Parashat Emor (5775)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
PARACHAT ÉMOR
Après avoir exigé la pureté de l’ensemble du peuple d’Israël, en décrivant les règles qui en découlent, Hachem commence par définir, dans notre paracha, les règles de pureté qui sont spécifiques aux cohanim. Ainsi, une règle particulièrement contraignante s’impose aux cohanim, celle de l’interdiction de côtoyer la mort, aussi bien par contact avec un cadavre que par passage dans un cimetière. Pour le Cohen gadol, cette interdiction s’applique même pour ses proches parents qu’il n’aura absolument pas le droit d’accompagner au cimetière, ni même de s’en approcher une fois que leur âme les a quittés. Il devra poursuivre le service au temple sans interruption. La paracha poursuit en énumérant les différents défauts rendant un Cohen inapte au service divin, l’empêchant de pouvoir s’occuper des sacrifices, mais bénéficiant tout de même du droit d’y goûter. De même, tout Cohen qui entrera en contact avec une quelconque forme d’impureté, même involontaire (comme la lèpre par exemple) sera interdit au service durant le temps de son impureté. Un Cohen qui pénètrerait le sanctuaire en état d’impureté serait passible de la peine de retranchement. Suite à cela, la Torah définit les critères disqualifiant les sacrifices, en listant les défauts qui empêchent l’animal d’être offert à Hachem. Dans la quatrième section de la paracha, la Torah énumère les lois ayant attrait aux jours saints du calendrier, en commençant évidemment par le chabbat, puis Pessa’h, le compte du omer qui mène directement à la fête de Chavouot, Roch Hachanah, Kippour, Souccot et Chémini Atséret. La paracha se prolonge en décrivant les lois concernant l’allumage et l’entretien de la ménorah, ainsi que les règles concernant les douze pains entreposés sur la table.
Dans le chapitre 24 de Vayikra, la torah dit :
:י/ וַיֵּצֵא, בֶּן-אִשָּׁה יִשְׂרְאֵלִית, וְהוּא בֶּן-אִישׁ מִצְרִי, בְּתוֹךְ בְּנֵי יִשְׂרָאֵל; וַיִּנָּצוּ, בַּמַּחֲנֶה, בֶּן הַיִּשְׂרְאֵלִית, וְאִישׁ הַיִּשְׂרְאֵלִי
10/ Le fils d’une femme israélite est sorti et il était le fils d’un homme égyptien du milieu des bné-Israël ; ils se disputèrent dans le camp, le fils d’une israélite et l’homme israélite.
: יא/ וַיִּקֹּב בֶּן-הָאִשָּׁה הַיִּשְׂרְאֵלִית אֶת-הַשֵּׁם, וַיְקַלֵּל, וַיָּבִיאוּ אֹתוֹ, אֶל-מֹשֶׁה; וְשֵׁם אִמּוֹ שְׁלֹמִית בַּת-דִּבְרִי, לְמַטֵּה-דָן
11/ Il maudit, le fils de la femme israélite le Nom et blasphéma ; ils l’amnèrent à Moshé ; et le nom de sa mère était Chlomit fille de Divri de la tribu de Dan.
יב/ וַיַּנִּיחֻהוּ, בַּמִּשְׁמָר, לִפְרֹשׁ לָהֶם, עַל-פִּי יְהוָה׃
12/ Ils le placèrent sous garde, pour clarifier pour eux, selon Hachem.
:יג/ וַיְדַבֵּר יְהוָה, אֶל-מֹשֶׁה לֵּאמֹר
13/ Et Hachem parla à Moshé en disant.
: יד/ הוֹצֵא אֶת-הַמְקַלֵּל, אֶל-מִחוּץ לַמַּחֲנֶה, וְסָמְכוּ כָל-הַשֹּׁמְעִים אֶת-יְדֵיהֶם, עַל-רֹאשׁוֹ; וְרָגְמוּ אֹתוֹ, כָּל-הָעֵדָה
14/ Fais sortir le blasphémateur à l’extérieur du camp, tous ceux qui ont entendu, appuieront leurs mains sur sa tête ; et ils le lapideront, toute l’assemblée.
