Divré Torah Parashat Kédochime – 5778
Y. M. Charbit
Parashat Kédochime
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בס״ד
Parashat Kédochime
Cette semaine encore, deux parachyot se succèdent. La première, A’haré moth, commence par traiter des règles du jour de Kippour. Ainsi, la Torah précise, que le Cohen gadol ne pourra pas se présenter devant l’arche à tout moment. Seul le jour de Kippour autorise le Cohen à entrer dans cet endroit, vêtu d’une tenue particulière. C’est ainsi qu’en ce jour particulier, Aaron (et tout Cohen gadol qui lui succèdera) devra apporter un taureau et un bélier, afin de les sacrifier sur l’autel, ainsi que deux boucs qui, désignés par le sort, iront, l’un à Hachem, l’autre à Azazel. La paracha nous décrit donc l’office particulier de ce jour saint, en précisant, étape par étape, les processus des sacrifices, d’aspersion et de combustion, en fonction des offrandes présentées à Hachem. De même, du côté des bné-Israël, Hachem demande la mortification (par le jeûne entre autre) ainsi que la cessation de tout travail. Par la suite, la Torah explicite les règles d’abattage des animaux destinés aux sacrifices. La Torah restreint le droit d’offrir un sacrifice au seul endroit du michkan, à l’exclusion de tout autre. La première paracha se conclut par l’énumération des interdits d’ordre sexuel, en stipulant que le maintien sur la terre d’Israël du peuple juif en dépend.
La seconde paracha, kédochim, comme son nom l’indique, enjoint le peuple à la sainteté. Ainsi, elle énonce un certain nombre de lois en rappelant à chaque fois la sainteté d’Hachem, pour préciser l’importance du respect de ces lois. Ainsi cette paracha met en avant les lois du Chabbat, du respect des parents, de l’idolâtrie, du sacrifice, de la moisson, du vol, du mensonge et du paiement des salaires aux employés. Elle stipule également les règles encadrant la parole et toutes les fautes qui peuvent en découler, comme prononcer des malédictions, prononcer des jugements injustes ou encore colporter le Lachone Hara. Suite à cela, la Torah insiste sur l’importance à accorder à l’entente entre les hommes, en s’éloignant de tout ce qui causerait la haine. La torah poursuit par d’autres règles concernant la moralité, l’interdiction de pratiquer la sorcellerie et d’autres lois encore.
Dans le chapitre 19 de Vayikra, la torah dit au 18ème verset :
לֹא-תִקֹּם וְלֹא-תִטֹּר אֶת-בְּנֵי עַמֶּךָ, וְאָהַבְתָּ לְרֵעֲךָ כָּמוֹךָ: אֲנִי, יְהוָה׃
Ne te venge ni ne garde rancune aux enfants de ton peuple, mais aime ton prochain comme toi-même: Je suis Hachem.
Le commentaire de Rabbi ‘Akiva sur le sujet est très connu : il s’agit d’une règle primordiale de la torah. L’amour entre les bné-Israël se doit d’être parfait, surtout lorsque nous savons que c’est la haine gratuite qui est responsable de la destruction du temple.
Il convient de définir plus en avant cet enseignement de rabbi ‘Akiva. Nous pourrions être surpris de vouloir tenter de comprendre une loi aussi claire et logique. Et pourtant, l’approfondissement est de mise, dans la mesure où, nombre de commentateurs soulignent qu’il semble impossible d’accomplir ce commandement. Comment parvenir à égaler l’importance d’une personne, que nous ne connaissons pas, à la nôtre ? Soyons objectif, cela paraît hors de portée. Que cherche réellement la torah à nous transmettre ?
La guémara (traité baba metsia, page 62a) rapporte l’enseignement suivant : « Deux hommes qui sont sur la route et, l’un d’entre eux, possède une gourde d’eau (suffisante pour une seule personne). Si les deux hommes en boivent, alors les deux mourront, mais si un seul boit, alors il atteindra sa destination. Ben Pétorah enseigne : il vaut mieux qu’ils boivent tous les deux et que tous les deux meurent, plutôt que l’un voit la mort de l’autre. Jusqu’à ce qu’arrive Rabbi ‘Akiva et enseigne : ta vie est prioritaire ! »
Sur ce passage, le ‘Hatam Sofer s’interroge. Comme le maître pour lequel, l’un des principes essentiels de la torah est l’amour de son prochain, au point de lui accorder autant d’importance que nous-même, peut-il estimer que notre vie devance celle de l’autre. Il devrait penser comme Ben Pétorah et dire : puisque l’amour que je dois porter à mon prochain est aussi grand que l’estime que j’ai pour moi, alors sa vie et la mienne sont aussi importantes et aucune n’a préséance ! Pourquoi change-t-il de ligne de conduite ?
À cela, il répond, qu’il est clair que l’amour dont parle la torah concerne l’aspect spirituel de la personne. Lorsqu’il s’agira du côté matériel, des choses qui concernent ce monde-ci, alors il n’y a pas de priorité à accorder à autrui. Par contre, en ce qui concerne l’importance spirituelle, notre relation avec Hachem, alors, il faut concéder tous les efforts envisageables, pour laisser la même place que la nôtre à autrui. Voir un juif loin d’Hachem doit nous fendre le cœur au point de faire tout ce qui est possible pour le sauver, comme s’il s’agissait de nous.
Une question se pose. D’où rabbi ‘Akiva tire-t-il cette nuance entre l’importance matérielle et l’importance spirituelle ? Peut-être la torah inclut les deux niveaux dans l’injonction d’aimer son prochain comme nous-même ?
Tentons d’approfondir.
