Shabbath Hagadol (5775)
Yéhouda Moshé Charbit
CHABBAT HAGADOL
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CHABBAT HAGADOL
La paracha tsav traite particulièrement des différents types d’offrandes que les bné israel devaient offrir devant l’autel pour Hachem, en détaillant les conditions et les règles pour offrir ces sacrifices.
Dans la fin de la paracha, la torah décrit les sept jours d’inauguration, durant lesquels Moshé intronise Aaron et ses fils en tant que Cohanim (Prêtres) du peuple hébreu, et qui seront dès lors chargés de s’occuper de toutes les offrandes du peuple.
Ce chabbat est nommé chabbat hagadol, car il est le chabbat qui précède pessa’h. Dans toutes les communauté, les gens ont l’habitude de se réunir à la synagogue, afin d’écouter le discours du rav local, destiné à préparer le public à la fête. À ce titre, je vous propose un commentaire issu de la haggada que j’ai la joie de publier cette année, barou’h Hachem.
Nos sages comparent les bné-Israël a une pierre. Cette dernière a pour particularité de ne jamais changer, le temps n’a pas d’impact sur elle, elle reste immuable. À ce titre, les bné-Israël sont ceux qui restent fidèle à la tradition de leurs ancêtres, à la torah qu’Hachem leur a transmis. En hébreu, la pierre se nomme « אבן événe ». Ce mot est la contraction des mots « אב le père » et « בן le fils ». Cela vient souligner un point fondamental : la pérennité de la torah se fait au travers de sa transmission d’un père vers son fils. Cet échange est le vecteur de notre connexion avec Hachem. En effet, la torah a perduré à travers une transmission orale qui relie chaque génération à la précédente permettant de vivre une torah authentique, celle-là même que nos ancêtres ont entendu de la bouche du créateur sur le mont Sinaï. C’est grâce à cet enseignement que nos parents nous inculquent, que tout juif connait ses origines, son histoire, les bases qui le lie à sa terre et à Hachem.
Tout l’objectif de cette fête si particulière se trouve dans cette transmission ininterrompue de l’histoire de la sortie d’Égypte. Elle est le ciment qui nous ramène à notre passé et nous confirme le lien intime qui nous lie à notre terre. C’est pourquoi, chacun doit avoir à cœur de vivre durant le soir du séder, un événement fort et intense, qui le mènera à faire l’expérience concrète de la sortie d’Égypte. Dans cet objectif, nos sages ont articulé la haggada de sorte à placer la soirée du séder sous l’égide du questionnement. Il s’agit d’inciter nos enfants à ne pas ressembler au « chééno yodéa lichol », cet enfant qui ne sait pas questionner et qui risque de devenir un racha.
Un des passages les plus important se rapporte directement à cette configuration de la haggada. Il s’agit du « ma nichtana », durant lequel l’enfant pose ses questions. La suite de la haggada constitue la réponse que le père est chargé de fournir à son enfant. Et c’est justement là qu’apparait une singularité. Parmi les quatre questions, il en est une qui reste sans réponse apparente : « toutes les autres nuits, nous ne trempons pas ne serait-ce qu’une fois (notre nourriture), mais cette nuit nous trempons à deux reprises »
La question de l’enfant est pertinente. Quelle est dont la symbolique recherchée en trempant une première fois le Karpass dans de l’eau salée (ou dans du vinaigre, selon les usages) et une seconde fois, en trempant la Maror dans la ‘Harosset ?
Le Ben Ich ‘Haï (section Tsav, paragraphe 32) écrit que le fait de tremper le Karpass dans l’eau salée fait référence à ce qui a amorcé l’exil, à savoir la vente de Yossef par ses frères. Lors de cet événement tragique, les frères ont pris la tunique de Yossef et l’ont trempée dans le sang d’un animal. L’objectif était de simuler la mort de Yossef afin de dissimuler à leur père, Yaakov, la vente de son jeune fils. Par cela, les frères ont provoqué la souffrance et le chagrin de leur cher père. Cet événement constitue la première étape de ce qui nous mènera ensuite en Égypte (c’est peut-être là la raison pour laquelle nous mangeons le Karpass avant d’entamer le récit de la sortie d’Égypte, dans la mesure où il symbolise un événement antérieur à l’exil lui-même). À ce titre , le Ben Ich ‘Haï explique pourquoi cet événement se reflète au travers du Karpass. Les deux premières lettres du mot כרפּס (Karpass) se trouvent être les deux dernières du mot מכר (une vente), tandis que les deux dernières lettres constituent le début du mot פּסים (qui concerne la tunique de laine fine de Yossef, que les frères ont trempé dans le sang). Cela qualifie parfaitement les circonstances pour lesquelles nous consommons le Karpass, à savoir la vente de Yossef et la dissimulation de cette dernière par le sang sur sa tunique.
