Parachat Ki Tavo 5775 – Yéhouda Moshé Charbit
Parachat Ki Tavo
בס״ד
PARACHAT KI TAVO
La paracha débute avec le commandement des bikourim, les prémices des plantations des fruits d’Israël, que l’agriculteur devait apporter au Beth Hamikdach. La paracha se poursuit ensuite par les différents prélèvements que la Torah ordonne de donner aux pauvres. La partie la plus longue de la paracha se consacre à la réprimande des bné-Israël. Après la description de quatorze bénédictions en cas de respect des mitsvot, la Torah dépeint au travers de quatre-vingt dix-huit malédictions, le sort qui attend le peuple s’il reniait la Torah.
Dans le chapitre 27 de Dévarim, la torah dit :
:יא/ וַיְצַו מֹשֶׁה אֶת-הָעָם, בַּיּוֹם הַהוּא לֵאמֹר
11/ Moshé ordonna au peuple en ce jour en disant :
:יב/ אֵלֶּה יַעַמְדוּ לְבָרֵךְ אֶת-הָעָם, עַל-הַר גְּרִזִים, בְּעָבְרְכֶם, אֶת-הַיַּרְדֵּן: שִׁמְעוֹן וְלֵוִי וִיהוּדָה, וְיִשָּׂשכָר וְיוֹסֵף וּבִנְיָמִן
12/ Ceux-ci se tiendront pour bénir le peuple sur le mont Guérizime quand vous aurez traversé le Jourdain : Chimone, Lévi, Yéhouda, Issa’har, Yossef et Binyamine.
: יג/ וְאֵלֶּה יַעַמְדוּ עַל-הַקְּלָלָה, בְּהַר עֵיבָל: רְאוּבֵן גָּד וְאָשֵׁר, וּזְבוּלֻן דָּן וְנַפְתָּלִי
13/ Et ceux-ci se tiendront pour la malédiction sur le mont Éval : Réouven, Gad, Achère, Zévouloune, Dan et Naftali.
Notre paracha est tristement connue pour le nombre imposant de malédictions qu’elle comporte. En effet, Moshé énumère ici les 98 sanctions qui s’abattront sur le peuple s’il s’enracine dans la faute, en face de quoi, seules 14 bénédictions sont mentionnées en tant que récompense pour une attitude noble. Ce même constat se fait en ce qui concerne l’autre section de la torah qui traite du sujet. La paracha de bé’houkotaï comporte ainsi, 49 malédictions pour seulement 7 bénédictions. La question est donc fréquente, pourquoi constatons-nous une telle dissymétrie entre la récompense et la sentence ? Plus précisément pourquoi sommes-nous toujours soumis à ce ratio d’une bénédiction pour sept malédictions ? Il s’agit là d’un sujet complexe qui mérite d’être développé profondément.
À ce titre, le Maharal de Prague (nétsa’h Israël, chapitre 14) apporte une réflexion passionnante. Il évoque la différence de rigueur appliquée entre les bné-Israël qui sont souvent en proie à de grands malheurs, et les goyims qui ne vivent pas dans ce mode de fonctionnement. Cette question est d’autant plus légitime que le peuple juif, astreint à la torah et au mitsvot, engendre systématiquement plus de bien que les nations, et à fortiori, son attitude correspond plus à celle que Dieu attend de l’homme. Pourquoi alors trouve t-on un « acharnement » spécifique aux bné-Israël quand c’est l’inverse qui devrait-être de mise ?
La réponse qu’il apporte se base sur une « critique » étrange du peuple juif. À plusieurs reprises, la torah nous qualifie de « peuple à la nuque dur » pour justifier nos transgressions. En effet, les bné-Israël n’acceptent pas la réprimande et refusent d’écouter la morale, à ce titre, il faut les juger avec plus de compassion. Cette explication semble difficile à comprendre dans la mesure où le raisonnement semble inversé. Nous cherchons ici à justifier un défaut ! Le refus du peuple de se soumettre n’est pas une circonstance atténuante mais plus un grief supplémentaire ! Comment comprendre ces mots de la torah ?