Pour cela, revenons sur un enseignement du Maharal de Prague qui analyse le dernier mot de la première phrase du chéma : »אחד un ». Il est composé des lettres » א » qui vaut un, » ח » qui vaut huit et »ד » qui vaut quatre. La première lettre fait référence à Yaakov qui est l’unité et qui a donné douze enfants qui seront issus pour huit d’entre eux, de ses femmes, et pour quatre, des servantes. Le » א » se divise donc en » ח » plus »ד » et ensemble tout cela forme le mot »אחד un ». En clair, les différentes parties du peuple aboutiront à la formation d’un peuple qui sera unique et reflètera dans le monde, l’unité divine. Parallèlement à cela, nos sages précisent que ces valeurs définissent l’unité divine, dans la création du monde. Le » א » qui incarne l’unité d’Hachem, au travers du » ח » qui symbolise les huit cieux qui nous séparent d’Hachem pour indiquer qu’il est unique dans les huit sphères. Cette unité s’étend sur le »ד » des quatre coins cardinaux.
Il y a donc un parallèle passionnant qui s’établit entre l’unité céleste qui doit se refléter sur l’unité terrestre incarnée par Yaakov et ses fils. Il est intéressant de voir que le commentaire du Maharal distingue les fils des servantes des autres enfants pour affirmer l’unité d’Israël. Cela insiste sur le fait que, pour entrer en harmonie avec le »אחד un » céleste, il est absolument nécessaire d’effacer les différences, qu’un tout homogène apparaisse et qu’ensemble, les bné-Israël manifestent le »אחד un » terrestre. De sorte, le divin trouve écho dans l’humain.
Sur cette base, nous pouvons envisager de comprendre la distinction qu’opère Rabbi ‘Akiva. En effet, notre verset conclut avec la mention « אֲנִי, יְהוָה Je suis Hachem ». Quel est le lien entre le sujet, et sa conclusion ?
Rav ‘Haïm Vitale répond que justement, c’est uniquement lorsque les différences s’effacent entre deux bné-Israël, lorsque l’amour respectif se manifeste, que le nom d’Hachem s’exprime. L’amour se dit « אהבה – ahava » en hébreu. Ce mot a pour valeur numérique 13, à savoir la même que le mot »אחד un ». L’amour est ce qui unit les hommes. C’est suite à l’amour respectif, lorsqu’un homme transmet la « אהבה – ahava » à son prochain et qu’il la reçoit en retour, que, cette valeur s’incarne doublement, pour atteindre 26, qui renvoie au nom d’Hachem ! Il s’agit-là du sens à donner au verset : lorsque nous aimons notre prochain comme nous même, alors « אֲנִי, יְהוָה Je suis Hachem » !
Cela a une conséquence extraordinaire. Si l’amour est ce qui manifeste la présence divine, alors cela marque l’idée que Sa connaissance est conséquente à cette mitsvah. La connaissance d’Hachem ne se fait qu’au travers de la torah ! En clair, notre verset parle explicitement de notre proximité avec le Maître du monde et se réfère de facto à un aspect spirituel. C’est pourquoi, rabbi ‘Akiva, accorde la priorité à l’importance spirituelle que nous témoignons aux autres. Il s’agit d’une priorité de la torah. Cela nous permet de comprendre un autre événement de la vie de cet illustre maître de la torah.
Il est enseigné (traité yévamot, page 62b) : « Rabbi ‘Akiva avait 12000 paires d’élèves, depuis Givot jusqu’à Antiprass. Tous sont morts d’un coup, car ils ne s’accordaient pas de respect mutuel. Rabbi ‘Akiva est alors allé auprès de nos maîtres du Sud et a enseigné à Rabbi Méïr, Rabbi Yéhouda, rabbi Yossi, Rabbi Chimone, Rabbi ‘Élazar ben Chamou’a. Ils sont ceux qui ont maintenu la torah. »
Le Maharcha précise que le manque de respect dont faisaient preuve les 24000 élèves concerne justement ce que nous évoquons, à savoir, l’absence de considération spirituelle, personne n’accordait d’importance à la valeur de la torah de son prochain. Sur cette, base, le Ben Yéhoyada remarque que la guémara choisit de formuler les élèves sous la forme de 12000 paires d’élèves plutôt que d’opter pour la simplicité et dire 24000. Ceci s’explique par la sagesse de Rabbi ‘Akiva qui a pressenti le défaut de ses élèves et a tenté de les en prémunir. Pour conduire les élèves à l’amour de la torah de leur confrère, il les a fait étudier en couple, afin d’apprendre à considérer leur prochain ! Car, la torah ne peut se transmettre que par ce vecteur !
Malheureusement, les élèves n’ont pas su en tirer la leçon et sont tous morts. De fait, nous respectons une période de deuil en commémoration de leur disparition. Il ne s’agit pas d’un deuil pour la perte des individus, mais d’un deuil pour la perte de la torah qu’ils auraient dû nous apporter. En clair, nos sages veulent nous apprendre par là, que lorsque nous ne considérons pas la torah des autres avec autant d’importance que la nôtre, alors il n’y a pas de torah, il n’y pas la présence divine. C’est pourquoi nous commémorons cette »mort de la torah » au travers de la disparition des élèves. C’est ensuite, que Rabbi ‘Akiva a repris l’enseignement avec de nouveaux élèves, en partant de la base de notre verset : la grande règle de la torah est d’aimer de son prochain comme soi-même ! Dans ces conditions, la guémara précise : « Ils sont ceux qui ont maintenu la torah. » car elle s’exprime dans une configuration adéquate.
Il est primordial de nous consacrer intensivement à l’aide des bné-Israël pour qu’ensemble nous puissions s’élever et exprimer une torah authentique dans laquelle la présence d’Hachem viendra résider !
Chabbat chalom.