, le soleil ne s’est pas couché à l’entrée du chabbat. Ce n’est qu’à la sortie de chabbat que cela s’est produit pour la première fois aux yeux d’Adam. Voyant que ce phénomène ne s’était pas produit la veille, Adam pensait qu’il s’agissait de la conséquence de sa faute. Se trouvant maintenant dans le noir, il a cherché le moyen de s’éclairer, d’où l’inspiration qu’Hachem lui insuffle pour obtenir de la lumière au travers du feu.
Sur cette base, le Imré Émet (likoutim, chabbat 70) dit que nous aurions pu penser que le feu, n’étant pas apparu dans les sept jours de la création, ne consiste pas en un acte créateur, et de ce fait, est permis le chabbat. C’est pourquoi la torah stipule explicitement qu’il est prohibé, bien qu’étant apparu plus tardivement que le reste des travaux créateurs interdits le chabbat.
Tentons d’approfondir. Pourquoi le feu est-il apparu au lendemain du chabbat ? Pourquoi est-ce l’homme et non Dieu qui le fait apparaître ? Que signifie l’enseignement de Rabbi Yossé comme quoi, Hachem avait l’intention de le créer avant chabbat mais a finalement repoussé cela au lendemain ?
Le Maharal de Prague (Béér Hagola, béér chéni, page 37) explique le sens de ce que nos sages ont dit lorsqu’ils expliquent qu’Hachem avait l’intention de créer cette lumière la veille de chabbat pour ne finalement la créer que le lendemain. En réalité, cette création devait être celle de l’homme en tant qu’achèvement de l’oeuvre d’Hachem. Ainsi, Hachem a placé dans le monde la force requise pour que le feu puisse apparaître, et c’est ensuite l’homme qui s’est chargé de concrétiser le projet en faisant apparaître le feu.
Ce commentaire nous amène à une interrogation évidente, celle du contexte dans lequel Adam fait apparaître le feu, à savoir après sa faute ! En somme, comme il l’a lui même pensé, l’obscurité semble être la conséquence de sa transgression et la lumière jaillissant du feu est le moyen de surmonter le noir.
Plus encore, il convient de définir ce qu’est la nuit, ou plus précisément quelle est sa nécessité. En effet, nos sages enseignent (talmud traité ‘houline, page 60b) qu’à l’origine, la lune et le soleil étaient de même ampleur. Seulement la lune s’est « plainte » auprès d’Hachem expliquant qu’il ne convenait pas que deux rois règnent en même temps. C’est pourquoi, le Maître du monde a rétréci la lune par rapport au soleil. En conséquence de cela, la capacité de la lune à éclairer le monde s’est amoindrie. Cependant, à la fin des temps, la torah atteste d’un retour à la normale (Yéchayahou, chapitre 30, verset 26) : « וְהָיָה אוֹר-הַלְּבָנָה, כְּאוֹר הַחַמָּה La lune, alors, brillera du même éclat que le soleil ». Ceci démontre bien une défaillance, un état inachevé. De même, la nuit est le moment où le corps humain se repose au travers du sommeil, et ce dernier est un soixantième du niveau de la mort. Il ressort donc que l’obscurité et le sommeil sont tous deux des conséquences de la faute d’Adam. Car, s’il n’avait pas fauté, le monde aurait atteint son état optimal et donc, la lune ne souffrirait plus de cette carence par rapport au soleil. Également, la mort ne serait pas apparue sans qu’Adam ne goûte du fruit, et de facto, dormir, et atteindre un état similaire à la mort, aurait été une notion étrangère au monde.
Ceci fait donc apparaître un contexte particulier pour la création du feu : il n’existe que parce qu’Adam a fauté ! Sans quoi, l’obscurité ne se serait pas présentée, rendant la création du feu inutile. D’où notre problème. Au sens du Maharal de Prague, la création du feu est un acte complémentaire à l’oeuvre de Dieu, il s’agit d’un acte d’amélioration, de perfectionnement. Comment concevoir que ce dernier soit la conséquence exclusive de la faute ?
