Parashat Shéla’h Lékha (5775)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
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PARACHAT Shéla’h Lékha
La paracha de Chéla’h parle de l’envoi, par Moshé Rabbénou, d’explorateurs vers la terre d’Israël, chargés d’en vérifier la qualité, de déterminer la puissance des peuples qui l’habitent etc… Ainsi, douze représentants de tribus sont nommés à la charge de cette mission. Malheureusement, chargés d’une mitsvah, les explorateurs se détournent du chemin de Hachem. À leur retour, dix d’entre eux, profèrent des critiques contre la terre promise, incitant avec eux, le peuple à refuser cette terre. Seuls, Yéhochoua Bin Noun et Calev Ben Yéfouné, deux des explorateurs, s’opposent à leurs confrères affirmant que Hachem tiendrait sa promesse de conduire le peuple dans la terre où coulent le lait et le miel. Le peuple étant en révolte contre Moshé, l’intervention de Hachem ne se fait pas attendre. Ainsi, les dix explorateurs ayant proférer du lachon hara contre la terre d’Israël sont condamnés à mourir de façon atroce. Le reste du peuple se voit priver du droit d’entrer en terre sainte et devra errer durant quarante ans dans le désert, jusqu’à l’extinction totale de la génération qui s’est révoltée. Par la suite, la Torah nous enseigne diverses règles concernant les sacrifices à apporter sur l’autel. La paracha se conclut par la transgression du chabbat par un homme, bien qu’il ait été averti du risque encouru.
Dans le chapitre 13 de Bamidbar, la torah dit :
:לא/ וְהָאֲנָשִׁים אֲשֶׁר-עָלוּ עִמּוֹ, אָמְרוּ, לֹא נוּכַל, לַעֲלוֹת אֶל-הָעָם: כִּי-חָזָק הוּא, מִמֶּנּוּ
31/ Mais les hommes qui étaient montés avec lui dirent : Nous ne pouvons monter vers le peuple car il est plus fort que nous.
לב/ וַיֹּצִיאוּ דִּבַּת הָאָרֶץ, אֲשֶׁר תָּרוּ אֹתָהּ, אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, לֵאמֹר: הָאָרֶץ אֲשֶׁר עָבַרְנוּ בָהּ לָתוּר אֹתָהּ, אֶרֶץ אֹכֶלֶת יוֹשְׁבֶיהָ הִוא, וְכָל-הָעָם אֲשֶׁר-רָאִינוּ בְתוֹכָהּ, אַנְשֵׁי מִדּוֹת׃
32/ Ils critiquèrent la terre qu’ils avaient explorée aux bné-Israël en disant : la terre dans laquelle nous sommes passés pour l’explorer, c’est une terre qui mange ses habitants et tout le peuple que nous avons vu en elle, ce sont des gens de mesure.
:לג/ וְשָׁם רָאִינוּ, אֶת-הַנְּפִילִים בְּנֵי עֲנָק–מִן-הַנְּפִלִים; וַנְּהִי בְעֵינֵינוּ כַּחֲגָבִים, וְכֵן הָיִינוּ בְּעֵינֵיהֶם
33/ Et là-bas nous avons vu les « néfilim », fils du géant de parmi les « néfilim » ; nous étions à nos yeux comme des sauterelles et ainsi étions-nous à leurs yeux.
Sur le verset 31, Rachi propose un commentaire qui nous pousse à la réflexion. En effet, le dernier mot du verset, « מִמֶּנּוּ que nous » doit se comprendre différemment et être lu « מִמֶּנּוֹ que Lui (Dieu) » pour signifier que la critique du peuple se porte sur l’incapacité de Dieu à vaincre les peuples du pays. Bien sûr, nous pourrions comprendre cela comme une simple exagération des explorateurs dans leur emportement. Mais si tel était le cas, la torah ne le mentionnerait pas. Dès lors, les propos tenus par ces hommes sont intentionnels et réfléchis.
Cette attitude semble particulièrement difficile à comprendre lorsque nous savons que cette génération est celle qui a reçu la torah et entendu la parole de Dieu. À ce titre, commettre une faute est envisageable mais critiquer les capacités d’Hachem est incongru. Savoir que Dieu existe de façon aussi tangible que le concevaient les bné-Israël, implique nécessairement que le peuple sâche que Dieu est le créateur de toute chose. Par définition, la créature se veut inférieure à son créateur. De facto, Hakadoch Baroukh Hou surpasse toute la création et affirmer qu’Il serait, has véchalom, incapable de vaincre un peuple donné n’est pas réaliste ! Comment comprendre alors que ces hommes, triés sur le volet, en arrivent à de telles élucubrations.