Une modeste remarque peut s’ajouter aux propos du Ben Ich ‘Haï. L’allusion du Karpass contenue dans les mots מכר (une vente) et פּסים (la fine laine), peut être poussée au point d’expliquer le détail de notre attitude le soir du séder. Les lettres qui sont restées inutilisées forment le mot מים (eau). Rappelons que cette vente de Yossef cachée par la mise en scène de sa mort, a provoqué les pleurs de Yaakov. Peut-être que la symbolique est la suivante. Afin de nous souvenir des larmes qu’a versé notre ancêtre, nos sages ont institué de tremper le Karpass dans de l’eau salée. Par cela, nous ancrons dans nos esprits qu’après la vente de Yossef (מכר) et la maquillage de cette dernière par sa tunique ensanglantée ( פּסים), il ne restait plus que מים, cette eau marquée de la tristesse de Yaakov. Pour cela, nous ajoutons du sel à l’eau dans laquelle nous trempons le Karpass. (idem pour ceux qui ont l’habitude de faire ce passage avec du vinaigre, car le vinaigre à l’aspect de l’eau et un goût acide).
La seconde fois que nous trempons, nous le faisons dans le ‘Harosset qui symbolise la boue dans laquelle nous avons travaillé durant le temps de notre esclavage. Il convient toutefois de noter que le goût du ‘Harosset n’est pas amer mais au contraire sucré, contrairement à l’eau salée dans laquelle nous trempons le Karpass. Peut-être que cela renvoie au fait que le ‘Harosset constitue la réparation du Karpass. Les frères ont fauté et cela nous a valu l’exil, il ont trempé la tunique de Yossef et l’ont vendu en esclave. À notre tour, nous avons traversé les affres de la servitude. Il est intéressant de souligner que le mot כרפּס (Karpass) peut être séparé en כרפּ-ס. En lisant les lettres כרפּ à l’envers nous obtenons le mot פּרך qui connote la difficulté des travaux imposés aux bné-Israël. De même, ces lettres constituent le mot כפּר qui signifie la réparation d’une faute. Quant à la lettre ס, sa valeur numérique renvoie aux 600 000 âmes qui constituent le peuple d’Israël. À ce titre, le Karpass a engendré la difficulté de notre exil et a mené à la réparation de la faute des frères. C’est pour cela, qu’au terme de l’exil, Hachem demande aux hébreux de faire une mitsva qui va s’opposer à cette faute. Pour mériter la libération, les bné-Israël doivent tremper un bouquet dans le sang de l’agneau et marquer les linteaux de leur porte. Nos sages précisent que c’est cette mitsva qui a donné aux hébreux le mérite d’être libérés ! C’est pourquoi le séder est encadré par le Karpass et le ‘Harosset dans lequel nous trempons le Maror. Le Karpass précède le récit de l’exil, en rappel de la tunique de Yossef trempée dans le sang qui a initié notre descente en Égypte. Et finalement, en fin de récit, nous trempons le Maror, cette herbe amère, dans le ‘Harosset qui est sucré. Comme nous l’avons dit, le ‘Harosset témoigne de l’ardeur des travaux, sauf qu’en fin de séder, ces souffrances sont presque devenues agréables à nos yeux, car Hachem nous a prouvé qu’il a pardonné en demandant de tremper dans le sang une seconde fois. Cette fois, il ne s’agit plus de tremper pour entrer dans l’exil, mais pour en sortir !
Ainsi, les deux fois où nous trempons symbolisent notre entrée et notre sortie d’exil. Il convient toutefois de s’interroger sur le fait que la haggada ne fournisse pas de réponse explicite à cette question. Il s’agit pourtant d’une question fondamentale puisqu’elle fait partie intégrante du texte du texte ?
