Reculer de 3 pas à la fin de la Amida (« Ossé Chalom… »)
Rav David Pitoun
Ossé Chalom
Article de l’auteur, Rav David Pitoun, initialement publié sur son blog http://ravdavidpitoun.blogspot.com/
Reculer de 3 pas à la fin de la ‘Amida (« Ossé Chalom… »)
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QUESTION
Lors d’une récente Hala’ha, il a été expliqué que l’usage de certaines personnes de se tourner vers la droite puis vers la gauche lorsqu’elles disent la phrase « Yamine Ou-Smol Tifrotsi » dans le chant « Le’ha Dodi », est un usage sans fondement et qu’il faut donc abolir.
Je désirerais savoir si le fait de se tourner et de se courber vers la droite et vers la gauche lorsqu’on dit la phrase « ‘Ossé Chalom Bimromav » à la fin de la ‘Amida, est un usage fondé Hala’hiquement ou pas ?
DECISION DE LA HALA’HA
Lorsqu’on termine la ‘Amida, on doit se courber et reculer de 3 pas, puis avant de se redresser, on dit « ‘Ossé Chalom Bimromav » en se tournant sur le côté gauche, puis en disant « Hou Bérah’amav Ya’assé Chalom ‘Alenou » on se tourne vers le côté droit. Ensuite, en disant « Ve’al Kol ‘Amo Israël Véimrou Amen » on se penche face à soi même, comme un serviteur qui prend congé de son maître.
Il ne faut pas dire « ‘Ossé Chalom Bimromav » en reculant de 3 pas, il faut d’abord reculer et ensuite dire « ‘Ossé Chalom Bimromav ».
Après avoir dit « ‘Ossé Chalom », on dit la phrase : « Yéhi Ratson Miléfane’ha ….Shétivné Beit Ha-Mikdash Bimhera Beyamenou… » (On demande à Hashem de reconstruire rapidement le Temple de Jérusalem).
Il faut rester à l’endroit que l’on a atteint au 3ème pas, sans retourner à l’endroit où l’on a prié, jusqu’au moment où l’officiant dira la Kédousha, ou au plus tôt, jusqu’au moment où il entame la répétition de la ‘Amida.
Si l’on prie sans Minyan, il faut rester à cet endroit le temps qu’il faut pour marcher 4 Amot (4 coudées, environ 2 mètres).
Après avoir dit « ‘Ossé Chalom », il est permis de séparer les pieds (et même de s’asseoir si c’est vraiment nécessaire, mais pas de retourner à l’endroit où l’on a prié.)
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SOURCES ET DEVELOPPEMENT
Il est vrai qu’il existe certains usages qui ont été enracinés au fil du temps par des ignorants, qui ne sont pas des gens de Torah, et ces usages ne doivent absolument pas être adoptés. Cependant, il faut toujours clarifier chaque usage en vigueur et vérifier s’il a une source et s’il a été fondé par des Talmidé ‘Ha’hamim (érudits dans la Torah), car si un usage a été fondé par des grands de la Torah, il faut l’encourager et l’adopter, puisque « la tradition d’Israël a force de loi ».
Par contre, lorsqu’un Minhag – une tradition ou un usage en vigueur – n’a pas de fondement écrit dans les enseignements de nos maîtres les décisionnaires, ou bien qu’il a été instauré par des gens ignorants, nous avons non seulement l’obligation de ne pas l’adopter, mais aussi de l’abolir totalement.
L’usage de se courber lorsqu’on recule en disant ‘Ossé Chalom Bimromav est cité explicitement dans la Guémara Yoma (53b), où il est précisé que lorsqu’on termine la ‘Amida en disant le dernier Yhyou Le-Ratson Imré Fi, il faut se courber (comme lorsqu’on dit Modim), et en étant courbé, on recule de 3 pas.
Voici les propos de MARAN dans le Shoul’han ‘Arou’h (O.H 123-1) :
- On se courbe et on recule de 3 pas en restant courbé. Après avoir reculé de 3 pas, tout en étant courbé on dit « ‘Ossé Chalom Bimromav » en se tournant sur le côté gauche, puis en disant « Hou Béra’hamav Ya’assé Chalom ‘Alenou » on se tourne vers le côté droit. Ensuite, en disant « Ve’al Kol ‘Amo Israël Véimrou Amen » on se penche face à soi même, comme un serviteur qui prend congé de son maître.
Certains décisionnaires Kabbalistes – comme le Kaf Ha-‘Haïm (sur O.H 123 note 7) ou le Ben Ish ‘Haï (Beshala’h note 24) – tranchent qu’il faut reculer en se tenant droit et non courbé, puis on se tourne vers la gauche et on se courbe pour dire « ‘Ossé Chalom Bimromav », puis on se redresse pour se tourner vers la droite et se courber pour dire « Hou Béra’hamav Ya’assé Chalom ‘Alenou », puis on se redresse pour dire en se tenant droit « Ve’al Kol ‘Amo Israël Véimrou Amen ».
Mais notre maître le Rav Ovadia YOSSEF Zatsal tranche dans son livre Hali’hot ‘Olam (tome 1 Beshala’h note 10) que l’essentiel reste l’opinion de MARAN dans le Shoul’han ‘Arou’h où il tranche qu’il faut reculer en se tenant courbé et ne se redresser qu’après avoir dit « Ve’al Kol ‘Amo Israël Véimrou Amen ».
De nombreux A’haronim écrivent que lorsqu’on dit « Véimrou Amen » on s’adresse aux anges qui accompagnent chaque individu en permanence pour le préserver et écoutent sa prière.
