Premier passage – Voici le pain de misère
הָא לַחְמָא עַנְיָא. דִּי אֲכָלוּ אַבְהָתָנָא בְּאַרְעָא דְּמִצְרָיִם. כָּל דִּכְפִין יֵיתֵי וְיֵיכוֹל. כָּל-דִּצְרִיךְ יֵיתֵי וְיִפְסַח. הַשַּׁתָּא הָכָא. לְשָׁנָה הַבָּאָה בְּאַרְעָא דְּיִשְׂרָאֵל הַשַּׁתָּא הָכָא עַבְדֵּי. לְשָׁנָה הַבָּאָה בְּאַרְעָא דְּיִשְׂרָאֵל בְּנֵי חוֹרִין:
Voici le pain de misère qu’ont consommé nos pères en terre d’Egypte. Que toute personne affamée vienne et mange ! Que toute personne qui en a besoin[1] vienne et célèbre Pessa’h [la Pâques]
Cette année (nous sommes) ici ; l’année prochaine (nous serons) en terre d’Israël !
Cette année (nous sommes) ici et esclaves ; l’année prochaine (nous serons) en terre d’Israël des personnes libres !
1) Explication littérale, Haggadah Ish Matsliah (pages 111-113)
Il est nécessaire de lire la Haggadah à voie haute, avec ardeur et une grande joie. Il faut expliquer et détailler l’ensemble des sujets abordés ce soir, chacun selon ses possibilités. Il faut penser à se rendre quitte de la Mitsva, de l’obligation DE LA TORAH, de raconter la sortie d’Egypte.
Hommes et femmes sont tenus d’accomplir cette Mitsva. Pour une personne qui ne comprendrait pas le texte de la Haggadah (en hébreu), il faudra traduire la Haggadah en une langue qu’elle comprend. Le minimum requis est de traduire les trois passages expliquant l’essentiel des Mitsvot de la soirée Pascale:
- פסח שהיו אבותינו אוכלים expliquant le sacrifice Pascal et l’obligation de manger l’agneau Pascal, à l’époque du Temple de Jérusalem;
- מצה זו expliquant la raison pour laquelle nous mangeons de la Matsa;
- מרור זה expliquant la raison pour laquelle nous mangeons du Maror, c’est à dire des herbes amères.
Le premier passage de la Haggadah est rédigé en Araméen car à l’époque des sages du Talmoud, qui ont instauré le texte de la Haggadah, la langue véhiculaire était l’Araméen. Comme ce passage est une introduction au sujet du jour et une invitation à s’attabler pour la nuit Pascale, en conséquence ce passage a été écrit dans la langue compréhensible par tous à l’époque.
2) Donnons, toujours tirée de la Haggadah Ish Maçliah, une explication du texte de notre premier passage.
הא לחמא עניא : voici le pain de misère; c’est à dire que ce pain qui est à table ressemble au pain די אכלו אבהתנא בארעא דמצרים que consommaient nos pères en terre d’Egypte qu’ont consommé nos pères en terre d’Egypte, la nuit de la sortie d’Egypte comme il est écrit dans la Torah (Shémot/Exode Ch. 12, v8):
וְאָכְלוּ אֶת-הַבָּשָׂר, בַּלַּיְלָה הַזֶּה צְלִי-אֵשׁ וּמַצּוֹת, עַל-מְרֹרִים יֹאכְלֻהוּ
Et l’on en mangera la chair cette même nuit; on la mangera rôtie au feu et accompagnée d’azymes et d’herbes amères.
Certains ont comme version לחמא עניא כהא (avec une lettre en plus ce qui signifie alors : comme ce pain de misère) cependant la version du Rambam est הא לחמא עניא, il en est de même de la version du Aboudraham (très versé dans les minhaguim, « coutumes» à consonance Halakhiques/législatives). La Matsa est appelée לחם עני « pain de misère » [pain de la pauvreté] en utilisant le langage choisi par la Torah (Dévarim/Deutéronome Ch. 16, v 3) car ce langage rappelle la pauvreté qui leur a été imposée en Egypte (comme l’explique Rashi sur ce verset). De plus, les Egyptiens donnaient aux esclaves ce type de pain non fermenté qui est long à digérer (Aboudraham et Malbim); un peu leur suffisait !