Tentons d’approfondir les critiques proférées par ces hommes.
Deux arguments viennent appuyer l’impossibilité de conquérir la terre : il s’agit non seulement d’une terre qui dévore ses habitants, mais plus encore, les néfilim y sont présents.
Sur ces deux points, l’explication de nos sages nous oriente afin de mieux comprendre les enjeux. Le Ramban ainsi que le Malbim expliquent le premier argument. À savoir que lors de la visite des explorateurs, ces derniers constatent de nombreuses morts. Cela s’explique, par la difficulté de vivre sur cette terre. Il s’agit d’une terre aride au climat extrêmement difficile à supporter. L’air lui-même serait difficile à respirer. En clair, l’être humain normal ne pouvant supporter de telles conditions, en arrive inéluctablement à mourir, ce qui explique pourquoi tant de morts sont présents lors de la visite des explorateurs. Toutefois, il se trouve que certains êtres y sont présents et survivent, il s’agit des néfilim.
Rachi précise leur origine. À l’époque de la génération d’Énoch, petit-fils d’Adam, deux anges ont critiqué les hommes qui fautaient. N’ayant pas la notion du mal, ils ne parvenaient pas à comprendre l’incapacité humaine à suivre la volonté du Créateur. C’est pourquoi, le Maître du monde affirme qu’eux non plus, ne suivraient pas le chemin de la droiture s’ils se trouvaient confrontés au mauvais penchant. C’est pourquoi, Hachem leur propose de revêtir une enveloppe charnel et de se confronter à l’épreuve des hommes pour voir s’ils parviendraient à vaincre le yetser hara. C’est pour cela qu’ils sont appelés « néfilim » car ce mot connote la chute : ils sont tombés du ciel et résident sur terre. Saisis alors par le mal et la tentation, ces deux anges devenus mortels fautent rapidement et succombent à leurs pulsions. Bien évidemment, étant d’essence spirituelle, ils ne se présentent pas comme l’être humain standard et ont une taille titanesque. Ils sont les géants dont la torah parle. Et ce sont leurs descendants qui ont tant effrayé les explorateurs durant leur voyage en Israël. Eux, contrairement aux autres humains qui peuplaient le pays, survivent car ils sont capables de s’acclimater à des conditions extrêmes. Les difficultés naturelles ne leur posent donc aucun problème !
Plus que cela, même le surnaturel ne semble pas les affecter. Car, issus de la génération d’Énoch, la chute de ces anges dans notre monde implique qu’ils aient vécu le maboul, ce déluge qui n’a épargné personne si ce n’est Noa’h et sa famille. Un tel désastre aurait dû éradiquer la descendance de ces géants. Et pourtant, ils sont bel et bien présents lors de l’arrivée des méraguélim ! Nos sages expliquent leur survie au travers d’un midrach bien connu précisant qu’un géant, Og, est parvenu à s’accrocher à l’arche de Noa’h et a survécu au cataclysme ! Ces géants peuplant Israël seraient donc les descendants d’Og ! Il ressort de là une chose effrayante : même la destruction du monde, la punition ultime que Dieu a appliqué sur l’espèce humaine, n’est pas parvenue à les détruire ! Ces hommes sont donc particulièrement résistants ! Les vaincre ne peut se faire qu’au travers de miracles encore plus grands que tout ce qui a précédé, des miracles de l’ampleur de ceux de la sortie d’Égypte et qui dépassent le carde de la nature et de ses lois !
