Parashat Dévarim (5774)
Yéhouda Moshé Charbit
Pour télécharger le fichier correspondant : dvar torah dévarim 5774
בס״ד
Nous vous recommandons vivement le site de Y. M. Charbit : Yamcheltorah
PARACHAT DEVARIM
Le cinquième et dernier livre de la torah, résume les dernières paroles dites par Moshé rabbénou aux bné-Israël. À la veille de son retour auprès d’Hakadoch Baroukh Hou, Moshé connaissant le peuple, sait le risque qui se présente devant ce dernier, c’est-à-dire le risque de la faute. C’est pour cela, que le dernier livre de la torah ne se trouve pas être la parole d’Hachem, mais celle de Moshé lui-même, qui vient mettre en garde le peuple, dans son ensemble, concernant le risque de transgresser la torah. Ainsi, Moshé va reprendre successivement les étapes du voyage des bné-Israël dans le désert, et les réprimander pour chacune de leur rébellion contre Hakadoch Baroukh Hou.
Le livre de Dévarim commence par les versets suivants :
א/ אֵלֶּה הַדְּבָרִים, אֲשֶׁר דִּבֶּר מֹשֶׁה אֶל-כָּל-יִשְׂרָאֵל, בְּעֵבֶר, הַיַּרְדֵּן: בַּמִּדְבָּר בָּעֲרָבָה מוֹל סוּף בֵּין-פָּארָן וּבֵין-תֹּפֶל, וְלָבָן וַחֲצֵרֹת–וְדִי זָהָב׃
1/ Voici les paroles qu’a dit Moshé à tout Israël, sur la rive du Jourdain dans le désert, dans la plaine, face à la mer de Souph, entre Parane et Tofel, Lavane et ‘Hatserot et Di-Zahav.
ב/ אַחַד עָשָׂר יוֹם מֵחֹרֵב, דֶּרֶךְ הַר-שֵׂעִיר, עַד, קָדֵשׁ בַּרְנֵעַ׃
2/ Onze jours depuis ‘Horev par le chemin de la montagne de Séir jusqu’à Kdech Barnéa.
ג/ וַיְהִי בְּאַרְבָּעִים שָׁנָה, בְּעַשְׁתֵּי-עָשָׂר חֹדֶשׁ בְּאֶחָד לַחֹדֶשׁ; דִּבֶּר מֹשֶׁה, אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, כְּכֹל אֲשֶׁר צִוָּה יְהוָה אֹתוֹ, אֲלֵהֶם׃
3/ Ce fut dans la quarantième année, dans le onzième mois, dans le premier jour du mois, Moshé parla aux bné-Israël selon ce qu’Hachem lui avait ordonné, à leur propos.
ד/ אַחֲרֵי הַכֹּתוֹ, אֵת סִיחֹן מֶלֶךְ הָאֱמֹרִי, אֲשֶׁר יוֹשֵׁב, בְּחֶשְׁבּוֹן–וְאֵת, עוֹג מֶלֶךְ הַבָּשָׁן, אֲשֶׁר-יוֹשֵׁב בְּעַשְׁתָּרֹת, בְּאֶדְרֶעִי׃
4/ Après qu’il ait frappé Si’hone roi d’Émori qui était installé à ‘Hechboneet Og, roi de Bachane qui était installé à Achérot, à Édreï.
ה/ בְּעֵבֶר הַיַּרְדֵּן, בְּאֶרֶץ מוֹאָב, הוֹאִיל מֹשֶׁה, בֵּאֵר אֶת-הַתּוֹרָה הַזֹּאת לֵאמֹר׃
5/ Sur la rive du Jourdain, dans le pays de Moav, Moshé commença à expliquer cette torah en disant :
Le midrach rabba enseigne (dévarim, chapitre 2) que la torah a la capacité de guérir le langage de l’homme. En effet, lorsqu’Hachem a chargé Moshé de se présenter devant Pharaon, Moshé a évoqué ses problèmes d’élocution: « לֹא אִישׁ דְּבָרִים אָנֹכִי Je ne suis pas un homme habile de la parole ». Maintenant qu’il a mérité l’acquisition de la torah, alors son problème a disparu et il s’est adressé aux bné-Israël, en disant « אֵלֶּה הַדְּבָרִים Voici les paroles »!
Bien que nous puissions parfaitement comprendre les capacités extraordinaires de la torah, il convient tout de même de s’arrêter sur cette notion de guérison du langage qu’elle a provoqué chez Moshé rabbénou. En quoi l’acquisition de la torah, a t-elle provoqué un changement au niveau du langage de Moshé? Que s’est-il produit pour que Moshé puisse maintenant s’adresser à l’ensemble des bné-Israël?
