Parashyot A’haré Moth-Kédoshim (5775)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
PARACHYOT A’HARÉ MOTH-KÉDOCHIM
Cette semaine encore, deux parachyot se succèdent. La première, A’haré moth, commence par traiter des règles du jour de Kippour. Ainsi, la Torah précise, que le Cohen gadol ne pourra pas se présenter devant l’arche à tout moment. Seul le jour de Kippour autorise le Cohen à entrer dans cet endroit, vêtu d’une tenue particulière. C’est ainsi qu’en ce jour particulier, Aaron (et tout Cohen gadol qui lui succèdera) devra apporter un taureau et un bélier, afin de les sacrifier sur l’autel, ainsi que deux boucs qui, désignés par le sort, iront, l’un à Hachem, l’autre à Azazel. La paracha nous décrit donc l’office particulier de ce jour saint, en précisant, étape par étape, les processus de sacrifices, d’aspersion et de combustion, en fonction des offrandes présentées à Hachem. De même, du côté des bné-Israël, Hachem demande la mortification (par le jeûne entre autre) ainsi que la cessation de tout travail. Par la suite, la Torah explicite les règles d’abattage des animaux destinés aux sacrifices. La Torah restreint le droit d’offrir un sacrifice au seul endroit du michkan, à l’exclusion de tout autre. La première paracha se conclut par l’énumération des interdits d’ordre sexuel, en stipulant que le maintien sur la terre d’Israël du peuple juif en dépend.
La seconde paracha, kédochim, comme son nom l’indique, enjoint le peuple à la sainteté. Ainsi, elle énonce un certain nombre de lois en rappelant à chaque fois la sainteté d’Hachem, pour préciser l’importance du respect de ces lois. Ainsi cette paracha met en avant les lois du Chabbat, du respect des parents, de l’idolâtrie, du sacrifice, de la moisson, du vol, du mensonge et du paiement des salaires aux employés. Elle stipule également les règles encadrant la parole et toutes les fautes qui peuvent en découler, comme prononcer des malédictions, prononcer des jugements injustes ou encore colporter le Lachone Hara. Suite à cela, la Torah insiste sur l’importance à accorder à l’entente entre les hommes, en s’éloignant de tout ce qui causerait la haine. La torah poursuit par d’autres règles concernant la moralité, l’interdiction de pratiquer la sorcellerie et d’autres lois encore.
Dans le chapitre 19 de Vayikra, la torah dit :
:כז/ לֹא תַקִּפוּ, פְּאַת רֹאשְׁכֶם; וְלֹא תַשְׁחִית, אֵת פְּאַת זְקָנֶךָ
27/ Vous n’entourerez pas le coin de votre tête et tu ne détruiras pas le coin de ta barbe.
Nous parlons ici d’un interdit très particulier et malheureusement trop souvent dénigré. La torah interdit aux hommes de couper leurs cheveux et leur barbe à certains endroits. Ainsi, en ce qui concerne le cuir chevelu, Hachem interdit toute forme de rasage au niveau des tempes. Il est permis de couper et de réduire le cheveu, mais jamais de le raser et de le rendre trop petit. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles, les bné-Israël ont l’habitude de laisser pousser les péot afin de marquer cet interdit par son contraire : au lieu de couper, nous préservons les cheveux qui poussent dans cette partie du crâne. En ce qui concerne le visage et plus précisément la barbe, la guémara dans le traité makot (page 20a) définit cinq endroits frappés de l’interdiction. Deux sur chaque joue et un en bas du visage. À la différence de l’interdiction des cheveux, celle de la barbe est moins rigoureuse puisque seul le rasage à la lame est prohibé. Cette interdiction n’est pas à prendre à la légère puisque la torah la sanctionne de la peine de flagellation !
Bien que la torah ne fournisse pas d’explication sur le sujet, il n’est pas interdit d’essayer d’en pénétrer la symbolique. Pourquoi la torah formule t-elle ces interdictions ? Pourquoi la femme en est dispensée ? Quelle différence existe t-il entre le crâne et la barbe pour que leurs lois diffèrent ? Comme chacun le remarque, beaucoup de détails liés à ce commandement nous échappe. Tentons de comprendre un peu mieux le fondement de cette loi qui nous paraît dénuée de sens.
Rabbi Chimchone Réfaël Hirsh apporte un commentaire fabuleux sur le sujet. La lecture du verset que nous avons cité distingue clairement l’interdit du crâne de celui de la barbe. La tempe constitue le point de transition visible entre la face et l’arrière de la tête. Elle démarque le cerveau du cervelet. De façon plus précise, la partie inférieure du crâne sur laquelle nous ne pouvons couper les cheveux, symbolise la distinction entre ces deux sous-parties du cerveau humain. Le cervelet a pour fonction de gérer la motricité au niveau de l’ajustement de nos mouvements. Ainsi, les cheveux inférieurs, ceux-là même que la torah interdit de raser, marquent grossièrement la délimitation entre le cerveau gérant des fonctions plus générales et plus complexes et le cervelet, dont la fonction est plus primitive.