L’idée réelle qui se cache derrière le fait de refuser la soumission provient de l’essence profonde des bné-Israël. Il s’agit d’un peuple ressemblant à Dieu car créé à son image. Dès lors, les personnes qui composent cette nation sont par nature, plus proche de la sainteté, ils ont une ressemblance naturelle avec leur Créateur. Il s’agit donc d’un peuple qui se détache d’une expression matérielle de son être pour manifester une attrait spirituel intense. En tant que reflet d’Hachem, les bné-Israël s’inscrivent dans l’inflexibilité et ne sont pas facilement aptes au changement. Le Maharal prend l’exemple d’une flamme. Cette dernière n’est pas matérielle mais au combien puissante et difficile à manier. De même, le peuple juif, qui opère une domination spirituelle sur son enveloppe charnelle se trouve confronté à la difficulté du changement. À cela s’oppose le goy, qui s’épanouit dans la sphère matérielle. Il s’agit d’un monde malléable, fait pour connaître une structure et s’y plier. À ce titre, il est plus facile pour un tel être de suivre une injonction externe. L’exemple concret est celui de Yona. En effet, la nos sages enseignent (mé’hilta pti’hta, section bo) que Yona a refusé de suivre l’ordre d’Hachem de se rendre à Ninvé pour réprimander ses habitants et les inciter à se repentir. Son refus était motivé par le fait qu’il savait que contrairement aux bné-Israël qui sont difficiles à soumettre, eux accepteraient la réprimande et se repentiraient. Par cela, ils auraient porté une accusation à l’encontre d’Israël.
Nous comprenons alors en quoi « avoir la nuque dur » constitue une circonstance atténuante dans la mesure où c’est la contrepartie à la proximité avec Hachem. Toutefois, cela a une conséquence immédiate, celle de la répercussion des actes d’un tel peuple. Forcément son inflexibilité le mène à une plus grande rigueur et dès lors, l’égarement est plus risqué et de facto plus réprimandé. D’un autre côté, la récompense se doit d’être fonction de cet état si strict. Ainsi, la question initiale revient : pourquoi plus de mal que de bien ?
Nos sages apportent un enseignement de Rabbi ‘Hiya au nom de Rabbi Abba qui remarque que les bénédictions énoncées dans la paracha bé’houkotaï débutent par la lettre « א alef » et se terminent par la lettre « ת tav ». Par contre les malédictions commencent par la lettre « ו vav » pour finir avec la lettre « ה hé ». Ainsi, bien qu’elles soient peu nombreuses, les bénédictions sont incluses entre la première et la dernière lettre de l’alphabet. Cela connote l’idée qu’elles contiennent tout ce qui peut l’être ! Plus encore, elles sont dans l’ordre de « א alef » à « ת tav » contrairement aux malédictions qui en plus d’être limitées à l’espace contenu entre le « ו vav » et le « ה hé » qui se suivent, sont inversées, car le « ו vav » est après le « ה hé ». Par cela la torah témoigne de l’étroitesse de leur marge de manœuvre. Plus encore, de façon générale, le monde connaît un ordre, des lois naturelles. Tout ce qui s’inscrit dans un fonctionnement normal peut durer. Par contre, dès que nous sortons du cadre établi par la nature, alors il n’est pas possible de se maintenir. Dès lors, ces malédictions sont inversées pour témoigner que leur état ne peut qu’être temporaire ! Par contre, les bénédictions qui elles, s’inscrivent dans l’ordre, sont appelées à durer sur le long terme.
À ce titre, le Kli Yakar (dévarim, chapitre 27, verset 12) explique le choix des lettres « ו vav » et « ה hé » pour encadrer la malédiction. En effet, le nom d’Hachem est composé de quatre lettres « י youd », « ה hé », « ו vav » et le « ה hé ». Les deux premières lettres sont l’expression de l’attribut de rigueur tandis que le « ו vav » et le « ה hé » représentent la miséricorde. À ce titre, la torah mentionne ici le mot « ארור maudits » à onze reprises (en réalité il y en a douze, mais le dernier inclut toute la torah et n’est pas une malédiction spécifique). Or, la valeur numérique du « ו vav » et du « ה hé » est bien onze afin de connoter la miséricorde que recèle la malédiction qu’Hachem applique à son peuple. De même dans bé’houkotaï, les malédictions sont encadrées par ces lettres afin de les borner dans la miséricorde.
De là ressort une notion extraordinaire : la malédiction a pour but le bien ! Certes nous pouvions supposer que la sanction a pour vertu de purger nos fautes et de nous ramener vers le droit chemin. Toutefois, la torah appuie sur la manière dont le mal s’abat sur le peuple hébreu : de façon inversée afin de le limiter dans le temps et surtout il est limité par la miséricorde ! À l’inverse, la bénédiction est ordonnée, car elle dure et n’a pas de limite.
