Parachat Vayélekh 5776 – Yéhouda Moshé Charbit
Parachat Vayélekh
בס״ד
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PARACHAT VAYÉLÉkH
La parachat Vayélékh met en scène la passation de pouvoir de Moshé Rabbénou à Yéhochoua, son serviteur. Ainsi Moshé rappelle au peuple qu’arrivé à 120 ans, il ne pourra pas les faire traverser le Jourdain et les conduire en Israël. C’est pourquoi, une nouvelle fois Moshé encourage le peuple à la bravoure et à la confiance envers Hakadoch Baroukh Hou. De même, Moshé encourage Yéhochoua, son successeur et lui rappelle la promesse qu’Hachem ne l’abandonnera pas. La paracha se conclut par l’annonce faite par Hachem à Moshé, que plus tard le peuple s’égarerait du chemin de la Torah et que la colère divine s’abattrait sur ce dernier à ce moment. Suite à cela, Moshé achève l’écriture de la Torah qu’il confie aux Cohanim afin qu’ils la déposent avec l’arche.
Dans le chapitre 31 de Dévarim, la torah dit :
:א/ וַיֵּלֶךְ, מֹשֶׁה; וַיְדַבֵּר אֶת-הַדְּבָרִים הָאֵלֶּה, אֶל-כָּל-יִשְׂרָאֵל
1/ Moshé alla et adressa ces paroles à tout Israël.
:ב/ וַיֹּאמֶר אֲלֵהֶם, בֶּן-מֵאָה וְעֶשְׂרִים שָׁנָה אָנֹכִי הַיּוֹם–לֹא-אוּכַל עוֹד, לָצֵאת וְלָבוֹא; וַיהוָה אָמַר אֵלַי, לֹא תַעֲבֹר אֶת-הַיַּרְדֵּן הַזֶּה
2/ Il leur dit : C’est âgé de cent vingt ans que je suis aujourd’hui, je ne peux plus sortir et entrer et Hachem m’a dit : « tu ne traverseras pas ce Jourdain. »
ג/ יְהוָה אֱלֹהֶיךָ הוּא עֹבֵר לְפָנֶיךָ, הוּא-יַשְׁמִיד אֶת-הַגּוֹיִם הָאֵלֶּה מִלְּפָנֶיךָ–וִירִשְׁתָּם; יְהוֹשֻׁעַ, הוּא עֹבֵר לְפָנֶיךָ, כַּאֲשֶׁר, דִּבֶּר יְהוָה׃
3/ Hachem ton Dieu, Lui, Il traversera devant toi, Lui, Il exterminera ces peuples de devant toi et tu en prendras possession, Yéhochoua, lui, il traversera devant toi comme Hachem a dit.
Moshé annonce ici qu’il ne poursuivrait pas la route avec les bné-Israël, ne pouvant pas entrer en Israël. Cependant, le commentaire de nos sages sur le second verset que nous avons cité surprend. En effet, Rachi (entre autre) explique que « les sources de la sagesse et de la connaissance se sont fermées pour lui ». Ceci est extrêmement dur à admettre, car il s’agirait là d’une punition extrêmement grave pour Moshé, oublier la torah, qu’il a lui-même transmise au peuple, serait la pire humiliation pour cet homme d’exception. De même, nous ne pouvons pas comprendre cela comme faisant référence à son âge avancé dans la mesure où, non seulement la torah atteste qu’il avait conservé toute la fraîcheur de sa jeunesse, mais surtout, nous savons que les sages atteignent l’apogée de leur savoir avec la vieillesse ! Dès lors, que se passe t-il dans le cas de Moshé ? Que signifient les propos de nos maîtres ?
Pour tenter de comprendre, il nous faut analyser la mort de Moshé et appréhender le secret qu’elle recèle. En effet, comme chacun le sait, Hachem a pris soin de cacher le tombeau de Moshé et l’a enterré Lui-même, connotant ainsi une nécessité d’agir de la sorte. Qu’a de si spéciale la mort de Moshé pour que son sort soi différent de celui des tsadikim de l’histoire ?
Les conséquences de la faute du veau d’or semblent constituer une piste de réflexion. Nos sages expliquent qu’au moment du don de la torah, les bné-Israël sont parvenus à réparer la faute commise par Adam harichone et se sont affranchis de la mort. À ce titre, ils se sont hissés à un niveau spirituel extrême qui leur permettait de percer les secrets les plus profonds de la torah. Il existe cinquante niveaux de compréhension de la torah et la grandeur du peuple était telle, qu’il méritait un maître qui maîtrisait tous ces degrés de sagesse. Moshé a donc atteint la compréhension la plus poussée et la plus parfaite qui soit de la torah. Cependant, la faute du veau d’or a replongé le monde dans un état de faiblesse et Moshé a perdu cet accès si précis à la torah, retombant au quarante-neuvième portail de la connaissance. Il est intéressant de noter que Moshé subit de plein fouet l’erreur de ses congénères, alors qu’il n’a lui-même pas participer à la faute ! Nos sages éclaircissent cela en notant que la grandeur du maître est dépendante des mérites de sa génération. Toutefois, il convient quand-même de s’interroger sur le fait que Moshé soit puni pour une faute qu’il n’a pas commise. Certes, les mérites de la génération influent sur la puissance du maître, mais comment peuvent-ils être la conséquence d’une baisse de sainteté ? Car au sens le plus strict, il s’agit bien d’une punition pour Moshé, qui se voit privé de sa proximité avec Hachem !
