La réprimande doit être faite avec tact ! Paracha Dévarim. Réouven Carceles
Réprimande avec tact
Dans la Paracha de la semaine, la Paracha Dévarim, la torah nous dit : « Voici les paroles que Moché adressa à tout le peuple d’Israël, en deçà du Jourdain, dans le désert, dans la plaine, face à Souf, entre Paran et entre Tofél, et Lavan, et Hatseroth et Di-Zahav ». (devarim 1,1)
Au début de la Paracha, le Gaon de Vilna explique que les cinq premiers versets constituent une introduction au contenu de tout le livre de Dévarim qui est divisé en trois parties, correspondant aux trois livres précédents, Chemot, Vayikra et Bamidbar. C’est d’ailleurs pour cela qu’il porte le nom de Michné Torah (répétition de la Torah).
Le début de notre Paracha : « Telles sont les paroles qu’adressa Moché » désigne la première partie, c’est-à-dire des paroles de Moussar et les réprimandes, c’est pourquoi les fautes du peuple sont mentionnées ici en abrégé et avec délicatesse, à tout le peuple d’Israël, quelques jours avant la mort de Moché. Il ne cite pas explicitement les fautes et les pêché commis par les Bné Israel, mais seulement des noms de lieux et de villes contenant une allusion à leurs péchés, comme l’explique rachi sur place : « pour préserver l’honneur du peuple juif. » Pourquoi rachi insiste-t-il sur d’honneur du peuple juif ? puisque ce sont des paroles de reproche, d’ailleurs Moché a énuméré ici tous les endroits où les enfants d’Israël ont irrité Hachem, mais il a dissimulé les faits reprochés par simple allusion par égard pour le peuple.
D’un autre coté le Imrei Elimélekh du Rabbi de Crodzisk rapporte que tous les commentateurs font remarquer que ces fautes mentionnées ici par allusion sont pourtant exposées plus loin dans tous leurs détails, pourquoi ? De plus, nous savons que la réprimande est l’un des 248 préceptes positifs, et ce précepte incombe à chaque juif, car nous savons que tous les juifs sont responsables les uns les autres, au point que nos sages ont enseigné (chabbat 54b) que celui qui voit son prochain commettre une faute et qui ne le réprimande pas est considéré par les Ecritures comme ayant commis cette faute, et sera puni en premier. Le Séfer Hassidim va plus loin et explique que l’homme qui commet une faute sans que son prochain l’ait vraiment réprimandé et qu’il en meurt, c’est comme si son prochain l’avait tué, et Hachem lui demandera des comptes sur le sang qu’il a fait couler. Nous voyons donc ici un enseignement intéressant : « la réprimande », mais par allusion, en préservant l’honneur (kavod) du peuple, et bien que les remontrances adressées aient pour effet d’amoindrir cette honneur, néanmoins, ces reproches devaient être dits par rémez (insinuation), c’est-à-dire qu’il ne fallait pas expliciter les fautes commises, car cela aurait jeté un trop grand discrédit sur le peuple d’Israël. Il est donc important de comprendre cette notion et quelle est l’enseignement pour nous tous ?
Il est possible d’apporter un élément de réponse, que d’après toutes les fautes mentionnées par Moché Rabbénou, seulement deux d’entre-elles aux conséquences graves sont connues de tous, d’abord, la faute des explorateurs (insinuée par la ville de Paran) qui a entraîné l’interdiction d’entrer dans le pays d’Israël et le décret de mort de la génération du désert, ensuite la faute d’idolâtrie du veau d’or (insinuée par la ville de Di-zahav), dont la gravité est telle que son expiation est étalée dans le temps, sur toutes les générations. En effet, nous savons au nom de rachi, qu’il n’y a pas de punition qui ne vienne sur les enfants d’Israël sans qu’il y ait une part de punition pour cette faute (du veau d’or). Le peuple d’Israël n’ignorait pas ces deux fautes publiques et leur gravité, pourtant Moché prend soin de ne pas les rappeler explicitement, mais seulement par rémez, pour ne pas leur faire honte, bien que la réprimande soit un commandement positif de la torah, c’est-à-dire que Moché nous enseigne donc que toute réprimande adressées à son prochain ne peut être effectuée qu’avec le souci de ne pas l’offenser ni le déshonorer, tellement est important l’honneur dû à autrui.