Voici peut-être un élément de réponse. Le Sfat Émet (sur ‘Hanouccah, et sur Vayakel, année 654) cite l’enseignement suivant du Zohar : « Durant les jours de la semaine, il y a la lumière du feu, tandis que le chabbat, il y a la lumière de la lumière, c’est pourquoi, nous faisons la havdala sur le feu, afin d’unir la lumière de la lumière à la lumière du feu ». Sur cela, le Sfat Émet explique que le feu tel que nous le connaissons, est une lumière extraite de la matière. Il s’agit là du sens profond de tous les travaux interdits le chabbat, à savoir extraire une partie positive d’une négative. C’est cette distinction qui nous permet d’aboutir à la lumière. Cependant, la capacité d’éclairer est à différencier de celle de brûler. L’éclairage représente la lumière de la sainteté, tandis que le fait de brûler est le processus qui sépare le matériel du spirituel afin de faire apparaître la lumière. C’est pourquoi, ce procédé est interdit le chabbat, car il est dans le fond inutile. Le chabbat est le jour où nous devons être directement éclairé par la lumière sans passer par ce processus d’extraction.
De là nous pouvons comprendre l’explication du Maharal sous un autre angle. Dieu a placé dans le monde la possibilité de créer le feu, mais le monde est encore dans un état incertain. Tout va dépendre de l’attitude d’Adam, va-t-il fauter ou non ? Bien-sûr Hachem connaît le résultat à l’avance, cependant, il place les deux possibilités. Si Adam ne faute pas, le monde atteint la perfection, et le feu ne servira à rien, car l’univers sera éclairé en permanence. Par contre, si Adam faute, alors le monde sombre dans l’obscurité et il convient que la lumière puisse toutefois apparaître, mais cette fois dans un état différent. La conséquence de la faute d’Adam sera de le plonger dans un aspect matériel, de mélanger les forces du bien à celles du mal. À ce titre, la lumière se cache et il convient dorénavant de la faire sortir de la matière qui la retient prisonnière. Il s’agit de cette extraction dont nous parlions. Et en effet, il s’agit d’un achèvement de la création, car jusque là, la création ne nécessitait pas l’introduction du feu ! C’est juste au lendemain de la faute que cela se justifie. Et c’est ce que signifie l’enseignement du Imré Émet lorsqu’il dit que nous aurions pu penser que le feu est exclu des actes créateurs, ne faisant pas partie des sept premiers jours. Car, dans le projet divin idéal, jamais le feu n’aurait dû être justifié ! D’où la nécessité de ne le créer qu’après le chabbat.
À ce titre, nous comprenons pourquoi la torah vient répéter la règle du chabbat en insistant sur l’interdiction d’allumer du feu. Au jour du don de la torah, les bné-Israël avaient réparé la faute d’Adam et de ce fait, le monde allait entrer dans sa phase ultime. Dans une telle configuration, les ténèbres n’ont plus leur place et enfin le verset « וְהָיָה אוֹר-הַלְּבָנָה, כְּאוֹר הַחַמָּה La lune, alors, brillera du même éclat que le soleil » se serait réalisé. En clair, le feu n’aurait plus été d’aucune utilité. Toutefois, la faute du veau d’or empêche cette expression du monde pour le replonger dans la faute. De ce fait, la torah vient nous rappeler le chabbat, en appuyant sur l’interdit du feu afin de nous retirer de l’esprit une erreur possible. Puisque le don de la torah devait conduire à l’achèvement du monde, alors, le feu perdant son utilité, n’aurait plus été d’actualité, il n’aurait plus trouvé sa place dans les lois du chabbat. Maintenant que le veau d’or a brisé cette utopie, la loi du feu réintègre pleinement les lois du chabbat !
Cela met particulièrement en relief l’essence profonde du chabbat. Il s’agit du jour où le monde suit un mode de fonctionnement idéal. Certes, il est difficile de percevoir cet état des choses. Toutefois, comme l’a mentionné le Sfat Émet, le septième jour de la semaine est le jour où la lumière s’exprime sans passer par le feu, il s’agit d’une lumière à l’état brut, pleine de bénédictions. D’ailleurs, si nous avons exprimé le sommeil comme un soixantième de la mort, nos sages disent (traité bérakhot, page 57b) que le chabbat est un soixantième du monde futur ! En ce sens, si la faute d’Adam constitue une barrière à l’achèvement du monde, le chabbat est le résidu de perfection qu’Hachem a laissé dans ce monde pour nous permettre d’envisager le monde que nous devons atteindre. Dans un tel monde, le feu perd le sens de son existence et devient interdit. Cela signifie que durant ce jour si particulier, la connexion avec le Maître du monde est telle que nous vivons dans un état de perfection, sans aucun défaut inhérent à la faute d’Adam.
Yéhi ratsone que nous puissions parvenir à ressentir la puissance qui se révèle en ce jour !
Chabbat chalom.