Secondement, la gêne de Moshé sur sa capacité à converser avec Pharaon surprend. En effet, si vraiment, l’élocution de Moshé est mauvaise au point qu’il juge déplacer de s’adresser à un roi, alors à fortiori devrait-il estimer ne pas pouvoir parler avec le maître du monde. Certes, c’est Hachem qui est venu à sa rencontre. Toutefois l’argument de l’élocution, au lieu d’être orienté vers Pharaon, aurait dû être dirigé vers Hakadoch Baroukh Hou. C’est lorsqu’Hachem lui parle, que Moshé devrait lui répondre : « לֹא אִישׁ דְּבָרִים אָנֹכִי Je ne suis pas un homme habile de la parole ». Pourquoi Moshé ressent-il une gêne à s’adresser à Pharaon mais pas à Hachem ?
Un dernier problème se pose. Il semblerait ressortir du midrach que nous avons cité, que ce n’est qu’à cet instant, au moment où Moshé rabbénou s’adresse au peuple dans Dévarim, que disparaît son problème d’élocution. C’est donc grâce à cette guérison qu’il a pu parler à l’ensemble des bné-Israël. Or dans les faits, nous savons parfaitement que ce n’est pas la première fois que Moshé parle à tout le peuple. Et dans ces précédents rassemblements non-plus, Moshé ne semblait plus souffrir de la parole. Quelle est donc la différence avec le cas de notre paracha pour que ce soit dans celle-ci que nos sages attestent de la transformation de Moshé ?
Tentons d’approfondir.
L’enseignement du midrach rabba semble être plus détaillé dans le midrach tan’houma. Ce dernier évoque l’argument suivant: ce qui dérangeait Moshé ne concerne pas son bégaiement. En réalité, le midrach précise que Pharaon disposait d’interprètes pour les soixante dix langues. Sachant que les soixante dix langues sont l’invention d’Hakadoch Baroukh Hou, ces interprètes voudront nécessairement tester son émissaire. Or Moshé ne pourra pas leur répondre ce qui provoquera son humiliation.
Il apparaît que le problème se situe dans la capacité de Moshé à traduire la parole du maître du monde, dans les diverses langues connues. Or, dans les faits, Moshé ne connaissait-il pas ces langues? Cela semble invraisemblable, dans la mesure où nos sages enseignent sur notre paracha, que justement, Moshé a traduit ce qu’il a dit au peuple, dans les soixante dix langages! Comment aurait-il pu faire cette traduction s’il ne connait pas ces langues?! Dire qu’il les a apprises durant les quarante ans dans le désert semble peu probable, car Moshé ne s’occupait que de l’étude de la torah et de la gestion du peuple. Où pouvait-il trouver le temps d’apprendre à parler tant de langues? Dès lors, nous sommes contraints d’admettre qu’il maitrisait bel et bien ces langages. Le midrach Tan’houma semble donc très obscur.
Pour comprendre, arrêtons-nous un instant sur une notion importante, celle de la difficulté de retranscrire une notion. Toute personne qui a rédigé un texte dans sa vie, sait combien les mots sont réducteurs. Trouver les mots et la formulation adéquate pour exprimer une réflexion est particulièrement complexe. Et il ne s’agit là que d’un raisonnement humain. Il paraît alors évident qu’en extrapolant cette difficulté à l’échelle de la réflexion divine, la tâche peut sembler parfaitement impossible. Comment pourrait-on réussir à dire et à transmettre un message divin par des mots, sans en diminuer la portée, sans en altérer le sens ? La parole, les mots et phrases que nous employons, ne recèlent pas toute la profondeur de notre raisonnement. Alors à fortiori, comment des mots, pourraient-ils contenir et cristalliser l’intégralité de la pensée d’Hachem? Il s’agit de condenser l’infini de la réflexion du maître du monde, dans les limites qu’imposent les mots. Cela serait non seulement difficile mais surtout dangereux dans la mesure où, le risque de diminution de l’information est grand. La gravité d’une telle attitude est incontestable !
Poussons le raisonnement encore plus loin. Nous savons que parmi tous les langages, le lachone hakodech se distingue par sa sainteté et sa puissance. En clair, la portée de cette langue surpasse toutes les autres. Tout le raisonnement que nous avons tenu reste toutefois vrai pour ce langage. Par combien de fois la difficulté de transmission dont nous parlons, est-elle multipliée lorsqu’il s’agira non plus de parler en langue sainte, mais cette fois, de traduire dans les langues profanes?!
C’est ici que se trouve toute la problématique. Moshé n’est pas dérangé par la langue elle-même, car en réalité, il les maîtrise toutes. Ce qui le gêne se situe dans la capacité d’un simple être humain à formuler la parole du maître du monde, cette même parole qui a créé le monde. À fortiori, lorsque les interprètes vont le tester, le problème n’en sera que plus complexe! Moshé risque d’autant plus de ne pas pouvoir répondre correctement! C’est pour cela qu’il rechigne à accepter la mission d’Hakadoch Baroukh Hou, trop conscient de l’ampleur de la tâche.