De là, un problème surgit. La fin de la paracha de la semaine dernière, raconte qu’Éldad et Meydad, deux des hommes choisis pour suppléer Moshé, se sont mis à prophétiser. Rachi (bamidbar, chapitre 11, verset 28) enseigne qu’ils prophétisaient la mort de Moshé et que son successeur Yéhochoua, serait celui qui ferait entrer le peuple en Israël. Au vu du commentaire que nous avions fait la semaine dernière, nous pouvons comprendre l’attitude et la critique des méraguélim. En effet, les événements de la paracha précédente nous démontraient que le seul homme qui est parvenu à maintenir un niveau qui dépasse la nature et qui n’est que spirituel, n’est autre que Moshé rabbénou. C’est par son mérite que la manne tombait quotidiennement. Plus que cela, nos sages enseignent que les nuées provenaient du mérite de Aaron, et le puits qui abreuvait les bné-Israël était issu de Myriam. À leur mort, c’est la puissance de Moshé qui maintenait ces deux miracles. En clair, le miracle ne pouvait découler que de cet homme
Tous ces éléments amènent les explorateurs à une conclusion évidente. Puisque les ennemis auxquels il faudra faire face pour conquérir le pays ne peuvent être vaincus de façon naturelle, l’absence de Moshé signifie automatiquement la perte de la guerre ! Car le seul pouvant mériter de tels miracles n’est autre que Moshé rabbénou. En somme, les explorateurs ne supposent pas qu’il existe des créatures supérieures à Dieu, mais plutôt que le miracle ne se justifie que par le mérite ! De facto, combattre de tels hommes sans mérite revient au suicide car Dieu ne pouvant justifier son intervention, « ne peut pas » opérer un miracle surnaturel pour vaincre ces géants. Même un miracle de l’ordre du déluge n’a pas suffit, c’est dire combien la victoire des bné-Israël sur ces hommes relevait de prodiges hors du commun ! Dieu peut certes tout faire, mais Il n’agit pas de façon injuste et n’aidera donc pas le peuple si Moshé, qui lui peut prétendre à un tel mérite, est absent lors de la conquête d’Israël.
Toutefois, de nouveau le peuple commet une erreur. Le Yéfot Panim explique une chose extraordinaire. La raison de la mort subite d’une grande partie des résidents d’Israël au moment de la visite des explorateurs s’explique par le fait que Yéhochoua et Calev ont foulé la terre ! Dès lors ils ont fait entrer la sainteté dans le pays, provoquant la mort de tous ceux qui ne pouvaient supporter ce changement subite de kédoucha. Rav Chimchone Réfaël Hirsh ajoute que la terre d’Israël reçoit un flux de la part du ciel qui est supérieur à tous les autres pays. Ce flux d’essence divine se manifeste sur terre au travers des réceptacles qui le perçoivent. Si, les personnes en question sont spirituellement faibles et sont portées vers la sphère matérielle, alors ce flux abreuve leur aspect terrestre qui se transcende. Cela explique le caractère titanesque des gens qui vivent dans ce pays : ils sont particulièrement puissants, particulièrement grands, même les fruits expriment cela. Par contre, lorsque les gens qui canalisent ce flux céleste sont eux-mêmes portés vers la spiritualité, alors ils s’élèvent dans la sainteté et la connexion vers Hachem ! Cela explique d’ailleurs pourquoi la terre d’Israël a porté tant de prophètes et qu’à quelques exceptions près, il était impossible de parler avec Dieu en dehors de ce pays si saint !
Ainsi, l’entrée du peuple hébreu en Israël en tant que nouveau propriétaire des lieux, aurait provoqué la transformation, la « spiritualisation » de ce flux, privant les peuples ennemis de leur force et de tout espoir de victoire ! Ils seraient donc redevenus « normaux » et la conquête d’Israël se serait évidemment faite sans soucis comme ce fut en effet le cas. C’est d’ailleurs ce que dit Calev lorsque dans le verset 9 du chapitre 14 : « Leur ombre s’est retirée d’eux » ! Ils ont donc perdu leur toute puissance et deviennent donc accessibles ! La présence de Moshé n’était pas garante de la réalisation de la promesse de Dieu ! Elle n’en était que la conséquence. Le fait d’hériter de ce pays propulse ses habitants dans des sphères qui dépassent l’entendement.
Cela nous donne un éclairage particulier sur notre rapport avec Israël. Tout juif constate les capacités extraordinaires de notre peuple qui, en peu de temps, est parvenu à transformer une terre aride en terre fertile, développée sur le plan technologique… . Parallèlement, le monde de la torah a connu un essor extraordinaire barou’h Hachem. En très peu de temps et avec très peu d’hommes, l’étude de la torah s’est répandue et les talmidé ‘ha’hamim ont fleuri en Israël ! Le flux qui bénit notre terre s’exprime sur les deux plans mais il faut être conscient que celui qui nous caractérise le plus est bien celui de la torah et de l’étude ! Certes les avancées technologiques sont utiles et appréciables à certains égards et les critiquer serait stupide. Cependant, il faut comprendre que l’objectif du peuple hébreu, surtout sur sa terre, est de faire resplendir l’honneur de Dieu, de se consacrer à sa torah et à la pratique de ses mitsvot qui seront pour nous la garantie de voir rapidement l’aboutissement de tous ces efforts avec l’arrivée prochaine de Machia’h amen ken yéhi ratsone.
Chabbat Chalom.
Y.M. Charbit