Yom Kippour ou les redoutables « ruses » de D-ieu. Rav chriqui et docteur Avraham Morali
Yom Kippour Rav Chriqui
Adapté par le Rav Michael Smadja
Le moment le plus chargé d’émotion spirituelle de toute l’année juive est sans conteste le jour de Kippour, improprement traduit par le » jour du grand pardon' ». Car il s’agit plus que d’un simple pardon de la part de D-ieu. En effet, le pardon est accordé par D-ieu toute l’année à celui qui le recherche. C’est pour cela que les maîtres ont inséré dans la prière quotidienne, la demande de pardon (sixième bénédiction de la Amida) et les supplications récitées immédiatement après cette Amida. Yom Kippour recèle un secret plus grand que le pardon et l’expiation des fautes.
A l’intérieur de ce jour, que les maîtres du Talmud ont appelé « le » jour (Yoma), se cache un moment encore plus intense: la prière de clôture, la Néhila, unique à Yom Kippour. En effet, il n’existe aucune autre fête où l’on prie cinq prières consécutives. En général, les jours de fêtes comprennent quatre prières: » Arvit-charahit-moussaf-minha ». Kippour se particularise par une cinquième prière. La Néhila entamée dans la dernière heure de Kippour et qui vient coiffer d’une couronne majestueuse non seulement ce jour mais aussi toute la période des dix jours de téchouva qui s’était ouverte avec Rosh Hachana. Au bout de toute cette période, et à la fin de ce jour où nous avons fait abstraction de notre corps, les Kabbalistes nous révèlent que nous nous trouvons entre ciel et terre et que nous nous élevons jusqu’à la Séphira « Bina », la troisième des dix Séphirot de l’arbre Séphirotique. Il s’agit d’une élévation qui n’a pas son pareil dans toute l’année.
( À part la Néhila de Kippour, le jour de Pourim correspond lui aussi à un degré extrêmement fort de spiritualité où nous atteignons l’origine indifférenciée de toute chose où le bien et le mal se confondent encore dans une source commune. C’est pour cela que nous devons boire jusqu’à inverser la bénédiction pour Mordékhaï et la malédiction pour Haman. Ce ne peut être en effet qu’au-delà du ratio que l’on peut approcher cette dimension de haute spiritualité où tout n’est qu’un).
Et dans cette prière de clôture, quelles sont les premières phrases prononcées lors de ce moment grandiose? « D-ieu, redoutable en actes- nora Alila »! « א.ל נורא עלילה« ! Le mot « Alila » « עלילה » se traduit en fonction du contexte soit par « action éclatante »quand il s’agit de D-ieu soit par « ruse », mauvais prétexte quand il s’agit de l’homme. Un exemple nous est donné dans le livre « Dévarim » où « alilot dévarim » « עלילות דברים » désigne le comportement d’un mari voulant répudier sa femme sans cause valable et qui tente de se justifier par de fausses accusations. « Alila » « עלילה » a la même racine que « aloul » « עלול » « conséquence prévisible et attendue » et « ila » « עילה » qui signifie « cause ». Mais ce même mot « alila » veut aussi dire « ruse » et « fourberie » , mauvais prétexte que l’homme rusé utilise pour justifier le mal qu’il inflige à son adversaire comme dans l’exemple pré-cité du mari. Mais la distinction entre « alila », exploit de D-ieu et la « alila »-ruse de l’homme n’est pas toujours clairement tranchée. Nous en trouvons un exemple à propos des actions de D-ieu quand il puni le Pharaon d’avoir endurci son cœur contre les enfants d’Israël: le texte utilise le terme « léhithoilel » « להתעולל » de la racine « alila ». Rashi commente cette forme grammaticale et traduit par: » je me suis joué d’eux » et il ajoute « cette forme n’a pas le sens d’action ou d’exploit ». Nous voyons donc clairement que D-ieu peut dans des situations certes extrêmes et fort rares, retirer à un homme son libre-arbitre et se « jouer » de lui. Le Midrash « Tanh’ouma » interprète le verset « nora alila » « נורא עלילה » par « allez et voyez les réalisations de D-ieu, terrible d’intrigues sur les hommes ». Le Midrash utilise une parabole qui ne laisse aucun doute sur cette « alila »: » celle d’un mari de mauvaise fois qui a déjà décidé de répudier sa femme et cherche un prétexte pour lui donner l’acte de divorce ». C’est aussi ce que semble insinuer le roi David lorsqu’il écrit: » ne fais pas tendre mon cœur vers une chose mauvaise » » להתעולל עלילות ברשע« . Ainsi il renvoie implicitement à D-ieu la responsabilité de sa propre perversion éventuelle en lui demandant « de ne pas faire tendre son cœur » vers de mauvais instincts.
Cette approche, à priori entièrement déterministe, choque l’homme religieux pour qui le libre-arbitre et la responsabilité face à ses actes, est la pierre angulaire de toute son orthopraxie ( désigne ce qui est en conformité avec les rites prescrits). Maïmonide dit clairement que sans le principe de justice, de récompense et de punition, la loi torhanique deviendrait caduque: » si l’homme était contraint dans ses actions, les commandements et les défenses de la loi deviendraient sans objet et toute la législation mosaïque serait absolument vaine, l’homme ne possédant pas le libre-choix de ses actions ».
Alors que signifient ces « ruses divines » qui semblent déjouer les principes de justice et de rétribution? Le Ramhal nous donnera la clé de ce problème, certes philosophique mais surtout existentiel pour chaque juif car de la solution va émerger une exigence de vie qui impliquera des choix existentiels fondamentaux allant dans le sens du respect scrupuleux des commandements divin. On le voit, il ne s’agit pas de résoudre simplement un questionnement théorique intéressant sur la place du libre-arbitre et de la providence mais d’un éclaircissement sur la modalité de l’être juif à sa racine.