Il convient dès lors de définir de façon plus précise le changement que la faute d’adam a engendré dans le monde. Comme chacun le sait, la transgression accomplie par le premier homme a fait apparaître la mort dans le monde, mais plus encore, elle a créé une distance entre l’homme et son expression spirituelle. Cette distance est marquée par l’apparition d’un corps qui maintient la perception de l’homme dans une dimension matérielle. Cette nouvelle frontière empêche évidemment l’adhésion totale à Hachem dans la mesure où elle provoque un blocage.
Ainsi, au moment du don de la torah, les bné-Israël ayant surmonté l’handicap du corps, peuvent s’exprimer de façon singulièrement différente. Moshé, leur maître entre dans une dimension d’adhésion totale et peut pénétrer toutes les profondeurs du savoir, car aucun écran ne stoppe sa progression. Cependant, la faute du veau d’or rétablit le monde dans sa bassesse et empêche l’existence d’une cohésion totale. De sorte, ce n’est pas tant Hachem qui punit Moshé en le faisant descendre de sa sainteté tout juste acquise, mais plutôt, que le monde entre dans un état où il ne peut tolérer cette proximité, la nature n’est plus en adéquation avec ce type de relation avec Hachem.
C’est justement là que se crée un paradoxe : d’un côté le monde ne peut tolérer la grandeur absolue que Moshé mérite, mais d’un autre côté, Moshé ne devrait pas en être privé car rien ne justifie cela. C’est pourquoi, Hachem va agir en conséquence.
La torah raconte que suite aux diverses supplications de Moshé, Hachem lui accorde le droit de pouvoir contempler la terre d’Israël. Rachi (dévarim, chapitre 3, verset, 27) explique qu’Hachem a octroyé la possibilité à Moshé de voir tout le pays. Cela sous-entend qu’il s’agit d’un « cadeau » qu’Hakadoch Baroukh Hou fait à Moshé. Il ne s’agit pas d’une vision prophétique, comme le note le Chem Michmouël (Sim’ha torah, année 678) il s’agit d’augmenter la capacité de Moshé à voir, lui permettant de contempler toute la surface d’Israël. Cela rappelle évidemment le fameux midrach qui enseigne qu’Adam avait la capacité de voir d’une extrémité à l’autre du monde. En somme, lorsqu’à la fin de sa vie, Moshé observe la terre sainte, il exprime une capacité que détenait Adam avant de fauter ! Il progresse encore d’un cran vers l’état de la perfection humaine.
À ce titre, le midrach rabba (dévarim, chapitre 9, alinéa 5), évoque la raison de sa mort, alors qu’il n’a transgressé aucune faute justifiant d’un tel châtiment. Hachem explique à Moshé que sa mort est la conséquence de la faute d’Adam Harichone. Sur cela, le ‘Ets Yossef commente que la faute a entraîné l’obligation de dissocier l’âme du corps, même pour celui qui n’a pas fauté. La liaison entre ces deux constituants qui s’opposent ne peut qu’être limitée et disparaît à terme. Le corps impose une limite, ce qui corrobore notre propos sur les conséquences de la faute. Cette limite, en plus de provoquer la mort est source d’un blocage de la perception humaine, qui ne peut plus atteindre la compréhension ultime inhérente au cinquantième niveau. C’est pourquoi, le seul moyen d’atteindre cet échelon est de supprimer le défaut que le corps génère.
Pour mieux comprendre cela, arrêtons-nous sur le cas d’Éliyahou Hanavi, dont la torah décrit l’ascension : il monte vivant dans le ciel ! Seulement, le Radak ( mala’him, tome 2, chapitre 2, verset 1) précise que pour permettre cette élévation, les habits et le corps d’Éliyahou ont été brûlés. C’est intrigant : la torah définit l’acquisition de l’immortalité d’Éliyahou par sa mort ?! C’est justement là que se trouve le secret. Le défaut du corps devait être supprimé pour qu’Éliyahou transcende son état d’homme rendant une liaison totale avec Hachem impossible. Les brûlures de sa chair constituent le moyen de supprimer l’impureté du corps ! Plus encore, cela renvoie au fameux commentaire de rabbi Méïr. Au lendemain de la faute d’Adam, la torah dit (Béréchit, chapitre 3, verset 21) :
:וַיַּעַשׂ יְהוָה אֱלֹהִים לְאָדָם וּלְאִשְׁתּוֹ, כָּתְנוֹת עוֹר—וַיַּלְבִּשֵׁם
Et Hachem fit à Adam et sa femme des tuniques de peau et les en vêtit.