D’autres expliquent que ce pain ne contient que de la farine et de l’eau sans addition d’huile ou d’œuf comme le serait la Matsa Âshirah (Guémarah Pessa’him 37 folio a). Comme ce « pain » n’est pas si facile que ça à trouver alors nous invitons les pauvres en disant כּל דכפין ייתי ויכול que toute personne affamée vienne et mange, et pas seulement celle qui est affamée et qui ne possède rien, mais également :
כּל דצריך ייתי ויפסח que toute personne qui en a besoin vienne et célèbre Pessa’h celui qui a de quoi manger mais qui ne dispose pas des denrées nécessaires à la soirée Pascale, comme du vin, du ‘Harosseth ou du Maror qu’il vienne et célèbre Pessa’h avec nous.
Certains expliquent à partir de l’histoire avec le ‘Hafets ‘Haim ZaTsaL qui ne souhaitait pas, lorsqu’il recevait un invité, prolonger le vendredi soir avant le Quiddoush avec des études et des chants, car il ressentait que cet invité était affamé. C’est pour cela que le Magguid dit juste après le Qiddoush que toute personne affamée vienne et mange, toute sorte d’aliments (viande, légumes, soupe …), que celui qui en a besoin celui qui n’a pas faim mais qui ne dispose pas des denrées nécessaires pour la soirée Pascale vienne et célèbre Pessa’h.
Afin que les pauvres n’aient pas honte de venir s’attabler chez autrui, nous leur proclamons : cette année nous sommes ici cette année nous sommes tous ici en exil dépendant de « la table des autres » (état de dépendance), nous prions pour avoir le mérite d’être l’année prochaine en terre d’Israël ; cette année nous sommes esclaves cette année vous et nous sommes asservis aux peuples, prions pour que l’année prochaine nous ayons le mérite de la venue du Messie et nous serons vous et nous en terre d’Israël des personnes libres comme l’indiquent les sages, que leur mémoire soit une bénédiction, dans le Talmoud Rosh Hashana 11b :
En Nissan (premier mois du printemps) les enfants d’Israël sont devenus libres (la sortie d’Egypte a eu lieu en Nissan) et en Nissan ils seront délivrés pour la délivrance finale. Le fait de doubler les mots (en Nissan … en Nissan ou bien cette année… cette année …) vient nous rappeler l’enseignement des sages (Talmoud Yéroushalmi, Bérakhot) : la délivrance des Juifs sera faite petit à petit (progressivement).
3) Haggadah שערי ארמון (p. 32-33) au nom du Magguid de Douvna et de la Haggadah Emeth Léyaâkov
Certains disposent d’une autre version כלחמא עניא « comme ce pain de misère », mais au fait, quelle est la différence entre les deux versions ? Le Maguid de Douvna nous fait ressentir cette différence par une parabole :
Il y avait un colporteur, pauvre, qui se déplaçait de ville en ville avec son baluchon à l’épaule. Il s’arrêta une fois dans une ville et la chance lui sourit, il économisa de l’argent, ouvrit boutique et s’enrichit. Il avait l’habitude chaque année, le jour anniversaire de son arrivée dans cette ville avec son bâton et son baluchon de faire un festin avec ses proches. Il accrochait son baluchon à l’épaule et en sortait des présents de valeur pour ses enfants, de l’argent pour ses garçons et des bijoux pour ses filles.
Un jour il perdit toute sa fortune dans une affaire risquée et dut vendre son affaire, il fut alors sans le sou et nécessiteux. Il resta dans sa maison triste et abattu. Son épouse lui dit « pourquoi te lamentes-tu ? » Hachem a donné, Hachem a repris, que Son nom soit béni pour la période de faste. Maintenant nous revenons à l’époque antérieure; reprend ton baluchon et retourne faire des tournées aux portes des maisons avec ta marchandise.
Le pauvre homme entendit les paroles de son épouse et reprit son baluchon. Immédiatement ses enfants tendirent leur main afin de recevoir des présents, comme à l’accoutumée !
Le pauvre homme les regarda avec un regard larmoyant et leur dit : «non, mes enfants, chaque année c’était une fête, en souvenir des jours pénibles où j’étais colporteur, alors je me déguisais en pauvre je portais le baluchon mais je vous distribuais des cadeaux, maintenant ce n’est plus un simulacre. Maintenant je suis revenu à mon état de pauvreté, et je dois prendre mon baluchon pour gagner ma vie ».