Pour comprendre cette notion, le Gaon Rabbi Haim Chmoulevitch, nous explique, qu’après le décès de sa tante Ra’hel, Réouven défit la couche de son père Yaacov et la transporta depuis la tente de Bilha, servante de Ra’hel, jusqu’à la tente de sa mère Léa, pour signifier son mécontentement à son père qui, à ses yeux, aurait dû ne résider que dans la tente de Léa. Cette attitude de Réouven, qui traduisait un manque de respect envers son père, ne lui fut pas reprochée au moment des faits. Ce n’est que bien plus tard, peu de temps avant sa mort, que Yaacov adressa a Réouven sa réprimande, comme le rapporte la parachat « Vay’hi » : Impétueux comme l’onde, tu as perdu tes avantages (d’aîné, de roi et de Cohen), car tu as attenté au lit paternel (Bérechit 49,4).
Réprimande avec tact !!
Dans notre Paracha, Rachi explique pourquoi Yaacov n’a reproché à Réouven son comportement que bien plus tard, cinquante années après les faits, et c’est d’ailleurs de là, que nous voyons que Moché a calqué son attitude sur celle de Yaacov ! En effet, selon Rachi : Yaacov lui dit : « Réouven, mon fils, je vais te dire pourquoi je ne t’ai pas adressé de réprimande pendant toutes ces années : c’est que je craignais que tu me délaisses pour aller t’attacher à mon frère Essav » (chap. 1,3). Pour comprendre le rapport, il est bon de rappeler l’enseignement de nos sages dans la Guemara dans Chabbat (105b), qui expliquent le comportement du Yetser hara (mauvais penchant), qui pousse l’homme à faire une légère transgression et demain à faire une transgression plus grave jusqu’à lui demander après plusieurs étapes successives de servir et adorer les idoles.
En général le Yetser Hara n’a pas le pouvoir d’entrainer un homme de haut niveau à commettre une faute grave en une seule étape, c’est pourquoi il ne peut agir que progressivement, par étapes, par contre, lorsqu’un homme est fortement perturbé, découragé, le Yetser Hara a le pouvoir de le faire basculer en un court instant, sans étapes, comme l’exemple du peuple d’Israël, qui, prêt à recevoir la torah, fut perturbé par la disparition de Moché et, désespéré, a fait le veau d’or. Nous apprenons de là, que, Si Réouven avait reçu la réprimande de son père juste après son action, il aurait été fortement troublé et désemparé, d’avoir perdu son monde futur. Dans cette état, il aurait été en danger spirituel, et aurait abandonner son père et ses valeurs pour s’attacher à Essav. C’est cela que craignait Yaacov, et surement Moche pour le peuple, c’est donc dans ce sens que nous devons apprendre, que si nous sommes amenés adresser une remontrance a notre prochain, il faut peser ses mots et la forme de la réprimande pour éviter le danger spirituel.
C’est un grand fondement, le Pelé Yoetz nous dit qu’il y a des modalités de la réprimande (réprimande avec tact), qu’une grande précaution est nécessaire afin de ne commettre aucune faute, en humiliant son prochain et en lui parlant durement, ce qui déclencherait une dispute, une querelle, la haine et la rivalité. Mais un doux parler brise secrètement la plus dure résistance, il ne faut pas blesser l’honneur des personnes, ne pas mentionner la faute de quiconque, et même si la réprimande porte sur les fautes que les gens négligent, il devra au préalable les honorer et les louer, afin qu’ils acceptent ses remontrances.
C’est un bel enseignement pour chacun d’entre nous, même dans nos propres maisons, nous pouvons appliquer cette enseignement. Le Or Ha’Haim et d’autres livres saints, enseignent à ce titre, que celui qui veut adresser des reproches à son fils ou un maître à son élève doit attendre le moment propice et patienter jusqu’à ce qu’il soit certain que l’intéressé prêtera une oreille attentive à ses propos, à l’exemple de Yaacov avec Reouven ou Moché qui a adressé des remontrances à Israël sur la rive du Jourdain. Il a attendu le bon moment, à la fin des quarante années dans le désert, pour qu’ils puissent les écouter, c’est peut-être pour cette raison que les fautes n’ont été exposées que plus loin dans tous leurs détails. Le Midrach rapporte, à ce titre, que dès que les enfants d’Israël ont entendu les remontrances de Moché, ils se sont sincèrement repentis. Or celui qui se repentit par amour de Dieu, ses fautes volontaires deviennent des mérites, c’est pour cela que Moché les cite donc ensuite dans tous leurs détails, pour mentionner les mérites du peuple juif.
Chabbat shalom
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Le texte complet de la Paracha dévarim, en français, peut se trouver sur le site sefarim.fr