MARAN – dans le Beit Yossef (O.H 123) – cite le Gaon Rabbi Its’hak ABOHAB qui atteste que selon l’interprétation la plus évidente des propos de la Guémara et des décisionnaires, il ne faut pas dire « ‘Ossé Chalom Bimromav » au moment où l’on recule, comme certaines personnes le font par erreur, mais il faut d’abord reculer tout en étant courbé, et au moment où l’on achève les 3 pas, on dit « ‘Ossé Chalom Bimromav ». Rabbi Its’hak ABOHAB termine ses propos en disant : « mais que puis je faire puisque le monde n’a pas cet usage, cela nécessite réflexion. »
MARAN précise qu’il ressort des propos de la plupart des Rishonim que tel est le Din et l’attitude à adopter selon la Hala’ha. Il faut donc d’abord reculer de 3 pas et ensuite dire « ‘Ossé Chalom », et nous n’avons pas à prendre en considération un usage erroné qui contredit la Guémara et les décisionnaires.
Malgré tout, certains décisionnaires comme le RASHBETS (dans ses commentaires sur traité Béra’hot fin du 5ème chap.) laissent entendre que le problème fait l’objet d’une divergence d’opinion dans la Guémara. Lui-même tranche selon l’avis qui exige de dire « ‘Ossé Chalom » tout en reculant.
Le Téroumat Ha-Deshen (chap.13) – même s’il tranche qu’il faut d’abord reculer et ensuite dire « ‘Ossé Chalom » – cite lui aussi l’usage en vigueur de dire « ‘Ossé Chalom » tout en reculant.
Le Or’hot ‘Haïm (Hal. relatives à la prièe chap.24) cite un avis selon lequel on doit dire « ‘Ossé Chalom » tout en reculant.
Selon notre maître le ‘HYDA – dans Birké Yossef (sur O.H 123 note 1) – il y a une erreur de copiste dans les propos du Or’hot ‘Haïm, et il faut corriger « tout en étant courbé » au lieu de « tout en reculant ». Mais selon le Maamar Morde’haï (sur O.H 123 note 1), ce n’est pas une erreur de copiste mais un avis selon lequel tel est réellement le Din. Il semble également que Rabbenou Yona – dans son livre Sefer Ha-Ir’a (édition Eshkol page 166) – pense lui aussi qu’il faut dire « ‘Ossé Chalom » tout en reculant.
Mais sur le plan pratique, nous ne devons tenir compte que de l’opinion de MARAN dans le Beit Yossef et le Shoul’han ‘Arou’h où il tranche qu’il faut d’abord reculer et ensuite dire « ‘Ossé Chalom ».
Telle est également la conclusion pratique de la plupart des A’haronim comme le Maguen Avraham (note 2) ; le Eliyah Rabba (note 2) ; le Gaon Rabbi Zalman dans son Shoul’han ‘Arou’h (parag.1) ; le Gaon Rabbi ‘Haïm FALLAG’I dans son livre Kaf Ha-’Haïm (chap.15 note 40) ; le Mishna Beroura (note 3) ; le Kaf Ha-‘Haïm (Sofer) (note 4), et d’autres…
Le RAMA écrit dans Darké Moshé (O.H 123 note 7 et dans ses notes sur le Shoul’han ‘Arou’h) :
- Après avoir dit « ‘Ossé Chalom », on dit la phrase : « Yéhi Ratson Miléfane’ha ….Shétivné Beit Ha-Mikdash Bimhera Beyamenou… » (On demande à Hashem de reconstruire rapidement le Temple de Jérusalem).
Les Ashkenazim ont l’usage de dire « Shéibané » mais les Séfaradim disent « Shétivné », conformément aux propos du MAHARAM Di Lounzano dans son livre Shété Yadot (‘Avodat Mikdash page 57b) cité par notre maître le ‘HYDA dans Birké Yossef (note 2), ainsi que d’autres décisionnaires Séfarades.
MARAN tranche (O.H 123-2) qu’il faut rester à l’endroit que l’on a atteint au 3ème pas, sans retourner à l’endroit où l’on a prié, jusqu’au moment où l’officiant dira la Kédousha, ou au plus tôt, jusqu’au moment où il entame la répétition de la ‘Amida.
Ce Din prend sa source dans la Guémara Yoma (53b) qui compare une personne qui a reculé et dit « ‘Ossé Chalom », à un élève qui prend congé de son maître. S’il revient immédiatement à sa place, il est comme un chien qui revient sur son vomi.
Selon certains décisionnaires, il faut rester pieds joints même après avoir reculé et dit « ‘Ossé Chalom ». Parmi ces décisionnaires :
- Le Kenesset Ha-Guédola (notes sur le TOUR) ; le Maguen Avraham (note 5) ; le Baer Hetev (note 4) ; ‘Hessed Lé-Alafim (note 24) ; le Kitsour Shoul’han ‘Arou’h (chap.18 note 13) ; le Kaf Ha-‘Haïm (note 11) et d’autres…
Mais le Gaon auteur du Eliyah Rabba (note 4) fait remarquer que ce Din n’apparaît pas dans les propos du Shou’t Ha-Rada’h (Rabbi David Ha-Cohen, élève du MAHARAM Mints) (Baït 23 ‘Heder 1) qui constitue la source principal de tous les décisionnaires cités précédemment.
Le ‘Arou’h Ha-Shoul’han (note 3) émet la même remarque.
Le Mishna Béroura (note 6) fait lui aussi remarquer que ce Din n’apparaît pas dans le Shou’t Ha-Rada’h, et il tranche donc qu’il ne faut s’imposer cette rigueur que lorsqu’on dit « ‘Ossé Chalom » et pas au-delà.