La parabole : dans le passé, lorsque le Beth Hamikdash, le Temple de Jérusalem, existait encore, nous avions tout en abondance, les Matsot n’étaient que le souvenir du pain de misère que nous avions mangé en Egypte et alors on pouvait dire «comme ce pain de misère» , nous faisions des actes qui ressemblaient à ceux de nos ancêtres et c’était simplement en souvenir.
Par contre, de nos jours, à notre époque d’exil lorsque nous sommes revenus à notre servitude et que nous sommes descendus de notre grandeur, nous disons « Ha la’hma » : en fait nous sommes revenus à cet état dans lequel nous mangeons réellement un pain de misère.
4) Haggadah שערי ארמון (p 34) au nom de la Haggadah Divré Shaoul
Voici le pain de misère…. Toute personne qui est affamée ….
Quel lien y a-t-il entre הא לחמא עניא « Voici le pain de misère » et כל־דכפין « Toute personne qui est affamée » ? – telle est l’interrogation du Gaon Rabbi Yossef Shaoul Hallévi Natanzon ZatSaL de Lwow, et il répond par une parabole :
Il était une fois un commerçant qui avait parcouru un long chemin et traversé des forêts très touffues et sombres; des voleurs l’attaquèrent et lui prirent toute sa marchandise et voulurent le tuer. Soudain, les policiers du rois surgirent, ils se battirent avec les voleurs et les tuèrent. La marchandise du commerçant était déjà entreposée dans la carriole des brigands. Les policiers donnèrent la carriole au commerçant, avec tout son contenu. Il se pressa et partit de cet endroit. Lorsqu’il arriva à la foire il s’avéra que la carriole était emplie de biens de grande valeur; pleine des rapines faites antérieurement par les voleurs; il était devenu immensément riche !! A partir de là, il prit sur lui, de faire systématiquement un festin de reconnaissance, chaque année, le jour anniversaire où il avait été sauvé puis devenu extrêmement riche. Plusieurs jours avant le festin ses serviteurs s’afféraient dans les préparatifs du festin faisant cuire des mets succulents. Sa famille et ses proches assistaient au festin et participaient à sa joie.
Après quelque temps, la roue tourna et il s’appauvrit. Lorsque la période du festin s’approcha il n’avait pas de quoi préparer, ni mets succulent ni friandises, ni viande ni vin; juste de quoi cuire du pain bis (avec de la farine de mauvaise qualité). Il prit la parole en ces termes :
- dans le passé, lorsque j’étais riche j’invitais peu de gens au festin, ils y étaient choyés et profitaient bien, mais maintenant alors que je ne donne plus qu’un morceau de pain sec, tout celui qui le souhaite peut venir manger ….
C’est ce qu’écrit le RAMBAM Zal (Hilkhot Hamets Oumatsah chapitre 8) : Pendant l’exil (galout) il faut commencer sur le deuxième verre de vin et dire : « Bivhilou Yatsanou Mimitsraym» (avec précipitation nous sommes sortis d’Egypte) Ha Kala’hma âniah[2] (voici, comme de pain de misère)… c’est à dire que maintenant que nous sommes en galouth (exil) et n’avons la possibilité que de préparer un pain qui ressemble au pain de misère qu’ont mangé nos ancêtres en Egypte alors tout celui qui veut peut venir manger avec nous …
5) כּל־דכפין tout celui qui est affamé, Haggadah Mir au nom de רבּי ירוחם
La Torah (Genèse Ch. 18, v 3) nous ramène :
וַיֹּאמַר: אֲ־דֹ־נָ־י, אִם-נָא מָצָאתִי חֵן בְּעֵינֶיךָ אַל-נָא תַעֲבֹר, מֵעַל עַבְדֶּךָ.
Et il dit: « Mes Seigneurs [Eternel], si j’ai trouvé grâce à vos [Tes] yeux[3], ne passez [passe] pas ainsi devant votre serviteur!
Il y a une discussion entre les sages (rapportée par Rashi) pour savoir si le mot A-do-n-ay utilisé dans ce verset est un nom sacré, le verset signifiant qu’Avraham demande à D.ieu d’attendre le temps qu’il courre chercher les « invités » et les faire rentrer dans la tente, ou bien un nom profane (dans ce contexte) le mot ado-nay (sans majuscule) signifiant alors « mes maîtres/mes seigneurs », Avraham ne s’adressant plus à l’Eternel mais aux « passants ». La Guémarah de Shévouoth apprend de là que la Mitsva de réception des invités est plus grande que celle d’accueillir la Shékhinah (présence divine).