Parallèlement, la torah délimite la face de l’homme par cinq endroits interdits au rasage. Il se trouve que ces derniers tracent la frontière entre les deux niveaux de la mâchoire que sont la mandibule pour la partie inférieure, et les os maxillaires pour la mâchoire supérieure. La torah place donc la partie basse du visage en opposition aux parties plus supérieures. Or, la partie inférieure de notre visage, celle de la mandibule, est celle destinée à la mastication. Bien que la mâchoire supérieure ait un rôle dans ce phénomène, elle demeure passive et c’est bien la mâchoire inférieure qui se charge du mouvement. Ainsi, la partie la plus bestiale du visage, celle de la nutrition, se trouve être celle qui est recouverte par la barbe du visage. Également, sur le crâne, les fonctions les plus primitives, celles que le cervelet gère, ne doivent surtout pas être découvertes et il est interdit d’en retirer les cheveux. En opposition à cela, se trouve les fonctions plus nobles du visage, celles de la vue, de l’odorat… qui sont naturellement découvertes. De même, le cerveau qui constitue une base supérieure par rapport au cervelet, n’est pas frappé par un interdit de rasage. La torah incite donc l’homme à dévoiler ses aspects les plus nobles et à dissimuler les aspects les plus primitifs.
La torah enjoint ainsi à refouler notre côté bestial et à exprimer notre humanité au maximum. De façon remarquable, ces lois du rasage ne concernent que l’homme et non la femme. Rabbi Chimchone Réfaël Hirsh justifie cela par la tsniout, la pudeur inhérente à la femme. De façon naturelle, la gente féminine exprime moins sa partie animale que l’homme. La pudeur qui caractérise les dames, la timidité et l’humilité de la femme juive, se trouvent à l’opposé des valeurs que l’interdit du rasage repousse. De fait, elle n’ont pas besoin de faire attention à un signe ostensible de démarcation et ne sont pas concernées par ces interdits. Plus encore, la barbe ne fait pas partie de leur patrimoine génétique ! C’est dire combien cette dernière concerne une qualité qui fait défaut à l’homme mais non à la femme. La torah nous interdit de mettre en avant nos aspects les plus bas et nous demande de ne faire sortir que nos côtés les plus sophistiqués, notre noblesse tant humaine que spirituelle.
Pour aller encore plus loin dans l’analyse, il convient de noter que l’interdiction de la barbe est formulée au singulier tandis que celle de la tête est au plurielle. Ce détail dissimule un aspect majeur de l’attitude que la torah nous demande d’adopter. En effet, comme nous l’avons mentionné au début, la barbe ne peut être rasée par le biais d’un rasoir, mais le fait de retirer le poil n’est pas en soi interdit. Tandis que pour le crâne, qu’il s’agisse d’un rasoir ou d’autre chose, le poil doit demeurer sur la tête et ne jamais être intégralement retiré ! Cela est évocateur du message de la torah. À savoir que les lois concernant le crâne, ont une porté pour l’extérieur, pour tous ceux qui peuvent nous contempler. Chaque homme juif, doit visuellement témoigner au monde sa vocation spirituelle, celle qui consiste au raffinement et au perfectionnement de l’individu. À ce titre, le verset de la torah formule la loi au pluriel, afin de lui donner une portée universelle. De même, la règle en question ne distingue pas la matériel de rasage, ils sont tous interdits. Par contre, pour le visage, la torah parle au singulier. Car le message que ce dernier véhicule est individuel. Il s’agit de rappeler à chacun, qu’intérieurement, il doit être identique au message qu’il véhicule extérieurement. Dès lors, la torah ne demande pas de ne pas couper le poil, elle demande simplement de ne pas le faire par le rasoir. Dans les faits, si une personne use de la lame pour se raser, personne n’en sera conscient si ce n’est lui-même. Les autres ne seront pas capables de distinguer l’ustensile dont il s’est servi. C’est là que se trouve tout l’enjeu. Car, pour que le message soit entier, il faut qu’il soit ancré au plus profond de nous. Dès lors, nous ne pouvons qu’être les seuls témoins de cette forme d’expression et seulement nous, pouvons savoir si nous avons respecté ce que nous demande Hachem. Il s’agit d’orienter notre vocation personnelle vers le raffinement afin de l’exprimer de façon universelle.
