La création de l’absence
Cours de Rabbi Yérou’ham
(Mashguia’h de la Yéshiva de Mir)
Traduit et adapté par Rav Michael Smadja
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Pour la prompte guérison de Ethel Esther bar Rahel et de Saraël bat Sarah
Au sujet de l’existence de l’obscurité et de sa nature.
Le Rambam dans »le livre des égarés » rapporte le point de vue des philosophes sur ce point affirmant que l’obscurité n’est pas une création en elle-même n’ayant pas de réalité propre mais ne serait que la conséquence de l’absence de lumière. Lorsque la lumière disparaît alors se matérialise l’obscurité.
Et ainsi sont ses paroles « mais l’absence n’est pas quelque chose de palpable et de la même manière que nous disons sur celui qui éteint une bougie dans la nuit qu’il crée l’obscurité ainsi nous disons que celui qui abîme la vue, qu’il crée la cécité et bien que l’obscurité et la cécité ne sont que des absences et ne sont pas liées à l’action. Et selon cette explication, les paroles du prophète Yéchaya [Isaïe]: « Celui qui fabrique (Yotser) la lumière et qui crée (Boré) l’obscurité qui fait (Ossé) la paix et qui crée (Boré) le mal » peuvent être expliquées ainsi: car l’obscurité et le mal sont des absences. Aucune action ne peut créer l’absence et le manque, ceux ne sont que des accidents car le langage de création (Yotser ou Ossé) ne s’applique que sur la lumière et la paix et non sur l’obscurité et le mal où il est employé le langage de Boré ».
Beaucoup de penseurs ont répondu à ce courant de pensée. Cependant le sens simple de ces mots « qui crée l’obscurité » fait a priori référence à une véritable création de l’obscurité et pas seulement une simple expression désignant une absence. A nous de savoir que l’obscurité est sans nul doute une véritable création, car il est impossible de définir l’obscurité comme étant une absence de lumière car, qui peut dire qu’en l’absence de lumière viendrait l’obscurité ? Logiquement l’absence de lumière devrait entraîner le néant, pourquoi cela engendrerait l’obscurité?
De cette réflexion, il est évident de dire que l’obscurité est une véritable création. Mais il y a deux sortes d’obscurité:
1/ une véritable création
2/ et aussi une absence de lumière
Si nous fermons les volets de nos fenêtres en plein jour et que l’obscurité apparaît, il est certain que cette obscurité n’est qu’une absence de lumière, tous les philosophes basant leurs explications sur cette expérience. Mais il est clair que l’obscurité est aussi autre chose, une création à part entière comme il est écrit: « et qui crée l’obscurité« . Et en vérité les deux explications sont exactes car, s’il est vrai que l’obscurité est une création, cela n’est que la création d’une absence. C’est-à-dire une création par intermittence lorsque la lumière disparaît. Comme l’exemple de la santé et de la maladie. Il est certain que la maladie est une absence de santé mais d’un autre côté il n’y a aucun doute qu’elle est une création, une réalité dans l’existence. De même l’exemple de la satiété et de la faim. La faim étant une absence de satiété mais aussi une véritable réaction chimique.
Et le mal, quelle est sa réalité et sa nature dans ce monde? Si cela est une création, comment a-t-elle pu sortir de la « bouche » de D-ieu qui est la source même du bien et sur quoi le verset témoigne: « de la bouche de la volonté suprême ne sort aucun mal ». Et si le mal n’est que l’absence du bien comment comprendre les mots du verset: « qui crée le mal » ? Voici qu’il est exprimé clairement que le mal est une création !
Le Ramhal s’étend longuement dans son livre « Daat Tévounot » sur ce sujet.
L’intellect (hassékhel) dit: « deux paroles je vais te dire:
1/ D-ieu ne prodigue aucun mal car il n’est que source bienfaisante et
2/ de ce bien, le mal ne peut se matérialiser ».
L’âme (hanéchama) demanda alors: » si cela est ainsi, alors comment le mal peut exister car voici il est écrit: » qui fait le bien et qui crée le mal? «
L’intellect répond: il est écrit « qui crée le mal » et non « qui fait le mal » (c’est-à-dire que le créateur a créé la possibilité au mal d’exister). Il est évident que le créateur a créé le mal sinon, il ne pourrait exister mais il ne l’a pas créé en tant que « acte qui se matérialise » à chaque instant.