Mais alors, qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi Moshé est-il soudainement devenu capable de s’adresser au peuple ? En quoi l’acquisition de la torah a t-elle permis la prise de parole ?
Justement, la torah en elle-même constitue toute la différence ! En effet, qu’est-ce que la torah, si ce n’est l’expression de la pensée divine par l’intermédiaire des mots !? La torah est le miracle qu’attendait Moshé ! Certes, les mots sont trop réducteurs pour qu’une formulation humaine exprime la profondeur de la volonté d’Hachem. Cependant, Hachem, en transmettant la torah, condense au travers des mots, l’infinité qui le caractérise. Les mots, simples vecteurs d’expression, deviennent des notions concrètes recelant d’une profondeur inouïe! La torah est le changement ultime, la transition parfaite et complète entre la pensée et l’expression. Aucune altération, aucune restriction ne figure dans la parole qu’Hachem transmet et dicte à Moshé !
Pire que cela le midrach rabba dans Chémot (chapitre 5, paragraphe 9) apporte un élément crucial à notre approche. Rabbi Yohanan y enseigne que non seulement le don de la torah s’est fait en lachone hakodech, mais il s’est également fait dans les soixante dix langues afin de permettre à chaque peuple d’en comprendre le contenu ! Il s’avère donc qu’en plus d’une formulation accessible par les mots, Hakadoch Baroukh Hou a accompagné le don de la torah d’une traduction intégrale et parfaite ! L’événement du don de la torah crée donc une innovation majeure de par sa formulation !
De là, nous comprenons les différentes étapes qui nous ont posées problème. La première consiste à distinguer toutes les prises de paroles de Moshé face au peuple vis-à-vis de celle de notre paracha. Jusqu’à maintenant, dans aucun de ces discours le midrach n’affirmait que le problème de langage de Moshé avait disparu. Pourtant, Moshé n’hésitait pas à parler. La raison à cela est la suivante. Tous les allocutions de Moshé venaient suite à une section de la torah que Moshé entendait du maître du monde et qu’il devait ensuite transmettre au peuple. Une fois que ces parties de la torah lui étaient transmises, Moshé pouvait les répéter avec des mots, car Hachem venait de les lui dicter. Les mots qu’ils entendaient de la bouche d’Hachem lui permettait donc d’emprisonner l’intégralité du message sans s’inquiéter d’une perte d’information. Mais, il ne s’agissait là que de section de la torah et non de son intégrité. S’il avait dû traiter des sujets qu’il n’avait pas encore écrit dans la torah, Moshé serait resté démuni.
Mais cela n’est vrai que jusqu’à Bamidbar. En effet, nous avons déjà expliqué que la torah telle que dictée par Hachem se termine dans le livre de Bamidbar. Le livre de Dévarim est écrit à l’initiative de Moshé. Il s’agit de ses propres mots à l’instar des précédents livres. La différence concrète entre les précédentes prises de parole de Moshé et celle-ci se trouve dans le fait que l’écriture de la torah est maintenant achevée ! En clair, l’ensemble des notions divines à transmettre aux hommes se trouve retranscrite dans les quatre livres de la torah. Il n’existe plus un passage, une loi, ni même une notion à transformer en mots. Du coup, Moshé est maintenant libre de parler de par l’outil qu’Hachem lui a transmis ! Il dispose dorénavant des mots et des combinaisons permettant la transmission adéquate ! C’est pourquoi à cet instant précis, le problème disparaît complètement et le midrach atteste que l’acquisition de la torah est le vecteur de la guérison de Moshé : il est maintenant capable de parler librement et sans contrainte, et dans toutes les langues !
Ce développement nous laisse entrevoir la dynamique qui unit la torah écrite à la torah orale. La torah écrite est le support qui nous permet le développement. Elle condense la science divine. Chaque mot est placé de façon précise, de manière à laisser place au développement et à la réflexion. Chaque lettre recèle une valeur insoupçonnable et permet la compréhension d’une étape supplémentaire. Sans cette base transmise par l’intermédiaire de Moshé, jamais le torah orale n’aurait pu être révélée. Son rôle est justement d’accompagner la torah écrite pour nous permettre d’en extraire la vérité profonde. D’où les commentaires incessants que rédigent nos sages à chaque génération. Car, il s’agit de comprendre une science qui n’a pas de limite et dont les explications sont inépuisables. Yéhi ratsone que nous méritions d’acquérir une part dans le développement et la compréhension de notre sainte torah ! Amen véamen !
Chabbat Chalom.