La fin de notre paracha aborde le cas de cet homme, qui subitement se met à blasphémer et proférer des propos qui vont le conduire à la mort. Ce passage est avare en explication. En effet, le texte ne précise que très peu d’éléments et seuls nos sages nous éclairent sur les causes de cet événement. Le premier point à préciser avant de commencer notre développement est la provenance de cet homme. Il est le fils d’un égyptien et d’une juive qui ont eu un rapport durant notre séjour en exil. L’Égyptien en question, n’est autre que celui que Moshé a été contraint de tuer en prononçant le nom le Dieu, celui-là même qui constitue un des secrets les plus profonds de la torah, dans la mesure où son détenteur est capable de remodeler la création. C’est en voyant, un homme se faire battre à mort par cet égyptien que Moshé le prononce et retire la vie à l’oppresseur. Au niveau de la loi, le Ramban précise qu’avant le don de la torah, la judéité se transmettait par le père et non par la mère comme c’est le cas aujourd’hui. Ainsi, l’enfant issu de la relation avec l’égyptien n’est pas juif, c’est pourquoi sa présence dans le peuple juif se justifie par sa conversion.
Rachi apporte plusieurs sources pour expliquer la dispute dont nous parle les versets que nous avons cités. Ainsi, Rabbi Béra’hia explique que le débat initial concernait les douze pains entreposés sur la table de la tente où officiait Aaron. Ces pains restaient en dépôt durant une semaine et par miracle, conservaient leur fraîcheur toute la semaine. C’est pourquoi, l’homme en question se moqua et dit : « C’est l’habitude du roi de manger du pain chaud (c’est-à-dire du pain frais) chaque jour ! Est-ce qu’un roi mange du pain froid de neuf jours ? ». De même il apporte une seconde référence expliquant que cet homme est sorti du tribunal où il a été jugé coupable. Il était venu planter sa tente au milieu du camp de Dan (la tribu de sa mère). Sur place, les gens lui demandent logiquement une explication, pourquoi s’installait-il dans ce camp ? Il leur expliqua alors qu’étant issu d’une femme de cette tribu il en faisait partie. Toutefois la torah enseigne que l’installation au niveau du campement se fait exclusivement par lignage paternel. De fait, il ne pouvait pas prétendre vivre parmi la tribu de Dan. Il faut comprendre qu’il ne s’agit pas de vivre de façon sectaire. Seulement, la disposition du camp des bné-Israël telle qu’instituée par Hachem lui-même, revêt d’une correspondance particulière entre chaque membre de la tribu et l’endroit dans lequel cette dernière se trouve. Sur un plan extrêmement profond, le mélange aurait des conséquences spirituelles désastreuses pour l’harmonie requise afin d’accueillir la présence divine. D’où la nécessité de refuser l’accès au premier venu. Révolté face au refus des membres de la tribu de Dan, l’homme s’en alla au tribunal de Moshé duquel il sortit coupable. C’est cela qui le mena au blasphème.
Tentons d’analyser ce passage. Quelle est la corrélation entre les deux explications apportées par Rachi ? Pourquoi sont-elles toutes deux proposées pour ce passage ?
Plus encore, pourquoi le renégat se met-il subitement à critiquer le pain ? En quoi ce dernier lui pose t-il un quelconque problème ?
Pour tenter de comprendre, rappelons un enseignement du Maharal de Prague, que nous avions déjà abordé dans un dvar torah précédent. Le peuple hébreu est placé sous le symbole de l’harmonie et de l’unité. Notre base s’appuie sur la formation particulière de nos pères : douze tribus issues d’un seul père, Yaakov. Ensemble, se sont treize éléments qui constituent la genèse de notre peuple. Or, treize est la valeur numérique du mot « אחד un ». De façon plus profonde, la constitution même de ce mot qui témoigne l’unité, reflète la partition du peuple juif. La première lettre, le « א » a pour valeur le chiffre un. Il renvoie à Yaakov, qui est la base de la formation familiale. Ce dernier a eu douze fils dont huit sont issus de ses deux femmes, Ra’hel et Léa, et quatre proviennent de ses deux servantes Bilha et Zilpa. C’est pourquoi les deux lettres qui suivent le « א », sont le « ח » et le « ד » qui ont respectivement pour valeur huit et quatre. À ce titre le mot « אחד un » concentre à lui-seul toute la structure des bné-Israël. Parallèlement, ce mot qualifie généralement le Maître du monde, dans la mesure où Il est unique. Par cela, nous comprenons les propos de nos sages qui expliquent qu’Hachem et son peuple ne font qu’un. Car dans les faits, Il est unique mais ne se dévoile pas dans notre monde. Son expression se fait au travers de notre peuple qui, lui-aussi est unique ! Cela nous permet même de saisir le sens de ce fameux midrach qui enseigne que l’effigie de Yaakov est gravée sous le trône de Dieu ! Car Yaakov est la structure familiale qui représente l’unité divine dans notre monde.