Initialement, l’homme n’était vêtu que de lumière, dorénavant la peau cache cette lumière. En étudiant ce passage de la torah, rabbi Méïr avait l’habitude de lire « כָּתְנוֹת אוֹר tunique de lumière » au lieu de « כָּתְנוֹת עוֹר tunique de peau ». En clair, la peau est l’obstacle qui est apparu pour recouvrir le vrai corps d’Adam qui n’était que de lumière. Ainsi, ce qui se produit pour Éliyahou lorsque le Radak précise que sa peau brûle, ne constitue pas une mort, qui serait d’ailleurs très douloureuse. Il s’agit pour ce prophète de retourner au corps dans sa version initiale, celle débarrassée des traces de la faute ! De même Moshé (cf commentaire d’Abrabanel sur le sujet) mérite d’atteindre le cinquantième palier, mais se trouve bloqué par sa condition humaine. Dès lors, il faut qu’il se débarrasse de ce défaut. C’est là le message du midrach sus-mentionné : Moshé meurt à cause de la faute d’Adam, non pas en tant que punition mais plutôt en tant que nécessité car sa mort sera le pilier de sa progression ultime.
Cela amène à un commentaire extraordinaire du Chlah hakadoch (sur parachat vaét’hanan) qui explique le verset (dévarim, chapitre 34, verset 1) : « וַיַּעַל מֹשֶׁה מֵעַרְבֹת מוֹאָב, אֶל-הַר נְבוֹ Et Moshé est monté de la plaine de Moav vers la montage de Névo ». Le mot « נְבוֹ Névo », peut se décomposer en « נ-בוֹ », qui peut se traduire par « il est arrivé au cinquantième » (la valeur numérique de נ est 50). Plus encore, le mot « מוֹאָב Moav », a pour valeur numérique 49. Le verset témoigne donc que Moshé est monté du 49ème au 50ème niveau de compréhension de la torah ! Moshé n’est pas mort au sens où nous l’entendons, mais de façon totalement différente. D’ailleurs, nos sages précisent que sa mort ne lui est pas parvenue par le biais de l’ange de la mort comme c’est le cas pour le commun des mortels. Il est mort pas « baiser » divin, ne laissant aucune place à la souillure provoquée par la mort standard. Moshé quitte ce monde littéralement aspiré par Hachem, ce qui souligne parfaitement la proximité conséquente à sa mort. Moshé a, à cet instant, pénétré dans les sphères les plus profondes de la connaissance. Par cela, Hachem résout le problème que nous avions mentionné. L’état du monde empêchait la progression de Moshé, mais lui la méritait malgré tout. C’est pourquoi, Hachem lui accorde une solution pour poursuivre sa progression et atteindre la cinquantième sphère du savoir.
Nous pouvons donc parfaitement comprendre ce qu’a de secret la disposition de la tombe de Moshé. La mort de Moshé n’est pas celle d’un simple mortel. Elle est la conséquence de sa grandeur, il a connu une mort en tout point différente de celle que nous conceptualisons usuellement. Sa mort est un « paradoxe » permettant de résoudre le problème de son incompatibilité avec le monde au lendemain de la faute du veau d’or ! C’est pourquoi, il ne peut avoir de sépulture standard, car la dimension de ce retrait du monde n’est pas rationnelle ni même naturelle. Aucun endroit du monde ne peut contenir un tel phénomène c’est pourquoi, sa tombe est humainement inaccessible.
Le commentaire de Rachi prend alors une toute autre dimension. Les portes de la sagesse se sont fermées pour Moshé, car il ne peut plus progresser, il ne peut plus atteindre le niveau du cinquantième degré de compréhension ! Son corps, sa condition humaine le borne à cette limite au delà de laquelle Moshé ne peut aller. Ainsi, la torah ne crie pas à la faiblesse de Moshé à la fin de sa vie mais bien au contraire, c’est une affirmation de sa grandeur, il s’est élevé au maximum de ce que l’homme peut monter !
Une telle dvékout (liaison) avec Hachem laisse rêveur, combien Moshé a percé les sphères les plus grandes de la connaissance, il est devenu « familier » du Créateur ! C’est par ses paroles que les bné-Israël recevaient régulièrement le pardon de Dieu comme la torah en atteste au jour de Yom Kippour où Hachem dit « J’ai pardonné selon tes paroles » ! À quelques jours de Yom Kippour nous devons nous aussi trouver les mots et les actes qui assureront notre pardon. Et qui mieux que Moshé pour être pris en exemple. Bien sûr, nous ne sommes pas de son niveau, mais il faut savoir retirer les caractéristiques qui nous permettrons de nous aussi mériter la proximité avec Hachem. Dans les faits, cela peut se résumer simplement. Il « suffit » de le vouloir et de se donner les moyens de réussir. Moshé n’a pas atteint une telle compréhension de la torah par illumination. Il est celui qui, sans cesse à chercher à approfondir, à s’améliorer. Telle est la démarche à suivre.
Yéhi rastone, qu’Hachem pardonne nos fautes et nous scelle dans le livre de la vie, amen véamen.
Chabbat Chalom.
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