L’explication de ce concept est dans ce que nous rappelons systématiquement « nous n’avons pas de relation avec un quelconque monde (supérieur) »
Un des aspects les plus profonds se présente ici, dans notre monde et la Torah est «une Torah de ce monde-ci» et c’est tout le fondement de ce concept que la « Mitsva de réception des invités est plus grande que celle d’accueillir la Shékhinah » car la Mitsva d’accueillir la Shékhinah est une des plus grandes choses mais c’est une activité qui s’adresse aux mondes supérieurs tandis que la Mitsva d’accueillir les invités est une activité de ce monde. C’est à dire que l’accueil des invités ici-bas correspond à l’accueil de la Shékhinah là haut et donc l’accueil des invités est supérieur en ce monde. Nous avons là un fondement pour toute la création, la Torah est une Torah de ce monde !!
De plus nous devons tirer un enseignement du verset (Genèse Ch. 19, v2)[4]
וַיֹּאמֶר הִנֶּה נָּא-[5]אֲדֹנַי, סוּרוּ נָא אֶל-בֵּית עַבְדְּכֶם וְלִינוּ וְרַחֲצוּ רַגְלֵיכֶם, וְהִשְׁכַּמְתֶּם, וַהֲלַכְתֶּם לְדַרְכְּכֶם; וַיֹּאמְרוּ לֹּא, כִּי בָרְחוֹב נָלִין.
Il dit « Ah! de grâce, mes seigneurs, venez dans la maison de votre serviteur, passez-y la nuit, lavez vos pieds; puis, demain matin, vous pourrez continuer votre route. » Ils répondirent: « Non, nous coucherons sur la voie publique. »
Rashi explique « voilà, vous êtes mes seigneurs du fait que vous soyez passés devant moi ».
Selon cette explication, le début du verset « Ah! De grâce, mes seigneurs » n’est pas en relation avec la suite « venez dans la maison de votre serviteur » mais est un verset à part entière dans lequel Loth leur indique que ce sont ses seigneurs.
On apprend de là un grand fondement dans la réception des invités, le maitre de maison devient serviteur de ses invités et l’invité est son « maître ». La raison en est « après que vous soyez passés devant moi » ; ceci est conforme à l’autre explication de Rashi à propos d’Avraham recevant les invités (le tout premier verset de notre explication): « après que vous soyez passés devant moi en mon honneur », c’est à dire que lorsque l’invité vient chez son hôte, il honore cet hôte car il n’y a pas plus grand honneur, pour un individu, qu’un homme formé à l’image du Créateur vienne le voir.
De là s’en suivent toutes les lois concernant l’hospitalité, en particulier ce qui est enseigné « l’obligation envers un invité est comme l’obligation d’un serviteur envers son maître » et ce du fait de la reconnaissance que nous devons avoir envers l’invité qui nous honore de sa présence; le maitre de maison devient alors comme un serviteur asservi à son maître. Pour nous, l’accueil des invités est comme une simple courtoisie mais en réalité il n’en est pas ainsi il s’agit d’une vraie obligation comme un asservissement d’un serviteur envers son maître
[1] Pas forcément DANS le besoin mais « qui a besoin » ; par exemple pour une raison ou une autre n’a pas eu le temps de préparer le Seder.
[2] Ce qui n’est pas la version dont je dispose
[3] Rappelons le contexte. Avraham vient de se faire la Milah (circoncision) et Hachem « lui rend visite », comme pour rendre visite à un malade. « Comme il levait les yeux et regardait, il vit trois personnages debout près de lui (il s’agit de trois anges, l’un d’entre eux doit détruire Sodome et l’autre sauver Loth et sa famille). Et c’est là qu’il dit notre verset dans lequel le mot A-D-O-N-A-Y prête à interprétation.
[4] Là il s’agit du sauvetage de Loth, le neveu d’Avraham, par les anges, avant la destruction de Sodome et Gomorrhe. Le même terme, A-DO-NA-Y, y est utilisé.
[5] Il s’agit d’un mot profane, non sacré