Le Ramhal est un des rares penseurs juifs à s’être penché sur ces questions existentielles et ce à partir des textes les plus profonds de la tradition métaphysique d’Israël, à savoir les écrits Kabbalistiques. Ainsi il écrit dans le livre intitulé » la voix de D-ieu »: » nous pouvons comparer notre situation à celle des serviteurs d’un roi, chacun devant remplir la tâche assignée par ce roi, chacune différente de l’autre, mais convergeant vers un même but: réaliser pleinement le plan royal. Aussi le roi récompensera chacun selon sa fonction et la tâche qui lui aura été assignée ».
Nous serions donc tous les acteurs d’une pièce écrite à l’avance par le scénariste qui a tout prévu, même les improvisations et les erreurs des comédiens. Le libre-arbitre ne serait-il donc que pure illusion? Non, nous répond le Ramhal, il existe mais il dépend d’une donnée essentielle, inhérente à la limite du savoir humain: on ne peut pas connaître l’avenir. Ainsi, même si celui-ci est tracé, le fait que l’on ne sache pas à l’avance ce qui nous arrivera, nous permet de « choisir » véritablement entre plusieurs options et d’aller dans un sens plutôt que dans un autre. D-ieu sait quel chemin nous allons emprunter mais comme nous, nous ne le savons pas, alors ceci s’appelle un choix pour opter pour la droite plutôt que pour la gauche. C’est cette même impossibilité de savoir l’avenir qui pose la liberté de l’homme. Ainsi écrit le Ramhal dans le livre » les138 portes de la sagesse »: » toute l’oeuvre des hommes est liée au fait que la connaissance de l’avenir leur est dissimulée ».
Le principe fondamental est énoncé: nous sommes libre parce que nous ne savons pas ce que D-ieu a décidé pour nous. En créant le monde, D-ieu a déterminé un programme bien précis qui commence à Béréchit et passera par le Messie puis la résurrection des morts au bout de 6000 ans. Chaque homme, chaque être créé s’insère dans ce programme de façon positive et doit y jouer un rôle. Pour utiliser une métaphore moderne, on pourrait dire que D-ieu est le metteur en scène d’un grand film qui durera six millénaires avec comme décor, le monde, le scénario, la Torah et les acteurs, tous les êtres humains. Le scénario est écrit et notre metteur en scène sait quand et comment le film se terminera. Il a assigné à chaque acteur un rôle bien précis mais il a permis à chacun de le jouer en fonction de sa sensibilité propre et même d’improviser.
Alors cela signifie t-il que notre liberté est illusoire? Non, car nous avons un réel pouvoir de choisir. De part notre existence, il est indéniable que nous pouvons opter pour une voie plutôt qu’une autre. Ce qui est illusoire par contre, c’est le libre-arbitre absolu qui nous permettrait de chisir de façon « neutre » entre deux ou plusieurs options. Du fait de notre naissance dans un certain milieu, à un certain endroit et à une certaine époque et que nous évoluons également dans un milieu donné, nos choix sont forcément influencés et ne peuvent être que relatifs. Le choix si réel qu’il soit, n’en reste pas moins relatif.
Il est grand temps de différencier entre liberté et libre-arbitre. La liberté est le pouvoir que nous a donné D-ieu pour nous permettre d’opter entre plusieurs choix possibles et ainsi être son partenaire dans l’histoire du monde. Cette liberté est toujours relative et ainsi le libre-arbitre ne s’avèrera jamais neutre. Le meilleur moyen de profiter de notre liberté est peut-être de court-circuiter toutes les influences relatives à notre environnement et de se laisser guider par la Sagesse du mont Sinaï. Nos maîtres n’ont-ils pas déjà dit il y a 2000 ans: » quiconque accepte de se soumettre à la souveraineté de la Torah, se trouve dégagé des contraintes sociales (עול מלכות ועול דרך ארץ). Le « joug de la voie de la terre » est une allusion aux lois naturelles qui semblent régir le monde. Le ramhal écrit: » le monde est dirigé selon les lois de la direction profonde, selon la Torah et non selon les lois apparentes de la nature et du hasard….en fait les hommes se sont enfoncés dans un système de connaissances, d’ailleurs superficielles, jusqu’au point où leurs actes et leurs pensées en sont devenus affectés« . Tous nos actes sont influencés par nos idées et nos connaissances. Or nos connaissances sont par essence limitées puisqu’elles proviennent de nos sens et de notre expérience. Il en va de même de notre liberté: elle est, par le fait que nous sommes des êtres créés, limitée. Seul celui qui a atteint la sagesse divine peut être libre totalement car il s’est libéré de toutes les contraintes matérielles de ce monde; c’est le tsadik.
À présent nous comprenons mieux les « ruses » de D-ieu. Le Ramhal nous explique que les fautes laissent une trace dans le monde . Le jour de Kippour, D-ieu est prêt à effacer ces traces si l’homme ne l’a pas fait dans l’année. Il s’ensuit une réparation de l’état du monde vers une plus grande spiritualité. C’est en fait la réparation de la brisure des vases qui s’opère à Kippour car D-ieu intervient directement pour réparer les réceptacles dans leur origine même.
Les fautes seraient-elles alors une sorte de « nécessité » pour gravir des échelons supplémentaires de la sainteté? Il va de soit que l’on ne peut admettre la faute « à priori ». Mais si d’aventure, l’homme faute– et tout un chacun- y compris le sage, tombera dans la faute alors, celle-ci sera récupérée ou par l’homme, si celui-ci fait téchouva ou par D-ieu à Yom Kippour. Dans les deux cas, on aura ainsi une élévation spirituelle, individuelle ou collective.
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