Cette notion trouve un écho remarquable dans le commentaire général de ‘Hazal sur le sujet. Ces derniers expliquent l’interdiction de raser le crâne comme référence au culte idolâtre. Il est intéressant de rappeler ici le débat qui opposait Yaakov et Essav, ces deux frères jumeaux que tout opposait. Yaakov notre ancêtre, a voué sa vie au progrès, à l’élévation spirituelle, tandis que son racha de frère s’est vautré dans le confort matériel sans jamais engagé le moindre progrès personnel. L’essence même de ces deux individus est enracinée dans leur nom respectif. עשו, Essav, vient du mot עשוי, assouï, qui signifie, « déjà fait ». יעקב, Yaakov, a pour racine עקב, Ékev qui se traduit par « cheville ». Ainsi, Essav est celui qui se considérait comme déjà achevé et qui ne jugeait pas utile de chercher à s’améliorer. Au contraire, Yaakov est celui qui est né en agrippant la cheville de son frère qui le précédait à l’accouchement. Il est le deuxième qui, en quête constante de progrès, voulait être le premier. À ce titre, la torah décrit Essav comme un homme d’une extrême violence, dont l’attitude était bestiale. Au vue de notre développement nous comprenons pourquoi cet homme était particulièrement poilu. Dès sa naissance, son corps était recouvert de poils ! Car sa mission était de réprimer ce côté animal « hors-norme » dont il était le dépositaire !
Cette différence entre les deux frères est à la base de la différence entre la foi en Dieu et l’idolâtrie. Yaakov vivait dans une proximité absolue avec son créateur tandis qu’Essav, fanatique des plaisirs de ce monde, était enraciné dans l’idolâtrie. Il s’avère donc que la torah cible la base dans notre attitude qui oriente vers le mal et l’éloignement d’Hachem, celle qui mène à l’idolâtrie. Lorsque l’homme donne priorité à ses pulsions animales, son côté le plus bestial, alors il refoule naturellement la réalité divine pour se focaliser vers le mensonge de l’idolâtrie. À l’opposé, celui qui fait le choix de la noblesse spirituelle, vit un rapprochement divin et se connecte avec Hakadoch Baroukh Hou ! C’est sans doute pourquoi, l’essence de l’interdiction du rasage prend racine dans l’idolâtrie. Car celui qui cache ses fonctions primaires pour n’exprimer que ses fonctions supérieures, est le prototype de l’homme juif qui a pour objectif la vie spirituelle que prône la torah.
Cela apporte un éclaircissement sur un minhag très répandu, celui de couper les cheveux des jeunes garçons à l’âge de trois ans. En effet, concernant la plantation d’un arbre, la torah interdit la consommation de tout produit de ce dernier durant les trois premières années. Les fruits produits au cours de la quatrième année sont eux sanctifiés et ce n’est qu’au cours de la cinquième qu’il devient permis de manger les fruits de l’arbre. Le midrach yalkout chimoni (alinéa 615) met cela en corrélation avec l’enfant qui, durant ses trois premières années n’est pas réellement en mesure de parler. Par contre, à sa quatrième année « ses fruits sont saints », à savoir que son père doit commencer à l’éduquer dans la torah. Enfin c’est à partir de la cinquième année que le fruit de l’arbre est permis c’est pourquoi nos sages demandent d’enseigner la torah écrite à nos fils à l’âge de cinq ans et ensuite à l’âge de douze ans nous l’initions à la michna.
Cela souligne l’idée selon laquelle, jusqu’à ses trois ans, l’enfant ne développe que les fonctions basiques de l’homme. Ce n’est qu’à ses trois ans qu’il commence à exprimer des capacités plus poussées, plus intellectuelles. Les trois ans marquent l’entrée dans un cadre spirituel, un état de perfection et de raffinement. C’est à cet âge là que nos ancêtres ont choisi de couper les cheveux des jeunes garçons, afin que lors de leur phase de développement intellectuel, ils marquent leur orientation vers le progrès spirituel !
La torah nous demande donc un perfectionnement total de notre personnalité au point de rendre cela visible dans notre aspect extérieur. Le juif se doit d’avoir un comportement irréprochable dans chaque compartiment de son existence et cela commence par une prise de conscience. Celle de prendre pour objectif un progrès permanent, une élévation spirituelle, celle qui nous garantit la proximité avec notre créateur. Une simple loi concernant nos cheveux et notre barbe a pour objectif d’enraciner cet objectif en nous. C’est dire, combien, de façon plus globale, nos efforts doivent s’orienter vers ce but ultime, celui qui définit la vie juive. Yéhi ratsone que chaque juif pousse son progrès au moins de pouvoir exprimer intérieurement et extérieurement une perfection totale, le rendant à l’image d’Hakadoch Baroukh Hou !
Chabbat chalom.