L’intellect dit: les versets parlent: « D-ieu par ta volonté, tu t’es tenu dans les montagnes fortifiées, tu as caché ta face, j’ai été effrayé ». » Tu caches ta face et ils sont dans l’épouvante ». Notre maître Moshé a lui-même dit: « et je cacherai ma face d’eux et ils seront en pâture… » Le Maharal en fin de compte explique que D-ieu a mis en place a priori la possibilité aux manques (hephsédim) et aux détériorations (kilkoulim) de se matérialiser dans l’existence du bien. Et uniquement de cet enchaînement de détériorations va se créer le mal. Le mal se matérialisant par l’absence du bien. Par le fait de ne pas voir le bien qu’il nous prodigue, se matérialise le mal. Par le fait de ne pas avoir de réceptacle, l’huile ne peut se recevoir.
Le Maharal explique qu’il y a deux principes qui ne sont en fait qu’un seul: « le voilement de Sa face » et « le dévoilement de Sa face » dont leurs conséquences sont la perfection et les manques et d’eux découlent le bien et le mal. Cependant l’existence du mal n’apparaît que de la force même du voilement de la face divine ».
« Il se trouve que D-ieu saisit ces deux qualités en même temps, la conduite cachée et la conduite dévoilée, le manque et la perfection. Et de ces deux qualités sont nées le corps et l’âme. Les besoins liés au corps sont beaucoup moins élevés que les besoins de l’âme, et de ce fait, se matérialiseront des manques qui ne peuvent se parfaire au niveau de l’âme. Dans ces sujets liés au corps, le manque et le voile se matérialisent, ce qui ne sera pas le cas dans les notions liées à l’âme mais cela ne veut pas dire que cela est le mal ». « Et il se trouve que le principe du mal que D-ieu a refoulé de Sa conduite dans la matière et qui est une conduite pesante par la force de l’obscurité de Son absence et plaçant dans cette nature toutes les pertes qui peuvent empêcher le bien de se diffuser telles que les mauvaises qualités, les défauts qui empêchent le bien de se diffuser.
Il se trouve donc que la nature même du mal n’est que la conséquence d’un manque, l’empêchement au bien de se diffuser car toute la matérialisation du mal ne vient que du »Hester Panim » du voilement de sa face. Lorsque la lumière se cache, apparaît l’obscurité ! Et malgré cela, le mal est une création car ainsi il est écrit: « et Il crée le mal », réalité d’une création car de la même manière que nous avons expliqué les notions d’obscurité et de lumière ainsi nous expliquons les notions de mal et de bien. Réalité d’une création qui se matérialise par un manque. Une création par intermittence. Lorsque D-ieu cache sa face, cache sa lumière alors d’elle-même apparaît la création de ce qui est appelé »mal ».
En conclusion: comme la matérialisation de la lumière et de l’obscurité ainsi est la matérialisation du bien et du mal. Comme l’illumination de sa face ainsi est son obscurcissement. Deux créations générant l’obscurité et la lumière. Pour cela, plus je vais voir D-ieu dans la matière, plus Son dévoilement apparaîtra à mes yeux et moins le mal apparaîtra. Plus je serai content de mon sort dans ce monde et moins la tristesse, la morosité, la détresse le malheur se matérialisera dans ma perception de la vie.
Par cela, nous pouvons expliquer la notion de hasard. Qu’est-ce que le hasard ? Comment cela peut-il se matérialiser voici que toute création est sous la providence divine ! Rien ne peut exister sans Sa volonté et donc le hasard ne peut se matérialiser ! Comment alors peut-on ressentir si fortement Sa présence? En fait rien ne peut se faire sans la volonté divine jusqu’au moindre détail et donc le hasard n’existe pas mais il n’est que le produit de notre cœur, le fruit de notre imagination, de notre pouvoir imaginaire. Que ressent-on lorsque survient un événement ou un accident indépendant de notre volonté ? Si nous ressentions la volonté divine derrière chacun de nos gestes, alors apparaîtrait le dévoilement de la lumière divine automatiquement dans cet événement mais comme nous vivons notre vie comme un enchaînement de cause et effet, sans aucune préméditation dans la création, alors la lumière divine se cache et se drape dans une conduite naturelle où le hasard se perçoit très fortement. Le fait de percevoir les événements de la vie comme une suite de hasards fait de causes et effets, ressentant fortement que nous sommes maître de notre destin et donc tout accident qui n’est pas de notre volonté, ne serait que pur hasard. Et en fait cela n’est que la matérialisation du »Hester Panim », de la conduite cachée sans dévoilement de sa lumière. L’écran fabriqué par cet enchaînement de cause et d’effet va empêcher la lumière divine de se diffuser et donc faire apparaître l’obscurité et le mal qui se matérialisent dans cette impression de hasard.