Peut-être que la réponse se trouve de le fait que nos sages ont voulu insister sur la nécessité de multiplier les recherches et les commentaires concernant la sortie d’Égypte. En effet, beaucoup de personne se demandent naturellement pourquoi devons-nous répéter chaque année ce même texte qu’à terme, nous connaissons par cœur ?
La réponse réside dans le fait que justement, il y a une nécessité vitale à découvrir d’année en année des nouveautés au travers de nos investigations. Nous pouvons comprendre cela plus en avant grâce à une explication que nous fournie le Sfat Émet (dans son commentaire sur la Hagada, année 639). Dans la haggada, nous disons : « וְכָל הַמַּרְבֶּה לְסַפֵּר בִּיצִיאַת מִצְרַיִם הֲרֵי זֶה מְשֻׁבָּח Et quiconque s’étend sur le récit de la sortie d’Égypte est digne de louanges. ». En quoi l’abondance du commentaire est-elle particulièrement digne d’être louée ? Que cachent réellement nos commentaires ? Pourquoi plus qu’ailleurs, l’étude de la sortie d’Égypte revêt un caractère spécial ?
Le Sfat Émet apporte une réponse éloquente. Le passage de « עֲבָדִים הָיִינוּ Nous étions esclaves… » suggère que sans l’intervention d’Hakadoch Baroukh Hou, notre exil n’aurait jamais pris fin. Aucune limite ne s’imposait à l’asservissement qui aurait (naturellement) pu se prolonger indéfiniment. À ce titre, puisque les forces du mal qui nous retenaient étaient sans limite, l’intervention d’Hachem pour les briser devait être de même nature et n’avoir aucune limite ! À plus forte raison lorsque nous savons que la miséricorde divine excède sa rigueur, ce qui ne laisse entrevoir absolument aucune restriction quant aux forces libératrices qu’Hachem a mis en place. Le Sfat Émet évoque par là une notion surprenante : la sortie d’Égypte n’est pas terminée ! De par l’infinité des forces mises en jeu, il paraît impossible d’y mettre une limite de temps, un terme historique. En ce sens, les énergies de la libération du peuple hébreu continuent de déferler et grandissent sans cesse. Toutefois, ces forces demeurent cachées. Le Sfat Émet (cf année 633) explique qu’il s’agit de la raison pour laquelle nous ne récitons pas le Hallel complet durant toute la durée de la fête, car le miracle est encore en cours de dévoilement et ne peut être loué de façon intégrale. D’où l’intérêt si précieux du commentaire de Pessa’h. En étudiant, en commentant la sortie dÉgypte, au point de dépasser le simple texte, d’entrevoir et de saisir l’immensité de ce miracle, nous dévoilons ces énergies cachées, ce potentiel encore inexprimé de la sortie d’Égypte ! Ainsi, nous le faisons émerger d’année en année. C’est ce qui s’est produit avec ces rabbanim qui ont tellement excellé dans le commentaire qu’ils sont parvenus à en extraire la puissance cachée au point de la libérer complètement. Conséquence de quoi, le midrach enseigne que s’ils avaient continué quelques instants, les forces employées en Égypte auraient été intégralement dévoilées et leur expression se serait concrétisée par la libération totale et absolue, celle que nous attendons avec la venue du Machia’h (biméra béyaménou).
Tel est l’enjeu de pessa’h et de nos commentaires. Et c’est sans doute la raison pour laquelle nos sages ne répondent pas ouvertement à toutes les questions de l’enfant. L’objectif est d’inciter le père et tous les convives, à leurs propres recherches, à leurs propres découvertes, car de cela découle notre libération prochaine.
À ce titre, il convient de rappeler combien il est regrettable de bâcler la lecture de la haggada. Certes, une simple lecture nous acquitte de notre devoir, mais il est ô combien dommage de laisser passer une opportunité de multiplier les forces de la délivrances qui se sont déployées en Égypte. À ce titre, chaque famille doit avoir à cœur de lire et de comprendre la haggada (au travers d’une traduction si nécessaire) et surtout, d’exceller dans le commentaire de ce texte qui nous relie à nos ancêtre et à la joie de vivre la libération accompagnée par Hakadoch Baroukh Hou.
Yéi ratsone que les phrases qui concluent la haggada se réalisent enfin et que l’année prochaine nous soyons à Yérouchalayim reconstruite amen véamen.
Chabbat chalom, pessa’h cachère véssaméa’h.