C’est en se voyant refusé l’accès à la tribu de Dan que le blasphémateur s’est considéré comme étranger aux douze tribus d’Israël et a interprété cela comme un manque de cohésion et d’union du peuple. Ses propos se sont donc orientés vers ce qui symbolisait cette union, à savoir les douze pains chargés de représenter les douze tribus devant leur créateur. Or, cette union terrestre et humaine est, comme nous venons de l’expliquer, le reflet de l’unité divine. Pensant les tribus désunies, l’homme extrapole le raisonnement et juge l’existence divine comme elle-même séparée et divisée. D’où son blasphème partant des douze pains, symboles d’Israël, et s’orientant vers le Maître du monde par le biais d’une critique de son unité (has véchalom!).
Cette critique de l’unité d’Hachem et de son peuple trouvera dans l’histoire un écho lourd de conséquence. Le Réguel Yéchara explique que notre paracha insinue un personnage dont la vie sera très semblable à celle de ce blasphémateur. En effet, le (verset 16, chapitre 24) dit « ונוקם שם יהוי Et celui qui blasphémera le nom de Dieu. », la première lettre de chaque mot de cette phrase constitue les lettres du nom « ישו yéshou » (qui renvoie à jc) et dont sera issu le christianisme. L’histoire dont nous parle la torah et la vie de ce racha sont finalement très similaire. D’une part le Rambam écrit (dans iguéret harambam) que son père n’était pas juif. La guémara dans le traité sanhédrin (page 107) raconte la source de sa dérive. Il était l’élève du tana Rabbi Yéhochoua Ben Pera’hia. C’est en constatant qu’il regardait les femmes que son maître l’a repoussé de son enseignement. À plusieurs reprises, l’élève a tenté de se rattraper et a demandé à son rav de le reprendre parmi ses disciples car il ferait téchouva. Mais chaque tentative s’est soldée par un échec et le rav lui refusait son enseignement. Lors de la dernière tentative de se racheter, le rav se trouvait alors enclin à pardonner à son élève. Toutefois, à l’arrivée de yéshou, Rabbi Yéhochoua Ben Pera’hia récitait le chéma israël et lui fit signe de patienter (le temps de terminer sa prière). Toutefois, son geste fut interprété par yéshou comme un nouveau rejet. C’est alors qu’il s’est tourné vers le mal et l’idolâtrie.
Certaines sources attestent que ce racha avait obtenu le chem haméforach et qu’il s’en servait pour réaliser des miracles ! D’où la croyance profonde que certains lui ont voué. Comme chacun le sait, aujourd’hui, de lui est issu une nouvelle conception de la divinité, celle qui consiste à placer le mal au même niveau que le bien, à savoir que le satan est (has véchalom) l’antithèse de Dieu, alors qu’il n’est qu’une de ses créations. Pire encore, la conception de la croyance en cet homme pousse l’homme à subdiviser l’être suprême en trois sous parties !
La corrélation entre sa vie et celle de l’homme de notre paracha est donc très parlante dans la mesure où le résultat de leur action se porte sur une attaque de l’unité divine !
Ces deux personnages nous permettent toutefois de comprendre une notion basique. Celle de l’importance de juger favorablement et jamais négativement. Car, dans le cas de yéshou, s’il avait fait l’effort de réfléchir et de comprendre que son maître ne pouvait lui répondre immédiatement car occupé à prier, alors il aurait évidemment saisi qu’il ne le repoussait pas de nouveau et qu’au contraire, il lui offrait l’opportunité de se racheter ! Le résultat a été fatal. Ce n’est pas seulement sa vie qui en a été affectée, mais l’ensemble du monde ! En effet, ce simple effort aurait évité l’avènement d’une religion qui a été néfaste pour notre peuple et qui nous a tant fait souffrir. Un simple choix, une simple interprétation erronée a orienté le destin d’une partie entière de la planète, vers une fausse croyance !
Chabbat Chalom.