Nous pouvons maintenant nous atteler à comprendre pourquoi la malédiction est sept fois plus nombreuse que la bénédiction. Pour aborder une base de réflexion, il convient de s’attarder sur la manière dont Dieu a créé le monde. Comme chacun le sait, le monde est achevé par Dieu au terme de sept jours, le dernier étant le chabbat, le jour où Dieu se « repose ». Ainsi, au fil des six jours précédents, le Maître du monde se consacre à la création successive des divers éléments du monde. Toutefois, ceci n’est pas rigoureusement correct. En effet, Rachi (cf béréchit, chapitre 1, verset 14 ainsi que chapitre 2, verset 4) démontre que dès le premier jour, Dieu avait créé l’intégralité des constituants du monde : le soleil, la lune, les mers… étaient donc présents durant les sept jours de la création. À quoi correspond donc la description que la torah fait de la création des éléments du monde durant les jours suivants ? En réalité, durant ce temps, Dieu n’a fait qu’agencer le monde, lui donner une structure ordonnée ! C’est une fois que la mise en ordre a été accomplie que le chabbat a pu exister, la sainteté a pu s’exprimer ! En clair, la bénédiction ne vient que de la mise en ordre des structures du monde. À ce titre, une personne qui transgresse la torah commet une déformation. Le mot « עברה transgression » vient du mot « עבר traversée » dans le sens où, la faute traverse et perturbe le monde naturel. Il convient à la suite de cela de remettre les choses en place, de remettre de l’ordre afin de retourner à un aspect normal, celui où la bénédiction peut s’exprimer. À ce titre, il convient de refaire une « création » du monde et cette dernière passe par sept étapes ! Ainsi, il existe sept fois plus de malédictions que de bénédictions. Car pour qu’une bénédiction puisse s’exprimer au lendemain d’une faute, il faut passer par une réparation en sept étapes ! Chaque groupe de sept malédictions vient rétablir une bénédiction qui a été empêchée par la faute !
Plus encore, le Néfech Ha’haïm évoque une notion extraordinaire. L’être humain est un microcosme. À ce titre, tout ce qui existe dans l’homme existe dans le monde. Il apparaît donc que de même que l’homme dispose d’un corps et d’une âme, le monde s’inscrit dans cette configuration. Qu’est-ce qui constitue le corps et l’âme du monde ? Le corps est évidemment le monde lui-même en tant que matière. Son âme n’est autre que la présence divine elle-même! Ainsi le chabbat prend une toute autre dimension. La torah atteste que le septième jour Dieu a cessé ses activités « כי בו שבת מכל מלאכתו car en lui Il a cessé tous ses travaux », pourtant le septième jour est compté comme le septième jour de la création, il a lui-même été acteur de la création du monde. Comment résoudre cette apparente contradiction ?
La réponse est extraordinaire ! Le mot « שבת chabbat » connote le fait d’être assis. De façon imagée, Dieu s’est assis dans le monde durant le chabbat. De façon clair, le chabbat est le jour où le monde a reçu son âme ! Le monde est littéralement né le jour du chabbat car c’est en recevant son âme qu’il a pris vie ! La création du monde en sept étapes est donc une mise en place pour le monde de sa capacité à vivre, à recevoir la présence de Dieu.
Ce même parallèle doit se faire pour notre raisonnement. La malédiction est la réponse à la faute. Or la transgression constitue une séparation entre notre corps et notre âme : nous nous approchons de notre côté matériel et nous éloignons de notre aspect spirituel, de notre néchama ! D’où l’impact nécessaire des malédictions qui permettent de rétablir la bénédiction. Quelle est cette bénédiction ? Le retour de notre néchama à sa place initiale, le retour vers une proximité spirituelle totale ! Tel est l’enjeu !
Ceci est corroboré par ce que nos sages enseignent concernant l’événement d’Amalek qui a eu pour répercussion de « briser » le nom de Dieu qui a juré que son nom ne serait plus entier tant que vivra ce peuple. Au lieu de י-ה-ו-ה, le nom de Dieu se limite dorénavant à י-ה. Les lettres qui sont parties, ו-ה sont évidemment celles qui encadrent la malédiction, la sanction du peuple ! En somme, cela atteste de ce que nous évoquons. La malédiction participe au retour de la néchama du monde, elle entraîne le reconstitution du nom de Dieu et les lettres ו-ה rejoignent leur place pour permettre une expression totale de la présence divine !
Cela démontre parfaitement combien même lorsqu’Il doit sanctionner ses enfants, Hakadoch Baroukh Hou le fait avec la compassion la plus totale, et garde toujours comme objectif de nous rapprocher de Lui. Yéhi ratsone qu’en ces veilles de fêtes, durant lesquelles nous serons jugés, Sa bienveillance prenne les devants et qu’Il nous accorde toutes ses bénédictions amen véamen.
Chabbat chalom.
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