Cependant si nous nous demandons si le hasard est une création et une réalité ? Il est certain que oui : de la même manière que l’obscurité qui est une absence de lumière, et malgré tout est une création ainsi il en est pour le hasard. Par un empêchement de la lumière divine de se matérialiser, apparaît alors la création qui s’appelle le hasard. Et ceci par une providence divine extrême car jamais celle-ci ne disparaît.
Si un homme se met à percevoir sa vie comme une suite de hasards, alors cela est la matérialisation de la conduite divine d’une manière cachée, »Hester Panim », par un filtre épais qui ne laisse passer que parcimonieusement la lumière divine.
Un deuxième homme qui se met à percevoir la vie comme une providence permanente se diffusant sur lui, ressentant que la moindre respiration est un don divin, alors sur lui, la conduite divine se matérialise d’une manière claire et dévoilée.
Le Midrash rapporte à propos du verset: « Ta justice est comme les montagnes de D-ieu tes jugements sont des abîmes ».
La justice que tu amènes dans ce monde est aussi visible que les montagnes et tes jugements, aussi sombres que des abîmes. Le jugement que tu fais dans ce monde est caché comme l’abîme, c’est-à-dire la conduite cachée de D-ieu et ta justice apparaît aux yeux de tous comme ces montagnes, c’est-à-dire la conduite dévoilée de D-ieu. Le jugement, les épreuves, le mal est sa conduite cachée, il recouvre sur ces jugements, sur ces épreuves, l’abîme qui est l’obscurité. La conduite qui dévoile le mal est dans l’obscurité, dans le secret.
Le verset écrit: « parle aux enfants d’Israël….et qu’ils retournent et qu’ils campent devant l’idole « Baal Tsafon » …et Parho dira : les enfants d’Israël sont perdus dans la terre… » Comment D-ieu se conduit avec Parho pour le faire rentrer dans la mer ? Il lui fait croire que l’idôle « Baal Tsafon » n’a pas été détruite car elle est plus forte que lui. Comment Parho a-t-il pu penser cela, après tous les miracles qu’il a vus ? Car ainsi est la conduite divine avec les mécréants. Il assombri Ses chemins, il enlève de sa lumière afin de laisser place à l’erreur jusqu’à pourvoir penser que l’idole est plus forte que D-ieu.
Le Ramban rapporte sur le verset: « D-ieu a fait souffler un vent d’est très fort sur la mer« : D-ieu avait la volonté de fendre la mer par un vent d’est qui va l’assécher pour faire croire que c’est le vent qui a asséché la mer et non l’ordre divin. À tel point était l’obscurité des égyptiens, qu’au moment où il y a eu le plus grand dévoilement de la lumière divine à l’ouverture de la mer, ils étaient toujours en train de dire que cela n’était qu’un hasard. Un vent fort s’est levé et a asséché la mer permettant aux enfants d’Israël de s’échapper. N’est-ce pas là, une obscurité totale qui s’était abattue sur eux ?!
En fait, où se cache le hasard si ce n’est dans la nature ? Celle-ci étant la plus grande des erreurs que D-ieu a placé dans le monde. Nous pensons que le pain est le moyen de nous donner la santé. Je mange du pain donc je suis en bonne santé. Cause et effet, conduite du hasard que je provoque. Mais en vérité tout cela n’est qu’une conduite cachée du divin car en vérité seule la parole divine nous maintient en vie. C’est la réalité de ce monde, conduite divine sous-jacente mais entièrement cachée sous le couvert des lois naturelles mais entièrement erronée. Conduite obscure. Mon esprit est tellement ancré dans cette vérité que c’est cette même vérité qui fait que le pain me nourrit. Si mon esprit était détaché de cette vérité, alors il ressentirait que seul la volonté divine nourri mon corps comme il nourrit mon esprit et mon âme.